37. Promotion étrangère

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Jonas

Comme d’habitude, je m’arrête sur l’esplanade devant la tour où je travaille et je regarde l’agitation autour de moi. Telle une statue, j’ai l’impression de pouvoir observer et comprendre tout ce qu’il se passe alors que personne ne fait attention à moi. On voit que les jours se sont bien réchauffés, les gens qui déambulent sous mes yeux sont vêtus légèrement. Pour les femmes, les tailleurs se sont raccourcis et je constate que beaucoup d’hommes, comme moi, ont abandonné la veste pour ne garder qu’une petite chemisette. Si seulement nous pouvions nous aussi dénuder un peu nos jambes…

— Je peux t’aider, Beau Gosse ? suggère une voix dans mon oreille.

Je me retourne et fais face à Stella, toujours aussi mignonne dans sa robe légère printanière et fleurie. Je lui fais la bise et la suis jusqu’à l’ascenseur. Cela fait longtemps qu’elle et moi ne nous sommes pas retrouvés, mais étrangement, cela ne me manque pas. Qui sait, je suis peut-être devenu moine ces dernières semaines ? Ou alors, c’est parce que tous les jours, en face de moi, j’ai le droit d’admirer la seule femme que j’ai toujours trouvée belle quelle que soit la tenue qu’elle porte. Et aujourd’hui encore, j’en ai le souffle coupé quand je la vois pénétrer dans notre bureau juste à l’heure. Pénélope, avec ses jolies formes, est superbe, surtout quand elle porte des vêtements aussi ajustés qu’aujourd’hui. Sa robe cintrée dévoile son décolleté juste ce qu’il faut pour que mon imagination et mes souvenirs comblent ce que je ne peux pas voir. Et le fait qu’elle ne se rende pas compte de cette beauté et de ce charme, malgré les années qui passent, la rend encore plus désirable.

— Bonjour, dis-je sobrement. J’ai déposé sur ton bureau le projet pour SP que j’ai un peu retravaillé ce weekend. Cela te laisse le temps de l’étudier avant notre réunion de tout à l’heure. N’hésite pas à y apporter tous les changements que tu souhaites, c’est fait pour ça.

— Ça marche, je regarde ça. Tu n’as pas bossé tout le weekend quand même, rassure-moi ?

— Non, en plus de mon entrainement de tennis habituel, j’ai aussi fait plein de trucs marrants comme les courses, la lessive et le ménage. Et toi, tu as chanté et dansé tout le weekend ?

— J’ai passé une partie de mon weekend à virer les affaires de mon ex, et j’ai bu pour oublier que mon mariage est foutu. Ô joie, rit-elle. Non, j’ai bossé un peu et passé mon dimanche avec mon frangin et sa famille, en plus du tri par le vide.

Je suis toujours mal à l’aise quand elle parle de son mariage foutu. Cela la rend tellement plus disponible, plus libre et pourtant, je n’ose faire aucune suggestion. Depuis son dernier retournement d’attitude à Dubaï, je marche sur des œufs avec elle. J’aimerais vraiment retrouver ce qui faisait le sel de notre relation avant mon départ aux USA, mais je sais que toute pensée dans cette direction n’est que chimère qu’il est inutile de poursuivre. Nous nous mettons tous les deux au travail sur nos ordinateurs respectifs et je suis distrait par l’odeur légère de vanille qui se dégage d’elle. Franchement, elle fait vraiment tout pour que je ne puisse pas me concentrer…

Alors que je me prépare à aller chercher le premier café du matin, notre porte s’ouvre et Philippe apparaît dans l’embrasure. Il nous salue avant de venir s’installer sur une chaise entre nous deux. Je me demande ce qui l’amène parmi nous en me disant que ces derniers temps, avec Pénélope, on a plutôt été respectueux l’un de l’autre. Ou alors, elle m’a encore fait une crasse dans mon dos ?

— Tu es venu faire ton inspection matinale et contrôler si on travaille ou si on est en train de s’écharper ? Tu peux être rassuré, tout est… cordial, dira-t-on.

— Je ne suis pas venu pour ça, mais pour parler de ton projet.

— Lequel ? Tu sais bien qu’il y a toujours cent mille projets sur le feu, souris-je en m’étirant sur mon fauteuil.

— Ton projet professionnel, Jonas. A moins que tu aies changé d’avis ?

Ah, ça y est, il s’est décidé. Je jette un œil vers Pénélope et constate qu’elle aussi a arrêté de se concentrer sur ce qu’elle faisait et qu’elle est toute ouïe.

— Non, je n’ai pas changé d’avis. Je pense que ce changement d’air me fera du bien et me permettra d’évoluer de manière plus sereine et plus intéressante pour ma carrière, tout en permettant à Swan de continuer à grandir.

— Bien… Alors je t’annonce que tu pars à Dubaï dans trois mois, malheureusement pour moi.

— Oh, c’est vrai ? Tu es d’accord pour que j’ouvre une antenne là-bas ? Tu verras, je vais en faire une success story qui fera la une de tous les magazines spécialisés ! m’enthousiasmé-je.

— On verra ça. Je te solliciterai la semaine prochaine pour que nous abordions les choses plus en profondeur. Il va y avoir du boulot, j’espère que tu en as conscience.

— Cela m’occupera. Et en plus, là-bas, je pourrai continuer à faire du tennis, j’ai déjà regardé, il y a plein de terrains climatisés. Une autre vie, mais je suis prêt.

— Bien, on se cale une réunion en début de semaine ? Il faut que je vérifie mon planning, mais lundi après-midi, ça me semble pas mal.

— Va pour lundi, accepté-je alors que déjà, il se lève et nous abandonne.

Mon sourire un peu niais se fane quand je croise le regard de Pénélope en face de moi. Elle semble à la fois surprise mais surtout dans l’incompréhension totale.

— Quoi ? l’attaqué-je. Tu es jalouse ?

— Jalouse ? Ah non, du tout. Me barrer à huit ou dix heures d’avion de ma famille, dans un pays limite niveau droits du travail et tellement d’autres choses discutables, où il fait une chaleur à crever, très peu pour moi. Je suis juste… étonnée, je dirais. Je ne pensais pas que tu lâcherais ton poste aussi facilement.

— Quand on y est allés, j’ai vu une opportunité de carrière. Et comme tu es là, je savais que Philippe avait des chances d’accepter de me lâcher. Et c’est ce qui arrive. Je vais pouvoir me constituer une équipe et j’espère bien réussir à te voler des clients, même de là-bas, la provoqué-je en souriant. En tout cas, SP sera pour moi, c’est évident.

— Hum… Je te les laisse sans problème, vu que je vais récupérer tous tes clients parisiens. Je gagne haut la main.

— Tu crois ça ? Tu sais qu’avec les moyens modernes, que je sois ici ou là-bas ne changera rien. Et je pourrai toujours venir squatter dans ce bureau lors de mes venues en France. Je ne vois pas pourquoi tu les récupèrerais, tu vois ? Enfin, si je suis débordé, dans ma grande bonté, je t’en laisserai quelques uns, promis.

J’adore la provoquer comme ça. C’est fou parce que c’est vraiment puéril mais elle est remontée comme un coucou et réagit du tac au tac sans vraiment réfléchir et j’adore sa volonté d’essayer de me battre, de remporter la victoire à tout prix, comme si sa vie en dépendait.

— Je te laisserai une petite table contre le mur pour tes venues, mais compte sur moi pour être très accueillante avec les clients et les rabattre ici, avec une personne physique disponible et entièrement dévouée à leurs demandes. Philippe ne te laissera pas bosser avec des clients parisiens alors que tu devrais trouver des clients à Dubaï pour développer l’antenne.

— Entièrement dévouée, hein ? demandé-je, un peu jaloux avant de me reprendre. Tu as raison, il faudra que je me fasse une raison et que je te laisse la plupart des dossiers. Je vais aller m’attaquer à des plus gros poissons, ça va être passionnant, tu ne crois pas ? Et toujours au soleil en plus ! Ça, ça va être le pied.

— Si tu le dis… Personnellement, ça ne me fait pas envie plus que ça. Tes parents vont bondir en apprenant que tu te tires, je n’aimerais pas être à ta place, pouffe-t-elle. J’adore ta mère, mais j’ai souvenir de ses colères, je ferais moins le malin à ta place.

Ah oui, là, elle a raison. Il va falloir que je leur explique que je m’en vais encore plus loin qu’à Paris. Déjà qu’ils auraient aimé que je ne bouge jamais de la maison, là, partir à l’étranger et dans un pays arabe, en plus, ça ne va pas leur plaire.

— Ils vont comprendre que c’est une sacrée opportunité pour moi. Et puis, je vais leur dire que c’est de ta faute, que tu voulais prendre ma place et que je ne voulais pas la laisser, que c’était le meilleur compromis. C’est contre toi qu’elle dirigera sa colère, ma mère. Attention à tes fesses !

— Ben voyons. Tu peux toujours essayer, mais ta mère m’adore. Remarque, si tu te barres, ils vont peut-être abandonner l’idée de nous remettre ensemble. Mes parents au moins, des fois que j’aurais l’envie de te suivre. Ouais, dépêche-toi de leur dire, qu’ils nous fichent la paix.

— Je crois qu’ils n’abandonneront jamais cette idée… Toi et moi, on allait tellement bien ensemble, je les comprends. Mais bon, c’est le passé, nous, nous vivons dans le présent. Et là, je m’en vais prévenir les collègues. Eux seront sûrement plus contents pour moi que tu ne l’es. Désolé pour ton égo, mais c’est moi qui ai eu cette formidable idée le premier. Dans trois mois, à la fin de l’été, je m’envole vers Dubaï !

— Crois-moi, je te laisse ton idée, je suis très bien ici, et ça ne me semble pas être l’idée du siècle. Il faut croire que nous n’avons pas les mêmes ambitions.

Non, il faut croire que nous ne sommes plus sur la même longueur d’onde. Et puis, si je veux être honnête avec moi-même, c’est vraiment à cause d’elle que je pars. Pas seulement parce que c’est difficile de partager mes responsabilités, mais aussi et surtout parce que, au quotidien, être près d’elle et ne pas pouvoir la toucher, c’est une véritable torture. Je ne sais pas si c’était l’idée du siècle, mais en tout cas, c’est ce qui va me permettre de me relancer. Je pense que c’est vraiment une opportunité de tourner la page.

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