64. Chefs à cœur ouvert
Pénélope
J’ai du mal à réaliser que mon angoisse de voir Jonas mal en point à cause de cet accident de voiture ait fini dans ces conditions. Il est clair que mon frangin et ma mère m’ont menti, qu’il n’y a eu aucun accident, seulement un foutu plan de leur part, sans doute dû à une coalition entre Marconi et Jolivet…
Résultat, je me retrouve en face d’un Jonas tel que je ne l’ai jamais vu. Jonas a toujours eu du mal à gérer ses émotions, il réagit en fonction d’elles, mais de là à exprimer les choses de la sorte, il y a une jolie montagne qu’il a franchie ce jour. C’est déstabilisant, presque flippant, en fait, tant c’est surprenant. Les parents pourront être satisfaits, il parle… Et moi ? Je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. J’essaie encore d’intégrer que, selon ses propos, il ne m’a jamais trompée. Est-ce que j’ai foutu en l’air notre relation sur une connerie ? Pourquoi est-ce que je ne lui ai pas donné l’occasion de m’expliquer les choses ? Où en serions-nous si je lui avais parlé de ce coup de fil ? Si je lui avais demandé des explications sur sa proximité avec cette blonde ? Est-ce que nos projets se seraient réalisés ? Serions-nous mariés ? Aurait-il réussi à me convaincre de fonder une famille ? Aurions-nous monté notre propre boîte de publicité ?
— Arrête de pleurer, je t’en prie, soufflé-je en attrapant son visage pour essuyer ses joues de mes pouces. Il semble que ce soit moi qui ai totalement merdé, tu n’as rien à te reprocher. J’étais juste… une nana qui manquait de confiance en elle, qui pensait ne pas te mériter. Te voir avec une fille canon, toute mince, tout ce que je n’étais pas, alors que déjà au lycée les filles te tournaient autour, ça m’a fait vriller…
— Je ne peux pas m’arrêter, Nono, renifle-t-il en prenant une grande respiration pour se calmer. J’aurais dû faire le forcing, rester devant chez toi, faire la grève de la faim, laisser des messages partout où tu passais, mais non, j’ai été vexé et j’ai fait mon fier et voilà où ça nous a menés. Dix ans de perdus et sans la fusion entre nos deux sociétés, on ne serait même pas réunis, là, aujourd’hui…
— Qui sait… peut-être que nos parents auraient fini par nous enfermer dans ta chambre malgré tout ? Ou menacé de détruire notre cabane pour nous obliger à nous retrouver… Ils semblent capables de tout, ensemble. C’est quand même tordu de leur part.
— Ah ça, tu peux le dire ! J’en reviens pas qu’ils nous aient fait ce coup-là ! Mais bon, ça marche. Regarde dans quel état je suis. Elle est loin l’image du beau gosse tombeur de filles… Après m’avoir vu comme ça, plus jamais tu ne pourras me respecter…
— Pourquoi ? Parce que sous prétexte que tu es un homme, tu ne devrais pas pleurer ? C’est ridicule, Marconi.
— Ça fait dix ans que je suis ridicule, Nono. Tu t’en rends seulement compte maintenant ? C’est dommage parce que bientôt, je vais partir à Dubaï et que tu n’auras pas le temps de profiter de cette révélation.
Je soupire et me relève pour m’asseoir à ses côtés. Je suis totalement paumée, pour être honnête. Est-ce que savoir qu’il ne m’a pas trompée change quelque chose, aujourd’hui ? Est-ce que mon comportement est pardonnable ? Je réalise qu’au final, j’ai tout mis sur le dos de Jonas alors que c’est moi qui ai tout fait foirer.
— C’est mon attitude à l’époque qui a été ridicule… J’ai paniqué en t’imaginant avec cette fille et je me suis dit que te quitter me ferait moins souffrir que de t’entendre me dire que ce n’était pas ce que je croyais et autres excuses bidons…
— Et là, est-ce que tu me crois ? Je… Sur les dix ans, je n’ai pas été très sage, j’avoue, mais rien aux USA et rien depuis que nous avons repris notre contrat, je te le promets. Que toi, toi, et encore toi, comme ça aurait dû l’être toute notre vie.
— Pas très sage ? Est-ce qu’il y a une ex-femme, un ou plusieurs gosses cachés ?
— Ah non, t’es folle ou quoi ? C’est toi qui as un futur ex-mari, je te rappelle ! Toutes ces années, j’ai juste cherché à t’oublier, mais sans succès, tu le vois bien.
Un nouveau soupir m’échappe et je me laisse tomber à la renverse sur le lit. Je me suis mariée… et il y a dix ans, jamais je n’aurais pu imaginer passer ce cap avec un autre homme que Jonas. Est-ce qu’on a vraiment perdu une décennie ? Peut-être que ça n’aurait pas fonctionné avant ça. Nous étions jeunes, inexpérimentés, aujourd’hui nous sommes plus matures, plus réfléchis.
Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsqu’il s’allonge à mes côtés. Nous nous retrouvons face à face et son regard embué plonge dans le mien, sans doute pas beaucoup plus sec.
— Combien de temps, minimum, Dubaï ? lui demandé-je finalement.
— Ça dépend si tu me crois ou pas, je pense, finit-il par me répondre après un silence. Dans le meilleur des cas, trois mois ? Sans trop de distractions, ça devrait le faire. C’est moins long que les USA, ça c’est certain.
J’acquiesce en me rapprochant et noue mes doigts aux siens.
— Je peux prendre un billet pour la dernière semaine d’août… Mon frangin va perdre sa nounou pour ses vacances en Bretagne mais il y survivra. Comme ça, on pourra tester ce jacuzzi dont tu m’as parlé dans ton appart’.
— Ah oui, le jacuzzi ! En fait, il n’y a que ça qui t’intéresse, on dirait ! se moque-t-il, tout sourire. Je te préviens, là-bas, c’est all inclusive, tout est compris, les baisers et les caresses aussi !
— Chuuuut ! Dis pas des choses comme ça. Tu n’as pas peur que nos parents aient mis des caméras ou des micros ? Ils sont capables de tout, tous les quatre, ils ont même réussi à embarquer mon frère dans l’histoire. Alors pas de propos en lien avec le… sexe, terminé-je en chuchotant, le sourire aux lèvres.
— Mais, répond-il en criant presque. Ils nous ont piégés, autant leur faire profiter de ce sexe dont j’ai tant envie quand je me retrouve à tes côtés ! Parce que nous, on aime baiser ! Oui, chers parents et beaux-parents, on est des baiseurs professionnels ! pouffe-t-il.
Je glousse en posant mes mains sur sa bouche, grimpant à moitié sur lui pour le faire taire.
— Mais tais-toi ! m’esclaffé-je. Je te trouve quand même vachement en forme pour quelqu’un qui a eu un accident de voiture.
— Ah non, je souffre ! J’ai mal partout et il n’y a que tes bisous magiques qui peuvent me guérir, je crois… Aïe ! Ouille ! fait-il mine d’avoir mal alors que je le caresse.
Je l’embrasse au coin des lèvres et me love contre lui en soupirant de contentement. Est-ce qu’on a besoin de discuter davantage ? Les choses sont-elles claires ? Je devrais éteindre mon cerveau mais j’ai l’impression de mettre à nouveau mon palpitant en jeu dans l’histoire et je ne suis pas sûre qu’il supporterait d’être brisé une nouvelle fois… Surtout que la première fois n’aurait jamais dû arriver.
— On est d’accord que si on se remet ensemble, on est exclusifs ?
— Je l’ai toujours été et je le serai toujours tant que tu m’accepteras dans ta vie, ma Nono. Aucune femme n’arrive à ta hauteur, je le supposais avant, je le sais désormais. Et puis, qui irait voir ailleurs quand il a goûté au Nirvana ? Et pourquoi “si” ? Tu doutes encore ?
— J’ai d’autres conditions, alors je préfère m’assurer qu’elles te conviennent avant qu’on parle de vraiment être à nouveau ensemble, toi et moi, soufflé-je en me redressant.
— D’autres conditions ? Je signe où ? J’accepte tout, sans lire les petites lignes, moi. Je te fais confiance, tu vois ?
— Tu es sûr de toi ? Tu me connais… souris-je en ôtant ma robe. On est d’accord que tu rentres aussi vite que possible à Paris ?
— C’est comme si j’étais déjà rentré, oui, répond-il non sans avoir presque les yeux qui lui sortent de la tête en m’observant avec une admiration qui pourrait me faire rougir.
— Je ne quitterai mon appartement que si on trouve une maison en banlieue avec suffisamment de pièces pour qu’on ait chacun un bureau. Hors de question qu’on le partage à la maison aussi.
— En banlieue ? s’étonne-t-il avant de se taire quand il sent mes doigts courir le long de ses flancs. Si tu veux, ma Belle. Tout ce que tu veux.
— Et ne compte pas sur moi pour te faire une ribambelle de gosses et rester à la maison, chuchoté-je à son oreille avant de la mordiller. Peut-être que je dirais oui pour un ou deux, mais ce sera partage équitable des tâches, des rendez-vous pour les mômes et de tout ce qui a un lien avec eux. Peut-être même que ce sera plus pour toi que pour moi, après tout c’est moi qui vais morfler pour les mettre au monde.
— Promis, c’est moi qui prendrai un congé parental pour m’en occuper si on en arrive là ! A toi la grossesse, à moi les couches et les pleurs. Tu vois, je suis prêt à tout pour toi, ma Nono d’Amour.
— Et si je te dis pas de mariage, qu’est-ce que tu réponds ?
— Tu en as encore beaucoup, des conditions ? Parce que je t’ai dit oui à tout ! J’ai envie de toi ! De toi comme tu es, de toi comme tu souhaites être, de toi dans ma vie, de toi dans mes bras, de toi, de toi, de toi, continue-t-il en me couvrant de baisers tous plus enflammés les uns que les autres.
— Mais… j’ai pas envie que tu t’écrases non plus… Tu n’as pas de conditions, toi ? Rien à me dire ?
— Moi, je t’aime et je veux juste que tu m’appelles chef quand on bosse, que tu m’apportes mon café quand je finis ma tasse, que tu ne mettes que des robes courtes et que tu cries comme une féministe enfin domptée quand je te fais l’amour, réplique-t-il en se retournant pour me dominer de toute sa taille, un sourire taquin aux lèvres. Tu préfères ça ?
— Je crois que tu vas avoir du boulot pour me dompter, Johnny, ris-je en enroulant mes jambes autour de ses hanches pour l’attirer contre moi. Mais j’aime assez te voir au-dessus, disons que pour ce soir, ça me convient si tu me répètes encore que tu m’aimes et que tu abandonnes l’idée du “chef”.
— Je n’abandonne rien du tout ! Tant que tu ne m’auras pas dit “Fais moi jouir, Chef”, je vais te torturer avec mes mains, ma bouche, mon corps. Parce que oui, je t’aime, je t’aime, je t’aime, me susurre-t-il à l’oreille en bloquant mes bras de sa puissante poigne qui contraste avec la douceur de sa voix.
— Sérieusement ? m’esclaffé-je. Fais-moi jouir, sous-chef, ça passe ? Ou… co-chef ?
— Ça ira pour cette fois, concède-t-il, mais c’est bien parce que tu es la plus merveilleuse femme qui ait jamais croisé mon regard.
— Je t’aime, Jonas, soufflé-je en soulevant mon bassin. Et si tu ne te dépêches pas de passer à la vitesse supérieure, je risque d’exprimer ma frustration bruyamment plutôt que mon plaisir.
— Tes désirs sont des ordres, ma Nono. Et promis, ce sera toujours le cas.
Je ne sais pas trop si c’est ce que je désire, mais pour ce soir, je préfère ne plus réfléchir et me contenter de profiter de ces retrouvailles. Si nos parents sont complètement fêlés, nul doute qu’ils seront vraiment satisfaits de leur coup… Rien que pour contrarier leurs plans, j’ai bien envie de leur faire croire que nous n’avons absolument pas discuté et juste baisé, mais pour le moment, je suis bien trop consciente des lèvres de Jonas qui s’emparent des miennes, de son corps qui recouvre délicieusement le mien, pour pouvoir penser à demain matin.
Je pourrais dire que coucher avec Jonas maintenant que nous nous sommes avoué nos sentiments, que nous nous sommes remis ensemble et envisageons un avenir commun, est bien différent de ce que nous avons partagé auparavant, mais la réalité est toute autre. Nous avons beau avoir couché ensemble sous “contrat”, n’avoir voulu partager que ça, il a toujours été question de plus que simplement du sexe entre nous, si bien que ce moment n’est pas bien différent des précédents, si ce n’est qu’il est ponctué de mots doux que nous n’avons plus échangés depuis une décennie.
Lâcher prise et oser faire confiance à nouveau, accepter cette seconde chance, parce qu’un premier amour aussi fort et qui perdure malgré l’éloignement le mérite, non ?
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