33. Tentatives de fuite

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Jonas

Debout près de la grande baie vitrée qui donne sur l’Esplanade de la Défense, je regarde la foule qui circule en bas de l’immeuble de Swan International. J’ai l’impression que toutes ces fourmis humaines continuent leur chemin comme si de rien n’était. Chacun a un but, un objectif, une destination en tête. Ils foncent, tête baissée sans se poser toutes les questions qui font la java dans ma tête et me donnent l’impression que mon cerveau va exploser. Il faut dire que je ne me remets pas de la nuit passée dans les bras de Pénélope. Oh, j’ai essayé, j’ai fait le maximum pour ne pas replonger comme ça avait été le cas il y a dix ans, mais je vois que c’est compliqué. Je suis comme un addict aux drogues qui a cédé à son craving et qui maintenant ressent le manque encore plus fort que pendant son premier sevrage. Je ne fais que penser à elle et ça me rend malade.

Il faut dire qu’à Dubaï, j’ai vécu un instantané de mon ancienne relation avec elle. Une soirée de feu après une montée en température graduelle et continue, l’apothéose sous la douche. Durant cette nuit, j’ai pu retrouver les sensations d’orgasmes puissants et partagés tels que je n’en avais pas connus depuis dix ans. Et la séparation. Brutale et inattendue. Parce que Madame regrette ou simplement parce qu’elle a changé d’avis. Peut-être qu’elle apprécie jouer avec moi ainsi, prendre son pied et me jeter comme une vieille loque. Mais qu’est-ce que ça fait mal !

J’ai passé tout le weekend à réfléchir à la situation, à me demander ce que je pouvais bien faire pour me sortir de l’ornière dans laquelle je me retrouve. Au début, les idées partaient dans tous les sens et mon cerveau bouillonnait, mais j’ai fini par adopter les techniques de travail à ma vie personnelle. J’ai fait une liste de tous les scénarios possibles, y compris un où en ce lundi, ma collègue arrive et me saute dessus en s’excusant pour cette lamentable erreur d’appréciation nous concernant. Et je crois que j’attends de voir que ce n’est qu’un fantasme avant de me lancer dans l’idée que j’ai mûrie tout au long de ces deux jours passés à ruminer dans mon appartement.

Lorsque Pénélope me rejoint dans le bureau, j’avoue que si j’avais encore un infime espoir avant de la voir, il est vite douché par son regard dur et froid et le fait qu’elle m’ignore totalement avant de s’asseoir à sa place alors qu’elle passe à quelques centimètres de moi. Les dés sont jetés, fini le fantasme, place au plan d’action. Je fonce vers le bureau de Philippe qui est en grande discussion avec Stella et demande à lui parler en urgence. Il me fait signe de le suivre dans son bureau mais indique à la secrétaire de rester à proximité car il n’a pas terminé de lui expliquer ce qu’il attend d’elle. Stella, obéissante, reste près de l’entrée et j’avoue que cela ne me plait pas des masses mais je me décide à continuer sur ma lancée. De toute façon, si ma demande aboutit, je n’aurai bientôt plus à me préoccuper d’autres personnes comme elle.

— Philippe, j’ai beaucoup réfléchi ce weekend au développement de Swan International et notamment à ce nouveau marché avec SP. Je crois que j’ai des propositions à te faire pour le bien-être de tous, à la fois de l’entreprise mais aussi du mien.

— Eh bien, je t’écoute, si c’est si urgent que ça… Je suis curieux d’entendre ce que tu as à proposer.

— Tu sais comme tu dis toujours qu’il faut être au plus près des besoins de ses clients ? Comme c’est important d’être là, à leur écoute ? Eh bien, je pense que pour SP, c’est ce qu’il faut faire. Je suis convaincu qu’il faut créer une antenne de Swan au cœur de la ville de Dubaï et se mettre entièrement à leur disposition. Et je me propose pour gérer cette antenne, j’ai adoré mon petit voyage dans les Emirats et ça ne me dérangerait pas, dans le contexte actuel, de m’y rendre pour de longues périodes de temps.

Loin de mon ex qui hante mes pensées au quotidien. C’est la solution idéale pour moi mais je vois bien que Philippe n’a pas l’air convaincu et qu’il questionne cette proposition.

— Eh bien… je ne sais pas trop quoi te dire, Jonas. Les Emirats ne sont pas encore sur nos projections.

— C’est une opportunité en or et les conditions sont idéales pour y arriver. Si je m’en vais, avec l’arrivée de Pénélope, les projets continueront. Et puis, ça nous permettrait d’arrêter enfin de nous piocher le nez… Tu crois que ça ne vaudrait pas le coup d’en parler aux actionnaires ?

— Je n’ai rien contre vos chamailleries quand vous me sortez un boulot comme sur le dossier SP, honnêtement. Tu es sûr de toi ? Je veux dire, un tel déménagement, ce n’est pas rien. Bon, nous n’y sommes pas, mais quand même. Tu briserais le cœur de ma fille au passage.

— Ta fille ? ris-je. Je crois qu’elle se remettrait vite. Sinon, je me disais aussi que je pourrais candidater pour prendre l’antenne que l’on veut créer en Bretagne. Ce serait une sorte de promotion et ça résoudrait pas mal de difficultés, tu en penses quoi ?

— Eh bien, je vais y réfléchir, mais je n’ai pas vraiment envie de me séparer de toi, moi. En plus, j’ai l’impression d’avoir gagné au Loto en vous faisant bosser ensemble avec Pénélope. Vous vous stimulez mutuellement, et comme vous vous piochez le nez, vous donnez le meilleur de vous-même sur chaque dossier, sourit-il.

— Je peux t’assurer que si les choses ne changent pas rapidement, soit on va se piocher le nez si fort qu’il va se casser, soit je partirai vers d’autres cieux plus cléments. J’aime Swan, mais je ne veux pas y laisser ma santé mentale. Je te laisse y réfléchir et, s’il te plaît, ne me laisse pas trop longtemps dans le flou.

— Entendu, soupire-t-il, je vais réfléchir à tout ça.

Je le salue d’un mouvement de tête et sors sous les yeux étonnés de Stella qui manque totalement de discrétion en ne me lâchant pas du regard alors que je me dirige vers la machine à café. Je l’entends d’ailleurs s’excuser auprès de notre chef et se précipiter à ma suite. Je soupire, je ne vais pas échapper à son interrogatoire en règle.

— Philippe est trop choqué par mes demandes pour te donner des choses à faire ? lui demandé-je en me forçant à sourire.

— Non, je suis trop choquée pour l’écouter ! Tu te doutes bien que j’ai entendu votre conversation…

— Oui, on ne s’est pas cachés non plus. Pourquoi es-tu choquée ? Ça fait un bail que je suis à Swan, c’est normal de vouloir évoluer, non ?

— Je ne pensais pas que tu envisageais de partir… J’ai bien compris que c’est compliqué avec Pénélope, mais de là à changer de boulot…

— J’ai besoin de changer d’air, d’avoir de nouveaux défis. J’ai envie de faire des projets parce qu’ils sont intéressants, qu’il y a du challenge, pas parce qu’ils me permettent d’enfoncer ma collègue. Et puis, c’est usant à force de toujours se disputer comme ça. Ce n’est pas comme ça que je vois le travail.

— Je peux le comprendre, oui, mais peut-être que vous pourriez essayer d’améliorer vos relations, non ? Je veux dire, je trouve ça extrême de partir pour ça. Enfin bon, tu fais comme bon te semble, c’est juste que je n’aimerais pas que tu regrettes ta décision.

— Non, je ne regretterai pas. Tu sais, j’ai beau donner l’impression d’être un dur, j’ai moi aussi des fragilités qu’il faut que je prenne en compte. Et j’en ai assez de devoir panser mon cœur avec des pansements trop petits.

— Quel est le rapport avec le boulot ? me demande-t-elle en fronçant les sourcils.

Mince, je me lâche un peu trop devant elle. Et la connaissant, elle risque d’en parler avec tout le monde, ici au bureau. J’essaie de rattraper le coup.

— J’aime travailler dans une ambiance sereine, où je peux me concentrer et laisser parler mon sens artistique. Là, je suis pas sûr que je sois très efficace, quoi que puisse en penser notre chef bien aimé.

— Donc, tu es stressé et tu déprimes, si je comprends bien ?

— Je n’irai pas jusque là, affirmé-je en tentant un sourire. Mais il faut que les choses changent, c’est évident.

— Je vois… Eh bien, si tu déprimes à un moment donné, n’hésite pas à me le faire savoir, on pourra sans doute s’occuper de te remonter le moral tous les deux, me lance-t-elle innocemment en me faisant un clin d'œil.

Je l’observe un instant en silence et constate qu’elle est sérieuse quant à sa proposition. C’est vrai qu’elle a déjà partagé mon lit et que c’était bien agréable, mais là, même si elle est toujours aussi mignonne, surtout avec ce beau tailleur bleu bien ajusté, je n’ai aucune envie de passer du temps avec elle. La blonde peroxydée qui me fait face est bien fade à côté de Pénélope, je trouve.

— Merci, c’est gentil Stella. J’apprécie vraiment, mais là, ce n’est pas le bon moment. Je… je reviens vers toi quand j’aurai plus la tête à la gaudriole, d’accord ?

— Comme tu veux… Je vois qu’on inverse les rôles, cette fois, rit-elle.

Je lui adresse un sourire un peu contrit, la surprends en venant déposer une petite bise sur sa joue avant de repartir vers mon bureau. Elle a bien raison, refuser comme ça une partie de jambes en l’air, ça ne me ressemble pas du tout. Est-ce que je vais bien ? Est-ce que je ne suis pas déjà retombé dans la dépression ? Je ne peux pas me le permettre et pourtant, le doute est permis. Cependant, contrairement à ce que j’ai vécu par le passé, je suis plus résilient. J’ai déjà connu ce genre de moments difficiles et je sais que je peux les surmonter. Il va juste me falloir un peu de temps et de patience. Et un éloignement par la suite, si possible. Le reste reviendra bien assez vite, et je suis sûr que Stella ne me dira pas non lorsque je viendrai la solliciter. C’est ça, l’avantage d’avoir du succès avec les femmes.

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