Chapitre 6 - Le secret bien gardé de Sam

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Tudal, le père de Thor ayant eu beaucoup de travail au moment de Noël, invita son fils, Malo et son petit-fils à le rejoindre en Islande après Noël jusqu'en janvier. Vikingur fit le tour du village avec ses pères et son grand-père. Tous les habitants étaient venus voir le fiancé de Thor. La nouvelle s'était vite propagée que c'était un « chinois ». Certains par simple curiosité et d'autres par étonnement, mais tous étaient là. Les femmes et les filles avaient entendu dire par Tudal, que Malo était d'une grande bonté et d'une beauté rare. Elles étaient impatientes de rencontrer cet homme d'exception. Alors que les hommes étaient bien plus circonspects. Ils se demandaient d'une part que faisait Thorvaldur, leur géant, avec un homme ? Et pourquoi un « chinois » ? Deux hommes pouvaient-ils élever un enfant, qui plus est un petit islandais ? Toutes ses questions inutiles furent vite balayées lorsqu'ils virent le couple et l'enfant qui respiraient le bien-être et le plaisir d'être ensemble. Puis, Thor et Malo passèrent deux jours à Reykjavik, laissant leur fils à son grand-père qui était aux anges. Dans un bar à la mode, ils croisèrent le premier amour de Thorvaldur, Ásgeir qui était déjà bien éméché :

« Mais, c'est Thorvaldur ! Au fait, tes potes t'appellent toujours Ivarr le désossé ? beugla en islandais l'aviné, à travers le bar. Tu fais quoi depuis ces années ? On t'a plus vu, pourtant on te voit de loin, notre montagne impuissante. Ah ! J'ai appris pour ta sœur. Vous n'avez pas de chance dans votre famille. C'est à cause du fait qu'une islandaise se soit marié à un français. Depuis vous avez le mauvais œil. Saloperies de mangeurs de grenouilles ! Pouah ! »

Thor ne répondait pas au fiel scélérat d'Ásgeir :

« Qu'est-ce qu'il raconte ? C'est un ami à toi ? Interrogea Malo.

- C'est personne. Un ivrogne qui délire! répondit Thor en serrant Malo contre lui et en l'embrassant dans le cou.

- Ouah ! Tu es pédé, maintenant ? J'aurais dû m'en douter! Tu avais une façon de me regarder qui n'était pas très catholique quand on était mômes. Ça baise bien un chinois ? »

N'en pouvant plus, Thor prit Ásgeir par le col et le fit sortir :

« Ne t'inquiète pas, je ne te pèterais pas les dents en souvenir de mon affection pour toi, mais tu vas retirer tout ce que tu as dit et tout de suite.

- On ne peut plus plaisanter, alors! Tu veux que je lui dise à ton mec qui tu es vraiment ? Il sait que tu bandes mou devant un beau petit minou bien juteux ?

- Il me connait mieux que toi, alors, tais-toi et va cuver ton vin ailleurs! Et excuse-toi! Intima Thor bouillant de rage.

- Oh, allez, calme-toi! Désolé, Thor! Je me suis fait larguer par ma femme et j'ai perdu mon boulot. Je n'aurais pas dû m'en prendre à toi, s'excusa maladroitement l'ivrogne qui tanguait dangeureusement.

- Ce ne sont pas des excuses, mais je suppose que tu ne peux pas faire mieux! Barre-toi et j'espère que la poisse va continuer à te poursuivre, espèce d'abruti de poivrot dégénéré! » lui gueula Thor.

Malo les avait suivis sur le trottoir. Quelques badauds regardaient la scène sans intervenir : certains riaient sous cape et d'autres commentaient à voix haute. Thor retourna dans le bar avec un air furibard que Malo ne lui avait jamais vu :

« Veux-tu qu'on rentre à l'hôtel ? Demanda Malo désolé.

- Non, ce n'est pas à moi de partir, c'était à lui! il ne reviendra pas, ce connard. »

Il y avait des coups d'œil jetés vers eux venant des tables voisines. Les conversations étaient chuchotées. N'en pouvant plus de la lourdeur de l'ambiance, Malo se leva et dit en anglais avec une voix de stentor, afin que tout le monde puisse l'entendre :

« Je ne sais pas ce qu'il se passe ici, mais je suis sûr que chacun devrait s'occuper de ses affaires et garder ses commentaires ou moqueries pour lui ! Merci pour votre attention ! Bonne fin de soirée !

- Merci, mon amour ! Tu me surprendras toujours ! Tu as un de ses culots ! Je t'adore ! dit Thor tout en l'embrassant à pleine bouche.

- Comme je l'ai déclaré, je ne sais pas ce qu'il a été dit ni ce qui s'est passé, mais je ne peux décemment laisser les choses comme ça ! Vas-tu me dire de quoi il s'agit ? »

Thor raconta en n'omettant pas les insultes entendues ou dites. Malo regretta de ne pas avoir pu foutre son poing dans la gueule de ce sale type. Comment son Thor adoré avait pu aimer un mec pareil ? C'était vrai qu'avant ses explorations marines, Thor était un brin naïf et émotionnellement très sensible. À présent, il avait mûri, il restait sensible mais sans les excès qui lui avaient joué tant de tours. Ils passèrent une bonne fin de soirée, malgré ce malencontreux intermède désagréable.

Ce fut pendant l'absence de la petite famille que Val et Boris se rapprochèrent. Comme après chaque Noël, Val eut un gros coup de mou : il pensait à ses Noëls avec sa maman. Il alla se réfugier chez Boris. Il passait des heures à le regarder travailler. Il aimait l'odeur des cuirs et observer ses gestes précis d'artisan passionné et méticuleux. Il y avait le même type de poêle que celui de chez Sam, dans son atelier, Val y déposait une bûchette de temps à autre, faisait chauffer de l'eau et laissait infuser du thé.

Rester avec Sam, pouvait être éprouvant lorsque l'on ne voulait pas être pressé d'exprimer ses sentiments. Car avec lui, il y avait un peu cette injonction à aller bien. Cela pouvait être lourd à supporter. Avec Boris, au contraire, on pouvait être silencieux, même si d'habitude, on était prolixe et exubérant, sans se sentir obligé de faire plaisir. Dans le secret de son atelier, Boris faisait une paire de bottines comme les affectionnaient Val. Elles seraient du plus bel effet sur ses pieds. Une ceinture assortie était déjà finie. Val pourrait la porter avec un crop top, afin que l'on puisse apprécier sa belle carnation café. Il avait choisi un cuir souple d'une teinte chaude et lumineuse dont la nuance était entre le fauve et le citrouille. Boris était heureux d'avoir Val à ses côtés même s'il était maussade. Le tristounet arrosait son thé noir avec du rhum agricole de Martinique. Il ne lui fallut pas plus de quatre tasses pour s'endormir. Boris le monta dans sa chambre, le mit au lit et redescendit travailler. Le soir arrivant, il voulut le réveiller pour aller manger, mais ce fut peine perdue, alors il prépara une omelette et quelques pommes de terre. Il posa le plateau sur la table de nuit et regarda Val qui ouvrait un peu ses yeux de biche. Val se pendit à son cou et l'embrassa fougueusement. Boris resta coi un instant, puis le repoussa :

« Tu es saoul, tu ne dois pas faire ça! s'exclama Boris.

- Je ne suis plus bourré. Tout va bien. Mais si tu ne veux pas m'embrasser, et bien tant pis pour moi. Je vais rentrer dans mon appart. »

Val n'eut pas le temps de se lever que Boris lui rendait son baiser. Ils roulèrent sur le lit et restèrent un très, très long moment à s'embrasser comme des adolescents :

« J'ai faim! murmura Val.

- Je vais réchauffer ton repas, lui répondit Boris en saisissant le plateau.

- Non, je peux manger froid. Je ne veux pas que tu me laisses seul. Viens entre les draps avec moi. »

Après le frugal repas, ils se dévêtirent et commencèrent à se caresser. Boris eut l'impression qu'il rêvait : il avait souvent fantasmé de toucher la belle peau sombre et lumineuse de Val. Il avait longtemps espéré rencontrer un compagnon de vie avec lequel le désir physique et le besoin de tendresse se fusionneraient pour devenir de l'amour. Cette nuit-là, Boris espérait avoir atteint cet objectif. Val était impressionné par son sexe dodu et soyeux couronné d'une paire de roustons lourds et bas. Lui qui évitait certaines pratiques trop évidentes pour beaucoup d'hommes dominants, il eut l'irrésistible envie de descendre. Mais il fut pris de court par Boris qui était déjà penché sur sa bite dressée et qui, avec empressement, la suçait à fond et magistralement bien. Puis, il se délecta du nectar jaillissant de Val.

Tout à la recherche du plaisir de son amant, Boris foutait avec cœur et ardeur, sa croupe charnue et parfaite. Val eut un coup sec qui le fit chanter de plaisir. Avoir des orgasmes prostatiques était rares pour lui. Il ne trouvait plus Boris si terne, il louait sa vigueur et son hardiesse érotique. Dans le feu de l'action, des « Je t'aime » fusaient de la bouche de Val qui en demandait encore et encore. Ces proclamations faisaient fuir ses autres amants, mais là, au contraire, elles encourageaient l'homme énamouré qu'était Boris. Allongé sur le dos, Val était hypnotisé par la blancheur laiteuse de la peau de Boris qui l'éblouissait et l'inondait de désir. Il éjacula une dernière fois sur son ventre. Boris lâcha prise à son tour sur la molle tiédeur du sexe vidé de Val.

Dans les bras l'un de l'autre, Boris se remémorait les premiers instants de leur rencontre. Tout de suite, il avait aimé la personnalité extravertie et adorable de Val, qui avait le chic pour mettre les gens à l'aise et l'encouragement facile. Comme beaucoup de personnes accessibles et candides, il pouvait paraître naïf, mais, même s'il l'était, cela n'avait pas d'importance aux yeux de Boris. Il s'était entiché de ce garçon sybarite, enjoué et bienveillant. La seule chose qu'on pouvait lui reprocher, ce n'était pas son côté volage, non, c'était la dévotion sans faille qu'il vouait à Sam. Sam avait beau être plus jeune, il avait une grande influence sur Val. C'était vrai qu'il imposait le respect et qu'il était irréprochable. Les seuls qui le défiaient avec assurance, étaient Jibril, Fouad et Malo. Les autres ne s'y risquaient pas. Pourtant, jamais Sam ne haussait la voix ou intimidait qui que ce soit. Il aurait pu être chef de gang, gourou d'une secte dangereuse ou même homme politique, il avait un charisme et une maîtrise de lui impressionnante. Cela dérangeait Boris : si par bonheur, Val l'aime un jour, il avait peur qu'en cas de choix entre lui et Sam, Val choisisse son meilleur ami. Il se disait bien que jamais Sam ne ferait ce genre de choses, mais c'était plus fort que lui, il était jaloux de son ascendant sur l'homme qu'il aimait.

Si Boris avait su ce que Sam cachait, il se serait moins inquiété de son aspect protecteur envers Val.

Juste après l'acquisition du domaine, alors qu'il avait dix-sept ans, Sam allait fréquemment s'y promener, seul. Non pas pour trouver des réponses à certaines interrogations comme : qui était et d'où venait sa grand-mère maternelle ? Pourquoi le pépé-père avait-il acheté des morceaux de la ville où il vivait avec sa mère ? Non, il vagabondait sur l'immense friche en cogitant sur l'avenir tout en faisant de l'exploration urbaine, mais sans aucun danger de se faire prendre.

Le terrain avait appartenu à une grosse boîte de BTP qui s'en était servi de parking pour ses engins de chantier et autres véhicules. L'ensemble était en assez bon état. Un gardien vivait sur place et faisait des rondes régulières. Il connaissait bien Sam maintenant. Il était aussi désigné pour dératiser le cas échéant car il se trouvait en lisière de zones pavillonnaires. Il y avait d'anciens graffitis sur les murs intérieurs du plus grand bâtiment que Sam voyait comme un beau gymnase ou une piscine. Car oui, il profitait de ces excursions pour prendre des notes sur un petit carnet de molesquine afin de donner vie à l'utopie qu'ils avaient eu avec Val.

À plusieurs endroits, il y avait des traces récentes de pas. D'anciens bureaux avaient été nettoyés sommairement, sinon aucune autre preuve d'un quelconque autre passage. Mais la curiosité était plus forte que tout : Sam passa plusieurs nuits dans l'espoir de trouver à qui appartenaient ses grandes empreintes de pas, il en avait qu'une sorte, donc un seul propriétaire. Il choisit l'endroit le plus éloigné des travaux en cours, celui où les traces étaient les plus fraîches, un petit atelier sur un seul niveau qui devait appartenir au XIXème siècle. Comme lieu d'observation, il opta pour un petit cabanon qui avait une vue dégagée sur l'objectif était fait de briques rouges et d'un toit de tuiles intact d'où dépassait une haute cheminée. Il manquait quelques vitres qui avaient été remplacées par du carton. La porte d'entrée en bois brut était d'origine. Il était situé au cœur de la forêt de la propriété, bien à l'abri derrière de grands châtaigniers et chênes centenaires.

Sam somnolait dans son abri de fortune, lorsqu'au petit matin, il vit son hôte pour la première fois. C'était un homme sans âge, le visage boursouflé de coups et de plaies ensanglantées. Il boitait fortement, sa jambe gauche traînait derrière lui tel un poids mort. Il portait sur le dos une veste de treillis trouée et crasseuse ainsi qu'un sac de toile rafistolé de bric et de broc. Il était impossible de dire si son froc était un jeans ou autre chose, il avait disparu sous une couche de salissures. Sam ne put distinguer la couleur de ses cheveux de sâdhu, tellement ils étaient poussiéreux. Ils formaient de grosses et longues dreadlocks naturelles. Il devait être assez grand, mais son corps courbé par le poids du dénuement ne permettait pas une estimation. Une fois que l'inconnu fut entré dans le bâtiment, Sam s'approcha et l'espionna par les fenêtres sales.

Sa silhouette décharnée sortit péniblement du trou d'un mur, un sac de couchage en lambeaux qui avait dû être vert. Il s'en couvrit et s'endormit. Sans bruit, Sam entra sans savoir quelle attitude adopter. Il resta là les bras ballants. Après pas plus de trois ou quatre minutes, le sommeil de l'inconnu était profond, l'on entendait juste un léger sifflement nasal. Sans bruit, Sam fit demi-tour et le laissa tranquille: si on pouvait être tranquille dans de telles conditions de vie.

Sam revint souvent espionner l'homme. Le lendemain, il déposa quelques vêtements, une trousse de secours, un nouveau sac de couchage et une lampe à gaz. Régulièrement, il laissait des vivres, de petits objets du quotidien ou des livres. De régulièrement, ses passages se firent journaliers. C'était comme ça qu'il se rendit compte que l'occupant avait disparu. Au bout de quelques jours d'absence, Sam s'attela à nettoyer le mieux possible le bâtiment, amena un lit picot et autres petits mobiliers. L'hiver arrivant à grands pas, il ramona la cheminée et fit venir du bois sec, des vieux journaux et des allumettes. Il ne savait pas si c'était de la pitié ou de la compassion qu'il ressentait. Il avait espoir que son inconnu revienne. C'était "son inconnu". Mais sa honte de s'être approprié un humain n'était pas aussi forte que la curiosité qu'il lui inspirait. Il garda pour lui la découverte de son inconnu. Trois semaines étaient passées sans qu'il ne revienne. Pourtant un jour, Sam trouva un petit mot glissait entre les vantaux de la porte du logis :

« Je vous suis gré de votre humanité et de votre discrétion. Je ne sais pas qui vous êtes, mais je tiens à vous remercier pour votre bienveillance. Je voulais passer inaperçu mais j'ai raté mon coup. Je ne sais pas ce qu'il serait convenable de faire. Dois-je disparaître ou rester ? Je repasserai demain et vous ferez part de ma décision. Bien à vous.

Bosco. Le squatteur. »

Ce n'était donc plus un inconnu. Bosco ! Quel beau prénom ! 

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