61. La vérité du matou disparu

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Jonas

Qu’est-ce que ça fait bizarre de me retrouver dans ma chambre d’adolescent, avec la plupart de mes affaires dans le garage après avoir presque totalement vidé mon appartement à Paris. Je n’ai pas eu le temps de tout enlever mais ce n’est pas grave, j’ai décidé de le mettre en location et ça profitera à mon futur locataire. J’ai un peu l’impression d’être revenu à la case départ sans être passé par la case prison, c’est étrange. Et surtout, ma Nono me manque terriblement. Surtout ici où nous avons tant de souvenirs en commun. Quelle idée de se disputer avant le départ ! Tout ce temps perdu, j’ai l’impression d’avoir merdé alors que je n’ai rien fait du tout. Comme quand elle m’a envoyé balader alors que j’étais tranquille aux Etats-Unis. C’est sûrement sa façon de faire. Pas agréable pour moi, sans respect pour la souffrance que ça cause chez moi, il faudrait que je commence à m’y habituer depuis le temps que je la fréquente.

Je soupire, j’ai envie d’un câlin mais bien entendu, Blacko, mon Pacha, n’est jamais là quand il faut. Je me penche pour voir s’il est toujours caché sous mon lit, ce qui semble être son endroit préféré depuis que nous sommes rentrés, mais il n’est pas là. Où est donc passé ce gros lourdaud plein de poils ? Jamais là quand on le cherche. Je fais le tour de ma petite chambre mais il n’a pas l’air d’être dans le coin. Un peu inquiet car je ne l’ai pas vu sortir et qu’il n’a plus ses repères ici, je fais le tour de la maison sans le voir nulle part. Ma mère est dans la cuisine en train d’éplucher des pommes de terre.

— Maman, tu n’as pas vu Blacko ? Il n’est plus dans ma chambre…

— Ah non, désolée… J’espère qu’il n’est pas sorti, mais j’ai laissé la porte ouverte une partie de la matinée.

— Tu as laissé la porte ouverte ? Mais…

Je commence à hausser le ton mais me calme bien vite en voyant le regard sévère que me lance ma mère. Comme quand j’étais gamin, cela suffit à me faire redescendre et je préfère ne pas insister. Je vais devant de la maison et appelle mon chat. Comme si cela avait déjà convaincu un félin de revenir s’il n’en a pas envie. Blacko est né dans une ferme pas loin d’ici et je me demande s’il n’a pas filé là-bas, suivant son instinct. Mais partir comme ça à sa recherche, c’est un peu comme essayer de vider l’océan à la petite cuillère. Beaucoup d’efforts pour un résultat limité. Je rentre et m’installe dans la cuisine en face de ma mère que j’aide à préparer les légumes pour la soupe qu’elle va mettre à chauffer pour le dîner. Fréquemment, je regarde vers la porte pour voir si mon chat fait sa réapparition mais mes espoirs sont déçus.

— Arrête donc de t'inquiéter pour ton chat, c’est un malin, il a dû se trouver une jolie minette et il vit sa meilleure vie, finit par me dire ma mère. Et peut-être que tu devrais faire pareil plutôt que de rester avec tes vieux parents.

— Mais j’aime bien mes vieux parents, moi, rétorqué-je en me disant que la seule avec qui j’ai envie de passer ma meilleure vie ne veut plus entendre parler de moi.

— On va finir par t’appeler Tanguy, fais gaffe. Enfin, je dis ça, mais entre toi qui n’es toujours pas marié et Pénélope qui divorce, je ne sais pas ce qui est le pire. Bref, ne te trouve pas de fille à Dubaï, hein ? Je n’ai pas non plus envie que tu restes vivre là-bas indéfiniment.

— Tu sais, je ne crois pas que je vais rester si longtemps que ça à Dubaï… Et il y a une forte communauté d’expatriés, si je me trouve une fille, ce sera sûrement une française que je pourrai ramener à la maison. Et passer une semaine de vacances à la maison ne fait pas de moi un Tanguy non plus, grommelé-je.

— Aurais-tu oublié ton humour à Paris, mon chéri ? Je te trouve bougon en ce moment… Est-ce que tout va bien ?

— Oui, ça va, Maman. Je me suis un peu disputé avec Pénélope avant de partir alors que ça allait mieux entre nous. Je crois que c’est ça qui me mine un peu, avoué-je. Ça et je me questionne aussi sur le fait de savoir si je n’aurais pas dû rester. Bref, c’est moi avant un grand départ. Ne t’inquiète pas, ça ira vite mieux.

— C’est fou de vous voir encore vous chamailler alors que vous séparer était tout bonnement impossible lorsque vous étiez jeunes, soupire ma mère. Vous devriez profiter de la vie, arrêter de vous poser tant de questions et juste vous aimer.

— C’est pas ça qui va me ramener Blacko, marmonné-je en me levant pour clôturer cette discussion qui tourne à nouveau autour d’un sujet qui me met mal à l’aise.

Après le repas, alors que je suis sous le porche et scrute l’horizon, le téléphone sonne et j’entends mon père discuter avant qu’il ne me rejoigne.

— Je crois que la voisine va te rendre ton sourire. Blacko est tranquillement installé dans son canapé après avoir dégusté une partie de sa quiche au thon.

La voisine ? Pénélope est rentrée ? Sans rien me dire ? Ah non, il doit parler de sa mère. Mais qu’est-ce que cet abruti de matou est allé faire chez les parents de Pénélope ? Quelle idée est passée par sa petite tête de chat ?

— Bon, je vais aller le chercher alors et l’enguirlander, même si ça m’étonnerait qu’il comprenne quelque chose… Vous venez avec moi pour faire un tour ?

— Non, ça va aller, on dîne demain soir chez eux, autant les laisser tranquilles, et puis on a du jardinage à faire avec ton père.

Je leur fais une bise à tous les deux avant de me rendre chez les Jolivet qui m’accueillent avec le sourire. Mon chat, par contre, fait celui qui ne me connaît pas et reste sur son fauteuil à se lécher consciencieusement les pattes. Même quand je m’assois à ses côtés, il se contente de se lever et s’installe à mes pieds.

— Tu es fâché ou quoi, Monsieur l’aventurier ?

— Il faut croire, sourit la mère de Pénélope. On l’a trouvé sur le lit de Penny. La fenêtre était ouverte, je crois bien qu’il essaie de te faire passer un message.

— Quel message ? Tu veux dire quoi par là ? demandé-je alors que Blacko se met sur le dos et lève ses pattes en l’air comme s’il voulait attraper une mouche.

— Eh bien, je ne sais pas, moi… Ne pars pas ? Ne l’abandonne pas une fois de plus ? Va savoir… C’est votre histoire après tout.

Si c’était notre histoire, je ne me prendrais pas ce type de reproches. Elle est marrante, Chantal.

— Je lui ai proposé de m’attendre et de revenir vite, elle m’a juste fait tout un tas de reproches sans me laisser m’expliquer comme elle l’avait déjà fait auparavant. J’ai beau lui dire qu’elle est la femme de ma vie, ça n’a pas l’air de la convaincre. Je crois que c’est à elle qu’il faut parler, pas à moi. Enfin, vu comment elle m’a parlé ces derniers jours, je vais peut-être prolonger mon séjour, finalement.

— Je savais bien que c’était reparti, tous les deux, sourit Chantal en tapotant ma cuisse. Tu connais Pénélope, elle a son caractère et elle réagit à l’instinct, à l’émotion. S’il y a bien une chose sur laquelle vous êtes différents tous les deux, c’est à ce propos. Tu contrôles tout, sauf lorsqu’il s’agit de tes émotions. Elle, elle sait qu’elle ne contrôlera pas si elle ne se protège pas, alors elle fuit par peur de souffrir.

Ah mince, piqué par ses reproches, je me suis grillé tout seul et j’ai oublié qu’on avait tout fait pour garder notre relation secrète. Quel con. Demain soir, je sais de quoi les vieux vont parler… Enfin bon, maintenant que c’est dit, autant continuer cette conversation.

— Parce que tu crois que je pourrais la faire souffrir, moi ? C’est elle qui me jette à chaque fois, soupiré-je. Dans l’histoire, à cause d’elle, on est deux à ne pas être heureux. Mais bon, si c’est comme la dernière fois, quand je rentrerai, elle sera en route vers son prochain mariage.

— Parce que tu penses que te savoir avec une autre, là-bas, ne l’a pas faite souffrir ? Je ne sais pas exactement ce que vous vous autorisiez à l’époque, mais crois-moi, même si elle était d’accord pour que tu fasses tes expériences, je doute qu’elle ait vraiment accepté que cela inclue une autre fille.

— Quelle autre fille ? J’ai toujours été fidèle, moi. Franchement, je me demande pourquoi vu comment ça a fini.

— Ce n’est pas le discours de ma fille, Jonas, soupire Chantal. D’après elle, tu l’as trompée aux Etats-Unis. Voilà pourquoi elle a coupé les ponts.

— C’est ce qu’elle m’a reproché, en effet, mais j’ai eu beau lui dire et lui redire que ce n’était pas vrai, elle ne m’a jamais entendu. Elle est pire que Blacko quand elle ne veut pas comprendre…

— Jonas, est-ce que tu l’aurais crue, toi, si des photos de la fameuse soirée circulaient sur je ne sais trop quel réseau social ? Et… tu l’aurais entendue si c’était un homme qui avait décroché lorsque tu l’as appelée ? Si cet homme t’avait dit que tu étais bien occupé avec son copain ?

Qu’est-ce qu’elle raconte ? C’est quoi, cette histoire ? Je ne comprends rien à ce qu’elle est en train de me dire.

— De quoi tu parles, là ? Qu’est-ce que Nono s’est imaginée en regardant les photos sur Facebook ? Et c’est quoi cette histoire d’un homme qui décroche ? demandé-je complètement perdu.

— Je ne fais que te raconter ce que j’ai eu comme son de cloche. Ma fille est venue me voir, effondrée, en me disant qu’une Américaine avait décroché ton téléphone et lui a raconté que sa copine et toi étiez très occupés dans sa chambre… Quant aux photos, elle m’a montré les clichés d’une soirée où on te voyait danser avec une jolie blonde, discuter avec elle, bref, tu semblais vraiment proche d’elle. Il y avait même une photo où on pouvait imaginer que vous vous embrassiez, mais je ne saurais dire si c’était une histoire d’angle de prise de vue ou si c’était vraiment le cas. Évidemment, Pénélope a pris ça pour argent comptant, déjà ébranlée par les propos qu’elle a entendus au téléphone.

Je reste silencieux et essaie de me remémorer ce qu’il s’est passé il y a dix ans. Je me souviens bien de cette fête mais je ne me rappelle pas avoir été proche d’une fille en particulier. A part cette Vic qui aurait aimé que je craque… Et mince… C’est vrai qu’elle a cherché à me séduire toute la soirée. Les photos n’ont pas dû montrer comment je l’ai repoussée…

— La blonde, Vic, pas étonnant qu’elle était proche de moi. Je l’ai repoussée toute la soirée, tu sais ? Mais je ne vois pas de quoi tu parles pour ce qui est de la copine avec qui je… Oh non, c’est pas vrai. Elle n’a pas fait ça, quand même, la salope !

— Ton vocabulaire, jeune homme, grimace Chantal. Explique-toi, plutôt !

— Oh désolé, mais je suis sûr que c’est Vic qui a répondu. J’étais effectivement avec une de ses amies. On était en train de jouer à Mario Kart et je me souviens maintenant qu’elle est venue me ramener mon téléphone, un petit sourire aux lèvres avec une remarque étrange, comme quoi j’allais pouvoir me consacrer à elle. J’ai cru que je n’avais pas compris son anglais mais en fait, cette put… traînée m’a trahi et Pénélope n’a pas pris la peine de vérifier ! Tu imagines, une vie foutue à cause de cette fille ? Je vais la tuer, je crois.

— Donc… tu n’as pas trompé ma fille ? Vraiment ? Je veux dire… c’était il y a dix ans, dans tous les cas, je pense que vous devriez mettre ça derrière vous et ne pas en tenir compte dans le présent, mais… Grand Dieu, c’est moi qui vais étriper cette fille ! Je pourrais avoir des petits-enfants de ma petite dernière si elle n’était pas intervenue !

— Bien sûr que non, je n’ai pas trompé Pénélope. Je te l’ai dit, c’est la femme de ma vie… Enfin, c’était… Avant qu’elle ne croie une inconnue et me retire sa confiance. Tu peux me dire pourquoi elle ne m’a jamais laissé m’expliquer ? Finalement, elle a peut-être bien fait… C’est qu’on n’était pas vraiment faits l’un pour l’autre…

— Pourquoi elle ne t’a jamais laissé t’expliquer ? On parle d’une gamine de dix-huit ans folle amoureuse, blessée dans son orgueil… D’une jeune femme qui peinait à s’assumer et qui t’a vu fricoter avec une petite nénette bien gaulée sur des photos, mon grand. Tu crois que ça fait quoi, quand on manque de confiance en soi ? Elle a préféré mordre avant de se faire mordre, c’est tout… Ça ne veut pas dire pour autant que vous n’êtes pas faits l’un pour l’autre. Elle déprime à Paris et tu ne sembles pas en meilleur état, après tout.

— Je ne sais pas quoi faire, moi. Depuis qu’on s’est remis ensemble, je n’ai vu personne d’autre. Quand je suis avec elle, je suis heureux, mais elle, elle m’a juste utilisé pour se remettre de son divorce. Je crois qu’elle ne m’aime plus… On a raté notre occasion, c’est la vie, c’est tout… Je pensais qu’on avait eu une nouvelle chance mais je me suis à nouveau trompé.

— Tu m’écoutes quand je te parle ? Je t’ai dit que ma fille déprimait à Paris… Crois-tu que ce serait le cas si elle t’avait utilisé pour se remettre de son divorce ? Bon sang, vous les hommes, qu’est-ce que vous êtes longs à la détente, parfois.

— Ouais, eh bien si elle déprime vraiment, elle a mon numéro, répliqué-je sèchement. Merci de m’avoir prévenu pour Blacko. Je le ramène à la maison. Bonne soirée et s’il te plaît, ne dis pas à mes parents ce que je viens de te raconter. Sinon, jamais ils ne me laisseront monter dans l’avion…

— J’aimerais te le promettre, mon grand, mais je ne suis pas une menteuse et tu sais bien qu’avec tes parents, on espère vous revoir tous les deux ensemble… Donc, possible que je leur en parle, et même que j’appelle ma fille, qui sait. Vous êtes tous les deux des imbéciles de camper sur vos positions, soyons clairs.

— Et vous, vous êtes des grands rêveurs si vous pensez que vous pouvez nous réconcilier après tout ce qu’il s’est passé. Parce que quand on me manque de confiance, j’ai du mal à réagir positivement, tu vois ? Si on me manque de respect comme ça, moi aussi, j’ai du mal à pardonner. Je mords aussi avant qu’on me morde. Surtout quand on me fait le coup deux fois. Il n’y en aura pas de troisième, crois-moi.

— Et donc, tu reproduis ce que tu as fait il y a dix ans en partant ? Tu te rends compte que la confiance se mérite, Jonas ? Je sais que Pénélope a fauté, mais mets-toi à sa place aussi, soupire Chantal en grimaçant. Vous devriez vous poser et vraiment discuter de ce qu’il s’est passé il y a dix ans plutôt que de rester butés, pour l’amour du ciel ! Bref, je comprends que tu n’apprécies pas tout ceci, mais il n’en reste pas moins qu’il est stupide de tourner le dos à l’amour de sa vie par fierté.

— Il fallait dire ça à Pénélope il y a dix ans, attaqué-je en prenant mon chat dans les bras. Bonne soirée, Chantal. Je te laisse.

Je ne lui laisse pas le temps de me faire à nouveau la morale et rentre chez mes parents avec Blacko dans les bras qui doit sentir ma tension car il fait tout pour s’échapper de mon étreinte. J’ai presque envie de le laisser avec Chantal mais j’ai fait le chemin pour le récupérer, pas pour céder à ses caprices. Et je me demande ce que je vais faire, maintenant que la bombe est lâchée. Qu’est-ce qui m’a pris de me confier ainsi à la mère de ma rousse ? Et qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Peut-être que je devrais me barrer dès ce soir ? Et plutôt que d’aller à Dubaï, je vais retourner aux Etats-Unis et régler son compte à cette Vic qui a tout détruit dans ma vie. Quelle salope ! Et encore, le terme est trop faible, même après dix ans.

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