39. Love actually en Normandie

8 minutes de lecture

Jonas

Je regarde avec satisfaction le café fumant devant moi. Il est servi juste comme je l’aime, avec un nuage de lait, et je le porte à mes lèvres avec toute la satisfaction du travail bien fait que je n’essaie même pas de dissimuler. Comme prévu, non seulement Pénélope a pu rendre en temps et en heure les livrables qui lui étaient demandés mais en plus, ils étaient encore meilleurs que prévus, ce qui renforce le sentiment de Philippe que c’est un gâchis que je m’en aille et que l’on devrait continuer à coopérer ensemble. Mais ça, c’est pas gagné. Parce que, par exemple, j’ai bien eu le café mais je n’ai pas eu le baiser que j’avais demandé en complément. Et pas sûr que le prochain café qu’elle me ramène ne soit pas salé, avec Pénélope, tout est possible.

Je profite de ce moment de calme pour regarder les sites d’information que j’ai l’habitude de consulter et vois que suite aux dernières annonces du gouvernement, des grèves massives sont prévues pour ce jeudi, avec un fort impact sur les trains en circulation dont plus de la moitié vont être annulés selon les prévisions les plus optimistes. Je soupire car je dois retourner en Normandie aider mes parents qui ont eu la folie de s’inscrire au comité des fêtes et qui préparent la fête de la musique qui aura lieu ce samedi. J’avais prévu d’y aller en train mais ce plan tombe à l’eau. C’est parti pour la voiture. Pénélope qui revient à ce moment-là jette un oeil à mon écran et grogne.

— Ne me dis pas que tu as changé de bord et que tu ne soutiens plus les grévistes ? m’amusé-je à lui lancer.

— Non, c’est juste que je sens que je vais regretter d’avoir vendu ma voiture. Je dois descendre en Normandie, ce weekend. Tu sais, je t’ai dit que je n’étais pas là vendredi.

— Ah oui ? Ne me dis pas que toi aussi, tu vas participer à la fête de la musique là-bas ? Attends, fais-moi rire. Tes parents aussi sont dans le comité d’organisation ? rigolé-je.

— Evidemment ! Crois-tu qu’ils feraient quelque chose les uns sans les autres ? s’esclaffe-t-elle. Mes parents se plaignaient que les petits jeunes qui étaient au comité ne faisaient pas grand-chose pour que le village reste vivant, alors ils se sont présentés l’an dernier… Et je suis réquisitionnée pour filer un coup de main.

— Ça sent le plan foireux pour nous faire bosser ensemble, tout ça, maugrée-je en fermant la page Internet. Ça te dit de monter avec moi ? Pour mon bilan carbone, je me sentirai moins coupable si on fait du covoiturage. Et toi, ça t’évite les galères de train pour aller là-bas.

— Seulement si on monte un plan pour leur faire payer le leur… Peut-être qu’on devrait faire mine de s’engueuler en arrivant, histoire de les faire culpabiliser ? Quoique… deux heures en voiture tous les deux, possible qu’on ne joue pas la comédie.

— Possible, ou on déclare la trêve des braves pour le weekend. A la maison, rien ne nous oppose vraiment, si ?

— Non, je dirais même que nous sommes une équipe face à nos vieux, sourit-elle. Leurs manigances sont ridicules, sérieusement.

— Départ jeudi à… dix-sept heures, ça te va ? On part directement d’ici ?

— Ça me va. Tu me promets que tu ne comptes pas me découper et m’enterrer au fin fond d’une forêt, par contre ?

— Tu as de la chance, pas de sel dans le café, tu ne risques rien, souris-je avant de finir ma boisson chaude.

Elle m’adresse un chaud sourire qui me rappelle que cette femme, je l’ai dans la peau et que finalement, les plans foireux de nos parents, je ne les déteste pas tant que ça. Je me secoue mentalement l’esprit et reprends mon travail comme si je n’étais pas complètement perturbé par sa proximité.

Le jeudi, à l’heure dite, nous sortons tous les deux en même temps des bureaux et Pénélope me suit jusqu’au parking souterrain où j’ai garé ma voiture. En voyant la grosse valise qu’elle trimballe, je me moque d’elle tout en l’aidant néanmoins à la mettre dans le coffre.

— Tu n’as plus d’affaires chez tes parents ? On dirait que tu vas réemménager là-bas ! Tu ne changes pas, dis donc !

— Tu crois que je pourrais être une bombe avec deux malheureux tee-shirts et un jean ? rit-elle. Que veux-tu, les fringues, les chaussures et moi, nous sommes toujours aussi complices. Et puis, j’aime avoir le choix le matin.

— Je crois que tu peux être une bombe même sans tee-shirt, oui, gloussé-je en lançant le GPS.

La sortie de Paris à cette heure de pointe un jour de grève est un peu laborieuse mais finalement moins difficile que je ne l’aurais cru. Beaucoup de monde a préféré passer en télétravail ou fait grève et c’est comme ça que nous nous retrouvons sur l’autoroute assez rapidement, ce qui me permet de me détendre un peu.

— Tu te souviens de la dernière fois où on a participé tous les deux à la fête de la musique ? Je m’étais mis en tête que j’étais assez bon guitariste pour t’accompagner sur scène. À quoi je pensais, franchement ?

La réponse : À Pénélope, bien sûr. À ses fesses, à son corps de rêve, à ma jalousie envers quiconque pourrait l’approcher. J’étais jeune et insouciant… et carrément fou aussi, ce que confirme ma voisine qui éclate de rire.

— Je ne sais pas, mais c’était trop mignon ! Enfin, je sais que c’était plus pour éloigner Zachary qui jouait de la guitare comme un Dieu, hein ! Mais… je t’ai trouvé très sexy, guitare en main.

— Sexy ? Avec tous les accords que je n’ai pas réussi à sortir ? Franchement, je comprends pas pourquoi tu as terminé la soirée avec moi et pas avec ce Zachary qui a enchaîné derrière nous avec un solo du feu de dieu. Le gars, j’en reviens pas qu’il soit resté à bosser à la médiathèque et qu’il ne soit pas devenu rocker.

— Pourquoi est-ce que j’aurais terminé la soirée avec lui, Jonas ? Tu étais mon meilleur ami et mon petit-ami, je m’en fichais de Zach.

— Si tu savais ce que j’ai bossé à la maison pour ce résultat qu’on peut qualifier de… piètre ! Heureusement que tu avais déjà cette voix magnifique qui faisait oublier tout le reste. Je voulais être à la hauteur et après le morceau, tu te souviens comme j’ai disparu et que tu as mis du temps à me retrouver ?

— Ouais… J’étais super fière de toi, je m’en fichais de la qualité de ta prestation, l’intention était là, trop adorable… Mon petit cœur d’ado n’en pouvait plus, sourit-elle.

— Moi, j’avais tellement honte et tellement peur que tu ne veuilles plus me parler que je suis allé me cacher derrière la buvette pour retarder le moment où tu allais me larguer. Et quand tu m’as retrouvé et que tu m’as sauté dessus pour m’embrasser… Wow. J’étais au paradis, tu sais ?

— À ce point ? glousse Pénélope. Le paradis à côté des caisses de bière et de jus de fruits ? Il ne te fallait pas grand-chose, Johnny.

— Je ne me souviens même plus du décor. Tout ce dont je me rappelle, c’est le sourire que tu as eu en me voyant derrière un des fûts. Et puis, tu avais toujours la robe toute blanche que tu portais sur scène. Ne rigole pas, hein, mais j’ai eu l’impression de voir un ange arriver.

— Un ange qui te faisait parfois vivre un enfer… J’avoue que je pouvais être une vraie peste, mais j’adorais te pousser à bout. Je te trouvais encore plus craquant quand tu étais en colère, je devais être tordue à l’époque.

Je me contente de sourire car si je continue sur cette voie-là, je vais finir par lui dire qu’elle est toujours capable de me pousser à bout et lui demander si elle me trouve encore plus craquant. C’est glissant, ce terrain, mais ce sont de bons souvenirs et je me demande encore pourquoi on n’a pas réussi à sauver cette relation qui semblait si bien partie. J’en viens presque à regretter ce voyage aux Etats-Unis, mais je pensais vraiment qu’on aurait survécu à l’éloignement. Qu’est-ce que je me suis trompé !

Lorsqu’on arrive devant chez moi, nos quatre parents sortent de la maison, tout sourires. Si on avait voulu alimenter leurs fantasmes, je crois qu’on a réussi. Nous descendons de la voiture et tout le monde s’embrasse, comme si nous n’étions qu’une seule et même grande famille. Je sors la valise de Pénélope du coffre et la lui ramène.

— Quel gentleman, ton fils, dit Chantal à ma mère qui sourit, toute fière.

— C’est normal, elle a prévu d’emménager ici et de quitter Paris, me moqué-je. Son appartement est vide, tout est là.

— Arrête tes conneries, Marconi ! Tu vas faire une fausse joie à ma mère et elle va tout faire pour me convaincre de rentrer à la maison après ça. Il veut juste se faire les muscles, il a eu du mal à ouvrir sa canette de soda au bureau, cet après-midi.

— Eh bien, j’espère que toi, tu en auras de la force, intervient son père. Parce que demain, on a un programme d’enfer pour tout préparer. On a fait le point et on court à la catastrophe si vous ne vous y mettez pas dès le matin. On compte sur vous, les jeunes, parce qu’à notre âge, on ne pourra pas tout faire.

— Il fallait peut-être y penser avant de vous porter volontaires, non ? Et dites-moi, pourquoi sommes-nous les deux seuls idiots réquisitionnés ? Baptiste ne vient pas, c’est injuste !

— Avec vous deux, on sait qu’on a l’équipe de choc. Et Baptiste a sa famille à gérer. Il viendra sûrement samedi pour la fête par contre.

— Ben voyons ! Rappelez-moi de vite faire un gosse pour que vous me lâchiez la grappe avec vos histoires de comité des fêtes. Enfin, ouais, non, j’ai rien dit, bafouille Pénélope. Va pour les fêtes.

Je pouffe alors que déjà les yeux de sa mère brillent. Chantal, comme les autres “vieux” présents restent confiants sur le fait que nous finirons par nous remettre ensemble et qu’on va leur donner de beaux petits-enfants. Je crois que l’un comme l’autre de ces événements ne sont pas là d’arriver. En attendant, j’ai passé un trajet particulièrement agréable et je m’en félicite. Ça fait du bien de se rappeler de ce passé où tout était plus simple et où la vie était plus heureuse.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0