Chapitre 4 - Sécurité et liberté

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Je me suis installé dans un des appartements du fond de la cour. Il donne soit sur celle-ci ou sur la rue. Il est situé entre le cabinet d'architecture, l'appartement de Malo, Thor et Vikingur, et l'appartement d'Aël et Caleb dont il est le jumeau.

Mon premier achat est un grand lit. J’ai laissé le mien chez Franck. C'est tant mieux. Je peux repartir sur de nouvelles bases. Dès qu'un des hommes de la communauté est libre, il m’accompagne ou vient chercher au travail.

Sam a officiellement proposé à Salah de venir vivre avec sa sœur aux Ateliers. Salah promet de donner une réponse rapide. Il appréhende d'en parler à Azza. Lui en parler, c’est lui expliquer qui sont les hommes des Ateliers. C’est dire son homosexualité. Pour lui, c'est un aveu. Il a encore beaucoup de culpabilité à être gay. Mais la culpabilité ne change rien à cet état de fait : il est gay. Je tente de le motiver :

─ Explique-lui tous les avantages qu’offrent les Ateliers. Parle-lui de l’environnement sécurisant et harmonieux.

─ Ce n’est pas ça qui me freine. Elle verra bien que nous sommes tous des hommes gays. Je n’ai pas encore le courage de dire, d’avouer qui je suis.

─ Je comprends ton point de vue. Mais il faut parfois être égoïste pour rendre les gens heureux autour de nous. Ne la sous-estime pas ! C’est peut-être une enfant à tes yeux qui ne peut pas comprendre les choses de l’amour. Je suis sûr qu’elle est bien plus ouverte et intelligente que tu ne le crois.

─ Je suis trop arrogant, tu as raison.

─ Ne dis pas ça. Tu es inquiet et c’est tout à ton honneur.

Nous avons de nombreuses conversations. Salah est doux, calme et tendre. J’aime cette façon élégante qu’il a de s’inquiéter des autres sans être intrusif. Il a peu de temps pour aider aux Ateliers, mais s’il peut aider, il le fait sans attendre quoi que ce soit. J’espère qu’il va venir vivre ici. Je me sens tellement bien à ses côtés.

Après cette dernière discussion avec Dorian, je prends mon courage à deux mains. Azza est un peu ennuyée. Elle me voit comme un frère zen et décontracté habituellement, alors que ce soir, je n’arrive pas à calmer. Mes mains sont moites et je sens de grosses gouttes de sueur glisser sur mon visage :

─ Que se passe-t-il ? Tu es malade ?

─ Non, ça va. J’ai quelque chose d’important à te dire. C’est très délicat. Tu sais pourquoi nous avons dû quitter notre pays, n’est-ce pas ?

─ Bien sûr ! Tu m’as sauvée d’un mariage arrangé.

─ Azza, non, les mots ont de l’importance : c’était un mariage forcé !

J’avale ma salive. Je ferme les yeux et je me lance dans l’inconnu :

─ Ce n’est pas la seule raison. Je suis un homme homosexuel.

─ Ah ! Je me doutais bien qu'il y avait un souci à la maison. Notre père a dit que tu étais un contre-nature. Il voulait que tu te maries avec la fille d'un ami à lui. Il voulait nous marier pour se débarrasser de nous.

─ Tu le savais ?

─ Plus ou moins. Que veux-tu que cela change pour moi ? Promets-moi juste que tu resteras à mes côtés, même si tu rencontres un amoureux.

─ Bien sûr ! Je t’assure que même si je n’avais été pas homosexuel, je me serais enfui avec toi.

Elle s'est pelotonnée tout contre moi.

─ Je suis très fière de toi. Tu es la meilleure personne que je connaisse.

─ Alors tu n’as pas honte d'avoir un frère comme moi ?

─ Oh que non ! Ne t'en fais pas. Avec notre prof de français, on a parlé du bonheur. « Au-dessus du devoir, il y a le bonheur. » C'est un écrivain, Paul Léautaud qui a écrit ça. Et Denis Diderot a écrit : « Il n'y a qu'un devoir, c'est d'être heureux ». Alors si toi t'es heureux avec quelqu’un et que c'est un homme, et bien moi ça me va.

─ Elle est bien ta prof.

Après un moment de flottement, je fais quelque chose que nous ne faisons jamais avec ma sœur : j’embrasse son front et elle dépose un baiser sur chacune de mes joues. C’est comme si notre pudeur fraternelle tombait.

─ Je suis aussi fier de toi. Non seulement, tu es belle, mais tu as une belle âme.

─ Je t'aimerai jusqu'à ma mort.

─ Ne dis pas ça, ma douce. J’ai une autre nouvelle. L’on m’a proposé de vivre dans une communauté un peu particulière. Je ne sais pas si tu pourras t’y plaire. Si tu t’y sens bien, on pourrait y emménager rapidement. Veux-tu la visiter ?

─ Bien sûr ! Allons-y samedi !

Je lui fais l'article de tous les avantages d'emménager aux Ateliers du Bonheur. Pour Azza, cet endroit porte un joli nom plein d'espoir.

Malo nous emmène faire le tour des Ateliers. Il lui explique le fonctionnement de la communauté. Azza est déjà conquise. Elle appelle sa meilleure amie et lui raconte ce qu’elle voit :

─ Il y a des arbres, des jardins et des installations sportives. Il y aura une piscine. Il y a un poulailler avec des poules pondeuses et des poules d'agrément. Un verger arboré, mais il faudra attendre deux ans avant de voir les premiers fruits. Les deux potagers sont délimités et bêchés. Mon frère a aidé à les faire. Il y a aussi deux grandes serres pour faire des fraises et des tomates. Il faudra que tu viennes. Toutes les personnes qui vivent ici sont sympas. Il y en a de trop marrants. Bon je te laisse car on va aller prendre le goûter. À lundi. Bisous.

Je suis heureux qu’elle accepte ce nouvel environnement. Sébastien nous rejoint dans le jardin :

─ C’est dommage qu’il manque un jardin d'agrément avec des jeux de plein air pour Vikingur et toi. Tu pourrais en profiter encore pendant quelques années.

─ Sébastien est le roi des tuyaux et de la soudure. Il va s'activer à la confection d'un grand barbecue et d'une balançoire. N’est-ce pas ? Intervient Malo.

─ Je vais m’y mettre au plus vite. Azza doit avoir un coin de verdure à elle. C’est quand même la seule femme de la communauté. Elle mérite qu’on se donne de la peine, répond Sébastien, le regard plein de tendresse.

Notre déménagement s'effectue en deux temps trois mouvements. Notre appartement était petit et nous avons peu de choses à mettre en cartons. Azza avait la chambre et moi je dormais dans le salon. Alors quand on est rentré dans l’appartement des Ateliers, nous avons été éblouis.

Depuis notre installation aux Ateliers, Azza et moi mangeons souvent avec les autres compères. Elle aime la joie qui règne et la nouveauté de la nourriture. Sam adore cuisiner des saveurs asiatiques, il lui fait goûter des épices qu’elle ne connait pas. La présence de Vikingur qui passe de bras en bras, lui met le cœur en joie. Victor se fait régulièrement incendier par les autres hommes pour ses vannes salaces. Azza parle arabe avec Fouad ou Jibril lorsqu'ils nous rejoignent. Elle aime surprendre les gestes tendres ou attentionnés que chaque homme a pour son amoureux. Elle s’est bien rendu compte de la dynamique de chaque couple : Aël et Caleb sont très attentionnés, ils aiment se prendre la main discrètement sous la table et ils se regardent "avec des yeux de poissons morts d'amour" comme dit Victor ; Sébastien et Victor se chamaillent pour un rien parfois des noms d'oiseaux fusent, mais ils se font de petits clins d’œil discrets. Elle n'a pas encore compris qu'Alfred, le discret, est une partie de leur « couple », même si elle a bien remarqué que couramment, il se met entre eux pour faire le tampon et calmer le jeu. Il y a de nombreux jeux de pieds sous la table entre les membres du trouple.

Azza et moi avons hâte de rencontrer Thor. On nous parle d'un immense viking, alors elle s'imagine un marin tatoué des pieds jusqu'au haut du crâne comme dans la célèbre série éponyme. Elle sait qu'il parcoure les mers du globe, peut-être sur un bateau à tête de dragon ? Après tout, tout est possible. Dans à peine un mois, le loup de mer islandais sera à quai dans un port du nord du Japon sur l'île d'Hokkaidō. Il est déjà décidé que toute la communauté irait l'accueillir à l'aéroport à Paris. On dormirait à l'hôtel, on se baladerait sur les Champs Élysées, on ferait quelques monuments fameux de la capitale et l'on rentrerait pour fêter Noël tous ensemble aux Ateliers. Il y aurait quelques invités en plus des habitants de la communauté : la maman d'Aël, Jibril, Fouad et peut-être le papa de Thor.

Toute cette animation et les interactions entre les hommes des Ateliers lui plaisent vraiment. Je suis si heureux de la voir plus épanouie et détendue. Si je n’avais écouter que mes peurs, nous serions restés isolés. Elle mérite ce que lui arrive. Je remercie tous les hommes de leur gentillesse à son égard.

Il a des évènements inexplicables aux Ateliers. Des hasards récurrents : chaque fois que je suis de vaisselle ou de ménage, Dorian est mon binôme. Sam, qui élabore les plannings de corvées, assure qu'il n'y est pour rien, c'est un pur hasard. Ah ! Ce hasard ! Ce soir, je porte un tablier de cuisine à fleurs très kitch et des gants de ménage roses pour faire la vaisselle. Dorian, qui comme par hasard est avec moi, a remarqué que j’étais silencieux pendant le repas. Je suis préoccupé. Depuis le temps que dure notre badinage, il faut que l'un de nous deux fasse le premier pas. Je ne sais pas si Dorian sait qu’il m’attire. Il a toujours un air de ne pas y toucher. Parfois je crois qu’il flirte et à d’autres moments, il m’évite. Je lui sais gré d'être aussi prévenant, subtil et bienveillant. Je vois bien comment il se comporte avec ma sœur et les autres membres de la communauté. C'est un brave homme au véritable sens du terme. Je lui trouve un charme viril et doux. Il est tout à fait mon type. Je ne suis pas très à l’aise avec le flirt. Je ne sais pas comment faire. Farouk avait fait le premier pas. Depuis je n’ai jamais dragué qui ce soit. Je suis un empoté.

J’aime que Salah me tourne autour, mais cette hésitation qui dure depuis plus de deux mois, est pesante. Je crois qu’il a des scrupules à cause de ma rupture et qu'il ne veut rien forcer. Moi, je suis prêt à passer à autre chose. Je ne peux ni ne veux promettre une relation sur le long terme. Cela peut être juste une amourette passagère, ou peut-être plus, qui sait.

Je parle dans le vide. Salah est dans ses pensées. N’en pouvant plus, je me lance. Je me colle à son dos. Surpris, il lâche le bol qu'il nettoyait. Il se brise dans l'évier. Il se retourne vivement, ses deux mains gantées de rose en l'air et se retrouve nez à nez avec moi qui ris. Je prends son visage esbaudi entre mes mains et l'embrasse fougueusement. Salah se débarrasse de ses gants et de son horrible tablier :

─ Tu étais très mignon en Monsieur Propre avec ton tablier de mamy ! Lui lancé-je en le poussant vers la sortie.

Je lui fais traverser le bout de cour au pas de course. Nous grimpons quatre à quatre les marches qui mènent à ma chambre. Ayant commencé à prendre les choses en main, je continue. Je pousse Salah sur mon lit sans ménagement, je le déshabille, l’embrasse, le caresse. Lorsqu’il essaie de me rendre mes baisers et mes autres étreintes, j’attrape ses doigts et je les enlace fermement. Je relève ses deux bras prisonniers en arceaux au-dessus de sa tête. Il n’a pas pu ou voulu m’avoir, alors c’est moi qui l’aurais. Je lui demande :

─ As-tu une préférence ?

─ C'est-à-dire ? Me répondit-il un peu abasourdi.

─ Pénétré, pénétrant, ou bien encore versatile ?

─ J'ai toujours été le pénétrant, alors je ne sais pas si j'aime les deux autres.

─ Je suis versatile, mais il y a longtemps que je n'ai pas été le top. On essaie tout de suite comme ça sans se connaître vraiment ?

─ Tout ce que tu veux. Je veux tout faire avec toi !

Sa réponse est tellement mignonne et inattendue. Je suis encore plus tombé sous le charme de ce gentil garçon affable. Je fais preuve de patience et de douceur. Salah fronce les sourcils tout en émettant de petits cris d'agrément, lorsqu'il sent ma langue baladeuse et mes doigts prospecter ses nouveaux territoires inexplorés. Lorsque trois doigts lubrifiés prennent place sans difficulté, l'argonaute assidu que je suis, sors un préservatif de son étui. Je m’en couvre et m’insinue doucement dans la rosette épanouie de Salah. C’est lent et difficile. Je décide d'y revenir une autre fois : nous avons tout notre temps. Je le laisse me gâter goulument. Nous trouvons une exquise délectation à musarder sur nos géographies originelles. Je me laisse tripoter et bécoter par un Salah audacieux et taquin.

Dans l'esprit des moins imaginatifs et des plus funestes, il faut d'inévitables pénétrations pour trouver d'infinis trésors, ils se trompent. Entre Salah et moi, ainsi que tous les adorateurs de l'amour charnel et de la quête de l'autre, tout est faisable et rien n'est indispensable. Tels des sabres de chair et de sang, nos pénis bandés s'escriment, se frôlent, se croisent, s’effleurent, se heurtent et se frottent l'un à l'autre dans un tendre duel atavique où tous les deux nous ressortons vainqueurs. De terra incognita, nos longs combats sensuels nous font partenaires lascifs et insatiables. Dans le silence retrouvé, au milieu de notre champ d'honneur, où traînent quelques condoms usagers, nous finissons fourbus et béats, mais encore désirants. Après un nouvel et ultime assaut, je transperce ses dernières défenses et m'escrime le foutre le mieux possible. Ereintés, nous nous endormons étreints et enlacés, amarrés au corps de l'autre, de peur qu'il ne disparaisse. C'est aussi ça la liberté, s’attacher à celui que l’on choisit.

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