Chapitre 4 - Indécision et jalousie
Depuis leur rencontre Sam et Malo se sont trouvés de nombreux points communs dont un qui est un peu particulier : l'attrait pour le tango argentin. L'engouement de Sam vient de vidéos sur internet qu'il avait visionnées, dans lesquelles des hommes dansaient entre eux. Cela l'avait émerveillé. Pour Malo, c'est un plaisir ancien. Il a toujours vu ses pères danser avec bonheur dans leur appartement parisien. La danse de salon est une activité pratiquée souvent par les adolescents dans les milieux privilégiés français. Pour sa part, le tango argentin est trop sulfureux, sensuel et malfamé pour des enfants de la bourgeoisie.
Malo m'emmène lors de leurs escapades dansantes. Avec Sam, ils vont dans des thés dansants ou glissent dans des studios de danse et des gymnases. Souvent, ils sont les plus jeunes danseurs. Le public de ces endroits est essentiellement composé de retraité-e-s.
Je ne vois pas d'un très bon œil leurs enlacements. Malo plaque son corps sur celui de Sam avec fermeté. Des bouffées de jalousie me serrent le cœur. Je n’ai pas eu besoin de dire à Malo que cela me déplaît qu’il danse avec Sam :
― D’accord, je comprends que tu sois jaloux. Mais dans ce cas-là, tu dois apprendre à danser le tango avec moi. J’aime danser. Je n'arrêterai pas et je ne peux pas danser tout seul. Alors je vais t'initier au tango.
─ Une fois que je saurais danser, tu promets de ne plus prendre quelqu’un d’autre entre tes bras ?
─ Promis, juré, craché par terre ! Tu dois t’astreindre à un programme d’apprentissage intensif ! Compris ?
─ Oui, je le promets ! Lui dis-je en faisant un garde à vous approximatif.
Au fur et à mesure des leçons, j’ai découvert le bien-être et l'émotion que la danse peut procurer, mais aussi la fatigue qui suit cette pratique. Il faut une bonne condition physique. Plus ma pratique avance, plus je sens le corps de Malo qui m'enlace, plus c'est un plaisir d’être dirigé et de se sentir sous sa coupe. J’adore le tango argentin. Je comprends leur engouement.
Il est prévu de créer un studio de danse qui pourra aussi servir de lieu couvert pour des fêtes communautaires. Il va se situer au-dessus de la salle de musculation et de sports de combat. Pour le moment, j'apprends à Thor à danser dans notre appartement. A sa demande, il faut rester discrets sur notre relation et cela, à mon grand dam. Mais, c'est sans compter la perspicacité des hommes de la communauté : tout le monde sait qu'il se passe quelque chose entre nous. Personne n'en touche mot à Thor, ils le savent trop mal à l'aise avec son corps et sa sexualité pour le mettre en porte-à-faux. Par contre Sam m’en a touché un mot :
― Vous en êtes où ? Toujours des sex friends ?
─ Oui, hélas ! Je l'espère amoureux, enfin, au lit ça c'est sûr. Mais pour le reste, je ne sais pas. Il ne m'a pas encore dit qu'il m'aimait.
─ Bien sûr qu'il est amoureux. Il ne bégaie presque plus. Il sourit tout le temps. Il a même décidé d'un nouveau chemin pour sa vie professionnelle. La construction navale en bois est un choix d'avenir. Vous pourrez travailler ensemble si vous le pouvez et voulez, même si ce n'est pas évident de bosser avec sa moitié.
─ En ce moment, je le mets à niveau dans les matières scientifiques pour qu'il passe son BAC S l'année prochaine. Ça va, il s'accroche.
─ Je suis soulagé que son père ait accepté son changement de cap. C'est un homme ouvert et chaleureux. Il veut le meilleur pour son fils.
─ Mais Thor n'a toujours pas osé lui dire qu'il veut partir faire viking comme il dit. Il veut naviguer. Je lui cherche un embarquement. J'ai demandé de l'aide à mon frère, le mécano-bateau. On verra bien.
─ Avec ses facilités en langues étrangères, il devrait apprendre l'espagnol et le portugais puisqu'il veut aller vers l'Amérique du sud.
─ Ça y est, il est à fond. Je suis ébahi de voir comme il apprend vite. Mon futur mec est trop fort !
─ Pourquoi futur ?
─ Il est toujours aussi indécis. Parfois j'en ai marre. J'ai envie de l'emmener en Islande et de faire face à son père et de dire à Tudal « J’aime Thorvaldur, Thorvaldur m’aime ! Alors donnez-nous votre accord ! » Je sais qu'il l'adore, mais Thor est sûr qui va très mal prendre qu'il soit avec un homme.
─ Ne sois pas si impatient ! Il est jeune. Ce ne sont que des mots. Le principal est que vous soyez bien ensemble.
─ Ouais, il est jeune mais pas moi ! Je vais bientôt avoir trente ans.
─ Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ! Écoute La Fontaine, mon beau. Conclut Sam péremptoirement.
Je suis sorti acheter des fournitures scolaires avec Val. Nous voyons Malo qui embrasse un homme dans la rue. Ça me rend fou. Fou de colère et de jalousie. Je suis anéanti. J’ai des hauts le cœur, je suis prêt à vomir. Val me prend dans ses bras et me presse contre lui le plus fort possible. Je suis entre sidération et colère noire:
― Non, n'y va pas ! S'écrit Val désemparé.
─ Je vais leur péter le nez à ses deux enflures, hurlé-je, furibond.
Val, du haut de son 1 m 72 et ses 55 kilos, tente d'arrêter ma fuite en avant. Je veux aller jouer des poings. Je veux les massacrer ces deux salauds :
― Je t'en supplie Thor, arrête-toi ! Pour l'amour du ciel, reste à mes côtés. Laisse tomber !
─ Mais pourquoi il me fait ça ? Pourquoi ?
─ Viens, on s'en va d'ici !
─ Il est en train d'embrasser un autre mec. J'y crois pas. Quel connard ! Que ça fait mal !
─ Arrête de les regarder. Tu te fais du mal pour rien. En plus, on s'est peut-être tromper. On n'est pas sûr qu'ils se soient embrassés. Regarde, ils se saluent de loin. Et puis le type, il ressemble à rien à côté de toi.
─ Toi-même, tu les as vus s'embrasser ? Ne me dis pas que tu n’as rien vu ?
Je suis sûr que les gens doivent se marrer et se foutre de nos gueules. Voir un petit gars tout frêle qui s'accroche et tente de retenir à un grand con de cocu. Val m'implore de me tenir tranquille :
― J'en suis plus si sûr, j'te dis. En plus en pleine rue et à cette heure-ci, avec un type moche et vieux ? J'y crois de moins en moins. On s'est gouré, mec ! C'est certain.
─ Pourquoi il me fait ça ? C'est parce que je ne lui ai pas dit que je l'aimais ? Ou parce que je suis une brêle au lit ? Pourquoi ?
Je me questionne totalement désemparé avec Val qui s'accroche à moi comme il peut.
─ Avant de t'emballer, on va aux Ateliers, on se calme et on attend son retour. On lui demande ce qu'il y a eu avec ce type. On savait tous bien qu'il se passait quelque chose entre Malo et toi.
─ Je ne voulais rien dire, car je n'étais pas certain de l'aimer, mais là, je suis sûr de l'aimer. Qu'est-ce que je vais faire ? Oh et puis, maintenant ça n’a plus aucune importance ! Qu’il aille au diable ce sombre con. Il m’avait prévenu qu’il était volage. C’est tant pis pour moi.
─ Je suis sûr qu'il ne s'est rien passé. Et si par malheur, il a déconné et qu'il s'excuse sincèrement, tu pourras lui pardonner. On fait tous des conneries. Enfin je dis ça, mais on n'est pas obligé de pardonner.
Nous arrivons avant ce salaud d'infidèle aux Ateliers du bonheur, qui portent mal leur nom à ce moment-là ! Je suis lamentable à pleurer silencieusement comme un enfant. Sam me prend dans ses bras sans demander d'explications. De toute façon, je ne pourrais même plus en donner tellement je pleure à chaudes larmes. Val décrit la situation à Sam qui déclare péremptoire :
― On lui demandera. Mais je mets ma main au feu que vous vous êtes fourvoyés : Malo ne ferait jamais ça. Il est très amoureux de toi, Thor. Il souffre beaucoup de ne pouvoir librement exprimer son amour pour toi. Jamais, il ne te tromperait. Je n'y crois pas. On va clarifier la situation.
─ Il faut être honnête, de loin on croyait qu'il le faisait, mais en même temps, on voyait mal, déclare Val bien ennuyé par toute cette situation.
─ Tiens, je viens de voir sa voiture passer. Je vais à sa rencontre. Dit Sam en se dirigeant vers la porte d'entrée.
Val prend le relais pour me consoler. J’ai mal aux yeux. Ils doivent être gonflés et tout rouges. Je fais tout pour me calmer. Je ne veux pas que Malo se foute de moi. Il dit déjà que je suis un enfant ! Je tiens serré contre moi la boîte de mouchoirs en papier, elle est mon doudou, mon réconfort. Il a raison, je ne suis qu’un môme ! Sam et Malo entrent en silence et s'installent autour du kotatsu. Je lis une certaine incompréhension dans les yeux de Malo, qui est tout penaud. Il hésite à s'asseoir à côté de moi :
― Bon Val, on a des trucs à faire ! On vous laisse vous expliquer, déclare Sam tout en chaussant ses pataugas. Allez, bouge. On y va !
─ Mais... Répond Val qui a bien envie de connaître le fin mot de l’histoire, j’en suis sûr.
─ Pas de « mais ». Tu me suis, un point c’est tout !
Sam peut être très cassant.
Malo qui s'est assis en face de moi, change de place. Il fait le tour du kotatsu et me rejoint. Il tente de me prendre dans ses bras, mais je le repousse violemment. Il n'insiste pas :
― Mais qu'est-ce qui se passe ? Je ne comprends rien. Il paraît que tout à l'heure, j'aurais roulé une pelle à un type dans la rue ? Mais c'est quoi ce délire ? Explique-moi ?
Mes pleurs se remettent à couler. Je me mouche bruyamment. J’ai détruit la boîte de mouchoirs, elle est écrasée sur mes genoux. Je suis incapable de parler :
― Je te jure que je n'ai pas fait ça. Dis-moi où ça se serait passé ? Si tu ne peux ou ne veux pas me parler, je vais te dire ce que j'ai fait de ma journée : je suis allé visiter deux clients extérieurs à la communauté. Le premier, c'est un particulier au centre-ville. Le deuxième, c'est un commerçant aussi du centre-ville. Puis, je suis allé boire un verre avec mon ex-patron et nous nous sommes salués sous les arcades. Enfin, je suis rentré.
─ C'était dans la rue, lui dis-je en hoquetant. T’étais avec un type sous les arcades.
─ Non mais je rêve ! Dit Malo en se fâchant. Oh que oui, je l'ai pris dans mes bras et même longuement. Je l'ai serré très fort, mais je ne suis pas assez intime avec mon ex-patron pour lui rouler une galoche. Il vient de perdre son fils d'un accident vasculaire cérébral. Il est au trente sixième dessous, alors j'ai tenté d'être chaleureux avec lui et d'alléger sa putain de peine qu'il portait sur le visage. Je n’y crois pas !
─ Mais avec Val, on t'a vu l'embrasser ?
─ Et bien, vous avez mal vu ! Je n'aurais rien contre baiser avec un mec bien plus âgé, mais là, ça fait beaucoup : il a cinquante balais, il n'est pas très attrayant et c'était mon patron.
Malo se calme et me parle doucement.
─ Et puis de toute façon, je n'ai pas à chercher ailleurs, tu es là. Je n'ai que toi, et je ne veux pas quelqu'un d'autre.
─ Mais tu as dit que tu n'aurais pas de tristesse si on se quittait, que tu n'étais pas du genre à mourir d'amour.
─ Mais c'est quoi toutes ces conneries ? Premièrement, que je sache on est toujours ensemble même si je dois me cacher. Deuxièmement, je n'ai pas dit que je ne serais pas triste si on se quittait ou si tu ne voulais plus de moi. J’ai dit que je ne me suiciderais pas et que je te laisserais partir sans faire d'histoire. Ça ne veut pas dire que je ne serais pas éploré et affecté. Thor, mais qu'est-ce qui ne va pas ? Viens dans mes bras, je t'en supplie et arrête de pleurer. Tu me fends le cœur, espèce de sale gamin adoré et hypersensible.
Thor se pelotonne contre mon giron. Je le berce doucement en lui caressant les cheveux pendant qu'il se mouche et essuie ses grosses larmes. Je me demande comment il fera sur un bateau pendant des mois, alors qu'il n'est encore qu'un enfant. Je me lance et lui demande si l'on ne pourrait pas officialiser notre relation. Puis j’ai aussi envie de lui parler de notre sexualité : ne serait-il pas temps de passer à l'étape de la sodomie ? Bon bien sûr, je sais que ce n’est pas un passage obligé. Mais j’ai vraiment envie de le faire avec lui. Je vais garder cette demande pour ce soir : c'est un peu calculateur de ma part, mais je sais que lorsqu’il est particulièrement hypersensible ou très contrarié, il est aussi très fougueux. J’adore ce Thor-là ! Il ne répond pas à ma demande d'officialisation. Je viens de le mettre au pied du mur. Je comprends qu’il hésite. Après un long moment de silence, il murmure timidement :
― Bon, oui, on a qu'à leur dire à tous, ce soir pendant le repas.
─ Merci, mon amour, lui dis-je en lui sautant dessus comme un mort de faim. Je vais pouvoir t'embrasser quand j'en ai envie, te prendre la main et te dire des mots doux quand je veux ! Ouah, ouah ! Ça va être génial ! Merci, merci, merci. Je t'aime.
Je m’embrase. Je l'embrasse. Je suis fou de joie. C’est comme s’il m’avait dit qu’il m’aimait. C’est mon homme ! C’est mon mec !
Dès le début du repas, j’annonce à la tablée mon bonheur. Les autres hommes sourient. Je vois qu’ils sont heureux pour nous :
― Malo, la fierté se lit sur ton visage, ainsi que l'amour. Tu vas pouvoir être aux petits soins sans restriction avec ton mec ! Déclare Victor qui est hilare.
Quelques gentilles moqueries fusent encore. Thor apprend que tout le monde est au courant depuis le début :
― Le visage de Malo est un livre ouvert. Tous, nous savions qu'il était amoureux. Dit Sébastien. Allez, buvons à leur amour qui n'est plus vraiment naissant.
─ Les deux rois de la fête peuvent partir avant la fin, s’enthousiasme Victor. Je sens qu’il va y avoir de bons coups de bourre chez l’architecte.
─ Ta gueule, Victor ! Que tu peux être lourd ! Se désespère Sébastien.
J’allume quelques bougies, afin que Thor se sente dans une ambiance quelque peu romantique. Il s'agrippe à mon corps. Depuis le début de notre cohabitation, j’ai pris l'habitude de le laisser s'endormir dans mes bras. Mon instinct protecteur est comblé, mais aujourd’hui, je suis inquiet qu’il soit si vulnérable émotionnellement. Oh, je sais qu’il peut assommer un taureau avec un seul coup de poing, mais son hypersensibilité en fait une cible. Je n’ai pas le cœur de lui proposé d'essayer la sodomie : j’ai attendu des mois, alors je peux bien attendre encore un peu. Après ce moment de tendresse, Thor m’embrasse. Dans un élan vertigineux, il glisse vers mon bas-ventre. Il happe goulûment ma queue offerte. Avant que l'extase ne vienne, il remonte et me chuchote à l'oreille les mots que j’ai tant attendus :
― J'ai envie d'essayer. J'ai envie que tu m'apprennes. J'ai envie d'être à toi, totalement. J'ai envie que tu me prennes.
Aussi surpris qu'heureux, j’ai pris un temps infini à le préparer. De rares fois, j’ai pu introduire un doigt ou deux. Cette fois, Thor me permet d'avoir libre accès à son intimité. J’espère être à la hauteur du cadeau que me fait mon amant adoré.
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