62. Mauvaise surprise

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Pénélope

Gaspard ricane lorsque je le hisse sur mes épaules pour monter les étages qui me séparent de l’appartement de ses parents. Morgane s’est déjà endormie dans l’écharpe de portage qui me tient tellement chaud en ce jour ensoleillé, que je n’ai plus qu’une hâte : arriver là-haut et balourder les gosses.

Je dis ça, mais ce mercredi après-midi en leur compagnie est un réel moment de plaisir qui me permet de penser à autre chose… ou à ne pas penser tout court, du moins, hormis à ce qui porte des couches ou met tout à la bouche.

Lorsque je dépose Gaspard dans la cuisine pour qu’il se lave les mains, Morgane gesticule contre mon torse en s’éveillant et je grommelle en voyant mon tee-shirt plein de glace au chocolat et de poussière. Heureusement que leurs parents ne sont pas encore rentrés du boulot. Changement de plan ici : direction le bain pour les deux petits monstres. Personnellement, les voir crados ne me gêne pas plus que cela. J’ai surtout constaté leurs sourires et leurs rires ; ils se sont éclatés et moi aussi, c’est tout ce qui m’importe, mais Virginie ne voit pas vraiment les choses comme ça… J’adore ma belle-soeur, mais pour elle les enfants devraient toujours être tirés à quatre épingles… Ils ont trois et deux ans, bon sang ! A cet âge, ils touchent à tout, ils adorent tout ce qui salit : la boue, les flaques d’eau, les cailloux et j’en passe… Bref, je suis la tata crado, moi. Ils font tout ça avec moi et finissent dans un état pas possible et moi aussi, mais ils se sont bien amusés.

Là, je fais moins la maligne… Nettoyer les ongles d’un enfant est un cauchemar, mais je ne peux m’empêcher de rigoler lorsque je finis éclaboussée par mon neveu qui sait qu’il peut se le permettre avec moi.

Baptiste rentre à la maison quand je finis d’enfiler son tee-shirt à Gaspard. Ma nièce est déjà sèche et changée, elle joue sur le tapis à côté de nous. Je coiffe mon neveu qui me fait des grimaces quand la petite se met à gazouiller en voyant son père. Les retrouvailles sont pleines de rires et de câlins, c’est trognon et ça me laisse le temps de me débarbouiller et de troquer mon tee-shirt et mon legging sales contre ma robe portefeuille crème de style bohème.

En moins de temps qu’il n’en faut pour dire “ouf” ou presque, je me retrouve au salon, une petite voiture rouge dans une main, un verre de rosé dans l’autre. Baptiste dépose des biscuits apéritifs sur la table basse, reléguant la course de vieilles voitures lui ayant appartenues au second plan puisque Gaspard préfère goûter à tout ce qui se mange.

— Mes quinze jours de vacances fin août ont été acceptés, au fait. Vous êtes toujours OK pour que je parte avec vous en Bretagne la deuxième semaine ?

— Bien sûr ! Tu crois qu’on va dire non à une nounou gratuite qui va nous permettre de profiter de notre semaine ?

— Il va falloir qu’on négocie les termes du contrat, ris-je. Je veux bien jouer la baby-sitter, mais pas tout le temps non plus, ce sont mes vacances aussi et si j’avais voulu m’occuper de gosses H24, j’en aurais fait.

— Apéros à volonté, farniente breton et la promesse de travailler sur un troisième neveu ou nièce, ça te semble un bon deal ? rigole mon frère.

— Sérieux ? Toi aussi tu vises la famille nombreuse ? Je vais être l’ingrate de la famille, moi, entre Marine en cloque du quatrième et toi qui prévois le troisième…

— Tu devrais penser à t’y mettre, en effet. Moi, j’ai toujours cru que tu en ferais avec Jonas vu comment vous étiez accros l’un à l’autre quand vous étiez jeunes. D’ailleurs, en parlant de lui, tu sais qu’il a eu un accident de voiture ? Le pauvre, il a failli y passer.

Quoi ? Qu’est-ce qu’il raconte ? J’essaie de ne pas m’emballer à ses propos. Jonas a eu un accident, OK. Il a failli y passer ? Ça veut dire qu’il est toujours en vie. Baptiste ne parlerait pas de cette façon si Jo était dans un état critique. Oui, voilà, tout va bien…

— Je ne voulais pas de gosse, déjà, ado, ce qui enquiquinait bien Jonas. Mais… attends ! Tu m’expliques pourquoi TU es au courant qu’il a eu un accident et pas moi ? Pourquoi personne ne m’a rien dit ? Et comment il va ? m’affolé-je finalement.

— Parce que moi, je ne suis pas un fils indigne et j’appelle les parents de temps en temps. Je ne sais pas trop ce qu’il a, c’était un choc frontal mais les airbags ont fonctionné. Tu sais comment c’est sur les petites routes de Normandie. D’après Maman, il est de retour chez lui, là, mais ne peut pas quitter sa chambre. Elle n’en savait pas beaucoup plus… Mais pourquoi ça t’intéresse tant ? Ce n’est plus ton collègue, si ?

Je lève les yeux au ciel en me renfrognant dans le canapé. Un collègue ? Il est con ou quoi ?

— Et alors ? Il reste un voisin, un ami d’enfance, un premier amour, marmonné-je. Je ne suis pas sans cœur, tu crois quoi, que ça ne me fait rien de savoir qu’il a eu un accident ?

— Ah, alors Maman a vu juste, ton petit cœur est toujours bien mordu de lui, on dirait… Tu n’as qu’à appeler Jo si tu veux des nouvelles, non ?

— Et en plus vous parlez de moi dans mon dos, grommelé-je en me levant. C’est quoi la blague, tu me mens pour voir si je réagis ? Jonas a vraiment eu un accident ou c’est du mytho ?

— Appelle les parents si tu ne me crois pas, voyons. Ou les siens ? Ou même Jonas, je m’en fous. Pourquoi je te mentirais ?

Je bougonne en me levant pour récupérer mon téléphone. Appeler Jonas ou ses parents ? Ce serait ridicule et une façon de remuer le couteau dans la plaie si c’est la vérité, c’est moche. Alors j’appelle à la maison et soupire quand j’entends la voix de ma mère.

— Dis-moi, tu n’aurais pas quelque chose à me dire, par hasard ? attaqué-je d’entrée.

— Bonjour Penny. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi es-tu si agitée ? Tu as un souci ? s’inquiète-t-elle immédiatement.

— Un souci ? Ton fils vient de me dire que Jonas a eu un accident et personne ne m’a rien dit, bien sûr qu’il y a un problème !

— Ah, Jonas ? Écoute, je ne pensais pas que ça t’intéressait encore. D’après ses parents, vous étiez en froid et il déprimait, lui, de son côté. Enfin, là, je crois qu’il essaie surtout de se remettre du choc. Tu imagines, il était près de Conches-en-Ouche et un petit jeune alcoolisé lui est rentré dedans ! Heureusement pour lui, ce n’est pas trop grave, il a pu rentrer chez lui. Il faudra que j’appelle Sylvia pour savoir ce que son fils a exactement. Ils m’ont juste envoyé un message pour me dire qu’ils s’occupaient de lui parce qu’il est confiné dans sa chambre. Voilà, tu sais tout, ma fille. Pas de quoi en faire un drame, tu vois ?

Pas de quoi en faire un drame, ça reste à prouver. Baptiste est mis au courant mais pas moi. Je passais mes nuits avec lui il y a quelques jours encore, bon dieu ! Et lui, pourquoi il ne m’a rien dit ? Bon, je sais bien qu’on ne se parle plus depuis que je l’ai plus ou moins envoyé bouler, mais merde, est-ce que je suis si insignifiante que ça pour lui, au final ? Pense-t-il que je me soucie si peu de lui ? Ou est-il suffisamment blessé pour ne pas pouvoir appeler ou envoyer un message ?

— Si tu le dis, soupiré-je. Très bien, merci pour les infos. Bonne soirée maman, bisous.

Je n’attends pas qu’elle me réponde et raccroche tout en fouillant dans le tiroir du meuble de l’entrée de mon frangin pour y dégoter ses clés, et de voiture, et de la maison.

— Je t’emprunte ta voiture, je rentre chez les parents, j’ai besoin de savoir comment va Jonas, vraiment je veux dire. Parce que les “ce n’est pas trop grave”, ça ne veut rien dire.

— Tu pars en Normandie là, tout de suite ? Mais… tu es folle ! s’étonne Baptiste sans toutefois me stopper.

— Ce n’est pas une découverte ni une nouveauté. Je n’ai jamais été la plus équilibrée de la fratrie, souris-je en embrassant mon neveu et ma nièce. Je te tiens au courant concernant mon retour, mais bon, pour ce que tu te sers de ta voiture, ça peut bien attendre. Tu embrasseras ta femme de ma part, je n’attends pas qu’elle rentre.

— Tu me la ramènes avec le plein d’essence quand même, hein ? Et pas de bêtises avec Jonas… Le pauvre, il a déjà eu son lot d’émotions, je crois.

Je lève les yeux au ciel en récupérant mon sac à main, peu encline à blaguer avec mon frère à cet instant, salue tout le monde d’un geste de main et quitte l’appartement. J’ai beau essayer de me rassurer en me disant que tout ce petit monde serait bien moins léger si l’état de Jonas était vraiment sérieux, qu’il s’agisse de Baptiste ou de ma mère, leur ignorance n’a rien de rassurant. Bien évidemment, savoir que Jonas est chez lui est plus réconfortant que ce qu’a pu me dire ma famille, mais je suis incapable de rester ici et de faire comme si de rien n’était. J’ai besoin de voir de mes yeux qu’il va bien, qu’il n’a rien de grave, qu’il est en forme. Je pense que le nœud que j’ai dans l’estomac ne partira que lorsque je l’aurai constaté de mes propres yeux, et pour cela, je dois rentrer chez mes parents. Et tant pis s’il est déjà tard, si je vais arriver en même temps que le soleil se couchera, si je dois prévenir Philippe que je lui fais faux-bond demain. Tant pis si je n’ai pas de fringues de rechange, pas de chargeur de téléphone, pas de brosse à dents. Tout ce que je vise, alors que je sors la voiture du parking souterrain, c’est de voir Jonas pour constater par moi-même qu’il n’a rien de grave. De toute façon, j’aurais été bien incapable de rentrer chez moi et de faire comme si de rien n’était, de continuer ma petite vie tranquille sans savoir de quoi il retourne. Parce que, merde alors, peut-être que nous ne sommes plus ensemble, mais il reste l’une des personnes les plus importantes dans ma vie. Ma famille ne l’a-t-elle pas compris ? Je n’arrive pas à croire que personne ne m’ait avertie, c’est dingue !

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