Chapitre 4 - L'art et l'amour

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Sam ne voyait pas ses clichés photographiques comme des œuvres en elles-mêmes. Ils étaient comme des tremplins pour son imagination à partir duquel le travail pouvait réellement commencer. Le cliché pouvait se prolonger par quelques traits de crayon, d'encre ou de peinture. Des mouvements prenaient forme, des éléments s'ajoutaient, s'infléchissaient, s'amincissaient ou se renforçaient. C'était alors que d'élément plat et cadré qu'était la photographie, pouvait devenir toile peinte ou collage. Comme si le hors cadre était plus important que le cadré. Comme si le cliché lui-même n'avait pas été assez satisfaisant pour Sam. Il n'y avait ni emphase ni trop plein de sentiments juste une œuvre pure et simple. L'idée, le concept exprimé était d'une clarté évidente. Il n'y avait ni provocation ni rien de spectaculaire. Il présentait chaque photographie avec humilité et émotion, même si parfois un tableau pouvait en contenir plusieurs, cela restait compréhensible et évident.

Bosco arrêtait de travailler pour jeter des coups d'œil de temps à autre au cheminement artistique de Sam. Il prenait prétexte de se faire un thé ou boire un verre d'eau, mais en réalité, il aimait regarder Sam être plongé dans ses activités. Lorsqu'il le voyait frapper, pétrir ou modeler l'argile, Sam émettait de petits cris comme des ahanements presque imperceptibles. C'était d'une sensualité inouïe. C'était d'autant plus charmant que Sam n'en avait aucunement conscience. La terre absorbait l'énergie, la force et l'embrasement du créateur. Lorsqu'il était à l'œuvre, quelqu'un venant de l'extérieur aurait vu un artiste qui pensait et agissait sous le coup de l'émotion avec une passion incontrôlée, alors que toute sa démarche était réfléchie et créée avec perspicacité et raison. Les nombreux croquis et autres esquisses en étaient les preuves indubitables.

Pour Bosco, Sam était comme l'océan et le ciel, égal à lui-même, mais toujours changeant et jamais ennuyeux. Cela faisait partie de son admiration pour lui et du charme de sa personnalité. Sam pouvait être aussi calme et coi, comme lorsque quatre fois par jour entre chaque marée, l'océan est étale, mais être aussi tourmenté et perturbé telles les eaux bouillonnantes et impétueuses d'un torrent. Il pouvait être là, alors qu'il était déjà ailleurs incontrôlable, insaisissable et fluant comme l'eau. Il n'était jamais où l'on croyait le trouver.

Son art était limpide et cristallin lorsqu'il photographiait des nus masculins, que bourbeux et sombre si c'était des humains vivant des événements dramatiques. Depuis le début de leur rencontre, qu'il soit bousculé ou bercé, Bosco avait décidé de suivre ce courant. Pour lui, c'était la seule façon d'être auprès de Sam. Il avait une certaine fierté intérieure de connaître l'exaltation sensuelle et sexuelle de Sam, alors que personne au monde ne les avait entrevues. Lui seul possédait ce corps vivant, dévorant et exubérant. Leurs nuits étaient des explorations sauvages, des balades tendres ou bien encore, des pérégrinations raffinées.

Le temps passait et ouvrait de nouveaux horizons aux deux amants: Bosco avait toujours espéré être le pénétré, et Sam lui, le pénétrant comme le prouvait son tatouage dorsal. Ils s'en donnèrent la possibilité, ils achetèrent des jouets qui puissent leur offrir ce qu'ils désiraient. Leurs ébats avaient des saveurs épicées variées, ils pouvaient être empreints de sensualité brutale, d'érotisme suave ou de tendresse fraternelle. Bosco découvrait en lui des désirs et des façons de les exprimer qui lui étaient inconnus jusqu'ici. Son champ des possibles s'était élargi. Le sexe n'était pas qu'une jouissance personnelle, il était le plaisir démultiplié par la jouissance de Sam, qui pouvait être aussi dominateur et brutal que langoureux et puéril. Son éventail émotionnel était aussi chatoyant et bigarré que sa palette de peintre.

Bosco passait de longs moments à regarder son amour dormir lorsqu'il était repu, bienheureux et souriant aux anges. Il était presque imberbe, malgré les injections de testostérone, cela lui donnait un visage de jouvenceau, un charme d'éphèbe. Thor lui avait dit un jour « qu'il trouvait que Malo était aussi beau qu'un acteur coréen ! » Maintenant, il comprenait vraiment cette réflexion : Sam n'était peut-être pas d'origine coréenne, mais il était beau, bien plus beau que tous les autres hommes qui avaient croisés son chemin, et dieu sait qu'il en avait vu dans les backrooms qu'il avait fréquentées avec Matheus. Matheus n'entrait pas en ligne de compte, puisqu'il avait été son premier amour.

Malgré la nature quelque peu inconstante de Sam, il pouvait avoir confiance en lui. Il ne se perdrait pas dans des paradis artificiels ni dans des draps inconnus. Sam avait promis de ne plus disparaître. Les seuls moments de solitude qu'il réclamait de temps à autre, c'était pour s'entraîner, peindre, photographier ou développer ses épreuves. Cette stabilité de vie et la confirmation quotidienne d'être aimé avaient allégé les angoisses de Bosco. Si un peu de stress venait le perturber, il savait que leurs moments d'intimité viendraient le faire disparaître.


Bosco avait repris du poids. Sam l'aidait dans les exercices de musculation. Presque tous les hommes de la communauté faisaient du sport dans leur gymnase. La piscine était très souvent utilisée. Thor avait demandé s'il pouvait y avoir un sauna, alors Azza lui a rétorqué que le hammam s'était vraiment bien aussi: les deux avaient été construits. Sam en profitait avec bonheur. Une fois par semaine, le bassin fut ouvert pour l'association féminine contre les violences faites aux femmes et aux enfants, à laquelle Sam avait cédé des immeubles au centre-ville. Azza en profitait pour les rencontrer, elle emmenait nager Vikingur et servait un goûter que Sam avait préparé. Les hommes de la communauté évitaient de venir pour préserver l'intimité de ces femmes déjà meurtries.


Il y avait des matins où autour de Bosco tout respirait le calme, la sérénité et le bonheur. Mais comme si cet équilibre était trop beau, il avait peur qu'un détail vienne lui pourrir la vie, alors il venait se blottir contre le dos de Sam et le serrait particulièrement fort contre lui. Sam se transformait en père bienveillant et câlinait son amoureux avec tendresse et douceur. Ces moments de spleen, Sam les connaissait aussi. Il savait que les morts avaient la capacité à nous faire sentir redevable. On trainait tous une certaine culpabilité à trop ou à pas assez pensé à eux, croyait-on. Être seul pouvait paraître plus confortable lorsque l'on va mal, mais heureusement, Bosco et Sam avaient appris ensemble à prendre sur leurs épaules un peu du fardeau de l'autre. Pour l'un comme pour l'autre, c'était la première fois que cette philophobie ne leur était plus chevillée à l'âme. Ne plus avoir peur d'aimer, avait été leur libération ultime.

La majorité des matins, ils étaient allongés côte à côte, entourés des effluences de leurs corps amoureux. Bosco était sûr d'avoir atteint l'éternité grâce à ce sentiment de plénitude. Sam était plus important que ce dont quiconque avait déjà rêvé, non seulement pour lui, mais aussi pour tous ceux qui les entouraient. Au tout début de son coup de foudre pour Sam, il s'était demandé s'il pourrait l'aimer physiquement, puisqu'il n'avait jamais connu charnellement d'homme-trans. Cette appréhension a duré peu de temps: Sam était un homme.

Il avait déjà passé plusieurs étapes depuis l'âge de cinq ans: changer de prénom et de pronom pour sa famille et les personnes proches de lui; le changement officiel fut fait tôt grâce à sa maman; il avait mis plus de temps pour tout le reste, car il voulait commencer cette communauté le plus vite possible. Lorsqu'il avait senti qu'il ne pouvait plus vivre dans ce corps qui ne pouvait être vu nu, il avait disparu. C'était trop difficile pour lui de faire supporter aux autres ses propres choix qui n'en étaient pas vraiment. Certains ont la croyance que l'on choisit d'être trans, quelle erreur! Aujourd'hui, il était épanoui et heureux. Il ne pensait pas faire d'autres changements physiques.

Bosco ne regrettait jamais d'être auprès de Sam. Il représentait tout ce qui était le bonheur pour lui. Il avait l'impression lui aussi d'être multiple, d'être plus fort et plus viril. Se découvrir aimable dans les yeux d'un autre était vraiment nouveau. Sam savait s'entourer de bonnes personnes, il avait comme un instinct infaillible pour lire les autres, même s'il disait « Je ne dis pas que les gens mentent souvent et consciemment, seulement qu'ils ne disent pas toute la vérité. » Il savait aussi que l'on ne pouvait pas tout dire pour des tas de raisons valables, mais il ne pouvait pas s'empêcher de lire ce que l'autre avait voulu taire.

Bosco ressentait les bienfaits des orgasmes prostatiques que Sam lui procurait. Jamais il n'avait vécu ça. Lorsque cela arrivait, il n'entendait même plus les mots de Sam : ses « je t'aime! » devenaient des alizés qui se perdaient dans la tempête qui régnait dans son cerveau et dans son corps. Parfois un blues post-coïtal suivait ces puissantes jouissances, Sam les repérait à chaque fois. C'était simple et cela passait rapidement : il prenait Bosco dans ses bras, le caressait affectueusement et doucement en lui disant des mots cajoleurs, « Ça va aller mon petit "Post Coïtum Animal Triste"! ». Un soir où Bosco était particulièrement déprimé :

« Tu sais, mon chéri, personne n'est comme nous !

- Pourquoi devrions-nous être comme les autres ? Nous avons juste besoin d'être nous. » Lui répondit simplement Sam.

C'était lors de ces moments-là que Bosco avait pleinement conscience de qui était Sam : malgré ses insatisfactions chroniques dans l'art, Sam était l'homme qu'il aurait voulu être. Sam disait qu'il avait eu la chance d'avoir la mère qu'il avait eue. Elle avait été affaiblie par la psychopathie du pépé-père, mais elle était profondément bonne et intelligente. Tout le monde ne peut pas être résilient, sa mère s'était laissée mourir car la vie avait été usante et ingrate. Sam aivait aimé, aimait encore et aimerait toujours sa mère. Elle resterait le soleil de sa vie.

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