Chapitre 5 - Amours voilés et retrouvailles

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Dès qu'ils le pouvaient, Salah et Dorian se retrouvaient dans le secret des persiennes de chez Dorian. Parfois, par manque de temps, ils s'embrassaient furtivement puis, se pourléchaient voracement l'un l'autre en tête à queue, et jouissaient rapidement, afin de ne pas être pris en flagrant délit de débordement sensuel. D'autres fois, honteusement, Salah mentait à Azza, lui disant qu'il avait une réunion avec Sam, alors qu'il rejoignait Dorian au creux de son lit. Ils aimaient mettre un temps infini à s'effeuiller, comme pour rallonger le temps de leurs trop courtes étreintes quotidiennes.

Tous les deux étaient avides de sexe et avaient un besoin incommensurable de tendresse et de mots affectueux. Depuis leur première rencontre, Salah avait toujours eu envie de passer ses doigts dans la tignasse odorante de Dorian. Il se délectait de ce geste intime et fraternel. Cette sensation de va-et-vient sur son crâne, faisait éprouver à Dorian, une intense sensation érotique, bien au-delà de ce qu'il souhaitait. Ces caresses toutes simples le faisaient vibrer.

Il se sentait comme en rut. Il devenait félin se frottant à son maître. Salah était son maître doux, puissant et magnanime. Dorian avait longtemps cru être masochiste. Lors de sa relation avec Franck, malgré l'incessant mal à l'aise ressentit, il n'avait rien vu d'anormal à être malmené. Aujourd'hui, connaître la tendresse et la passion sans violence étaient une nouveauté. Si leurs ébats étaient parfois brutaux, ils n'étaient jamais malveillants. Le corps de Dorian se transformait sous les effleurements, les étreintes et les baisers de Salah. Aucun espace de sa peau n'était épargné par les embrassements et autres embrasements de Salah. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas goûté à la saveur d'un corps et de ses secrets, que par moments il se sentait un peu perdu, c'était alors qu'habilement et furtivement, Dorian le guidait dans leur intimité. Pour Salah, le souvenir de Farouk ne venait jamais s'immiscer dans leur corps à corps amoureux, car tout était si différent. Ils découvraient soit de nouvelles sensations, soit ils retrouvaient des voluptés oubliées : Dorian retrouvait sa versatilité qu'il avait dû mettre sous silence pendant trois ans ; grâce au savoir-faire de Dorian, Salah se pâmait rapidement dans des positions dont il n'avait jamais fait l'expérience. Pour chacun d'eux, tout était soit nouveau soit un regain de désirs enterrés : pour Salah, c'était l'agréable inconstance des ardeurs de Dorian, et pour Dorian, c'était d'être respecté et écouté dans ses souhaits et ses attentes.

Salah attendait d'avoir le courage de dire à Azza qu'il était éperdument amoureux. Alors, il pourrait vivre son affection au grand jour, ce qu'il n'avait encore jamais fait. Dorian avait peur de ne pas être à la hauteur des besoins de reconnaissance de Salah : Aimait-il pleinement Salah ? Pourrait-il être l'homme qui puisse être un réel soutien pour lui ? Il fallait qu'il soit un homme sincère et indéfectible.

Dorian prit la décision d'en parler à Sam qui pouvait être âpre et tranchant, mais jamais, hypocrite ou malintentionné :

« Vouloir être tout le temps sincère et sans faille, c'est totalement utopique. Dans un couple, on est deux, l'un peut être le soutien de l'autre dans un moment de fragilité, et vis-versa. Salah est un homme sur lequel on peut compter. Il n'est pas regardant pour donner sa gentillesse, sa force et son empathie. Tu es le même en plus cérébral et plus tourmenté. Ne te fais pas de nœud au cerveau. Être amis avec bénéfices ne peut pas lui suffire, et à toi non plus. Tu n'es pas obligé de vivre avec sa sœur ou de vivre dans le même espace. On peut s'aimer en dehors de la routine quotidienne. Il t'attend depuis la Bretagne. Alors, fonce ! Tout est possible. Aimez-vous à votre façon ! »

Azza apprécia que son frère soit honnête avec elle, de plus elle aimait beaucoup Dorian qui était à l'image de Salah, bienveillant, calme et aimable. Il prenait le temps de l'aider lors de ses devoirs qu'elle faisait très souvent sur la grande table communautaire. Ils faisaient ensemble des recherches sur internet ou jouaient à des jeux de carte. Azza avait encore quelques difficultés en français, Dorian lui avait concocté des fiches de révision ludiques que Sam avait imagé de photos ou de dessins. Alors ce fut facile de comprendre et d'aimer Dorian. Le souhait souverain de Salah d'aimer au grand jour avait été exaucé.


L'emménagement de Boris, le faiseur de chaussures, avait été rapide : il possédait trois sacs de vêtements et quelques livres en russe. Toujours aussi attiré par le lèche-vitrine et les achats, Val emmena Boris et Sam dans un magasin d'ameublement. Sa camionnette jaune fut vite remplie. Les achats terminés, les meubles installés et montés, il eut une grande conversation sur le magasin de bottier en lui-même et l'atelier de confection de chaussures. Les machines spécifiques allaient arriver. Victor avait déjà équipé l'atelier d'un câblage électrique particulier.

Val se rapprocha de Boris qui souriait singulièrement en sa présence. Val avait trouvé un public à la mesure de ses extravagances affectés et théâtrales. Malgré ses vingt-cinq ans, Boris arborait une chevelure poivre et sel dûe à l'état de stress permanent qu'il avait vécu ces dernières années. Il avait des yeux très mobiles d'un bleu très sombre. Il semblait toujours sur le qui-vive. Il ne semblait détendu qu'en la présence de Val qui lui restait inconstant dans ses relations plus sexuelles qu'amoureuses. Il collectionnait les amants et les choisissait souvent mal. Il attendait d'eux qu'ils soient amoureux dès leurs premières rencontres. Cela arrivait de s'aimer en peu de temps, preuve en était, Thor et Malo, mais Val n'avait pas la patience de Salah ou d'Aël. Il passait de « nous sommes des inconnus » à « tu m'aimes ? » en moins d'une semaine. Sam se demandait si Val s'était rendu compte qu'il suscitait l'intérêt de Boris ?

Les premiers souliers que Boris confectionna étaient des babouches en cuir multicolore pour se chausser dans l'atelier de Sam. La paire qu'il fit à Val était polychrome comme le drapeau LGBTQIA+. Les autres avaient une des huit couleurs de l'arc en ciel : rose, rouge, orange, jaune, vert, bleu ciel, bleu et violet. Val avait toujours droit à un petit plus par rapport aux autres compagnons : ses crevettes décortiquées, son linge pendu et repassé ou sa camionnette nettoyée. Pour Boris, l'amour était une suite d'attentions sans prétention. Alors que pour Val, l'amour devait être flamboyant et ostensible. Il lui était resté un côté enfantin et exubérant. Ce n'était pas dans la nature profonde de Boris d'être si tempérant, mais rester des années à se faire petit, invisible et couleur muraille, l'avait rendu un peu terne. Sam avait tâté le terrain avec Val :

« Honnêtement, que penses-tu de Boris ?

- Il est sympa mais vraiment pas marrant. Insipide est le mot juste.

- Je vois. » Répondit laconiquement Sam.

Il faudrait du temps avant que quelque chose naisse entre ces deux-là. Sam avait senti un volcan sous la réserve de Boris. Mais le sentir ne suffisait pas, l'exprimer serait mieux. Boris lui avait raconté le calvaire de sa vie d'avant. Pour devenir l'homme qu'il était réellement, il devait guérir des sévices infligés en prison. C'était aussi pour des hommes comme Boris ou Salah qu'il utilisait l'argent de ce pépé-père honnis.


Éloi, le couturier, était le dernier arrivé. Il était né la même année que Sébastien, d'ailleurs ils étaient les aînés des Ateliers : même si trente-quatre ans ne faisait pas d'eux des croulants. Il était discret et légèrement efféminé. Il avait gardé un charmant accent franc-comtois ce qui contrastait agréablement avec ses manières quelque peu vieille France. Il avait vécu la majeure partie de sa vie dans une petite ville se situant sur l'un des premiers plateaux du Jura, le plateau d'Ornans. Son père était un militaire de carrière à particule et à la religion en boutonnière, bon chic, bon genre. Il était l'avant dernier d'une grande fratrie "culotte courte, serre-tête et esprits étroits" comme il s'amusait à la décrire. Il y a quelques années, un de ses frères aînés s'était suicidé après une thérapie de conversion ratée, « Comme si ça pouvait réussir ! » S'était exclamé Sam très remonté. C'était toujours difficile d'être gay dans la France au XXIème siècle. Leurs soi-disant thérapies étaient inévitablement vouées à l'échec. Elles étaient d'une violence morale, et parfois physique plus que condamnable, d'ailleurs, en janvier 2022, la France avait adopté une loi interdisant ces pratiques, même si cela n'empêchait pas certains groupes religieux de se continuer à se mettre hors la loi.

Éloi ne voulut pas avoir le même tragique destin, comme la peur n'évitait pas le danger, une fois son baccalauréat en poche, Éloi se sauva à Paris. Après quelques mois d'errance et de souffrance, il trouva refuge dans une des associations LGBTQIA+. Après ce fut une suite de stages en entreprise de couture, de la confection à la haute couture, pour se former. Un grand théâtre parisien l'employa plusieurs années : c'était là qu'il se prit de passion pour les costumes classiques des siècles derniers et les robes affriolantes. Il avait choisi de se présenter aux Ateliers du Bonheur, car la vie calme de province lui manquait. Il espérait toujours pouvoir revoir ses frères et sœurs. Le temps ferait-il son œuvre ? Maintenant qu'il était installé et serein, il avait écrit à la plus jeune de sa fratrie afin de l'inviter pour quelques jours. Hélas, il n'eut pas reçu de réponse. Sa lettre avait-elle été interceptée ? Malgré la séparation d'avec sa famille de sang, il était épanoui et détendu avec sa nouvelle fratrie.

Quelques jours avant Noël, tous étaient allés à l'aéroport, chercher Thorvaldur qui avait encore minci. La vie à bord devait être éprouvante pour un géant comme lui. Les retrouvailles avec Malo furent très émouvantes. Les autres les regardaient s'étreindre virilement et longuement. Leur premier baiser était totalement effréné et provocant : les passants les regardaient soit étonnés, amusés ou grimaçant de dégoût. Alors que leurs amis étaient souriants et enchantés devant leurs démonstrations d'affection :

« Il faut qu'ils arrêtent. Ils vont bientôt se retrouver à poil en public. S'enthousiasma Val.

- Ils ont bien raison. Je ne m'imagine pas vivre un seul jour loin de ce grand andouille de Sébastien ni de notre charmant Alfred. Alors rester des mois en mer, et bien chapeau bas, formula Victor.

- Pourquoi tu ne peux pas vivre loin d'Albert ? Demanda Azza toute étonnée.

- Bon les mecs, il est temps de la mettre au parfum la gamine : Alfred est notre amoureux à Sébastien et moi. Enfin plus à moi car c'est moi qui l'ai présenté au grand escogriffe, affirma Victor très fier.

- Ah, je comprends mieux. Ça explique beaucoup de choses. Alors on peut avoir plusieurs amoureux? S'étonna Azza.

- En amour tout est possible si chaque personne concernée est d'accord. Ce qu'ils vivent, s'appelle le polyamour. Dit d'un ton docte Sam.

- Bon ! Taisez-vous et regardez la beauté de l'amour vrai. » Soupira Val en se délectant du spectacle.

Après de longues minutes de démonstration d'affection, tous eurent droit à une accolade ou un baiser de la part de l'islandais. Il s'accroupit pour saluer Azza dont il avait entendu parler :

« Enfin une figure féminine dans notre monde d'hommes. Je suis enchanté de te connaître.

- Merci, monsieur.

-Tu peux m'appeler Thorvaldur ou Thor tout simplement, et bien sûr, le tutoiement est obligatoire.

- Êtes-vous, enfin es-tu un véritable viking ?

- Non ! Pas vraiment. Certains de mes ancêtres norvégiens, oui, mais moi je ne suis qu'un marin islandais en apprentissage. » Conclut-il en chatouillant doucement son fils qui était endormi dans sa poussette.

Thor dit quelques mots en russe à Boris, qu'il venait de commencer à apprendre dans l'avion :

« Tu corrigeras mon accent ! » Dit Thor en riant.

Éloi se présenta à son tour. Thor l'enlaça lui aussi. Il eut un mot gentil pour sa vêture particulièrement recherchée :

« Toi, tu dois bien t'entendre avec mon cher et tendre. Lui aussi adore les beaux costumes et tous les accessoires originaux et de bon goût. Malo, ne dépense pas tout l'argent de notre foyer dans le magasin d'Éloi ! Compris ? Dit-il en riant. Fais gaffe, je t'ai à l'œil, mon dandy adoré!

- Tu sais que tout le monde est très content de ton retour. Il ne faut pas que tu repartes trop vite, ou même jamais : on a dû supporter tous les jours un nombre incalculable de chansons tellement désespérées venant de votre appartement, style "Je suis malade", "Tu m'oublieras", "Dis, quand reviendras-tu ?" ou "La mémoire et la mer". Et j'en passe. Il n'en pouvait plus notre pauvre Malo. Encore heureux que Vikingur était là pour distraire son cœur chagrin! » raconta Sam à Thor qui serrait encore plus fort le corps de son adoré.

Pour préserver leur intimité, la famille, constituée de Malo, Thor et Vikingur, fut laissé au fond de l'autobus.

La visite rapide de Paris dura deux jours. Ils allèrent dans un grand magasin à côté du quartier du Marais. Après un repas dans un restaurant gay friendly, ils repartirent vers leurs calmes Ateliers du Bonheur avec plaisir.

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