41. Une révélation différente des autres

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Jonas

Sous le jet d’eau chaude, je me repasse les événements de la journée et n’en reviens pas à quel point j’ai cédé à la tentation de me rapprocher de Pénélope, comme si tout était comme avant mon départ aux USA, comme si elle ne m’avait pas largué et rejeté à plusieurs reprises. Mais ici, dans ce contexte si familier, c’est tellement facile de se replonger dans le passé. La Normandie est une terre qui permet ce retour aux sources et j’avoue que je ne fais rien pour en limiter les conséquences. Je me dis qu’il sera toujours temps de reprendre notre brouille à notre retour dans la grisaille parisienne. En attendant, je profite. Enfin, là, j’essaie de me calmer parce que si je pense trop à la jolie rousse, je vais passer tout mon temps à me caresser sous la douche et ça, ça ne serait pas sérieux.

En parlant de pas sérieux, elle l’est aussi peu que moi. Je croyais qu’elle allait mettre les choses au clair avec Cédrick, mais non, elle m’a laissé me comporter comme si j’étais toujours son compagnon… Et quand on est rentrés chez nous, jusqu’à ce qu’on descende du camion, elle en a joué, toujours en rigolant, mais j’ai bien senti sa main sur ma cuisse, j’ai bien entendu ses petites phrases où se glissaient des “Mon Chéri” qui ont fait trembler mon coeur plus que de raison.

Je finis par sortir de la salle de bain et me rends dans ma chambre d’adolescent où trône sur ma table de chevet une photo de Pénélope et moi, tout jeunes et tout mignons, en train de faire du canoë, le sourire aux lèvres. Je ne me suis jamais résolu à m’en débarrasser et c’est avec une vraie nostalgie que je la prends un instant en mains avant de la reposer et d’enfiler un jean et une chemisette de la même matière, même si elle est beaucoup plus foncée. J’ai taillé ma barbe, mis un peu d’eau de cologne, je suis prêt à affronter le repas du soir qui va se dérouler en présence d’une partie de la famille de mon ex. Pénélope et ses parents viennent en effet sous le prétexte de peaufiner les derniers détails de la fête de la musique mais surtout pour aider nos parents respectifs à accomplir leur plan de rapprochement entre nous. Il n’y a qu’à voir le plan de table où les quatre vieux vont se faire face et je me retrouve en bout de table, juste à côté de ma nouvelle collègue.

— Salut M’man, je suis là. Que puis-je faire ? Rassure-moi, tout n’est pas déjà prêt quand même ?

— Tu es tout beau, dis-donc, Penny va être sous le charme. Tu peux m'aider en épluchant la salade, si tu veux.

Pourquoi je souris comme un con ? Parce que ma propre mère me complimente ? Si elle ne le fait pas, qui le ferait ? Mais ça fait plaisir, surtout que oui, l’objectif, c’est bien de continuer à charmer la rousse. Et à en croire ma mère, c’est bien parti.

— Tu sais bien que c’est pour toi que je me fais beau, je suis un fils à maman, ris-je alors que mon père ouvre la porte extérieure et que j’entends Pénélope et ses parents le saluer.

— Bien sûr, mon beau, on y croit tous. Allez, va l’accueillir comme il se doit, sourit ma mère en me donnant un coup de torchon.

Je ne me fais pas prier et me dirige vers l’entrée avant de me stopper net lorsque mes yeux se posent sur la jeune femme qui vient d’apparaître devant moi. Si j’ai fait un effort, je ne suis pas le seul. Pénélope a en effet enfilé une robe noire comme celles qu’elle portait quand elle était adolescente et l’effet est renversant. Elle a pris un petit peu en poids et la robe n’en est que plus moulante. Clairement, elle est à tomber et je ne comprends pas qu’un décolleté comme ça soit autorisé par les bonnes mœurs. Elle a tressé ses cheveux, ce qui lui donne un air de gentille, mais il est vite démenti par le regard espiègle et sensuel qu’elle me lance lorsqu’elle m’aperçoit.

— Eh bien, il va y avoir de l’orage ici, rigole mon père. Quelle tension entre ces jeunes gens ! On dit que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit, je me demande si ça va être vrai ici ce soir.

— Papa ! le réprimandé-je avant de faire signe à tout le monde de s’installer à table.

Avec la cuisine ouverte, nous pouvons continuer à préparer le repas tout en discutant, un vrai avantage de cette maison. Pénélope vient se caler entre ma mère et moi alors que je suis en train de couper du pain. Elle a tout naturellement pris un saladier et elle s’occupe de nettoyer les feuilles que j’ai préparées, me faisant profiter de sa proximité et de son léger parfum vanillé que je reconnaîtrais entre mille.

— Tu peux rester assise, ma jolie, lui dit ma mère en souriant. Avec Johnny, on s’occupe de tout. Il sait… allumer le feu tout seul, chantonne-t-elle, me faisant lever les yeux au ciel.

— Tu sais bien que ce n’est pas mon genre de ne rien faire. Ça ne me dérange pas de donner un coup de main.

— Moi non plus, ça ne me dérange pas qu’elle vienne nous aider, ajouté-je en me penchant pour récupérer la salière.

Et non, je ne fais pas exprès de me presser contre elle qui, tel un chat, arrondit le dos pour épouser au plus près mon corps. Elle est dans le même état d’esprit que moi, elle veut jouer et ça fait monter la température de quelques degrés supplémentaires. Comme tout est prêt, nous rejoignons la table et mon père sert les apéritifs.

— Tout est prêt pour la fête demain soir ? Tu as réussi à joindre le groupe qui va animer le bal, Chantal ?

La mère de Pénélope opine avant de répondre alors que je trinque avec sa fille, sans pouvoir la quitter des yeux.

— Oh oui, grâce aux deux petits qui ont assuré la logistique, j’ai pu gérer tout le reste. Et puis, je ne suis pas inquiète sur ce plan-là. Au pire, Penny poussera la chansonnette. C’est quoi que tu nous chantais dans la voiture, déjà ?

— Penny est ici pour danser, pas pour chanter, grimace l'intéressée. Et je chantais du Johnny, évidemment, difficile de faire autrement.

— Oh ! s’enthousiasme mon père. Tu peux nous faire plaisir et nous montrer ce que ça donnait ? Johnny, c’est juste… wow, quoi.

— Papa, elle a dit qu’elle était venue danser, pas chanter… Respecte un peu, s’il te plait.

— Oh Penny, quelques petites notes, sois gentille…

— Bien, bien… J’ai trop peur d'être mise à la porte si je me défile, répond Pénélope qui se retourne alors vers moi, comme si elle avait un message à m’envoyer.

Les mots qui sortent de sa bouche, au-delà de sa voix magnifique et forte, me touchent directement au cœur. Je te promets une histoire différente des autres. Je te promets le ciel… J’en ai presque la larme aux yeux parce que cette chanson, elle me l’a déjà chantée. Juste avant mon départ pour les Etats-Unis. Moi aussi, j’avais tant besoin d’y croire à toutes ces promesses. Et pourtant, tout a déraillé. Les mots se sont usés, on dirait. Et pourtant, je ne mentais pas même si notre histoire s’est terminée au matin. Enfin, quand je l’écoute me refaire toutes ces promesses dans sa chanson, j’ai à nouveau envie d’y croire mais malheureusement, lorsqu’elle s’arrête, tout le monde l’applaudit et le charme est rompu. Elle m’ignore totalement, le corps tourné vers nos parents alors que je reste silencieux, perdu dans mes souvenirs et mes pensées.

— C’était très joli, Pénélope, finis-je par avouer. Tu devrais vraiment retrouver ou reformer un groupe, tu sais ? Tu as un talent fou.

— Je n'ai pas le temps pour ça, ni forcément l'envie pour le moment. La scène ne m'intéresse pas vraiment, disons que c'est le fait de chanter avec les gens que j'aime qui me plaît.

Les gens qu’elle aime ? J’interprète trop, non, si je prends ce message littéralement ? Et pourquoi je suis si à fleur de peau ce soir ? Je crois que ce n’est pas bon pour ma santé mentale de passer autant de temps près d’elle et de faire comme si tout était comme avant…

— Eh bien, on te fera revenir et chanter pour nous, lui répond ma mère. Cela nous met tous en joie, comme tu peux le voir.

— Ça ne sera pas pareil sans Jonas… D'ailleurs, est-ce que vous prévoyez une petite fête pour son départ ?

Le silence qui fait suite à cette annonce est lourd et tous les regards se tournent vers moi. Pénélope a lâché une bombe alors que personne n’était encore au courant à la maison et me voilà au centre de l’attention alors qu’émotionnellement, je suis déjà sous les eaux.

— Son départ ? demande ma mère, presque timidement. C’est quoi, cette histoire ?

— Oui, Penny, qu’est-ce que tu racontes, renchérit mon père dont le regard perçant est dirigé vers moi.

— Merde, je pensais que tu… Pardon, Jo… Une opportunité professionnelle de dingue, impossible à refuser, mais… ce n’est pas le sujet de ce soir. Vous êtes sûrs qu'on ne va pas manquer de boissons pour demain ?

— Oui, je pars vivre à Dubaï. J’allais vous en parler ce week-end, mais on n’a pas encore eu l’occasion de se retrouver entre nous, avoué-je en me levant. Grâce à Penny, vous voilà tous au courant. Désolé de vous couper ainsi l’appétit.

Je sors rapidement, préférant en effet aller prendre l’air plutôt que de m’énerver davantage contre tous ces gens que j’apprécie. Mais voir comment cette annonce brutale a blessé mes parents est insupportable. J’en veux à Pénélope d’avoir sorti ça sans même se préoccuper de l’effet que ça allait avoir sur ma famille. Tu parles d’une histoire différente des autres… C’est toujours pareil, elle ne réfléchit pas et me donne coup de poignard après coup de poignard. Enfin, là, elle ne pouvait pas savoir, mais bon… Quelle idée de parler de mon départ à ce moment précis ?

Après quelques minutes de solitude, je sens une présence dans mon dos. Je ne me retourne pas, aucun besoin, le parfum vanillé trahit la personne qui est venue me rejoindre. Je suis un peu calmé mais fais mine de ne prêter aucune attention à Pénélope qui se racle la gorge avant de prendre la parole.

— Je suis désolée… J'étais persuadée que tu leur en avais déjà parlé, je ne voulais pas lâcher la bombe comme ça. Je veux dire… Ce n'était vraiment pas volontaire de ma part.

— Je sais…, maugrée-je, sachant pertinemment qu’elle a raison. Désolé, c’était à moi de leur dire mais je n’avais pas encore trouvé le courage de leur avouer. C’est de ma faute, comme tu dis, tu ne pouvais pas savoir. Mais tu as le chic pour mettre les pieds dans le plat, hein ? Mes parents le prennent comment ?

— Pas très bien, honnêtement… mais ça leur passera. Enfin, à moins que tu changes d'avis et restes à Paris.

— Il faut que je parte, Nono, tu le sais aussi bien que moi. Non seulement, c’est une opportunité de carrière mais c’est le seul moyen pour que l’on trouve tous les deux notre place à Swan sans passer notre vie à nous écharper.
— Si tu le dis… mais j'ai l'impression de t'arracher moi-même à ta famille, c'est… extrême comme décision, non ?

— Avec les moyens modernes de communication, ça ne sera pas très différent d’être à Paris. Et tu n’y es pour rien, tu as l’air d’avoir trouvé ta place à Swan, toi. Alors que moi, ce n’est plus possible de…

Je m’arrête là, je ne veux pas entrer dans les détails de tout ce que je trouve compliqué entre la peur qu’elle prenne ma place, les souvenirs qui remontent à son contact, le désir et l’envie que je peux avoir d’elle. Partir est vraiment la meilleure chose à faire.

— Ne t’inquiète pas, je vais aller leur parler et ils vont comprendre. Et puis, au moins, grâce à toi, je n’ai plus à prendre de pincettes pour leur annoncer mon départ. Je devrais te remercier, non ?

Je lui souris en signe de calumet de la paix.

— Tu devrais surtout bien réfléchir avant de partir. Il y a de la place pour nous deux chez Swan

Je ne réponds pas, je n’en ai ni la force ni le courage. Je me contente de lui prendre le bras et l’entraîne à ma suite à l’intérieur, prêt à affronter mes parents et leur expliquer l’opportunité professionnelle que cela représente pour moi. Je ne pense pas pouvoir convaincre grand monde, mais je vais essayer. Et tout le monde fera comme si. C’est ça, être en famille, non ?

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