Chapitre 1 - Entre affliction et espoir
J’ai entendu un long coup de klaxon de camion, puis plus rien. Je suis dans une sorte de brouillard cotonneux où surnagent des odeurs d’hôpital, des bruits de semelles et des voix lointaines. Une alarme sonne quelque part. Des pas précipités passent tout près. Mon corps est bloqué. Je suis coincé dans un carcan. Ma tête me fait affreusement mal. Un grand homme roux avec de l’embonpoint, boudiné dans une blouse vert d’eau, entre et me sourit. Il parle une langue germanique que je ne connais pas. Cela ne ressemble pas à de l’allemand, je n’aurai pas su dire pourquoi, mais je suis sûr que ça n’en était pas. Le soignant ressort.Quelques minutes plus tard, une petite femme brune à la peau mate entre à son tour. Tous les deux parlent cette même langue. Elle se tourne vers moi et me parle en anglais avec un accent prononcé. J’essaie de répondre, mais aucun son ne sort de ma gorge asséchée. Elle m’explique que j’ai été renversé certainement par un camion. On m’a trouvé près d’un bois à quelques kilomètres. Je n’avais aucun papier d’identité ni bagage auprès de mon corps agonisant. Ça fait deux mois que j’ai été mis dans un coma artificiel pour traiter mes traumatismes crâniens. Les chirurgiens en ont profiter pour opérer mes fractures et soigner mes blessures. Le grand roux me fait boire quelques gorgées d’eau à l’aide d’une paille. Je chuchote quelques mots :
- Français ! Euh… French…
Puis, je joue la fille de l’air. Mes yeux se ferment. Je rêve de grandes fleurs colorées, de montagnes enneigées, de maisons traditionnelles japonaises et de samouraïs qui baisent ensemble. Je reviens à moi avec un mal de tête insupportable et ma bite dressée. Le grand roux la nettoie délicatement. Il la décalotte en ne se départant pas de son flegme professionnel. Je referme mes paupières lourdes et j’essaie de m’éloigner de moi-même. C’est le premier homme, depuis très longtemps, qui me touche les couilles. C’est une érection mécanique et involontaire, mais je suis gêné. Mes quatre membres sont fixés dans des gouttières en plastique. Je porte une minerve. Lorsque la toilette prend fin, la médecin entre et m’explique que j’ai du mal à sortir du coma artificiel. Maintenant que tous mes os sont totalement ressoudés, les gouttières et les bandages vont être retirés. Avec un traitement de kinésithérapie sur le long terme, je pourrais certainement remarcher et me servir de mes deux bras. Dans mon infortune, j’ai la chance que ma colonne vertébrale ait été épargnée par le choc. Les deux fractures du crâne sont, elles aussi, totalement ressoudées. Les hématomes intracrâniens et mon œdème cérébral sont résorbés. Je ne garde que la minerve pour me soulager et pour éviter que je ne bouge trop.
Le camion fautif et son conducteur se sont évaporés. Elle me montre un pochon en tissu avec une pierre à aiguiser et deux couteaux très jolis, ainsi qu'un morceau de papier à dessin sur lequel un texte est écrit en français :
« Va où tu veux ! Si à un moment, tu fatigues, arrête-toi. Si tu veux prendre du recul, fais-le ! Oui, la vie est courte, alors remplis-la d’aventures et d’amour. Si le dard de cupidon te touche en chemin, saisis ta chance et régale-toi ! Ce qui se passe sur la route, reste sur la route. Pars, mon amour ! Vis ton rêve ! Ne te retourne pas ! Fonce, je t’attendrais comme tu m’as attendu. Je t’aime. Sam »
Je n’arrive pas à me souvenir. Qui est ce Sam ? Puis, épuisé, je me rendors lourdement. Le lendemain, tous mes bandages sont retirés. Je recommence à manger normalement aidé de mon imposant aide-soignant. Le fait de savoir qu’un Sam m’attend peut-être quelque part, me donne de l’espoir et de la force. Je dois m’en sortir coûte que coûte, je n’ai pas le choix. Sam ne peut être qu’un homme. Je suis gay puisque j’ai vécu trois ans avec Matheus. C’est l’homme que j’ai le plus aimé. Je sais qu’il est mort. J’ai même transporté ses cendres pendant des années à travers la France. D’ailleurs, où est son urne ?
Sam m’aime tellement qu’il m’encourage à poursuivre mon rêve. Mais quel rêve ? J’ai moi-même attendu cet homme. Ça fait deux mois que je suis dans cet hôpital. Personne n’est venu s’enquérir de mon état de santé. Quelqu’un me cherche-t-il ? Ai-je de la famille ? Qui suis-je ?
Un autre médecin parlant français, se présente : il est neurologue. Il m’explique dans le détail toutes les opérations que j’ai subies. Je souffre d’une amnésie rétrograde. Ma mémoire reviendra certainement. Il me demande quel prénom je veux qu’on me donne en attendant. Je réponds sans hésiter Matheus. Le médecin me fait parvenir des journaux français ainsi qu’un atlas de la France et un carnet afin de noter mes souvenirs. Il viendra tous les jours me voir et discuter. Mes rêves peuvent aussi donner des indications. Je ne me vois pas lui dire que je vois des samouraïs s’enculer dans une maison japonaise. La police vient faire de nouvelles photographies pour les envoyer à leurs collègues français.
Des souvenirs flous me reviennent. J’ai été tabassé à la sortie d’une soupe populaire. Je me revois traîner la patte pour rentrer dans une friche industrielle et m’écrouler de fatigue et de souffrance sur un grabat. L’urne de Matheus est cachée dans une bâtisse, elle-même cachée dans les bois épais de cette friche. Maintenant, je sais que sept ans se sont écoulés depuis ce dernier souvenir. Sept ans. Sept ans ont disparu de ma mémoire. Qu’ai-je fait pendant sept ans ? Qui est ce Sam qui m’attend ? Le pire à l’heure actuelle est que je ne me souviens ni de mon nom ni d’où je viens et quelle vie, j’ai eu. Il ne me manque pas seulement sept ans mais mon enfance et mon adolescence ont disparu, envolé. Ma vie ne se résume à ma rencontre avec mon grand amour, nos escapades dans les bars gays et autres arrière-salles sombres et mes nuits à l’attendre. Matheus sortait seul pour vivre ses expériences. J’ai pu donner le nom de la rue et de la ville où nous vivions. Je n'ai que cinq ans de souvenirs : trois avec Matheus et deux sur les routes de France.
Avec ces informations, les polices néerlandaises et françaises ont mis peu de temps à découvrir mes nom et prénom : Je m’appelle Bosco Baert. J’ai une famille. Je n’habite plus dans le sud-est de la France depuis près de sept ans. Je étais proche de mes grands-parents paternels. Mais qui est ce Sam?
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