Chapitre 3 - Le réveil de Dorian

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Sans vraiment réfléchir, Dorian avait fait ce que l'on attendait de lui. Il avait confondu ses désirs avec ceux de Franck. Maintenant il avait l'impression de se réveiller d'une longue narcose. Ses sens reprenaient vie, et plus rien n'allait de soi, il lui fallait penser par lui-même et ne plus attendre un geste de Franck pour connaitre le chemin à suivre. Il devait se prendre en main.

Dorian suivait le rythme des sorties mondaines de Franck. Il passait des soirées à écouter en silence des hommes de tous les âges qui pensaient être l'élite de la population. Ils étaient politiciens, avocats, magistrats, hauts fonctionnaires, artistes connus ou même pontes de la médecine, sans compter quelques journalistes ou philosophes connus du grand public. Plus les soirées avançaient, plus de pensées et autres sentences exprimant de soi-disant grands concepts sans relief intellectuel particulier, tombaient de leurs bouches. Ils devenaient impétueux et grandiloquents. Jamais aucune idée, un tant soit peu révolutionnaire et empathique pour ceux « d'en bas », n'était venue bouleverser leur entre soi suintant de suffisance bourgeoise.

Dorian sortait de là dégoûté. Franck l'avait toujours cru bête parce qu'il se taisait la plupart du temps. En revanche, lui parlait sans arrêt, en se glorifiant l'air de ne pas y toucher. Il ne cessait ces autopromotions que pour émettre un rire bruyant après avoir raconté une saillie qui se voulait pleine d'esprit. Tout était prétexte à se raconter ou faire des commentaires souvent déplacés, pleins d'emphase ou méprisants. Franck était de ces hommes, qui sans aucune honte, racontait toujours la même histoire. Les versions variaient légèrement, mais elles avaient toutes en commun qu'elles lui étaient toujours favorables. Il se gaussait de conquêtes faciles qu'il avait rejetées car pas assez intéressantes, ou d'autres, plus ardues, mais bien sûr, à la fin, il était le grand vainqueur. Malgré sa vêture onéreuse et élégante, ses manières raffinées et les autres marques distinctives de son milieu social, il était vulgaire, grossier et sans aucune délicatesse intellectuelle ou physique. À son corps défendant, Dorian avait intégré le fait d'être le dominé dans toutes les situations et avait laissé Franck dans sa position sociale « naturelle » de dominant.

Plus il réfléchissait à sa vie avec Franck, plus il se rendait compte de son inconscience. Il avait été ébloui par les grands lustres à pampilles des salons bourgeois où Franck l'emmenait, mais comme les pauvres papillons de nuit, il s'y était brûlé les ailes. Le pire dans cette relation était qu'il savait bien que Franck le présentait comme un simple ami sans titre ni richesse, l'ami pauvre, la caution « je ne suis pas de droite puisque j'en côtoie un ! ». Dorian savait tout ça mais il avait cru au concept du ruissellement : côtoyer des privilégiés vous donnerait l'impression d'être moins minable. Au restaurant, Franck décidait pour Dorian, afin qu'il ne soit pas « embarrassé devant le choix qui se présentait à lui ». Il lui offrait des costumes de créateurs et l'invitait à des galas ; Dorian pensait qu'il l'habillait avec goût, peut-être, mais c'était toujours avec son goût à lui, jamais, il n'avait demandé à Dorian son avis. Dorian avait pris ses attentions pour de la gentillesse désintéressée, il voyait en son amant, un homme prévenant, alors que c'était un manipulateur.

Dorian n'était pas aventureux ni même dragueur. Il manquait de confiance en lui pour oser aller vers les autres. Il restait dans sa zone de confort quitte à rater des occasions d'être heureux. Les nombreuses blessures de son cœur en avait fait un blasé de l'amour. Il voulait garder son amant quitte à supporter ses tromperies, ses mensonges et son mépris. Être un second choix était un choix acceptable. Le jour où il avait rencontré Franck, il croyait être un homme chanceux. Il avait voulu y croire, croire en l'amour, croire que Franck était celui qui lui était destiné. Mais y croire n'avait pas suffi, croire ne suffisait jamais. Souvent il se disait : « Franck ne m'aime pas, il me trouve juste différent, je le divertis ! Sortir avec une personne du même sexe est juste une expérience à faire ! Pourtant, il ne s'est pas encore lassé en trois ans ? À part ses coucheries à droite à gauche avec des femmes, il me revient toujours ! » Pour Dorian, l'amour était plus de la douleur que du bonheur. Lorsque Franck conversait par sms avec une de ses conquêtes, la poitrine de Dorian se serrait en croisant son regard qui souriait aux messages envoyés.

Dorian se souvenait très bien de leur dernière dispute. Après celle-ci, ils se mirent au lit. Franck avait insisté pour faire l'amour, rien de mieux pour faire la paix selon lui. Une fois sa jouissance acquise, il resta les yeux rivés sur son téléphone. Dorian était encore très affligé de ce qu'ils s'étaient dits. Il demanda à son compagnon en espérant être rassuré : « Franck, m'aimes-tu ? » Le silence peut aussi être une réponse acceptable lorsqu'il s'accompagne d'un geste ou d'un regard. Mais Dorian savait que Franck, comme à son habitude, se tairait sans un geste ou un regard. Alors une goutte salée roula de sa paupière à la commissure de ses lèvres. Elle glissa et vint tomber sur les muscles de sa poitrine et finit sa course sur son téton nu. Franck soupira : sa réponse était ses yeux roulant vers le ciel et son air excédé.

Franck était un dragueur invétéré. Il aimait séduire et chasser : comme un chat, il blessait ses victimes et jouait avec elles jusqu'à les laisser mourir d'épuisement. Son insensibilité se cachait sous un sourire enjôleur, une grande assurance et une faconde indéniable. Il n'était pas avocat pour rien. Sa torture fétiche était de culpabiliser Dorian : « Si tu m'aimes, tu dois me laisser libre. Il faut que tu sois loyal ! » Dorian se croyait loyal en laissant Franck à ses frasques. La loyauté peut être d'obliger l'autre à faire ce qu'il ne veut pas. C'était un chantage affectif qui ne disait pas son nom.

Cela faisait plus d'une semaine qu'ils s'étaient disputés sur une aire de repos bretonne. Jamais Franck n'aurait pensé que Dorian puisse le quitter, alors il avait continué son périple jusqu'à Carnac comme c'était prévu. Il s'était installé à l'hôtel et avait poursuivi sa petite vie de touriste en bord de mer, en étant sûr que Dorian le rejoindrait. Cela avait été peine perdue. Plus d'une semaine qu'il appelait Dorian, et que le message qui l'enjoignait de renouveler son appel, se répétait.

Ce fut à son retour dans leur appartement, qu'il avait trouvé des tiroirs ouverts sans contenu, la penderie à moitié dépouillée, la bibliothèque vidée des deux tiers de ses ouvrages, la brosse à dents de Dorian dans la poubelle. Toutes les affaires et les meubles de son amant avaient disparus. Sur la table du séjour, trônaient les albums photographiques qu'ils avaient confectionnés ensemble. Les souvenirs où apparaissait leur couple sur papier glacé, avaient été soigneusement découpés. Il n'y avait plus que le visage de Franck sur les clichés amputés. Ça a été un électrochoc pour lui.

Pourrait-il pardonner à Dorian d'avoir fait ça ? Ça n'allait pas se passer comme ça. Il allait voir ce petit imbécile ce qu'il en coûte de se comporter comme ça avec lui ! Sans succès, il fit le tour de tous les endroits où Dorian avait l'habitude d'aller. Un dernier espoir était qu'il fut chez Sam. Sans même sonner ou frapper à la porte, il était entré dans l'atelier de Sam, avait balançait son casque et son sac et avait fouillé toutes les pièces. Il était comme fou. Les bras croisés, debout dans la pièce principale, posément, Sam devisait sans regarder Franck qui s'énervait tout seul :

« À trop vouloir jouer au con et il fallait bien un jour que tu sois le gagnant ! »

Sam n'avait pas mâché ses mots. Franck espérait un soutien, un peu de compassion, au lieu de ça il se trouvait face à Sam qui lui renvoyait une vérité que personne n'avait osé lui dire :

« T'es arrogant ! Tu es sûr d'être irrésistible, intelligent et surtout tu crois que tout le monde est prêt à te pardonner. Il n'y a bien que tes parents pour pardonner ta suffisance et ton égoïsme. Dorian a tenu trois ans parce qu'il est foncièrement gentil et un brin naïf. Lui, il croit au grand amour, au dévouement et autres grands sentiments. Pourquoi pas, si tu as en face de toi une personne respectueuse et empathique. Mais pas quelqu'un comme toi... Le pire, c'est que tu sais tout ça, espèce de manipulateur ! Tu me dégoutes, et ça depuis notre première rencontre. »

Le sang de Franck bouillait, il avait envie de lui faire ravaler son fiel à cette enflure de Sam. Il serrait les poings, les veines de son cou triplaient de volume, son visage était écarlate. Il était prêt à exploser. La sonnerie de son téléphone brisa sa montée de violence. C'était Dorian :

« Arrête de harceler mes amis ! Je ne veux plus te voir !

- Mais, mon chéri, je suis certain que tu as oublié des trucs à la maison. On doit se parler calmement. Reviens, je t'en supplie !

- Tu vois, tu supplies mais tu ne t'excuses pas. C'est fini. FINI !

- Dorian, je t'aime, tu le sais, tu ne peux pas me faire ça !

- Tu recommences, tu ne te préoccupes que de toi. Adieu.

- Dorian. »

Dorian avait raccroché. Franck se lamentait :

« Mais qu'est-ce que j'ai fait ! Qu'est-ce que je vais faire ? Dorian...

- Si tu avais un tant soit peu de jugeote et surtout si tu ressentais de la réelle tristesse, tu serais entrain de pleurer d'avoir perdu un mec aussi merveilleux que Dorian. Mais non à la place, tu te demandes ce que tu vas devenir, toi, toujours toi, rien que toi, pas Dorian. Ça ne t'est pas venu à l'idée de vraiment t'excuser quitte à te mettre à genoux, à vider ton répertoire des numéros de tes nanas, à te poser des questions sur ce que tu veux, qui tu es vraiment ? Non, rien de tout ça ne t'est venu à l'esprit. Tu t'apitoies sur ton sort comme un sale môme mal élevé, pourri, gâté. Tu me débectes. T'es pitoyable ! »

La fierté et l'aveuglement de Franck l'avait empêché d'aller vers Dorian pour s'excuser de ses comportements irrespectueux, comme si l'amour était un combat qu'il fallait gagner à tout prix même si les actions menées n'aboutissaient qu'à une défaite, et surtout à des cascades de bassesses mortifiantes. Au bout du compte, bassesse après bassesse et désinvolture après désinvolture, Dorian avait supporté blessure sur blessure jusqu'au moment où il lui avait été impossible de continuer, alors il était parti et ne reviendrait jamais.

« La fierté en amour peut être une arme contre soi. » Lui asséna froidement Sam.

Ne sachant quoi répondre, Franck regarda Sam qui faisait une moue dubitative en remuant la tête de droite à gauche. Il lut dans son regard autant de pitié que de dégoût. Il ramassa son casque et son sac, et sortit en claquant la porte.

Après cette scène, Dorian qui s'était caché chez Malo, revint vers Sam qui déclara :

« Voilà, c'est fait ! J'espère ne plus voir sa gueule de rat. Désolé d'avoir insulté les rats !

- Qu'est-ce que je vais faire maintenant ?

- Et bien, tu vas vivre pour toi. Tu vas aller de l'avant. Tu as fait un choix étrange en prenant ce type, il faut qu'à présent tu fasses des choix plus judicieux. Parfois, ce n'est pas utile d'aller chercher très loin ce qui peut nous convenir, affirma Sam, en regardant Salah qui avait arrimé ses yeux pleins de douceur sur Dorian.

- J'ai peur de craquer s'il vient me voir au travail.

- Je suis désolé, mais je n'ai pas de garde du corps sous la main. Fais-toi confiance. Tu as suffisamment souffert. Si tu craques en couchant avec lui, ce n'est pas bien grave. On fait tous des trucs regrettables. Il faut juste que tu ne sois plus sa petite chose. L'idéal serait que tu trouves un nouvel amant, comme ça il y aurait plus de chances qu'il te laisse tranquille. Un amant attentionné, passionné et surtout respectueux. Je suis sûr que tu vas trouver très, très, vite. » Déclara-t-il en fixant Salah d'un regard appuyé.

Sam avait mis une espèce de pression sur Salah en lui suggérant de se déclarer à Dorian, et cela rapidement. Il n'avait flirtait qu'avec Farouk, désormais, avec appréhension, il devait faire le premier pas pour séduire Dorian. Ils avaient quasiment le même âge, mais il lui semblait que Dorian était plus expérimenté. Il fallait qu'il puise en lui de la hardiesse et qu'il se fasse confiance. La chance serait-elle de son côté ? Mais, en aurait-il ? Le coup de foudre qu'il avait ressenti à leur première rencontre, c'était transformé en amour. La présence de Dorian donnait l'envie à Salah d'être galant et courtois, mais aussi polisson et sensuel. Il concevait une réelle admiration et tendresse pour cet homme vulnérable, mais si magnanime dans sa façon d'être avec les autres. Le métier d'infirmier lui allait comme un gant.

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