38. Conflits en congés

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Pénélope

— Je ne sais pas, Maman. Je te redis ça, il faut que je voie avec mon boss pour prendre deux jours, ou au moins le vendredi, si je prends le train après le boulot.

Je balance mon portable, en haut-parleur, sur mon lit, et dépose mes vêtements à côté. Je suis à la bourre et je déteste ça, mais il semblerait que ma mère se soit levée aux aurores ce matin et j’ai un peu paniqué quand j’ai vu son nom apparaître à l’écran, parce que des appels le matin, c’est plus que ça de sa part. Même si ce n’est pas une lève tard, elle sait pertinemment que mon cerveau ne s’éveille vraiment qu’au pied de mon lieu de travail. Avant ça, je suis en mode automatique ou presque. Bon, OK, j’en rajoute un peu, mais je déteste le matin autant que les araignées.

— Je compte sur toi, Penny. “ON” compte sur toi, même. C’est vraiment la galère, d’autant plus que la femme du maire s’est cassé une jambe et ne pourra pas nous aider.

— Sérieusement ? Et comment elle a fait son coup ? Mireille passe sa vie chez elle à lire et cuisiner… Elle a glissé sur une flaque d’huile d’olive ou une bibliothèque lui est tombée dessus ? lui demandé-je en zippant ma jupe sur ma hanche.

Jonas adore cette jupe, je le vois dans ses yeux chaque fois que je la porte. Est-ce que je suis encore dans la provocation ? Clairement. Mais il le mérite. Cet abruti se barre… Ça me fait bizarre de le voir encore quitter le pays, j’ai l’impression de revenir en arrière. Si notre relation n’est pas au beau fixe, il est là, dans mon quotidien, et je ne peux m’empêcher d’en être heureuse.

— Arrête de te moquer, glousse-t-elle, consciente que je n’ai pas tort. De ce que j’ai compris, elle s’est fait ça en sortant de sa douche… Tu imagines, les pompiers ont dû la prendre en charge totalement nue ! La pauvre, je n’aurais pas aimé être à sa place.

Aucune des places n’est souhaitable. Mireille a quatre-vingt-deux ans. Si elle pète la forme, elle a quand même le corps d’une personne âgée, et les petits sapeurs pompiers doivent en faire des cauchemars, peu habitués à voir ça… En plus, elle est du genre à les draguer pour les mettre mal à l’aise, à leur proposer un petit encas, genre des abricots, histoire de bien entretenir leur gène, bref, finalement, je crois qu’ils sont les plus à plaindre.

— Tu te rappelles de la fois où elle nous a chopés, avec Jonas, en train de nous embrasser sous l’abri-bus ? Elle m’a proposé des cours de roulage de galoche et a demandé à Jonas si elle pouvait me montrer comment on faisait ! m’esclaffé-je. Elle est folle… Et merde, maintenant que j’y pense, on était mineurs, c’est gênant, même si elle plaisantait.

— C’est vrai… Tu sais qu’après ça, elle est venue à la maison pour nous dire qu’il fallait qu’on te surveille parce que tu finirais enceinte avant ta majorité, à ce rythme-là ?

Je ricane en me parfumant et m’observe dans le miroir en rentrant mon caraco blanc dans ma jupe.

— Folle, tu vois ? On avait beau n’avoir que seize ans, Jonas et moi, on faisait super gaffe. Bref, il faut que je te laisse, Maman, je suis à la bourre et j’ai une réunion importante. Embrasse Papa pour moi et je te tiens au courant pour la fête. Bonne journée !

Je l’écoute vaguement me saluer, occupée à défroisser la manche de ma veste en lin, récupère mon téléphone une fois qu’elle a raccroché et dévale les escaliers aussi vite que mes talons me le permettent.

Quand j’arrive au boulot, tout pile à l’heure, à dix minutes près, je passe déposer mes affaires dans mon bureau et récupérer les dossiers sur lesquels je dois faire un point avec l’équipe. Le regard de Jonas, concentré jusqu’alors sur l’écran de son ordinateur, bifurque sur ma silhouette qu’il détaille sans se gêner. J’avoue que j’en fais de même, j’adore le voir en chemise, surtout lorsqu’il remonte les manches sur ses avant-bras musclés par le tennis… Oui, Jonas me plaît toujours autant, je plaide coupable.

— Tu aurais pu me préparer un café, quand même, le titillé-je en lui offrant mon plus beau sourire.

— Il est prêt, tu sais bien que je ne peux pas m’en passer le matin. Sers-toi !

— Quel collègue parfait ! Dépose une tasse pleine sur mon bureau la prochaine fois, ça m’évitera d’y aller !

Je lui envoie un baiser et sors en me demandant ce que je fous. La provocation a ses limites et je n’ai pas non plus envie de jouer avec le feu, même si c’est bien tentant… Je passe par la salle de pause pour me verser une tasse en vitesse et rejoins la salle de réunion… vide. Merde alors, pourquoi ils ne sont pas installés là à m’attendre ? Mon regard bifurque sur l’open space, où Solène me fait coucou. Le bureau face au sien est vide, tout comme celui du graphiste que je devais voir ce matin. Je soupire et me dirige vers mon amie, un poil contrariée.

— Dis-moi, où est ta collègue ? Et Sacha ? Tu les as vus, ce matin ?

— Ils ont posé des jours, je crois. Ils m’ont dit qu’ils ne seraient pas là de la semaine en tout cas. C’est vu avec Jo, il me semble. Mais Marc est là si tu veux.
— Je n’ai pas besoin d’un remplaçant, marmonné-je, j’ai besoin de Sacha et Géraldine, bon sang. C’est quand même dingue que personne ne m’ait rien dit !

— Jonas devait te prévenir, si j’ai bien compris, s’excuse encore Solène en me jetant un regard désolé.

— Ouais, encore un coup foireux, ça… Bon, merci pour les infos. Envoie-moi un texto si tu m’entends depuis le bureau, OK ? Ou… si Philippe déboule. J’aimerais pouvoir dépecer mon collègue en paix, mais je ne veux pas me faire prendre.

— Je vais monter la garde, promis, sourit-elle.

Je lui offre un sourire crispé et traverse l’open space pour regagner le bureau, où mon collègue est au téléphone. Furieuse, je me plante devant lui, lâche mes dossiers sur son clavier et le fusille du regard tandis qu’il raccroche.

— C’était quoi, le plan, au juste ? Mettre en vacances tous ceux avec qui je bosse pour me foutre en retard et me mettre en porte-à-faux auprès des clients ?

— Comment ça te mettre en porte-à-faux ? Ils ont le droit de prendre des congés, les salariés, non ? répond-il, visiblement surpris par mon agressivité. Tu sais qu’on est en France et que c’est moi qui pars à Dubaï où les gens n’ont pas de vacances ?

— Tu ne m’as pas prévenue ! m’agacé-je. Si j’avais su, j’aurais fait cette réunion plus tôt, j’aurais organisé les choses autrement pour pouvoir respecter les deadlines ! Là, je suis dans la merde sur au moins deux de mes dossiers, tout ça parce que tu t’es dit que ce serait drôle de ne rien me dire.

— Désolé si je n’ai pas pensé à te prévenir. La prochaine fois, je t’enverrai un courrier en recommandé pour ne pas que tu m’accuses de te cacher des choses ! rétorque-t-il plein de mauvaise foi.

— Fous-toi de moi, en plus, grommelé-je en récupérant mes dossiers. Tu m’expliques comment je fais sans web-designer et sans graphiste pour répondre aux demandes de mes clients ? Je doute que tu sois ravi que je réquisitionne Solène alors qu’elle bosse pour l’un de tes projets en ce moment même.

— Tu es vraiment si à la bourre que ça ? me demande-t-il en me regardant avec plus d’attention. C’est quoi tes deadlines ?

— Fin de semaine prochaine, mais Sacha avait pris du retard à cause de Carmet, du coup Géraldine n’a pas bouclé son boulot, elle attendait qu’il ait fini le sien. Bref, c’est la merde et en plus, il faut croire que chez les cygnes, on en fait exprès. Ils ne m’en ont même pas parlé !

Il reste un instant silencieux avant de me lancer ce regard qu’il m’adressait parfois quand nous étions jeunes et qu’il avait fait un truc qui me déplaisait. Il toussote un coup et reprend la parole.

— Si tu veux, je peux t’aider sur ces dossiers… Je… je ne pensais pas que ça te mettrait dans de telles difficultés. C’était pas malin de ma part de ne rien t’avoir dit, j’avoue. Mais pour moi, c’était de bonne guerre… Donc, je peux me mettre à ton service si tu acceptes.

— Tu as des qualités de graphiste ? Parce que tu ne vas pas me servir à grand-chose, le cas contraire.

— Tu ne sais pas encore tout ce que je suis capable de faire, me répond-il. Ici, avant, j’étais responsable de tout. C’est comme ça que je suis devenu Directeur. J’ai pas le talent de Sacha, mais je me débrouille. Et si ça peut te sauver… je te dois bien ça, Nono.

Je soupire et me laisse tomber sur ma chaise de bureau en réfléchissant à sa proposition. Je suis sûre que je pourrais demander à Solène un coup de pouce pour la partie Web, mais le second graphiste ne voudra pas reprendre le boulot de Sacha… Et la cliente est une fille à papa qui n’aura aucun regret à nous envoyer promener. Bosser avec elle est toujours une galère, elle est exigeante, change d’idées toutes les semaines, bref, si nous ne bouclons pas les choses rapidement, nous aurons encore bossé dans le vent.

— Très bien, soupiré-je en pianotant sur mon ordinateur. Je t’envoie les visuels et l’avancée de Sacha…

— Je m’excuse vraiment, tu sais ?

— J’espère bien, tiens ! Et ne viens pas te plaindre le jour où ta chaise de bureau est encombrée par des punaises, ou que ton café est salé… Ce sera mérité, on est d’accord ?

— Tu vas voir, à deux, on va encore faire des miracles. Et tu me ramèneras mon café juste comme je l’aime. Avec un nuage de lait ! sourit-il en se plongeant sur son ordinateur.

— Tu rêves, Johnny ! Il sera salé, compte là-dessus, ris-je en lui balançant un morceau de papier froissé.

— Madame est rancunière, je vois. Mais je suis au service de Madame et je vais vous faire avancer ce projet en y mettant ma petite touche. Madame sera tellement ravie que j’aurai le droit au café avec un bisou en prime, j’en suis certain !

— C’est beau de rêver, mon lapin ! Allez, moins de blabla et plus de boulot, esclave !

Je lui tire la langue et le vois lever les yeux au ciel, un sourire au coin des lèvres. Voilà dans quel état d’esprit j’aimerais que nous puissions travailler au quotidien. C’est rare, mais quand ça arrive, c’est apaisant et agréable. J’espère juste qu’il ne s’est pas trop avancé concernant ses compétences, sinon, je risque de me faire remonter les bretelles, moi.

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