Chapitre 6 - Les non-dits de Zach
Il fallut bien que Sam reconnaisse qu'il s'était trompé: Zach était un mec bien. En plus, il n'était pas hétérosexuel, mais pan-amoureux comme il l'avait glissé dans une conversation. Son service terminé, chaque jour, il venait visiter Ben, une fois avec un bouquet de fleurs, une autre avec des chocolats, ou encore des gâteaux pour toute la communauté. Ben riait plus. On le sentait plus heureux plus détendu. Lorsque Sam vit Ben s'inquiétait de s'attacher à Zach, il lui dit : « Aimer quelqu'un n'est jamais sans risque, mais toutes les bonnes choses valent la peine d'être vécues. La vie donne de la peine mais elle en vaut la peine. Alors profite et soies heureux, tu le mérites. » Les semaines avaient passé, il fut décidé à l'unanimité que Ben s'installerait pour une période indéfinie aux Ateliers.
Zach avait suivi les séances de kinésithérapie de Ben afin de l'aider à retrouver une complète autonomie de ses bras. Il remarchait correctement mais très doucement. Il se sentait plus en confiance s'il pouvait s'appuyer sur le bras d'un compagnon. Ils passaient de longs moments dans les jardins à discuter. Comme pour préserver le calme inhérent au lieu, sans bruit, sans un mot, ils s'asseyaient sur un banc de pierre dans le jardin japonais, chacun était plongé dans ses pensées. Ils se faisaient des repas en tête à tête chez Ben. Zach adorait se mettre aux fourneaux. Il était aux petits soins pour son compagnon. Le regard de Zach débordait de tendresse pour lui. Un soir, il était arrivé avec un joli panier d'osier et un grand carton. Le panier miaulait craintivement :
« Vous pourrez l'appeler comme vous voulez. Mais je crois que Fauve lui irait bien, autant pour sa condition de chat que sa couleur! » déclara Zach tout en sortant le félin de son panier.
Un charmant " Fauve " montra son beau pelage roux. Comme une évidence pour lui, il se dirigea vers Ben. Il se frotta au bas de son pantalon tout en ronronnant, puis il sauta sur ses genoux maladroitement :
« Quelle charmante attention! s'écria Val. Regarde Bosco, tu as un allié. Vous avez la même couleur de poils.
- Alors il est pour moi ce chaton ? Merci Zach pour le cadeau ! dit Bosco en s'approchant du petit roux.
- Ah non ! C'est le nouveau compagnon de Ben, affirma Zach.
- Ça s'est une bonne idée! s'exclama Sam. Il est très mimi. J'adore les bestiaux roux, tout en regardant Bosco qui lui aussi ronronnait de plaisir.
- Moi aussi j'en veux un! Salah me l'avait promis quand on a emménagé ici! j'en n'ai pas vu le bout d'un museau. Sinon je veux bien un chien.
- Cette fin de semaine, allons tous à la SPA! On devrait trouver notre bonheur! » proposa Thor.
Leur communauté s'agrandissait d'humains et d'animaux. Ben était particulièrement touché de ce geste. Il avait une fois fait mention de son chat " Arthur ", et Zach s'en était souvenu. Il avait su voir en Ben bien plus loin que ce qu'il avait bien voulu lui montrer. Qu'attendait Zach en retour de toutes ses attentions, toute cette gentillesse et toute cette prévenance? Il lui fallut du temps pour se rendre compte que Zach n'attendait rien, il voulait juste être là près de lui.
Ben avait toujours espéré être aimé malgré ce qu'il pensait de lui-même : c'était chose faite. Zach l'aimait tendrement et sans attente particulière. Il l'aimait pour qui il était. Ben se disait que pour le séduire, il devait le faire rire, mais à chacun des rires de Zach, c'est lui qui tombait de plus en plus amoureux. Ben aurait aimé que Zach puisse entendre tout ce qu'il ressentait et pensait, et surtout ce qu'il avait peur d'exprimer.
Un soir de la mi-décembre, une pluie drue frappa les fenêtres de toit de la maisonnette de Ben. Il était allongé sur son lit avec Fauve pelotonné près de sa tête qui dormait profondément. Zach était à leurs côtés. Tous les deux prêtaient l'oreille aux propos rapides et piquants de la pluie qui crépitait sur le toit. Comme tous les soirs après le repas, Zach voulut partir :
« Ne pars pas, tu vas être trempé, demanda Ben en agrippant le pull-over de Zach. Reste avec moi. Reste avec moi, cette nuit. Juste cette nuit. Juste une nuit. S'il te plaît. »
Sur les vitres, la pluie serpentait et rigolait.
Face à face, longuement, ils flirtèrent dans le lit douillet de Ben. Zach s'approcha un peu plus près. Il embrassa le front, les tempes et le nez de Ben qui se laissait aller mollement. Il avait baissé sa garde. Ben était tellement délicieux et délectable, que Zach ne savait pas dire si c'était sa bouche qui appréciait son goût, ou alors si c'était son nez qui aimait son odeur. Cela devait être le premier lâcher prise de Ben depuis des années. Des larmes perlèrent à ses paupières. Puis ce fut de gros sanglots incontrôlables. Zach le serra dans ses bras :
« J'ai salopé ta chemise! s'excusa Ben d'une petite voix hoquetante.
- Alors je vais être obligé de rester cette nuit, le temps qu'elle sèche! »
Ben ne le savait pas encore, mais cette nuit-là marquerait d'une pierre blanche, le premier jour du reste de sa vie.
Lorsque Ben put adoucir son émotion, il se déshabilla. Zach suivit le mouvement. Nus comme des vers, leurs intimités dressées, ils allèrent prendre une douche. Une fois mouillés, tranquillement, ils se savonnèrent. Avec des gestes glissants, apaisants et lénifiants, Zach promenait ses larges paumes sur la peau halée de Ben. Ses lèvres mordillaient la nuque offerte, baisaient son cou, magnifiaient sa bouche et aimaient ses aisselles, pendant que ses mains galbaient ses fesses, courtisaient son dos, modelaient ses hanches et enserraient le sexe bandé de Ben. À genoux, il le prit en bouche et avidement, il fit tomber les dernières barrières que Ben avait érigées depuis si longtemps. N'en pouvant plus, telle une supplique, gémissant, Ben prit ses fesses entre ses mains et les ouvrit enfin d'inciter Zach à le pénétrer. Conscient de ce qui se passait, Zach ne força pas le passage, au contraire, il frotta ses longues moustaches drues sur le cul invitant. Il prit un temps infini à effleurer et introduire sa langue et ses doigts dans l'intimité désirante de Ben. La quille en avant, Zach s'abîma délicatement dans le chenal étroit. Ben geignit et sembla en pâmoison sous le rythme donné par les hanches de Zach. Les vibrations de l'échine de Ben affolèrent le désir animal de Zach. Ben sentit une jouissance lui vriller le ventre. De peur de se laisser emporter par le flot trop véloce de ce désir, Zach se retira avant la fin et se caressa contre le sillon engageant de Ben. Rapidement, il atteignit le sommet du désir atavique. Ils se rincèrent et se couchèrent. Ben sentait les doigts de Zach effleurer son épaule et son bras, et sa bouche qui embrassait ses cheveux. Ces caresses et ces gestes anodins pour beaucoup de gens, lui mirent à nouveau les larmes aux yeux : ils étaient d'une nouveauté rafraichissante pour lui. Heureux et serein, il s'endormit dans les bras de Zach.
Au réveil, le lendemain matin, Zach dit à son nouvel amant:
« Nous n'avons pas fini de nous parler d'amour. Revoyons-nous, rapidement.
- Mais vas-tu vouloir revenir? J'ai un passé!
- Et alors ? Aies un futur! répondit Zach en l'embrassant sur le front. À ce soir, mon ange. Passe une bonne journée et n'oublie pas tes exercices de rééducation. Je file. Au revoir! »
La porte d'entrée refermée, Ben se glissa à la place de Zach dans le lit et renifla profondément l'oreiller qui avait supporté la tête aimée. Il se rendormit dans les lueurs de l'aube.
Sam était sur la table de son atelier en train de découper des magazines :
« Tiens, tiens, tiens ! Voilà, notre Ben ! Tu as un teint frais et un air béat. N'aurait-il pas un homme qui a été aimé cette nuit ? Interrogea Sam avec un sourire coquin.
- Et bien toi, mon beau! dit Bosco pour houspiller un peu Sam. Tu ne t'en souviens déjà plus ?
- Ah ! C'est drôle! Je ne parlais pas de moi, gros malin!
- Comme si cela se voyait sur le visage des gens, le fait qu'ils aient ou pas baisé! répliqua Bosco.
- Peut-être pas mais un type qui rase les murs dans la cour en croyant être discret, et bien désolé mon chéri, mais moi je l'ai vu le malandrin ! répondit Sam en se marrant.
- Qu'est-ce que tu faisais levé si tôt ?
- Vivre pendant que les autres dorment, c'est comme voler quelque chose au temps. » répliqua Sam avec le plus grand sérieux.
La nouvelle fit vite le tour des Ateliers. Val voulait savoir quand Zach allait emménager. A nouveau, Boris dut calmer ses ardeurs : ce n'était pas en une seule nuit d'amour que l'on pouvait forcément être sûr de vivre ensemble.
Zach rentra tôt. Lorsqu'il passa devant l'atelier de Sam, il entendit des éclats de rire et la musique des Daft Punk. "One More Time" résonnait. Il s'arrêta et regarda à travers les vitres: Le trouple dansait avec Val et Ben ; Bosco était aux fourneaux avec Boris ; Salah et Dorian mettaient la table en riant. Évidemment, Ben était celui qui dansait le mieux. Ses hanches se balançaient langoureusement au rythme des paroles des hommes casqués. Il repensait à cette belle nuit qu'il venait de passer auprès de Ben et la culpabilité le tenailla.
Ce soir, il devait lui dire toute la vérité sur sa vie actuelle : même s'il avait quittait sa compagne en avril dernier, ils vivaient toujours dans le même appartement. Repousser l'échéance du déballage de la vérité, serait pire que tout. Il ne détestait pas son ex-compagne, mais plus rien ne restait de leur amour. Il avait voulu être plus transparent sur sa sexualité, mais cela n'avait pas été compris comme une preuve de confiance mais comme une preuve de faiblesse. Elle avait été claire et préférait «vivre avec un homme, un vrai» lui avait-elle dit : « Comment peux-tu toucher une femme comme moi et avoir des fantasmes de corps d'hommes ? Tu me dégoûtes! » Zach n'aurait jamais cru qu'une étudiante en psychologie puisse être si étroite d'esprit et si ignorante. Elle n'avait pas voulu en savoir plus sur le côté pan-amoureux de son mec. Il avait été déçu et blessé. Il avait fait une croix sur leur relation très rapidement. Son cœur brisé ne le resta pas longtemps. C'était au mois de septembre, qu'il avait rencontré Ben et qu'il avait été attiré par lui au premier regard. Cela n'avait été qu'un désir animal, mai sil fut vite remplacé par une réelle tendresse. Zach fut rejoint dans ses réflexions et sa contemplation par Malo qui avait Vikingur sur ses épaules :
« Il doit y avoir un air pur ou une aura mystérieuse, ici. Les hommes y reviennent automatiquement. Ce n'est pas une attaque, au contraire, c'est bien que tu t'attaches à Ben. Fais juste gaffe à ne pas lui donner d'illusions. Il en a bavé avec l'autre. »
Sans le vouloir, Malo venait de lui donner le courage d'avouer ce qu'il avait sur le cœur depuis plusieurs semaines. Noël allait arriver, il fallait que tout soit clair et net avant. Même s'il n'avait couché avec Ben qu'une seule fois, il savait que s'il le était rejeté, il mettrait bien plus de temps à faire le deuil de cet embryon de relation. Leurs longues conversations l'avaient conforté dans son attraction pour Ben. Ils étaient différents, mais ils aspiraient à une vie calme et confortable.
Zach avait dans l'idée de quitter la police. Il y régnait trop de racisme, d'homophobie et de misogynie pour un homme honnête. Il avait eu son master 2 en droit. Être flic était un rêve d'enfant, « faire comme papa. » Maintenant, que son père était mort et que sa mère s'était remariée, il ne se sentait plus tenu de suivre la même voie. Son commissaire lui avait dit d'être notaire : « Ça rapporte bien et plus de pression de la hiérarchie et des instances politiques et juridiques. À trente et un ans, tu es encore jeune. Dans deux ans, cela devrait être dans la poche. » Il faudrait qu'il en parle aussi à Ben, s'il ne l'avait pas largué avant!
Aprés le repas, arrivés chez Ben, Zach s'assit dans un fauteuil et Fauve vint installé sur ses genoux en ronronnant sous ses caresses :
« Il faut qu'on parle. J'ai des choses à t'avouer !
- Déjà! Si vite! Je ne te plais pas vraiment ? C'est mon passé ? Tu sais j'étais sûr que l'homme idéal n'existait pas, alors j'avais décidé d'en côtoyer plusieurs à la fois. Dès le début de ma vie amoureuse, j'ai cru qu'il fallait séduire, se vendre, attirer l'attention sans en faire trop. Plaire aux autres, quitte à me détester et ne plus être moi-même. Je n'ai pas l'habitude d'être si bien avec quelqu'un. Quelque part, tu es mon premier. Je suis désolé si j'ai mal agi.
- Arrête! s'écria Zach. Arrête, je t'en supplie. Toi, tu as été parfait. Tu es parfait. Je t'aime comme tu es. Oui, je t'aime. Mais je suis un salaud, je ne t'ai pas dit la vérité sur ma situation actuelle. »
Il expliqua ce qu'il vivait présentement. Ben était en position fœtale sur le lit et écoutait Zach plein d'appréhension :
« D'accord! Alors, si je résume, tu me dis que tu vis dans le même appart que ton ex et que tu veux changer de boulot. Dormez-vous dans le même lit ?
- Non, je dors sur le canapé depuis plus de six mois.
- Crois-tu que je peux accepter cette situation ?
- Non, c'est sûr. Je n'ai pas eu le cœur à la mettre à la porte : c'est l'appartement que mon père m'a légué, alors je me voyais pas le lui laisser.
- Je comprends. Fais ce que tu veux, mais je ne veux pas me projeter dans un futur avec toi. Plus tard, si tu éclaircis tout ça, pourquoi pas, expliqua-t-il les yeux humides et les lèvres pincées.
- Je vais y aller. Je passerais demain si tu le veux bien. »
Zach déposa le chat à sa place sur le fauteuil et saisit son blouson :
« À demain, Ben. Fais attention à toi.
- Reviens là, espèce de grand bêta !
- Mais, tu as dit...
- Je n'ai pas dit que tu devais partir, j'ai dit que la situation actuelle ne me plaisait pas. Alors viens vivre ici le temps que ton ex trouve un autre appart! » rectifiat-il.
Annotations