48. Le héros des glaces

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Pénélope

J’attrape Gaspard de justesse alors que ses petites mains pleines de peinture de diverses couleurs s’apprêtaient à redécorer mon beau canapé crème, mes coussins, mon plaid… et tout ce qui peut lui passer sous la main. Résultat des courses, c’est mon débardeur et l’une de mes épaules qui en prennent pour leur grade. Quelle idée de proposer une activité peinture à ces gosses ! J’ai dû être une échappée de l’asile dans une vie antérieure. En vérité, j’avais très envie d’accrocher un tableau au mur avec les petites mains de mon neveu et ma nièce, mais je n’ai que deux mains et eux, du haut de leurs trois et deux ans… adorent me faire tourner en bourrique. Ils sont vifs, futés et fourbes. Si Morgane est coincée dans sa chaise haute, mon filleul, lui, a sauté de la chaise qu’il est parvenu à tacher, et s’est mis à courir en riant. Un peu plus et je pourrais presque voir la vieille cassette de mes parents montrant leur père courir partout dans la maison, les fesses à l’air, criant à qui veut l’entendre qu’il a un gros zizi.

— Allez, petit chenapan, on file se laver les mains, soufflé-je en l’embarquant dans la cuisine.

Morgane commence à pleurnicher, se barbouille le visage de rouge en réclamant “tétine” et je me dis que nous ne sommes que samedi après-midi. Quand Baptiste et Virginie crient aux enfants démoniaques, je leur ris au nez… mais ils ont raison ! Oh, je les adore, hein ! Mais chez leurs parents, pas seule à la maison avec eux…

Je souffle en me morigénant d’être de ceux qui collent les gosses devant un dessin animé pour avoir quelques minutes de repos, mais je voue un nouveau culte à la Pat’Patrouille. Bon, et à la glace aussi. Je leur ai promis un bol de glace au chocolat pour le goûter, ce qui a semblé les réjouir et les calmer un peu…

Je rêve de m’asseoir ou de me jeter sous la douche, au lieu de quoi je range mon atelier suicidaire, en profite pour rassembler un peu les jouets de mes deux tornades, et je déchante en ouvrant le congélateur. Le bac de cette glace divine que j’achète dans une ferme laitière près de chez mes parents est désespérément vide. Solène et Elise sont assurément passées par là. Je suis maudite, non ?

Évidemment, il n’y a rien d’autre qui pourrait faire figure de glace… Je doute que mes aiguillettes de poulet congelées ou mes légumes seront appréciés comme aurait pu l’être la crème glacée. Je zieute en direction des petits loups, installés dans le canapé, et j’ai la pensée fugace que je pourrais les laisser là le temps d’aller à l’épicerie du coin de la rue. Bon, je serais une tante indigne, mais ce serait simplement pour sauver ma fin de journée !

Mes options sont limitées, et je grimace en constatant que celle qui me fait le plus envie est une preuve que je me suis déjà bien trop attachée. Pourtant, je récupère mon téléphone et souris en voyant le message grincheux de Jonas, à qui j’ai dit que j’avais vraiment bien matché avec le guitariste que Baptiste et moi avons rencontré hier pour le groupe. Puisque monsieur a voulu me rendre jaloux avec la fille à papa du boss, je ne me gêne pas de mon côté. Cependant, à cet instant, je suis bien loin de cette volonté et appelle mon collègue et amant en espérant qu’il en a terminé avec ses parties de tennis. Un vrai petit bourge qui joue dans un club avec le patron et sa fille, sérieusement !

— Tu ne me sembles pas trop essoufflé dis-donc ! le taquiné-je d’entrée, tel que je te connais, tu n’as pas trop dû te mouiller et laisser le patron gagner.

— Tu rigoles ou quoi ? J’ai tout gagné ce matin, je tiens une forme d’enfer ! Et ça me fait plaisir que tu m’appelles. Ton neveu et ta nièce sont déjà partis ?

— Non, ils sont devant un dessin animé et j’ai souvenir que tu m’avais proposé de jouer le clown… Est-ce qu’on peut oublier le clown et avoir recours au super héros ?

— Au super héros ? Tu veux dire quoi par là ? Je crois que je suis meilleur clown que héros…

— J’ai promis de la glace au chocolat à Gaspard et Morgane pour le goûter, sauf que je n’en ai plus… Est-ce que tu serais dispo pour m’en apporter rapidos ? Enfin, tu peux monter la déguster avec nous si tu veux, hein ?

— Bien sûr ! Je… je m’habille et j’arrive, tu sauras les occuper jusque là ?

— T’habiller, sérieux ? Si je te dérange, je me débrouillerai autrement, laisse tomber.

— Mais non, je suis juste en short chez moi, à l’aise quoi, vu que je suis tranquille tout seul ! Tu veux une visio pour vérifier ? J’arrive tout de suite.

Je grimace et m’oblige à répondre que non alors que je crève d’envie de vérifier ses dires. Merde, je ne devrais pas être aussi jalouse, c’est totalement ridicule et je me dépêche de raccrocher avant de dire une connerie. Et puis j’ai un petit vent de panique en passant devant le miroir du couloir. J’ai les cheveux en bataille, de la peinture un peu partout, mon débardeur est totalement informe et, merde, même pas vingt-quatre heures avec deux bambins et j’ai l’impresion de m’être pris dix ans dans la tronche ! Magnifique…

Bien que je ne cherche pas forcément à faire trop d’efforts, je file quand même me débarbouiller dans la salle de bain, en profite pour me coiffer vite fait et monte troquer mon débardeur contre un petit caraco blanc en satin. J’ose le blanc alors qu’on va manger de la glace ? Toujours aussi suicidaire, la fille.

Je m’installe finalement entre Gaspard et Morgane qui se lovent contre moi, et suis en train de piquer du nez lorsque la sonnette de l’interphone me fait sursauter. Les petits dorment et j’ose à peine bouger, hésite à le faire, mais me décide lorsque la sonnerie retentit à nouveau. Aussi délicatement que possible, je quitte le canapé et vais déverrouiller la porte d’entrée avant de sortir sur le palier.

— Mon sauveur ! m’exclamé-je en le voyant monter les dernières marches, un sac plastique à la main.

— Je crois que ça mérite bien un bisou, ça. Et pour un bisou, tu sais que je suis prêt à faire n’importe quoi ! Tu as réussi à faire attendre les petits monstres ?

J’attrape sa main libre en lui faisant signe de se taire et le fais entrer. Gaspard et Morgane sont toujours assoupis sur le canapé et je les couvre délicatement de mon plaid avant d’entraîner Jonas dans la cuisine. Je le fais patienter un peu, mettant la glace au congélateur avant de me presser contre lui pour l’embrasser rapidement.

— Merci pour le sauvetage !

— Vraiment pas de quoi, ça me fait plaisir. Tu… veux que je reste ou je vous laisse en famille ? Je ne veux pas m’imposer, mais ça ne me dérange pas de te tenir compagnie si tu le souhaites. Enfin, sauf si tu as rendez-vous avec le guitariste après.

— Est-ce que j’ai la tête de quelqu’un prête pour un rendez-vous ? Je me demande déjà comment j’ai réussi à me brosser les dents ce matin entre deux couches, deux biberons et une crise pour avoir LE jouet phare du moment.

— Tu as toujours l’allure d’une jolie femme prête à faire tourner les têtes ! répond-il tout sourire. Et donc, je reste ou je vous laisse ?

— Je te propose une séance de bécotage d’adolescents suivi d’un goûter composé de glace au chocolat… Qu’est-ce que tu en dis ?

— J’en dis que tu me demandes de te ramener des glaces quand tu veux ! Je serai toujours là si c’est aussi bien payé !

— Bon, c’est une bonne compensation pour la suite… Tu sais, Diego, le guitariste, souris-je en sortant de quoi préparer les glaces, il passe à la maison demain en fin de journée, mais bon, on devrait avoir fini assez tôt pour que je puisse quand même venir chez toi.

— Ah oui ? me demande-t-il, un peu amer. Lui est au menu de l’apéritif et moi pour le dessert ?

— Serait-ce de la jalousie que je perçois dans ta voix ? me moqué-je.

— Oui, tu as raison, je n’ai pas le droit d’être jaloux… Pas après ce que j’ai fait hier… On va manger la glace ? continue-t-il sobrement en se redressant.

— Est-ce que je t’ai déjà dit à quel point je t’ai toujours trouvé mignon lorsque tu joues au jaloux ? C’est… Je ne sais pas, je sais que ça devrait être agaçant et, d’un côté ça peut l’être, je ne vais pas arrêter de voir des hommes juste parce que tu n’aimes pas ça… Tu es bien allé jouer au tennis avec Sylvianne. Ou Sylvana. Suzette ? Je ne sais plus et je m’en fous, de toute façon, énoncé-je avec toute la conviction dont je suis capable en sortant la glace du congélateur.

— Mignon ? grommelle-t-il. Je préfèrerais que tu me trouves mignon quand je fais autre chose ! Genre des bisous, tu vois ?

— Eh bien, il t’arrive d’être mignon, tu devrais déjà en être satisfait. Je vais réveiller les petits, tu veux bien préparer les bols ?

— Tout ce que tu veux, Nono. Le super héros du jour est à ta disposition.

Je dépose un baiser au coin de ses lèvres et file réveiller les petits monstres en douceur. Évidemment, la promesse de la glace adoucit le départ du pays des rêves et ils finissent tous les deux avec le visage barbouillé de chocolat. Je prends un malin plaisir à les prendre en photo pour faire un compte-rendu aux parents, tente de ne pas fondre d’amour lorsque Jonas s’installe avec Gaspard pour dessiner et m’éclipse changer la couche de Morgane pour garder les idées claires.

Le pire ? Le bain des deux petits monstres. Jonas est toujours avec nous et il s’est assis sur le rebord de la baignoire. Son tee-shirt est au moins aussi trempé que le mien et il s’éclate à foncer dans le bâteau de ma nièce en faisant de gros bruits de collision… Comment rester de marbre ? Il abuse !

— Tu aurais dû me prévenir que tu étais un pro de la navigation… ou du bruitage. Compte sur moi pour utiliser ton talent au boulot, me moqué-je en rinçant les cheveux de Gaspard.

— Tu veux que je fasse ce genre de bruits au boulot ? rigole-t-il. Pas sûr que les collègues apprécient !

— Ça dépend, sur une petite campagne de pub pour une marque de voiture, sur un malentendu, ça peut passer.

— Quitte à faire du bruit au boulot, il y en a des plus sensuels qui me feraient plus envie, si tu vois ce que je veux dire.

— Je n’ai pas souvenir d’avoir vu dans les archives des campagnes pour du X, ris-je en enroulant Morgane dans une serviette après l’avoir sortie de l’eau.

— On devrait lancer ça avant mon départ pour Dubaï, sourit-il en aidant Gaspard à sortir à son tour.

— Ne pense même pas à proposer ça, sinon je te noie dans cette baignoire, Marconi ! Tu devrais développer ça là-bas plutôt.

— Je crois que la liberté sexuelle est plutôt limitée, là-bas ! rit-il. Et je suis sûr que tu ferais un excellent travail vu ton expérience personnelle et tes prouesses à ce niveau.

— Tu me traites d’actrice por… m’esclaffé-je en m’arrêtant brusquement.

Gaspard a beau être assez futé pour son âge, je doute qu’il ait déjà entendu le mot “porno”, mais d’ici à ce qu’il le répète à mon frère ou à l’école… Sait-on jamais ! Quant à Morgane, elle est trop occupée à manger sa tétine pendant que je la mets en pyjama.

— Je ne sais pas comment je dois le prendre, continué-je en regardant Jonas aider mon filleul à mettre son boxer Pokémon.

— Comme un compliment envers la femme avec qui j’ai passé les meilleurs moments de ma vie ?

— Hum… On règlera ça quand les petits seront couchés, souris-je en laissant Morgane s’échapper de la pièce. Merci pour le coup de main, Johnny.

— Ça m'a fait plaisir. Ils sont mignons, ces gosses. Et vivement qu’ils soient couchés alors !

Mignons, ouais. Qui aurait cru que mon frangin engendrerait des petits monstres aussi craquants ? Et qui poignarde déjà le contrat établi avec son sex-friend ? Le goûter, le dîner et la soirée ? C’est quoi, la prochaine étape, le repas de famille ? Bon, techniquement, nous avons vécu plus de repas de famille ensemble que de réveils à deux, ces derniers temps… mais le voir aussi à l’aise avec mon neveu et ma nièce ne m’aide pas à garder la tête froide… Il s’agit de Jonas, pas de n’importe quel autre mec.

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