60. Le repos de la minette

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Pénélope

Je lève les yeux sur le bureau vide à côté du mien et pousse un soupir à fendre l’âme. Je m’ennuie. Jonas est parti plus tôt que prévu chez ses parents, y passant le weekend plutôt que de rester à Paris avec moi. C’est le problème quand on se prend le chou avant un départ… On rate quelques orgasmes et les derniers moments ensemble. Ça m'apprendra à camper sur mes positions, non ? Je veux juste me protéger et vivre à nouveau une relation à distance avec Jonas me garantit assurément des cheveux blancs, une hausse de ma tension artérielle et un conflit avec ma balance… Bien que je ne sois pas à deux ou trois kilos près.

Je n’ai pas encore fait le vide dans la pièce. Je pourrais réellement m’installer, mettre ses meubles dans un coin, prendre vraiment mon espace, mais je ne suis pas prête, loin de là. Et après huit nouvelles heures en solitaire dans ce bureau qui, en soi, n’est pas beaucoup plus silencieux que lorsque monsieur control freak y était, je récupère mes affaires et rejoins Elise et Solène dans le hall sans aucune hésitation. L’avantage d’être seule, c’est que j’avance plus vite niveau boulot, pas déconcentrée par le regard de Jonas, par son sourire ou simplement sa présence pas très loin de moi.

— Désolée pour le retard, soufflé-je. J’ai le temps de me changer ou vous en avez marre et on y va ?

— Tu peux te changer, on n’est pas à la minute non plus, me répond Solène en souriant. Et puis, comme on sort, autant que tu mettes ta tenue de séductrice !

Tenue de séductrice… Si seulement j’étais dans le mood séduction, ça pourrait être pas mal. Pour le moment, j’ai juste envie de rentrer me terrer chez moi, mais il paraît que j’ai une tête qui fait peur et un moral inhabituellement bas selon les filles. J’ai passé mon samedi soir avec elles et mon état les a alertées… Ou elles cherchent n’importe quelle excuse pour sortir et boire entre filles. Le seul moment où les mecs seront autorisés, c’est si Elise ou moi trouvons un compagnon pour la nuit, et quand Victor sera appelé pour venir nous chercher… Je compte bien ajouter des sujets tabous genre le boulot ou Jonas, mais je crois que je rêve un peu…

Je file aux toilettes et troque mon pantalon et mon chemisier blancs contre une petite robe à fines bretelles qui moule tout ce qui doit l’être. Jonas l’aime bien, celle-ci, elle lui rappelle celle que je portais lorsque nous avons fait notre premier restaurant à deux. On sortait ensemble depuis déjà plusieurs mois, mais il voulait absolument la jouer romantique et avait bossé pendant des semaines dans la ferme laitière du village pour avoir un peu d’argent et que nous sortions tous les deux. Bref, pas forcément l’idée du siècle d’enfiler cette tenue, mais c’est trop tard, la robe sera rouge et moulante. Le décolleté est sage mais le dos est quasiment nu. Elle est vraiment canon et je l’adorais, en fait. Aujourd’hui elle me rappelle un peu trop le regard appréciateur de mon ex amant et son empressement à me l’ôter.

Je retouche mon maquillage, attache mes cheveux en queue de cheval, troque mes baskets contre des chaussures compensées et enfile ma veste en jean… Le temps caniculaire a viré à l’orage ce weekend et s’est grandement rafraîchi en ce début de semaine, comme s’il suivait plus ou moins mes humeurs.

— On va où ? interrogé-je les filles en sortant des toilettes.

— Elise a trouvé un bar sympa dans le quartier latin. La nourriture est bonne, le cadre est agréable et on peut y danser. De quoi nous amuser !

Elles sont fortes… Le quartier latin, j’adore. Je ne sais pas si je me serais dirigée vers ce quartier pour sortir, ce soir, mais je dépose mon sac de vêtements derrière le bureau d’Elise et suis les filles. Il nous faut une petite demi-heure pour rejoindre le quartier, une dizaine supplémentaire pour flâner et nous installer autour d’une table haute toutes les trois. Evidemment, trois gonzesses plutôt agréables à regarder, nous sommes vite repérées même s’il est encore tôt. Il y a du monde, la musique est déjà entraînante, mais nous restons pour le moment sur une phase d’observation. Un petit groupe de mecs sortant sans doute du bureau, encore engoncés dans leur pantalon de costume et leur chemise, est installé à quelques tables de nous et il y a du beau monde. Elise est déjà en train de baver comme un Terre Neuve.

— Respire et joue-la un peu moins intéressée, tu veux ? soupiré-je. S’ils savent d’entrée que c’est dans la poche, ils ne feront aucun effort…

— Ouais, tu as raison, se ressaisit-elle en reportant son attention sur moi. Tu as vu le grand blond ? C’est tout à fait mon type, le mec. Mais… si tu es intéressée, je te le laisse, hein ? A toi la priorité, ce soir.

— Non merci, j’aime pas trop les blonds…

Et puis on dirait un gamin, sérieusement… Il doit avoir quoi, vingt-et-un, vingt-deux ans ? Ou c’est le fait qu’il n’ait pas de barbe qui fait ça ? Non, sérieux, quitte à choisir dans le groupe, le brun est plus mignon… Le roux a du charme, lui aussi, mais le blond ? Non merci…

— Oh tant mieux alors ! On commande à manger, j’ai une faim de louve et je crois que je vais laisser libre court à ma gourmandise, ce soir !

— Vas-y mollo, quand même, fais gaffe à l’indigestion, ris-je en zieutant sur le menu.

Oui, le menu me semble plus intéressant que les mecs… Je l’avais dit, que j’aurais un contentieux avec ma balance ! A défaut de dépenser des calories en copulant, je vais simplement accumuler les kilos… et peut-être essayer de danser histoire d’en éliminer un peu.

Une fois la commande passée, nous trinquons toutes les trois à notre soirée entre filles, sous les regards appréciateurs des mecs qui sont tout sauf discrets. Je grimace et leur tourne le dos, pas vraiment intéressée.

— Ne me regarde pas comme ça, marmonné-je en constatant que Solène m’observe avec attention. J’ai le droit de ne pas vouloir me trouver un mec, non ?

— Tu as le droit, oui, mais tourner le dos à la vie, ce n’est pas terrible comme idée. Tu es sûre que tu ne veux pas laisser une chance à l’un de ces types ? Même une toute petite ? Qui sait, tu pourrais être surprise en bien…

— Je ne tourne pas le dos à la vie, ris-je, j’ai aussi le droit de prendre le temps après avoir passé plusieurs semaines avec Jonas, non ? Je veux dire… il n’est même pas parti encore, je peux aussi profiter de mon célibat et de mon lit rien que pour moi.

— Ah oui, tu reposes ta minette, tu as raison ! se marre Elise. Mais pas trop longtemps, hein ?

J’éclate de rire et valide d’un énergique hochement de tête.

— Il va lui falloir un peu de temps pour s’en remettre, en effet, il a laissé son empreinte, encore une fois, soupiré-je en jetant un œil au groupe d’hommes.

— Comme tu disais, il n’est pas encore parti. Pourquoi tu n’essayes pas de l’appeler et de discuter avec lui ? Tu serais peut-être surprise si tu l’écoutais, insiste mon amie secrétaire. C’est dommage que tout s’arrête comme ça entre vous, je trouve.

— L’écouter ? Discuter ? Pour quoi faire ? Me faire entourlouper ? Sans façon, merci. Et ça ne changerait rien. Ça fait dix ans, c’est du passé tout ça, lui et moi on s’entend bien au lit et ça s’arrête là. On avait un deal, il a été respecté jusqu’à ce que Jonas se dévoile un peu trop… Pour le reste, je n’ai pas confiance, que veux-tu que je fasse ?

— Eh bien, au moins que tu ailles le retrouver et que tu profites du sexe jusqu’à son départ ! Et franchement, à ta place, je crois que je lui redonnerais une chance même s’il part à Dubaï. Il a peut-être mûri et changé depuis le temps ? Oh… le blond m’a fait un clin d'œil, glousse-t-elle en papillonnant des yeux.

— Profiter jusqu’à son départ serait l’utiliser alors qu’il s’est dévoilé, c’est plutôt moche et pas mon genre. Quant à lui redonner une chance… j’y ai pensé, oui, sauf qu’avec ses conneries il a conditionné toute ma vie amoureuse et sexuelle. J’ai un mal fou à faire confiance aux hommes et, bingo, je me suis mariée avec un connard lui aussi infidèle. Bref, je te suggère de te concentrer sur ton blond et de me laisser me débrouiller avec mes affaires de cœur et de cul… qui n’existent plus, de toute façon. C’est fini, on passe à autre chose. C’est la vie.

C’est bien gentil les “à ta place”, “si j’étais toi”, sauf que personne n’est dans mes pompes, hyper confortables au demeurant, malgré les talons. Personne ne peut se mettre à ma place, personne ne peut comprendre ce que j’ai ressenti lorsque j’ai compris qu’il m’avait trompée, personne n’imagine comme j’ai eu du mal à m’en remettre, à tourner la page. Jonas était vraiment l’homme de ma vie pour moi, nous nous entendions tellement bien, avions les mêmes centres d’intérêt, les mêmes projets… Nous étions sur la même longueur d’onde et tout s’est cassé la figure de manière brutale pour moi.

Bon, OK, entre nous, je crève d’envie de prendre le premier train qui me permettrait de rentrer chez mes parents. Jonas me manque, et je ne parle pas que de sexe, loin de là. Ces derniers temps, j’avais l’impression d’avoir retrouvé une partie du jeune homme dont j’étais tombée follement amoureuse. Notre complicité retrouvée, même si au boulot, nous avions tendance à nous faire quelques petites crasses plutôt mignonnes, comparées au début de notre collaboration, m’a fait un bien fou. Je me demande si j’aurais aussi bien géré mon divorce sans lui. Je crois qu’il m’a permis de ne pas totalement perdre confiance en moi en découvrant la tromperie de Steven, même s’il m’a fait vivre la même chose il y a dix ans. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de Jonas et que si je parvenais à mettre de côté cette douleur et cette rancœur, je serais déjà en route pour le village de notre enfance, pour le plus grand plaisir de nos parents.

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