Chapitre 4 - Sécurité et liberté

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Dorian s'installa dans un des appartements du fond de la cour qui donnait soit sur celle-ci ou sur la rue. Il était situé entre le cabinet d'architecture, l'appartement de Malo, Thor et Vikingur, et l'appartement d'Aël et Caleb dont il était le jumeau.

Son premier achat fut un grand lit. Il avait laissé le sien chez Franck. C'était tant mieux. Il pouvait repartir sur de nouvelles bases. Dès qu'un des hommes de la communauté était libre, il accompagnait ou venait chercher Dorian à son travail.

Sam avait officiellement proposé à Salah de venir vivre avec sa sœur aux Ateliers du Bonheur. Salah promit de donner une réponse rapide. Il appréhendait d'en parler à Azza car lui expliquer qui étaient les hommes des Ateliers, c'était avouer son homosexualité. Pour lui, c'était un aveu. Il avait encore beaucoup de culpabilité à être gay. Mais la culpabilité ne changeait rien à cet état de fait, il était gay. Ce qui lui donnait le courage de dire, d'avouer, c'était l'incontestable conviction que l'environnement des Ateliers était bien plus sécurisant et harmonieux pour eux deux que leur tout petit appartement sombre. Il y avait des arbres, des jardins, des installations sportives et la construction de la piscine avait bien avancé. Le poulailler était fini, il accueillait des poules pondeuses et des poules d'agrément. Le verger était arboré, il faudrait attendre deux ans avant de voir les premiers fruits. Les deux potagers étaient délimités et bêchés. Les deux serres avaient été construites. Il manquait un jardin d'agrément avec des jeux de plein air pour Vikingur et Azza, elle aussi, pourrait en profiter pendant quelques années. Sébastien, le roi des tuyaux et de la soudure, s'activait à la confection d'un grand barbecue et d'une balançoire. Après le montage de la bibliothèque de Dorian, Alfred voulait se lancer dans la fabrication de meubles de jardin. Victor avait déjà tiré des gaines souterraines pour l'électricité extérieure. Il y avait tant de travaux en cours ! Parfois, Sam se désespérait devant le monceau de tâches à accomplir. Savoir que d'autres personnes pourraient d'être heureuses de vivre dans la communauté, atténuait ses préoccupations.

Salah raconta toutes les raisons pour lesquelles ils avaient quitté définitivement leur pays. Il assura à Azza que même s'il n'avait pas été homosexuel, il se serait enfui avec elle pour la sauver. Elle s'était pelotonnée entre les bras de son frère :

« Je me doutais bien qu'il y avait un souci à la maison. Notre père avait dit que tu étais un contre-nature. Il voulait que tu te maries avec la fille d'un ami à lui. Il voulait nous marier pour se débarrasser de nous. C'est triste. Le monde est si difficile. Promets-moi que tu resteras à mes côtés, même si tu rencontres un amoureux.

- Bien sûr que je resterais avec toi. Nous devons nous soutenir dans l'adversité. J'espère que tu n'as pas honte d'avoir un frère comme moi ?

- Ne t'en fais pas. Avec notre prof de français, on a parlé du bonheur. « Au-dessus du devoir, il y a le bonheur. » C'est un écrivain, Paul Léautaud qui disait ça. Et Denis Diderot a écrit : « Il n'y a qu'un devoir, c'est d'être heureux ». Alors si toi t'es heureux avec une personne, et que c'est un homme, et bien moi ça me va.

- Elle est bien ta prof. Après un moment de flottement, Salah embrassa Azza sur le front et lui dit : Je suis si fier de toi. Non seulement, tu es belle, mais tu as une belle âme.

- Je t'aimerai jusqu'à ma mort.

- Ne dis pas ça, ma douce. Cette fin de semaine, je t'emmène visiter notre futur foyer. »

Il lui fit l'article de tous les avantages d'emménager aux Ateliers du Bonheur. Pour Azza, cet endroit portait un joli nom plein d'espoir.

Depuis leur installation aux Ateliers, Salah et Azza mangèrent souvent avec les autres compères. Elle aimait la joie qui régnait, la nouveauté de la nourriture, Sam adorait cuisiner des saveurs japonaises ou chinoises et la présence de Vikingur qui passait de bras en bras. Victor se faisait régulièrement incendier pour ses vannes salaces. Azza parlait arabe avec Fouad ou Jibril lorsqu'ils venaient les rejoindre. Elle aimait surprendre les gestes tendres ou attentionnés que chaque homme avait pour son amoureux. Chaque couple avait sa propre dynamique : Aël et Caleb étaient très attentionnés, ils aimaient se prendre la main discrètement sous la table et ils se regardaient avec des yeux "de poissons morts d'amour" comme disait Victor ; Sébastien et Victor se chamaillaient pour un rien parfois des noms d'oiseaux fusaient. Elle n'avait pas encore compris qu'Alfred, qui se faisait discret, était une partie de leur « couple », même si elle avait bien remarqué que couramment, il se mettait entre eux pour faire le tampon et calmait le jeu. Il y avait de nombreux jeux de pieds sous la table entre les membres du trouple.

Elle et son frère avaient hâte de rencontrer Thor. On leur avait parlé d'un immense viking, alors elle s'imaginait un marin tatoué des pieds jusqu'au haut du crâne comme dans la célèbre série éponyme. Elle savait qu'il parcourait les mers du globe, peut-être sur un bateau à tête de dragon ? Après tout, tout était possible. Dans à peine un mois, le loup de mer islandais serait à quai dans un port du nord du Japon sur l'île d'Hokkaidō. Il fut décidé que toute la communauté irait l'accueillir à l'aéroport à Paris. On dormirait à l'hôtel, on se baladerait sur les Champs Élysées, on ferait quelques monuments fameux de la capitale et l'on rentrerait pour fêter Noël tous ensemble aux Ateliers. Il y aurait quelques invités en plus des habitants de la communauté : la maman d'Aël, Jibril, Fouad et peut-être le papa de Thor.

Il eut des évènements inexplicables aux Ateliers. Des hasards récurrents : chaque fois que Salah était de vaisselle ou de ménage, Dorian était son binôme. Sam, qui élaborait les plannings de corvées, assurait qu'il n'y était pour rien, c'était un pur hasard. Ah ! Ce hasard ! Un soir, Salah qui portait un tablier de cuisine très kitch et des gants de ménage, faisait la vaisselle. Dorian, qui comme par hasard, était avec lui, avait remarquait qu'il avait été très silencieux pendant le repas. Il paraissait préoccupé. Depuis le temps que durait leur badinage, il fallait que l'un des deux fasse le premier pas. Car Dorian avait bien vu le manège de Salah, avec son air de ne pas y toucher. Il lui était gré d'être aussi prévenant, subtil et bienveillant. Il voyait comment il se comportait avec sa sœur, et les autres membres de la communauté. C'était un brave homme au véritable sens du terme. Il lui trouvait un charme viril et doux. Il était tout à fait son type. Salah lui avait tourné autour avec hésitation depuis plus de deux mois, il pensait bien qu'il avait des scrupules à cause de sa rupture, et qu'il ne voulait rien forcer. Mais lui, Dorian était prêt à passer à autre chose. Il ne pouvait et ne voulait rien promettre, cela pourrait être juste une amourette passagère, ou peut-être plus, qui sait.

Dorian parlait dans le vide. Salah était dans ses pensées. Alors il se lança : il se colla au dos de Salah, qui, de surprise, lâcha le bol qu'il nettoyait et qui se brisa dans l'évier. Il se retourna vivement, ses deux mains gantées en l'air et se retrouva nez à nez avec Dorian qui lui souriait. Dorian prit son visage esbaudi entre ses mains et l'embrassa fougueusement. Salah se débarrassa de ses gants et de son horrible tablier :

« Tu étais très mignon en Monsieur Propre ! » lui lança Dorian qui le poussait vers la sortie.

Ils traversèrent un bout de cour, et grimpèrent quatre à quatre les marches qui menaient à la chambre de Dorian. Il prit les choses en main. Salah fut poussé sur le lit sans ménagement, déshabillé, embrassé, caressé. S'il essayait de rendre les baisers et autres étreintes, Dorian attrapait ses doigts et les enlaçaient fermement. Il releva en arceaux au-dessus de la tête de Salah, ses deux bras prisonniers :

« As-tu une préférence ?

- C'est-à-dire ?

- Pénétré, pénétrant, ou bien encore versatile ?

- J'ai toujours été le pénétrant, alors je ne sais pas si j'aime les deux autres.

- Je suis versatile, mais il y a longtemps que je n'ai pas été le top. On essaie tout de suite comme ça sans se connaître vraiment ?

- Tout ce que tu veux. Je veux tout faire avec toi ! »

Dorian fit preuve de patience et de douceur. Salah fronçait les sourcils tout en émettant de petits cris d'agrément, lorsqu'il sentait la langue baladeuse et les doigts de son nouvel amant prospecter ses nouveaux territoires inexplorés. Lorsque trois doigts lubrifiés purent prendre place sans difficulté, l'argonaute assidu sortit un préservatif. Il se couvrit et s'insinua doucement dans la rosette épanouie de Salah. Ce fut lent et difficile. Dorian décida d'y revenir une autre fois : ils avaient tout leur temps. Ils se gâtèrent l'un l'autre goulument et y trouvèrent une exquise délectation à musarder sur leurs géographies originelles. Dorian se laissa tripoter et bécoter par un Salah audacieux et taquin. Dans l'esprit des moins imaginatifs et des plus funestes, il fallait d'inévitables pénétrations pour trouver d'infinis trésors, mais ils se trompent. Entre Dorian et Salah, ainsi que tous les adorateurs de l'amour charnel et de la quête de l'autre, tout était faisable et rien n'était indispensable. Tels des sabres de chair et de sang, leurs pénis bandés s'escrimaient, se frôlaient, se croisaient, se heurtaient et se frottaient l'un à l'autre dans un tendre duel atavique où tous les deux en ressortaient vainqueurs. De terra incognita, leurs longs assauts sensuels, les firent partenaires lascifs et insatiables. Dans le silence retrouvé, au milieu de leur champ d'honneur, ils finirent fourbus et béats, mais encore désirants, alors ils s'endormirent étreints et enlacés, amarrés au corps de l'autre, de peur qu'il ne disparaisse. C'était aussi ça la liberté.

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