63. Huis clos forcé

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Jonas

Je crois que je vais mal, plus que je ne le pensais et même si Blacko est à mes côtés, je me dis que je devrais faire un effort et sortir de mon lit. Mais non, sans énergie, je me suis réfugié sous la couette, vêtu d’un simple caleçon et il a fallu que j’insiste pour que mes parents me laissent tranquille et se rendent quand même chez les voisins pour le dîner prévu. Ils ont fini par m’entendre et continuer à vivre leur vie sans se préoccuper de moi. De toute façon, dans peu de jours, si je me remets de mes émotions, je serai à Dubaï. Et là, je pourrai tout oublier. Pénélope, Vic, les autres femmes. Une nouvelle ville pour un nouveau départ et oublier le passé et tous ses accidents, c’est ce qu’il faut pour me redynamiser, non ?

En fouillant dans la bibliothèque de ma mère, j’ai trouvé une romance qui a l’air intéressante. Je ne lis pas vraiment ce genre d’histoires d’habitude, mais là, découvrir ce pilote d’avion qui accueille chez lui une jeune femme pour s’occuper de sa fille et savoir qu’ils vont finir ensemble, franchement, ça me fait du bien. Parce que dans la vraie vie, rien n’est comme ça. Les disputes finissent par des séparations, les mensonges par des occasions ratées et moi, je suis tout seul avec mon gros chat et sans la femme que j’aime. J’ai l’impression que ça me fait mal partout. C’est fou comme cette sensation s’intensifie avec le départ qui s’approche, en plus.

Alors que je suis perdu dans le récit et pas mal excité par une scène sensuelle à souhait, j’entends la porte s’ouvrir. Je regarde machinalement l’heure et me demande pourquoi mes parents rentrent si tôt. J’espère qu’ils n’ont pas culpabilisé à cause de moi. Si c’était le cas, je m’en voudrais. Les escaliers craquent, signe que quelqu’un est en train de monter et j’entends qu’on frappe à ma porte. Je soupire et sans bouger de mon lit, je crie.

— Vas-y, Maman, tu peux entrer, c’est ouvert. Qu’est-ce qu’il se passe ? Les Jolivet vous ont mis dehors ?

La porte s’ouvre et je n’en crois pas mes yeux. Ce n’est pas du tout ma mère qui est là mais Pénélope ! Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Et pourquoi a-t-elle ce regard si inquiet ? Il est arrivé un malheur ?

— Nono ? Tu… Tout va bien ? Qu’est-ce que tu fais là ? m’inquiété-je sans bouger de ma place pour ne pas bondir à moitié nu sur elle.

— Je sais pour l’accident, je… Comment tu vas ? Je n’arrive pas à croire que personne ne m’ait rien dit. Tu as l’air… plus en forme que ce que j’imaginais, j’ai eu si peur que tu sois dans un sale état ! balbutie-t-elle en venant s’asseoir au bord du lit avant de me prendre délicatement mais fermement dans ses bras.

— L’accident ? De quoi tu parles ? Mes parents vont bien ? demandé-je alors que ma couette tombe entre nous et que je me retrouve torse nu contre elle.

— Tes parents ? Ben… oui, j’imagine qu’ils vont bien, c’est… Enfin, c’est surtout toi qui pourrait aller mal ! Comment tu vas ? Mon frère m’a dit que tu aurais pu y passer, bon sang, je n’arrive pas à croire que tu sembles aussi en forme.

Je ne comprends rien à ce qu’elle est en train de me dire mais honnêtement, ce n’est pas important à cet instant. C’est fou comme ça me fait du bien de la serrer contre moi et de la sentir frémir sous mes caresses, de ressentir les battements de son cœur contre mon torse. Ce bien-être vole en éclats quand j’entends la porte de ma chambre se refermer et la clé tourner dans la serrure. Je repousse vivement Pénélope et me précipite mais j’arrive trop tard et je constate que mes parents nous ont enfermés.

— Non mais, vous faites quoi, là ? Vous jouez à quoi ? crié-je à travers la porte. Ce n’est pas drôle ! Et c’est quoi, cette histoire d’accident ?

Derrière moi, la jolie rousse semble être encore plus sous le choc que moi et reste sans bouger, assise sur mon lit.

— Ouvrez ! Vous n’allez pas nous obliger à sauter par la fenêtre, quand même !

— On ouvrira demain matin ! me rétorque ma mère. Vous allez prendre le temps de discuter tous les deux et agir comme les adultes que vous êtes, aujourd’hui !

— Mais c’est vous les gamins, là ! Ouvrez ! insisté-je en essayant de forcer ma porte, qui résiste à mes efforts.

— Certainement pas, jeune homme ! crie la mère de Pénélope à travers le battant. Expliquez-vous, bon sang ! Penny, écoute-le et arrête de fuir ! Bonne nuit, les enfants.

— On vous laisse la maison, on va dormir chez les Jolivet ce soir, ajoute mon père alors qu’on les entend déjà descendre les marches.

J’essaie encore d’ouvrir la porte pour la forme mais bien entendu, rien ne bouge et je ne suis vraiment pas la bonne personne pour crocheter les serrures. Je soupire et retourne sur mon lit où je m’affale à côté de Pénélope qui a toujours la bouche ouverte et semble complètement perdue.

— J’hallucine. Tu te rends compte du traquenard qu’ils nous ont fait ? C’est quoi, cette histoire d’accident ? Ils t’ont dit que j’étais au bord de la mort et c’est pour ça que tu es venue me voir ? C’est mignon, si c’est le cas, lui souris-je en passant ma main sur son dos pour l’aider à se remettre de ses émotions.

— C’est à peu près le discours que j’ai eu, oui… Même mon frangin est dans ce traquenard, Jo. C’est quoi cette histoire ? Donc tu n’as vraiment pas eu d’accident ?

— Le seul accident que j’ai eu, c’est en frappant cette porte. Purée, on serait à Paris, j’aurais pu l’enfoncer, mais ici, avec le bois dur, ça ne risque pas. On fait quoi, alors ? On appelle les flics pour séquestration ? Ou les pompiers pour qu’ils nous libèrent ?

— Ça leur ferait tellement les pieds si on faisait ça… Ils sont dingues, c’est pas possible… Je viens de me taper le trajet en voiture parce que je t’imaginais presque sur ton lit de mort, bordel.

— Tu as vraiment fait ça ? lui demandé-je en continuant mes caresses mais en remontant le long de son dos pour atteindre son cou et ses épaules. Je suis touché, Nono. Nos parents sont fous, mais ils ont au moins réussi à ce qu’on se revoie avant mon départ.

— Bien sûr que je l’ai vraiment fait ! Pour qui vous me prenez tous, à la fin, s’agace-t-elle. Je ne suis pas un monstre sans cœur et tu restes mon ami d’enfance et mon premier amour, c’est pas comme si on n’était rien l’un pour l’autre.

— Je ne sais pas si je dois être flatté de te voir ici ou déçu de n’être que ton premier amour… Pour moi, je te l’ai déjà dit, tu es peut-être la première mais tu es aussi la seule. Et je suis sûr que j’aurais été encore plus vite que toi pour rentrer à ta place, me moqué-je alors qu’elle baisse un peu la tête pour me faciliter l’accès à son cou où j’intensifie les mouvements de mes doigts. Merci d’être venue à mon secours, en tout cas, je suis vraiment touché. Je me répète mais ça montre que tu tiens encore à moi et rien que pour ça, j’ai envie de remercier nos parents.

— Bien sûr que je tiens à toi. Comment peux-tu en douter ?

— Comment je peux en douter ? Mais tout simplement parce que je te propose d’essayer de vivre quelque chose à deux, de rentrer le plus vite possible de Dubaï et que tout ce que tu trouves à me dire, c’est que tu ne me fais pas confiance et que je vais encore me retrouver à baiser n’importe qui sans me soucier de toi. Tu peux comprendre que ça n’aide pas à me voir comme autre chose qu’un dildo avec une langue.

Enervé, j’ai arrêté de la toucher et je m’allonge sur mon lit pour reprendre un peu de distance avec elle. La nuit va être longue si on continue à s’engueuler comme ça. Ils croient quoi, les parents ? Qu’il suffit de nous mettre dans une pièce fermée pour que tout s’arrange ? Au mieux, on va baiser comme des lapins. Au pire, on va se disputer toute la nuit. Quelle idée de merde, vraiment.

— On avait un deal qui te convenait puisque tu as donné ton accord. Du sexe jusqu’à ton départ et rien de plus. C’est ce que nous avions convenu. Je n’ai pas signé pour plus, tout simplement parce que je ne voulais pas remettre mon coeur dans la balance. On sait toi et moi que ne pas vouloir n’empêche pas les choses d’arriver, mais sérieusement, comment tu peux me proposer de revivre un truc à distance alors qu’on s’est séparés à cause de cette même expérience ?

— On ne s’est pas séparés, tu m’as quitté, je te rappelle. Et vu ce que m’a raconté ta mère, tu as tiré des conclusions hâtives sur des faits qui n’étaient pas avérés, grommelé-je, un peu amer. J’en reviens pas que tu aies cru Vic quand elle a insinué que je couchais avec une autre ! Ou que tu ne m’aies jamais laissé te dire exactement ce qu’il s’était passé pendant cette soirée ! Tu te rends compte que tu as tout foutu en l’air pour quelques photos et les propos perfides d’une salope ?

Je suis énervé et à cran qu’elle renouvelle ses reproches, d’autant plus maintenant que je sais sur quoi ils sont basés. Dans la colère, je me suis relevé et redirigé vers la porte et je suis obligé de me faire violence pour arrêter d’essayer de forcer la poignée qui résiste à mon assaut.

— Les photos étaient aussi parlantes que cette gonzesse qui m’a clairement dit que tu avais mieux à faire que discuter avec ta petite-amie restée en France. J’aurais dû attendre quoi, que tu me dises que c’était un malentendu, que ce n’était pas ce que je croyais ? On sait tous ce que veulent dire ces propos…

— Tu te rends compte que tu réduis à néant notre relation et tout l’amour que je t’ai toujours porté avec ces mots ? l’interrogé-je en me retournant et en fixant mon regard dans le sien. Qu’est-ce que tu as bien pu voir sur les photos ? Une nana qui me colle ? Est-ce surprenant de voir un Frenchy se faire aborder dans une soirée par toutes les nanas un peu délurées de la fête ? Et si ça avait été un film, tu aurais pu voir comment je l’ai repoussée, mais non, tu t’es dit, Jo, c’est un enfoiré, un mec à filles et il a forcément cédé à cette nana qu’il a baisée dans un coin ou dans les toilettes. Et comment tu as pu imaginer un seul instant que j’étais capable de te tromper alors que je ne pensais qu’à toi, nuit et jour ? Putain, si seulement je n’avais pas oublié mon téléphone dans le salon… Pourquoi tu n’as pas demandé à me parler ? Pourquoi tu as toujours fui la conversation ? C’est ta mère qui m’a ouvert les yeux dix ans après. Tu te rends compte ? Dix ans pour savoir que tu m’as envoyé balader parce que tu as cru que je préfèrerais une américaine sans saveur à tout ce que tu m’apportais !

Je n’arrive pas à m’empêcher de crier et à gesticuler en faisant les cent pas dans ma petite chambre. J’ai l’impression que je lui fais un peu peur mais il faut que ça sorte. Jamais je ne lui ferais de mal, mais il faut qu’elle comprenne dans quelle détresse psychique je suis.

— Tu n’avais pas le temps de me parler quand je t’ai appelé ce jour-là, pourquoi est-ce que je t’aurais accordé du temps de mon côté après cette humiliation ? me demande-t-elle presque timidement. Te voir sur ces photos avec une autre m’a profondément blessée, et te savoir avec cette même fille dans une chambre m’a carrément foutue à terre, Jonas. J’étais juste… une jeune femme malheureuse qui a agi comme elle pouvait pour se protéger.

— Et tout ce qu’on avait vécu ne méritait même pas une explication ou une deuxième chance quand bien même j’aurais fauté, ce que je n’ai pas fait ? demandé-je plus doucement en venant m’agenouiller devant elle. Nono, tu ne te rends pas compte que pour moi, tu as toujours été la seule et l’unique ? Que tu es la plus belle femme que j’aie jamais vue ? Que mon coeur ne battait et ne bat que pour toi ? Comment peux-tu être aussi insécurisée à mon sujet ? Qu’est-ce que j’ai raté pour que tu me fasses si peu confiance ? Il faut vraiment que je me remette en question si tu crois que je pourrais t’humilier de la sorte. Même quand j’ai essayé au boulot, quand tu es arrivée dans mon bureau, tu as vu à quel point c’était pathétique et inefficace ? Dis-moi, Nono… Où est-ce que j’ai merdé ?

Je m’en veux car j’entends les trémolos dans ma voix, je sens les larmes qui coulent le long de mes joues et je me dis que rien que pour ça, elle va me jeter. J’apparais si faible, si pathétique que ça en devient risible. Si déjà elle n’avait pas confiance, là, c’est sûr, elle va simplement éclater de rire et croire que je joue la comédie. Mais tant pis, je ne peux plus rien contrôler.

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