55. Les fleurs du désespéré

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Jonas

La journée est passée dans une atmosphère un peu particulière. La nouvelle de mon départ précipité s’est répandue dans toute la boîte et à chaque fois que quelqu’un est venu me parler dans le bureau, j’ai senti Pénélope se tendre à mes côtés. Pas étonnant après le fiasco de la soirée d’hier. Et le pire, c’est qu’elle est partie et que je n’ai pas réussi à remettre mon nez sur les offres d’appartement à Dubaï ! Tout ce que j’avais en tête, c’est que j’avais gâché une soirée avec elle. Alors qu’il en reste si peu… Quel con je fais, parfois ! Ce soir, il va falloir que je rattrape le coup car le temps file et je veux profiter au maximum avant mon départ. Enfin, dit comme ça, ça fait vraiment profiteur qui se contente du contrat et ça ne met pas en lumière la souffrance que je commence déjà à ressentir en m’imaginant ne plus pouvoir voir ma compagne de plaisir chaque soir… Parce que clairement, la bonne idée d’il y a quelques semaines n’en est plus du tout une. Si je n’avais pas peur de passer pour un abruti ou de manquer à mes engagements, je me verrais bien prolonger de manière indéfinie ce contrat qui semble nous convenir à tous les deux.

Lorsque Pénélope se lève et me salue, je réponds sobrement, désolé de voir qu’elle reste sur le même état d’esprit. Je la laisse s’éloigner et me précipite pour mettre en œuvre le plan que j’ai imaginé hier soir. Je vais me changer dans les toilettes de l’entreprise afin d’enfiler une chemise classe mais moins classique puisque rouge, ce qui me met bien en valeur. Je m’asperge un peu d’eau de cologne et sors sous le regard amusé de Marc à qui il ne viendrait jamais à l’esprit de faire un effort pour une femme, aussi belle soit-elle. Je passe chez le fleuriste où j’ai commandé un bouquet et le récupère avant de prendre enfin le chemin de l’appartement de Pénélope. Il y avait du monde dans le magasin, le métro est bien rempli et avance moins vite que d’habitude, mais j’espère que ça suffira quand même pour retrouver ma jolie rousse avant qu’elle ne soit plus disponible. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle va faire ce soir, mais comme nous n’avons convenu de rien, j’imagine qu’elle n’a rien de prévu et que nous allons pouvoir rattraper la soirée d’hier.

Je sonne à son interphone et m’annonce en essayant de dissimuler le stress que je ressens alors que sa voix se fait entendre.

— Nono, c’est moi. Je peux monter ? Je veux me faire pardonner pour hier…

— Monter ? Oui, oui, bien sûr, je t’ouvre…

Bon, c’est pas le grand enthousiasme mais ce n’est pas un refus non plus. Je me dépêche de rejoindre son appartement dont je trouve la porte entrouverte. Je la pousse et me dirige vers les escaliers de la mezzanine et donc de la chambre, où je crois l’avoir aperçue. Elle y est en effet et je m’arrête sur le palier, une nouvelle fois stupéfait par sa beauté. Elle a revêtu une petite robe noire très chic qui s’arrête à mi-cuisse et qui laisse ses épaules découvertes. Ses cheveux roux forment une crinière autour de son visage d’ange et, comme elle est de dos en train de farfouiller dans sa commode, je peux admirer aussi ses si jolies fesses que j’ai repris l’habitude de caresser.

— Wow, finis-je par dire alors qu’elle se retourne enfin. Tu es superbe. Tiens, même si c’est périssable et que tu aurais peut-être préféré des bonbons, je t’ai ramené des fleurs. Elles sentent bon !

Je le lui tends et elle hausse les sourcils en prenant délicatement les fleurs aux teintes rouges et blanches particulièrement odorantes. Clairement, cela la surprend mais je n’arrive pas à savoir si c’est positif ou pas.

— Eh bien… Je te remercie. Elles sont… très jolies. Je ne crois pas que nous avions prévu de nous voir ce soir.

— C’est pour rattraper la soirée d’hier, Nono. Je m’excuse encore, j’ai été un parfait goujat et tu m’as trop manqué. La beauté de ces fleurs, même si elle n’est pas à la hauteur de la tienne, c’est juste pour essayer de faire oublier que je suis parfois trop con. En plus, comme le départ s’approche, je me disais qu’il fallait en profiter au maximum…

Mon cerveau capte enfin le sens de sa remarque et je réalise que je n’ai sûrement pas choisi le bon moment pour venir. Clairement, elle ne s’est pas ainsi apprêtée pour moi, contrairement à ce que mon esprit torturé a d’abord imaginé. Elle est sur le point de sortir et ce n’est pas avec moi. Serais-je déjà oublié ? Ou alors a-t-elle rencontré quelqu’un d’autre et utilisé l’excuse de mon inattention hier pour me lancer des signaux qu’on arrivait sur la fin précipitée elle-aussi de mon contrat ?

— L’intention est louable, mais je sors ce soir et, honnêtement, je pensais que tu me connaissais mieux que ça… Des fleurs, Jonas ?

— Elles ne te plaisent pas ? demandé-je avant de réaliser tout ce qu’elle a déjà pu me dire sur le peu d’intérêt qu’elle a pour les fleurs coupées. Je… Oui, c’est tout ce à quoi j’ai pensé pour me faire pardonner…

— Tu n’as rien à te faire pardonner, nous avons juste des plans différents aujourd’hui, c’est tout. Chacun ses objectifs, chacun sa vie, chacun son emploi du temps. Je ne te demande pas d’excuses, je n’en ai pas besoin, tu ne me dois rien, en fait.

— Je ne te dois rien ? Mais… je voulais qu’on passe cette soirée à deux pour rattraper le temps perdu d’hier, c’est tout. Je ne voulais pas te déranger. Je… Désolé, je suis encore en train de faire n’importe quoi, on dirait.

Elle me jauge, perplexe et je me demande ce qu’elle est en train de penser. Alors que je la connais si bien et que d’habitude, je sais lire en elle, ce soir, comme ces derniers jours, elle se transforme en mystère. J’en arrive même à faire des erreurs de débutant et à lui offrir des fleurs alors que du chocolat aurait été une bien meilleure idée… Soit je perds la tête avec ce départ à Dubaï, soit c’est elle et l’idée de la perdre qui me rend aussi pathétique.

— Il faut que j’y aille, je vais être en retard. Tu n’as qu’à… mettre les fleurs dans l’un de mes verres à cocktail, je n’ai pas de vase. Il y a un double des clés dans le vide-poche de l’entrée, n’oublie pas de fermer en sortant. A moins que tu veuilles m’attendre ici, évidemment.

— T’attendre ? Euh… Si tu veux…

Je n’ai pas le temps de plus réfléchir à sa question qu’elle dépose un léger bisou sur mes lèvres, enfile ses chaussures et court vers les escaliers, ne laissant derrière elle que cette merveilleuse odeur vanillée qui m’est si familière. Incapable de vraiment réfléchir, je me contente d’abord de faire ce qu’elle m’a demandé. Je récupère les fleurs qu’elle a posées à même le sol, signe du peu d’intérêt qu’elle y porte, et je vais récupérer un verre pour essayer de les y faire rentrer. Je finis par en utiliser deux et me dis que le bouquet ne ressemble plus à rien, désormais.

Je soupire et réfléchis à l’attitude de Pénélope et notamment à la robe qu’elle a revêtue. Elle ne m’a pas dit où elle allait mais clairement, ce n’est pas au supermarché. Elle a un rencard, c’est évident, mais avec qui ? Sexy comme elle est, je l’imagine mal aller juste se promener. Elle va dans un resto ? Au théâtre, peut-être ? A un concert ? Mais avec qui ? Je n’arrête pas de me poser cette question, c’est fou. Pourquoi ne m’a-t-elle rien dit ? Parce qu’on n’a pas de comptes à se rendre comme elle a dit ? Elle doit être avec un nouveau mec, en train de bien rigoler de moi, là. Pathétique avec mes fleurs. Pathétique parce que je m’accroche alors que le contrat s’arrête et que je devrais penser à la suite, comme elle est sûrement en train de le faire. Pathétique parce que je l’attends, seul chez elle, alors qu’elle s’amuse avec un autre. Franchement, qu’est-ce que je fous là ? J’ai quand même encore un peu d’estime de moi-même, non ? Ne voulant pas passer après un autre, je vais chercher le double de ses clés et sors en refermant derrière moi. Au moins, si elle rentre avec son Apollon, je ne serai pas comme la cinquième roue du carrosse.

Je crois que je n’ai pas été aussi triste depuis la dernière rupture avec elle. J’ai l’impression de faire un saut dans le passé et de me retrouver avec le même désespoir que quand elle m’a annoncé que tout était fini entre nous… Ou comme quand j’ai appris qu’elle s’était mise en couple avec Steven. Bref, je ne vais pas bien et j’essaie de me convaincre que ce ne sont pas des larmes qui m’empêchent de bien voir mon chemin. On ne s’est rien promis, pourquoi je suis dans cet état-là ? Et dire que si j’avais refusé d’accélérer le départ à Dubaï ou que si j’avais fait attention à elle hier, je n’en serais sûrement pas là ! Tout est ma faute… Je suis un gros con. Un gros débile. Et je suis toujours aussi amoureux d’elle, de cette maladie-là, je ne guéris clairement pas. Je dirais même que mon état général empire. Je suis tiré de ces sombres pensées par mon téléphone qui vibre dans ma poche. Quand je le sors, j’essuie une larme pour découvrir que c’est Pénélope qui m’envoie un SMS. Fébrile, je l’ouvre.

[Promis, j’essaie de ne pas trop boire, mais les anniversaires, ça se fête comme il se doit !]

Elle accompagne son message d’une photo que j’ouvre et sur laquelle je la découvre, toujours aussi magnifique, un grand sourire, en compagnie d’Elise et Solène qui a revêtu une couronne pour l’occasion. J’ai l’impression qu’un poids immense quitte ma poitrine et je souris à nouveau, soulagé de voir qu’il n’y a pas un autre mec qui est en train de poser ses sales pattes sur celle que j’aime. Et je me sens une nouvelle fois tout bête de m’être laissé aller à mes pensées qui ont dérivé bien loin de la réalité.

[Si tu as besoin, tu me dis et je viens te chercher. Je ne voudrais pas qu’il t’arrive quoi que ce soit ! Tu sais que tu es vraiment magnifique ? Amusez-vous bien, les filles]

J’hésite un instant sur la conduite à tenir mais finis rapidement par me décider et je reviens sur mes pas pour retourner chez Pénélope. Elle m’a dit de l’attendre, si je le voulais. Et c’est clairement ce que je veux. Même si elle est trop bourrée à nouveau pour faire quoi que ce soit quand elle rentre, la tenir dans mes bras tout simplement me fera déjà énormément de bien. Et si elle en a envie, on ira plus loin, bien entendu. Je suis entièrement à sa merci et le pire, c’est que j’aime ça. Même pour un simple câlin et un baiser, je signe. Tout plutôt que cet éloignement et cette distance qui va finir par s’imposer à nous quand je serai à Dubaï. Je suis foutu, c’est clair, mais quitte à l’être, autant l’être jusqu’au bout et ne pas regretter quoi que ce soit au moment du départ.

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