Chapitre 6 - Le secret bien gardé de Sam

15 minutes de lecture

Papa a eu beaucoup de travail au moment de Noël et n’a pas eu le cœur de venir en France. Alors Malo, Vikingur et moi sommes allés en Islande après Noël. Nous resterons jusqu'en janvier. Vikingur fait le tour du village avec Malo, papa et moi. Tous les habitants sont venus voir « le fiancé de Thor ». La nouvelle s'est vite propagée que c'était un « chinois ». Certains par simple curiosité et d'autres pour critiquer, mais tous sont là. Les femmes et les filles ont entendu dire par papa, que « Malo est d'une grande bonté et d'une beauté rare ». Elles sont impatientes de rencontrer cet homme d'exception. Alors que les hommes sont bien plus circonspects. Ils se demandent d'une part qu’est-ce que je fais, moi le géant, avec un homme ? Et pourquoi un « chinois » ? Deux hommes peuvent-ils élever un enfant, qui plus est, un petit islandais ? Toutes ses questions inutiles sont vite balayées lorsqu'ils nous voient respirant le bien-être et le plaisir d'être ensemble. Puis, je propose à Malo de passer deux jours à Reykjavik. Notre fils reste avec papa qui est aux anges.

Dans un bar à la mode, nous croisons mon premier amour, Ásgeir, qui est déjà bien éméché :

─ Mais, c'est Thorvaldur ! Au fait, tes potes t'appellent toujours Ivarr le désossé ? Beugle en islandais l'aviné, à travers le bar. Tu fais quoi depuis ces années ? On t'a plus vu, pourtant on te voit de loin, notre montagne impuissante. Ah ! J'ai appris pour ta sœur. Vous n'avez pas de chance dans votre famille. C'est parce qu’une islandaise s’est marié à un français. Depuis vous avez le mauvais œil. Saloperies de mangeurs de grenouilles ! Pouah !

Je ne réponds pas au fiel scélérat d'Ásgeir :

─ Qu'est-ce qu'il raconte ? C'est un ami à toi ? M’interroge Malo.

─ C'est personne. Un ivrogne qui délire ! Lui dis-je en le serrant contre moi et en l'embrassant dans le cou.

─ Ouah ! Tu es pédé, maintenant ? J'aurais dû m'en douter! Tu avais une façon de me regarder qui n'était pas très catholique quand on était mômes. Ça baise bien un chinois ?

N'en pouvant plus, je prends Ásgeir par le col et le fait sortir dans la rue :

─ Ne t'inquiète pas, je ne te pèterais pas les dents en souvenir de mon affection pour toi, mais tu vas retirer tout ce que tu as dit et tout de suite, lui gueulé-je dessus.

─ On ne peut plus plaisanter, alors ! Tu veux que je lui dise à ton mec qui tu es vraiment ? Il sait que tu bandes mou devant un beau petit minou bien juteux ?

─ Il me connait mieux que toi, alors, tais-toi et va cuver ton vin ailleurs ! Excuse-toi ! Lui intimé-je bouillant de rage.

─ Oh, allez, calme-toi ! Désolé, Thor ! Je me suis fait larguer par ma femme et j'ai perdu mon boulot. Je n'aurais pas dû m'en prendre à toi, s'excuse maladroitement l'ivrogne qui tangue dangereusement.

─ Ce ne sont pas des excuses, mais je suppose que tu ne peux pas faire mieux ! Barre-toi et j'espère que la poisse va continuer à te poursuivre, espèce d'abruti de poivrot dégénéré ! Lui crié-je en islandais.

Malo nous a suivis sur le trottoir. Quelques badauds regardent la scène sans intervenir : certains rient sous cape et d'autres commentent à voix haute. Je retourne dans le bar avec un air furibard que Malo ne m’a jamais vu :

─ Veux-tu qu'on rentre à l'hôtel ? Me demande-t-il désolé.

─ Non, ce n'est pas à moi de partir, c'est à lui ! Il ne reviendra pas, ce connard.

Des tables voisines, des gens nous regardent. Les conversations sont chuchotées. N'en pouvant plus de la lourdeur de l'ambiance, Malo se lève et dit en anglais avec une voix de stentor, afin que tout le monde puisse l'entendre :

─ Je ne sais pas ce qu'il se passe ici, mais je suis sûr que chacun devrait s'occuper de ses affaires et garder ses commentaires ou moqueries pour lui ! Merci pour votre attention ! Bonne fin de soirée !

─ Merci, mon amour ! Tu me surprendras toujours ! Tu as un de ses culots ! Je t'adore ! Lui dis-je tout en l'embrassant à pleine bouche.

─ Comme je l'ai déclaré, je ne sais pas ce qu'il a été dit ni ce qui s'est passé, mais je ne peux décemment laisser les choses comme ça ! Vas-tu me dire de quoi il s'agit ?

Je lui raconte en n'omettant pas les insultes entendues ou dites. Malo regrette de ne pas avoir pu foutre son poing dans la gueule d’Ásgeir. Il se demande comment j’ai pu aimer un mec pareil ! C'est vrai qu'avant mes explorations marines, j’étais un brin naïf et émotionnellement très sensible. À présent, j’ai mûri. Je reste sensible mais sans les excès qui m’ont joué tant de tours. Nous passons une bonne fin de soirée, malgré ce malencontreux intermède désagréable.

La petite famille de Malo et de Thor est en Islande. Les Ateliers sont très calmes. Sam s’isole beaucoup. Je me rapproche de plus en plus de Boris. Comme après chaque Noël, j’ai un gros coup de mou : je me remémore mes Noëls avec maman. Lorsque je suis trop triste, je me réfugie chez Boris. Je passe des heures à le regarder travailler. J’aime l'odeur des cuirs et j'observe ses gestes précis d'artisan passionné et méticuleux. Le même type de poêle que celui de chez Sam est installé dans son atelier. J’y dépose une bûchette de temps à autre, fais chauffer de l'eau et laisse infuser du thé. Le temps avance lentement à côté de Boris, le silencieux. Il me jette des regards gentils. C’est si calme.

Rester avec Sam est éprouvant lorsque l'on ne veut pas être pressé d'exprimer ses sentiments. Car avec lui, il y a un peu cette injonction à aller bien. C'est lourd à supporter. Avec Boris, au contraire, je peux être silencieux, même si d'habitude, je suis prolixe et exubérant. Avec lui, je ne me sens pas obligé de faire plaisir. Boris ne sait pas que je suis au courant de son secret : Il me fait une paire de bottines comme je les affectionne. Elles seront du plus bel effet sur mes pieds. Une ceinture assortie est déjà finie. Je porterai l’ensemble avec un crop top, afin que l'on puisse apprécier ma « belle carnation café » comme dit Éloi. Boris a choisi un cuir souple d'une teinte chaude et lumineuse dont la nuance est entre le fauve et le jaune citrouille. Je commence à m’endormir, bercé par les chants traditionnels que fredonne Boris. Je suis si bien ici.

Je suis heureux d'avoir Val à mes côtés même s'il est maussade. Mon tristounet arrose son thé noir avec du rhum agricole de la Martinique. Il ne lui faut pas plus de quatre tasses pour s'endormir. Je le prends dans mes bras et le monte dans ma chambre. Une fois au lit, je redescends travailler. Je n’ai pas le cœur de le réveiller pour aller manger. Je lui prépare une omelette et quelques pommes de terre. Je pose le plateau sur la table de nuit et le regarde. Val ouvre peu à peu ses yeux de biche. Il se pend à mon cou et m'embrasse fougueusement. Je suis surpris. Je le repousse :

─ Tu es saoul. Fais pas ça ! Dis-je.

─ Je ne suis plus bourré. Tout va bien. Mais si tu ne veux pas m'embrasser, et bien tant pis pour moi. Je vais rentrer chez moi.

Je ne lui laisse pas le temps de se lever. Je lui rends son baiser. Nous nous roulons sur le lit et restons un très, très long moment à nous embrasser comme des adolescents :

─ J'ai faim ! Me murmure-t-il.

─ Je réchauffe ton repas. Dis-je en saisissant le plateau.

─ Non, je peux manger froid. Je ne veux pas que tu me laisses seul. Viens me rejoindre ! Me demande-t-il en soulevant la couette.

Une fois entre les draps, nous nous déshabillons et commençons à nous caresser. J’ai l'impression de rêver : j’ai souvent fantasmé de toucher la belle peau sombre et lumineuse de Val. J’ai longtemps espéré rencontrer un compagnon de vie avec lequel le désir physique et le besoin de tendresse fusionneraient pour devenir de l'amour. Cette nuit, j’espère avoir atteint cet objectif. Val s’extasie :

─ Tu as un impressionnant sexe dodu et soyeux. Tu as de belles couilles. Je n’en avais jamais vu d’aussi lourdes et portées si bas. En français, on dit que tu as un très gros paquet. Je n’ai pas assez d’une seule main pour tout saisir entièrement. Il y a certaines pratiques trop évidentes pour beaucoup d'hommes dominants, je veux dire que je ne suce pas. Mais là, j’ai l'irrésistible envie de le faire.

Je ne comprends pas bien ce que Val me dit. Je le vois juste avec mon sexe dressé dans la bouche. Il l’aspire et le suce avec application et gourmandise. C’est la première fois que l’on me fait ça. Je ne tiens pas longtemps en recevant ce genre de traitement. J’éjacule en silence. Val est surpris et s’étouffe avec mon sperme abondant. Il le crache dans un mouchoir en papier. Je suis rouge de gêne et de honte. Il me prend dans ses bras et m’embrasse. Je goûte mon propre sperme. C’est une nouvelle sensation étonnante. Sa liberté dans ses pratiques sexuelles me séduit. Je ne sais pas si je pourrais être un bon amant pour lui.

Boris perd de sa fermeté après son énorme émission de foutre. Y avait-il des années d’abstinence dans ces jets ? Pensé-je, amusé. Il me regarde confus et intimidé. Il descend à son tour vers ma bite dressée. Il me suce à fond avec application, vigueur et magistralement bien. J’ai envie d’éjaculer, mais surtout, j’ai envie d’avoir sa belle queue dodue entre mes fesses. Je ne tarde pas à venir. Je le vois se délecter de mon nectar qu’il avale jusqu’à la dernière goutte.

─ As-tu des capotes et du lubrifiant ? Lui demandé-je.

─ Oui, me répond-il tout timide.

─ C’est bien d’être prévoyant. Va les chercher ! Vite, vite ! J’ai envie que tu me prennes ! Tu peux le faire puisque tu bandes à nouveau. Allez ! Prépare-moi un peu avec tes doigts et du lubrifiant. Vite, j’ai déjà la rondelle qui palpite de désir.

Boris ouvre le tiroir de sa table de nuit et sort le matériel. Il prépare mon intimité avec douceur et fermeté. Je suis prêt à le recevoir. Il sort un préservatif de son étui et en habille sa grosse queue. Il réussit à entrer en moi. Mon sexe redevient dur. Boris est tout à la recherche de mon plaisir. Il fourre ma croupe avec cœur et ardeur.

─ Ton cul est absolu !

Son français me fait sourire, mais le fait qu’il me parle en me baisant me plait vraiment.

─ Tu as du sexy ! Je veux le faire tous les jours !

─ J’aime ton peau ! J’aime ton odeur !

─ Je veux l’amour avec toi ! Tu es beau !

Ses paroles me font beaucoup d’effet. J’ai un orgasme prostatique qui me fait chanter de plaisir. Avoir ce type d'orgasme est rare chez moi. Sa bite tape exactement au bon endroit. Son rythme est parfait. Je ne trouve plus Boris si terne. Entre deux jouissances, je loue à voix haute sa bite et son hardiesse érotique. Dans le feu de l'action, des « Je t'aime » sortent de ma bouche. Je lui en demande « encore et encore ». Je le vois se pincer les lèvres. Il doit vouloir se retenir de jouir pour ma propre jouissance. « Je t’aime » Habituellement, mes proclamations font fuir mes amants, mais là, au contraire, je crois qu’elles l’encouragent. Allongé sur le dos, je suis hypnotisé par la blancheur de sa peau qui m'éblouit et m'inonde de désir. J’éjacule une dernière fois sur mon ventre grâce à sa bite et à ma main. Boris sort sa pine de mon anus, retire la capote et lâche prise à son tour sur la molle tiédeur de mon sexe vidé. Je suis comblé.

Dans les bras l'un de l'autre, je me souviens des premiers instants de notre rencontre. Tout de suite, j’ai aimé sa personnalité extravertie et adorable. Il met les gens à l'aise. Il a l'encouragement facile. Comme beaucoup de personnes accessibles et candides, il paraît naïf. Cela n'a pas d'importance pour moi. Je dois le protéger et l’aimer. Je veux le voir et l’entendre encore jouir avec mon sexe. Je n’ai pas compté le nombre de ses jouissances. Il a aimé faire l’amour avec moi. J’espère que nous recommencerons souvent. J'aimerai dormir avec lui, contre lui, en lui.

Après nos ébats, je suis épuisé. Je somnole dans les bras de Boris. Je crois qu’il s'est entiché de moi. J’aime sa façon de me baiser, ses mots doux et érotiques, sa queue et ses couilles. Mais, je ne sais pas si je l’aime lui dans sa globalité. J’ai suivi mon appétit sexuel au lieu de prendre le temps de le connaître. Si je le quitte aussi vite que nous avons couché ensemble après un premier baiser, il va peut-être souffrir. Je me demande si je suis capable d’aimer. Ma fidélité n’existe qu’en amitié : Sam est et restera mon meilleur ami quoi qu’il arrive.

Un amant que j’aimais bien m’a dit que la seule chose qu'on peut me reprocher, ce n'est pas mon côté volage, non, c'est la dévotion sans faille que je voue à mon ami, Sam. Il a beau être plus jeune que moi, je ne nie pas qu’il m'influence. Il impose le respect et il est irréprochable. Les seuls qui le défient avec assurance, ce sont Jibril, Fouad et Malo. Les autres ne s'y risquent pas. Pourtant, jamais Sam ne hausse la voix ou intimide qui que ce soit, enfin si on fait exception de types tel Franck ! Il aurait pu être chef de gang, gourou d'une secte dangereuse ou même homme politique, il a un charisme et une maîtrise de lui impressionnante. Je lui serai toujours reconnaissant d’être à mes côtés et de m’aimer depuis mes 11 ans. Si je suis qui je suis, je lui dois en grande partie, même s’il ne nie.

Si par bonheur, Val m’aime un jour, j’ai peur qu'en cas de choix entre Sam et moi, je choisisse son meilleur ami. C'est plus fort que moi, je suis jaloux de son ascendant sur l'homme que j’aime. Pourtant, je sais que Sam n’a aucune velléité amoureuse envers Val. Ils sont comme deux frères. Des frères d’arme. À la vie à la mort. Je dois maîtriser cette jalousie déplacée. Surtout que Sam est mon bienfaiteur. Moi qui me suis éloigné de la religion, il m’arrive encore de prier. Je conclue en demandant pardon à Allah. Allah protège Sam, le mécréant. Gloire à Allah.

Je me suis confié à Sam de mes mauvaises pensées. Il me sourit et m’assure que je n’ai rien à craindre. Ce qui compte pour lui c’est notre bonheur et notre sécurité :

─ Profite de ce qui t’est donné. Tu ne sais pas ce qui t’attend demain. Tu connais la façon de vivre de Val. Il faut que tu sois conscient de ses faiblesses. Si tu ne te sens pas capable de supporter ses infidélités, arrête de le fréquenter. Si tu n’oses pas lui en parler, je veux bien faire le messager. Val est un garçon sybarite, enjoué et bienveillant. Mais il aime s’amuser. Pour lui le sexe est un jeu, parfois dangereux, mais un jeu. Boris, protège-toi dans tous les sens du terme.

Suis-je assez fort et ouvert d’esprit pour suivre Val dans ses fantaisies et frasques sexuelles ? Je le crois. Moi aussi j’ai envie de découvrir d’autres horizons. C’est peut-être la meilleure manière de veiller sur Val : l’accompagner lors de ses sorties.

Si Boris savait ce que je cache, il se serait moins inquiet de mon aspect protecteur envers Val.

Après l'acquisition du domaine, depuis mes 17 ans, j'allais fréquemment m'y promener, seul. Non pas pour trouver des réponses à certaines interrogations comme : qui était et d'où venait ma grand-mère maternelle ? Pourquoi le pépé-père a-t-il acheté des morceaux de la ville où nous vivions avec maman ? Non, je vagabonde sur l'immense friche en cogitant sur l'avenir tout en faisant de l'exploration urbaine, mais sans aucun danger de me faire prendre puisque je suis chez moi.

Le terrain a appartenu à une grosse boîte de BTP qui s'en est servi de parking pour ses engins de chantier et autres véhicules. L'ensemble est en assez bon état. Un gardien, proche de la retraite, vit sur place et fait des rondes régulières. Il me connait bien. Il est aussi désigné pour dératiser le cas échéant car la friche se trouve en lisière de zones pavillonnaires. Il y a d'anciens graffitis sur les murs intérieurs du plus grand bâtiment, je vois en lui déjà un beau gymnase ou une piscine. Car oui, je profite de ces excursions pour prendre des notes sur un petit carnet de molesquine afin de donner vie à l'utopie dont nous avons rêvé avec Val.

À plusieurs endroits, il y a des traces récentes de pas. D'anciens bureaux ont été nettoyés sommairement. Sinon aucune autre preuve d'un quelconque autre passage n'est visible. La curiosité est plus forte que tout : je passe plusieurs nuits dans l'espoir de trouver à qui appartiennent ses grandes empreintes de pas. Il en a qu'une sorte, donc un seul propriétaire. Je choisis l'endroit le plus éloigné des travaux en cours, celui où les traces sont les plus fraîches. Un petit atelier sur un seul niveau qui doit appartenir au 19ème siècle. Comme lieu d'observation, j’opte pour un petit cabanon fait de bric et de broc. L'atelier est en briques rouges avec un toit intact en tuiles surmonté d'une haute cheminée, elle aussi en briques. Il lui manque quelques vitres qui ont été remplacées par du carton. La porte d'entrée en bois brut est d'origine. Il est situé au cœur de la forêt de la propriété, bien à l'abri derrière de grands châtaigniers et de chênes centenaires.

Je somnole dans mon abri de fortune. Au petit matin, je vois son hôte pour la première fois. C'est un homme sans âge, le visage boursouflé de coups et de plaies ensanglantées. Il boite fortement. Sa jambe gauche traîne derrière lui tel un poids mort. Il porte sur le dos une veste de treillis trouée et crasseuse ainsi qu'un sac de toile rafistolé. Il est impossible de dire si son froc est un jeans ou autre chose, il a disparu sous une épaisse couche de salissures. Je ne peux pas distinguer la couleur de ses cheveux de sâdhu, tellement ils sont poussiéreux. Ils forment de grosses et longues dreadlocks naturelles. L'homme doit être assez grand, mais son corps courbé par le poids du dénuement ne me permet pas une estimation. Une fois que l'inconnu entre dans le bâtiment, je m'approche et l'espionne par les fenêtres sales.

Sa silhouette décharnée sort péniblement du trou d'un mur, un sac de couchage en lambeaux qui a dû être vert. Il s'en couvre et s'endort. Sans bruit, j’entre sans savoir quelle attitude adopter. Je reste là à le regarder. Pas plus de trois ou quatre minutes plus tard, le sommeil de l'inconnu est profond, j’entends juste un léger sifflement nasal. Sans bruit, je fais demi-tour et le laisse tranquille : si on peut être tranquille dans de telles conditions de vie.

Je reviens souvent espionner l'homme. Le lendemain, je dépose quelques vêtements, une trousse de secours, un nouveau sac de couchage et une lampe à gaz. Régulièrement, je laisse des vivres, de petits objets du quotidien ou des livres. De régulièrement, mes passages se font journaliers. C'est comme ça que je me rends compte que l'occupant a disparu : les vivres de la veille sont encore au même endroit. Au bout de quelques jours d'absence, je m'attelle à nettoyer le mieux possible le bâtiment. J’apporte un lit picot et autres petits mobiliers. L'hiver arrivant à grands pas, je ramone la cheminée et entasse du bois sec, des vieux journaux et des allumettes. Je ne sais pas si c'est de la pitié ou de la compassion que je ressens. J’ai l’espoir que mon inconnu montre le bout de son nez. Car oui, il est devenu "mon inconnu". Mais ma honte de s'être approprié un humain n'est pas aussi forte que la curiosité qu'il m’inspire. Je garde pour moi la découverte de mon inconnu. Trois semaines sont passées sans qu'il ne revienne. Pourtant un jour, je trouve un petit mot glissé entre les vantaux de la porte du logis :

« Je vous sais gré de votre humanité et de votre discrétion. Je ne sais pas qui vous êtes, mais je tiens à vous remercier pour votre bienveillance. Je voulais passer inaperçu mais j'ai raté mon coup. Je ne sais pas ce qu'il serait convenable de faire. Dois-je disparaître ou rester ? Je repasserai demain et vous ferez part de ma décision. Bien à vous.

Bosco. Le squatteur. »

Ce n'est donc plus un inconnu. Bosco ! Mon inconnu se nomme ou se prénomme Bosco ! Quel beau nom !

Annotations

Vous aimez lire Tudal Janvier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0