Chapitre 7 – Le retour

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Arrivés dans la salle de débarquement, Vikingur et moi attendons Thor. Nous attirons des jeunes femmes émerveillées. Étant donné mon état de nerfs effroyable, je ne leur parle pas ou réponds sèchement que j'attends mon compagnon. Vikingur dort dans son porte-bébé ventral en suçotant sa main. Poussant un chariot lourdement chargé, Thor est dans les derniers à débarquer. Il veut courir vers moi, mais il casse son élan envoyant le porte-bébé. J’entends clairement :

― Et merde ! C'est quoi ça ? Il a fait un môme pendant notre séparation ? Merde, merde, merde !

J’avance doucement pour ne pas réveiller Vikingur. J’ai chaud, la tête me tourne et j'ai envie de vomir. Mon cœur s’emballe. J’ai peur de tomber dans les pommes :

― Ce n'est pas ce que tu crois. Allons-nous asseoir, j'ai énormément de chose à te dire.

Nous nous asseyons l'un à côté de l'autre sur une rangée de sièges vides. Nous ne nous sommes ni embrassés ni pris dans les bras ni même serrés la main. Thor se tait. Au fur et à mesure que j’avance dans mon récit, il se décompose. Il serre les lèvres et respire de façon saccadée. Plus il essaie de respirer, plus tout se bloque. D'un coup, sans avoir encore dit un seul mot, il se lève et retourne au chariot. Je le suis :

― Attends-moi ! Thor, attends !

─ Je n’ai pas fini mon boulot !

Ce sont ses premiers mots. Il se dirige vers la sortie et hèle un taxi.

― Je suis venu en voiture. On peut rentrer aux Ateliers ?

─ J'ai encore du travail, j'aurais fini demain à midi.

─ Tu veux venir chez mes pères ?

─ Laisse tomber. Je vais à l'hôtel me reposer. Tu peux me suivre si tu veux. Je t'envoie l'adresse.

Je reste bouche bée. Je ne fais que hocher la tête. J’acquiesce bêtement. Je n’en reviens pas de sa non-réaction et de sa froideur. Thor s'engouffre dans le taxi qui disparait dans la circulation.

Très affligé, je rejoins l'hôtel que m’a indiqué Thor. Je suis dans le hall, incapable du moindre geste. Je reste assis du bout des fesses sur le bord d'un fauteuil avec Vikingur dans le porte-bébé, une main portant le sac de Vikingur et dans l'autre, le mien. Mon visage est inondé de larmes que j’essuie maladroitement lorsque je vois Thor descendre les escaliers. Il est donc arrivé avant moi. Je me dirige vers la réception :

― Bonjour, je voudrais une chambre simple, s'il vous plaît, madame, demandé-je à la jeune réceptionniste.

─ Ça va monsieur ? Vous vous sentez bien ?

─ Oui, oui. Je suis juste un peu fatigué.

─ Qu’il est beau votre bébé ! Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi. Je suis de service toute la nuit. Je vous fais monter un lit pliant.

─ Merci, madame. C’est très aimable à vous ! Dis-je mécaniquement.

Thor s'adresse à la jeune femme :

― S'il vous plaît, annulez la réservation. Se tournant vers moi. Venez dormir avec moi.

L'étau qui enserre ma cage thoracique depuis plusieurs jours se relâche légèrement. J’ai envie de remercier Thor, de le prendre dans mes bras, mais je suis incapable de faire le moindre geste. Thor prend d'autorité les deux bagages que je porte et les monte à l'étage. Il redescend. Je me suis vidé de toute mon énergie. Je suis assis sur les marches. Je pleure ainsi que Vikingur. Thor m’aide à me relever et nous prend dans ses bras. Il me murmure à l’oreille :

― Je suis désolé ! Pardonne-moi !

Arrivés dans la chambre, je pose à Malo des questions sur le bébé. Je n'ose pas les toucher. Je n'évoque pas les évènements tragiques. Il me laisse Vikingur à qui il a fait boire son biberon et qu’il a changé. Il semble très à l’aise avec les soins de puériculture. Ça m’étonne, mais en même temps c’est Malo, il sait s’adapter. Il entre dans la salle de bain. J’entends le cliquetis d’un tour de clef, puis le bruit de l’eau. Je me retrouve seul à tenir Vikingur dans mes bras. Je le regarde intensément, tout en lui posant des questions sans réponse. Je fais la même chose que ce que j’ai entendu lorsque j’étais gamin :

― Qu'est-ce qu'on va faire de toi ? Pourquoi les femmes de notre famille disparaissent ?

Je me mets à pleurer. À ce moment-là, je me suis rendu compte que je ne reverrais plus Ölrún. Ma décision est prise, je vais en Islande voir papa :

― Tu vois, Vikingur, il ne faut pas attendre pour faire un truc important. On va aller voir papy. Si Malo est d'accord, on ira tous les trois. Je crois que quoi qu'il arrive, maintenant, tous les trois, on est lié ad vitam aeternam.

Je l’embrasse sur le front. Vikingur sent le lait et le parfum citronné de Malo. Je me dis qu'il ne peut pas être que mon neveu, mais bien mon fils. Sans bruit, Malo nous observe depuis l'embrasure de la porte de la salle de bain. Il est appuyé sur le chambranle, un sourire un peu triste aux lèvres, les yeux gonflés et rougis. Il s’approche, prend Vikingur dans ses bras et le berce avec aisance. Ils sont tellement beaux tous les deux.

Je passe à mon tour sous la douche. Lorsque j’en sors, je les trouve endormis dans le grand lit. Je m’allonge et rapidement, moi aussi, je m’endors comme une masse.

Thor a beaucoup mûri. Il y a un an, il est parti "adulescent". C’est un homme adulte qui est revenu. Du peu que j’entraperçois de son corps, il a lui aussi changé : il est plus poilu, il s'est aminci, il a perdu ses joues rondes. Surtout, sa personnalité s'est endurci. Il a réussi à garder un peu de sang-froid à l'écoute des malheurs qui se sont produits. Il s'est même endormi rapidement sans avoir besoin de mes bras. J’ai un petit pincement au cœur : Thor n'a plus besoin d'être paterné. Mais Vikingur lui aura encore longtemps besoin de mes bras et de mon paternage.

Tôt le matin, j’ouvre les yeux. Thor est assis sur le lit. Il maintient sur son poitrail poilu avec sa main droite, Vikingur qui babille et avec sa main gauche, il tient la mienne.

Thor part rejoindre ses collègues pour un débriefing. Il en a pour toute la matinée.

À midi, nous allons au restaurant après avoir nourri notre enfant. Je garde Vikingur dans le porte-bébé pendant tout le repas. Je fais part à Malo de mon désir d'aller voir mon père et de rendre hommage à ma sœur et à ma maman. Je n’ai pas voulu attendre pour lui apprendre que je me suis engagé à repartir dans deux mois pour Vancouver. C'est une courte expédition de trois mois, où nous naviguerons entre les îles Aléoutiennes, puis dans le Pacifique-Nord pour rejoindre le Japon. Je rentrerai avant Noël. Malo ne dit rien. Il n’a même pas une tête contrarié. Quelle chance j’ai d’avoir Malo comme compagnon !

Nous sommes rentrés à l’hôtel car Vikingur est fatigué et a besoin d’être changé. Malo me montre comment faire. Je suis maladroit. Malo me sourit :

― Tu te débrouilles comme un chef ! Ça va aller. Nous allons nous en sortir. J’aime déjà ton neveu.

― Tu veux dire notre fils.

― Oui, notre fils. Thor, je t'aime.

― Moi aussi, je t'aime, Malo.

Vikingur s’est endormi après son biberon. Nous sommes tous les deux penchés sur le petit lit. Je prends la main de Malo. Nous nous éloignons de notre ange.

Depuis mon retour, c’est la première fois que nous nous regardons. Nous nous rapprochons. Nous nous sentons. Nous nous frôlons. Nous nous touchons comme si nos yeux, nos nez, nos bouches, nos doigts et nos corps se souvenaient des rencontres oubliées. Alors que maintenant, à cet instant précis, tout est nouveau. Tout est nouveau, pourtant je retrouve toutes mes sensations. De peur de réveiller le bébé, nous prenons d'assaut la salle de bain. C’est sauvage et brutal, dans l'ivresse de notre concupiscence, on se mord, se griffe et se prend avec âpreté, puis au fur et à mesure des orgasmes, cela devient tendre, attentionné et doux. Sous une douche très chaude, nous nous réapproprions nos peaux et nos muscles respectifs. Nous retrouvons notre délicate dévotion mutuelle.

Le retour aux Ateliers du Bonheur est calme et particulièrement chaleureux. Val offre son aide, et joint le geste à la parole en kidnappant Vikingur. Nous ne nous lâchons pas la main. Nous parlons peu, mais nous nous regardons intensément. Nous décidons de retrouver nos corps à corps en public. Val est aux anges de pouvoir garder Vikingur afin que ses papas puissent se retrouver pour une soirée en tête à tête.

La semaine suivante, j’emmène Thor à notre débauche ostensible. Nous sommes vêtus simplement mais élégamment : des pantalons taille haute à pinces noirs, des chemises blanches, des gilets de soie aux couleurs vives et des chaussures en cuir à talons plats. Nous sommes prêts pour reprendre notre rendez-vous amoureux hebdomadaire. Nous y tenons particulièrement : pour Thor, c'est la joie de me voir heureux. Pour moi, c'est une excitation tout autant émotionnelle que sexuelle : rien n'est plus émoustillant que de serrer Thor étroitement contre moi, surtout depuis la libération des émotions et sa reprise de confiance en lui. Nous ne formons pas un couple ordinaire. Nous sommes le seul couple d'hommes. J’aime sentir entre mes bras mon homme. Il ne pourrait pas lâcher prise avec un ou une autre partenaire. Je me sens le maître, son maître.

Depuis son retour en France, c'est la première fois que nous allons nous exhiber. Nous allons nous libérer et apprécier nos corps sur un parquet. J’ai essayé différentes façons d'aider Thor à avoir une meilleure image de lui-même, pour qu'il se voie tel qu'il est et non tel qu'il croit être. La danse est une thérapie qui a porté ses fruits.

Le sens du rythme de Thor qui peut être dû à son oreille absolue, lui a ouvert des portes vers l'acceptation de sa corpulence. Il fait tourner les têtes sans en avoir conscience. Tous deux nous aimons la sensualité du tango et le son du bandonéon aussi fougueux que farouche. Ni l'un ni l'autre n'avons le profil de danseurs de tango, pourtant nous sommes connus pour être époustouflants de beauté et d'élégance dans notre pratique. Je n’en suis pas peu fier.

L'on a longtemps dit que le tango est étroitement lié à la virilité, à l'affirmation du mâle qui veut faire plier sous lui, la femme soumise. Cette description du tango me fait bien sourire. Je ne veux nullement danser avec une femme encore moins soumise. D'après Enrique Santos Discépolo, poète et compositeur argentin de nombreux tango, le tango est aussi « une pensée triste qui se danse ». Pour Thor et moi, danser, c'est incarner une pièce de théâtre de bastringue. On s’imagine marins dans le port de Valparaiso ou de Buenos Aires, glissant entre d'autres couples d'hommes dans un bouge malfamé et enfumé.

Avant de faire le moindre pas, afin de faire monter le désir et la sensualité, on commence toujours par un cabeceo : Je guette discrètement Thor du coin de l'œil, puis après tout un jeu de regard délicat et pudique, je l'invite à danser en lui tendant une main. Si Thor détourne la tête, c'est qu'il rejette l'invitation. S'il soutient mon regard fiévreux, alors il prend ma main et je l'emmène vers le parquet.

Cette fois-ci encore, Thor ne détourne pas le regard. Je m'approche en lui tendant une main ferme et secourable pour l'aider à descendre du haut tabouret. Thor se rajuste et me sourit timidement. Le Libertango d'Astor Piazzolla s'envole dans les airs. Notre couple tourne, se frôle, se colle, s'enroule, se rejette et se rapproche. La jambe d'un Thor lascif vient à plusieurs reprises enlacer la mienne. Je me fais impérieux lorsque je dirige notre tendre duel. Nous glissons sur le parquet comme des patineurs des tropiques. Notre tango est passion charnelle. Un rituel d'amour : je te cherche, je te fuis, je te veux, je suis à toi, mais prends garde! Lors de nos chorégraphies tournoyantes, Thor se laisse guider, je prends les rênes et mène la danse avec une exquise vigueur.

C’est au tour de La Llorar por una Mujer par Sexteto Milonguero de résonner. Chaque note jouée de cette musique endiablée semble être un coup de talon frappé au sol. À nouveau, Thor se laisse emporter, son corps suit le mien : il n'est plus. Nous sommes. Nous sommes quatre pieds, un cœur et un corps. Thor se sent passer, trépasser. Puis la musique s'arrête. Il lâche prise. Je ramasse nos vestes et je l'aide à sortir de la salle de danse. Nous nous engouffrons dans un taxi. S'il pleure sur mon épaule, ce n'est pas de désarroi mais de bonheur. Son hypersensibilité est revenue et elle lui joue encore une fois, un tour. Arrivés chez nous, Thor prend l'initiative de l'amour. Ce qui me surprend agréablement. Je suis soulevé et emporté vers le lit, sans ménagement.

― Veux-tu que l'on échange les rôles ? Murmuré-je à l'oreille de Thor.

─ Non, jamais ! Je veux juste que tu ne bouges pas. Je te veux tout à moi. Est-ce que tu m'aimes encore ?

─ Non ! Je ne t’aime pas encore, je t'aime toujours et je ne pourrais jamais cesser de t'aimer.

Prestement, Thor se déshabille et fait de même avec moi. Il y a une sorte de frénésie sexuelle chez lui. Il m’embrasse sauvagement, lèche mon cou, mon buste, mes tétons, puis descend vers mon sexe dressé et l'engloutit au plus profond de sa gorge. Il lâche sa prise avant que je ne capitule. Il prend une grosse noix de lubrifiant, qu'il fait glisser sur ma bite, puis sans attention particulière, en applique aussi sur sa rondelle rose. Il se cambre et d'un brusque coup de rein fait pénétrer ma dureté amoureuse dans son canal étroit.

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