Prologue

7 minutes de lecture

Pénélope

— Salut la compagnie !

— Salut, Pénélope.

Je pose un baiser bruyant sur la joue d’Elise puis fais le tour de la table de réunion pour gratifier mes autres collègues du même traitement. Dieu merci, Marc n’a pas encore posé son séant de macho insupportable sur l’une des chaises, ce qui me permet d’éviter la bave du crapaud qui n’a aucune chance de se transformer en prince charmant. Ce type est juste imbuvable, comparé à la totalité de mes autres collègues et subordonnés. Même mon patron, Hervé, est une crème.

Je bosse chez Med’Com’ depuis un peu plus de cinq ans. A vrai dire, j’ai fait mes toutes premières armes en stage dans cette boîte de publicité il y a déjà dix ans. Après avoir obtenu mon diplôme et fait une année supplémentaire pour me former dans le marketing digital, j’ai vogué d’entreprise en entreprise afin de gagner en expérience auprès des vieux briscards autant que des jeunes générations. Et puis j’ai rencontré Steven et je me suis posée à Paris. Med’Com est une petite structure très familiale et conviviale, où il règne une bonne ambiance constante et où chacun a un droit de parole. Même si je ne suis pas du matin, j’adore venir bosser et ne viens jamais à reculons.

Je me laisse tomber sur la chaise libre entre Solène, notre web designer, et Elise, la secrétaire de la boîte, et remercie cette dernière d’un signe de tête pour le mug de café déjà posé sous mon nez.

— Vous savez ce que nous veut le patron ? demandé-je en zieutant la porte restée ouverte.

— Aucune idée, soupire Solène avant de bailler outrageusement, mais si tu veux mon avis, une réunion générale prévue au dernier moment un lundi matin, soit on a un nouveau client particulièrement chiant, soit il faut s’attendre à une mauvaise nouvelle. Sérieusement, tu as déjà reçu un mail d’Hervé un dimanche matin ?

— Oui, mais ça arrive rarement. La dernière fois c’était avant ton arrivée et c’était pour cette vieille harpie de la boîte d’événementiel qui nous enquiquine encore bien trop souvent à mon goût. Elle voulait absolument nous rencontrer pour une connerie dont je ne me souviens même pas. Une histoire de couleur sur ses nouveaux flyers il me semble. Un dimanche, Solène ! Comme si ça ne pouvait pas attendre le lendemain ! J’étais au lit, en pleines cuillères paresseuses et mes yeux sont tombés sur l’écran de mon téléphone qui vibrait sur ma table de nuit. J’ai paniqué et ma libido a chuté à moins dix en un quart de seconde. Tout ça pour une foutue couleur !

Évidemment, Solène ne peut que se moquer, et il y a de quoi ! Steven m’a fait la tronche pendant tout une semaine pour l’avoir coupé dans son élan, j’ai passé ma journée frustrée à devoir faire des courbettes et fini par dîner chez Hervé et sa femme pour débriefer et réfléchir à de nouvelles planches à proposer au plus vite… Beaucoup moins fun que la journée sous la couette qui était normalement prévue.

— Ça me fait flipper. Son mail était trop carré, un poil froid, comme s’il avait tourné et retourné chaque mot dans sa tête avant de l’écrire.

— Peut-être que la vieille harpie l’a coupé en pleine levrette, chuchoté-je, la faisant grimacer.

— Beurk, arrête !

— Oh, arrête toi-même. Hervé à quatre enfants, on sait bien qu’il a déjà dû coucher pour ça, gloussé-je.

— C’est comme si tu parlais de mon père, ça me fait bizarre.

Notre “patriarche” choisit ce moment pour entrer. Il semble particulièrement fatigué et sa chemise est déjà froissée alors qu’il n’est que neuf heures… Autant dire que Solène a raison, ça sent mauvais.

— Bonjour, Hervé, le saluons-nous d’une seule et même voix tandis que Marc, en bon lèche-bottes, s’assied près de lui.

— Bonjour tout le monde. Merci de vous être libérés pour cette… réunion improvisée. Vous… vous allez bien ? demande-t-il, visiblement mal à l’aise.

Nous acquiesçons docilement, pas vraiment intéressés pour lui raconter nos weekends. La tension est bizarrement montée dans la pièce, comme si tout un chacun s’attendait à se prendre un seau d’eau sur la tête sans vraiment comprendre ce qui arrive.

— Lance-toi, Hervé, parce que tu nous stresses, lui fait remarquer Elise. Il y a un problème ?

— Un problème ? Non, non, du tout. Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Juste… quelques changements dans l’organisation. C’est tout. Enfin… des changements importants, on peut dire.

Hervé n’est pas du genre à tourner autour du pot et son attitude n’a toujours rien de rassurant.

— Quels changements ? Tu t’es enfin décidé à reléguer les machos de l’équipe à la cuisine ? l’interroge Selma, la graphiste du groupe, un sourire moqueur aux lèvres.

— Quels machos ? demande Marc agressivement, se sentant sûrement visé.

— Calmez-vous, je vous ai dit que tout irait bien, voyons, nous réprimande Hervé en reprenant de l’assurance. Je vais tout vous dire si vous me laissez parler parce que ça concerne l’entreprise et ça nous concerne donc tous.

— On veut bien te laisser parler, Hervé, mais c’est toi qui ajoutes un suspens insoutenable, marmonné-je. Accouche, pitié !

— J’y arrive ! Si seulement vous me laissiez parler ! Alors, voilà, je ne vais pas tourner autour du pot cent-sept ans. Cela fait maintenant un mois que j’hésite mais vendredi, j’ai reçu une nouvelle proposition de Swan International que je n’ai pas besoin de vous présenter. Une proposition financière pour l’achat de cette entreprise que je ne peux refuser vu l’argent qu’ils sont prêts à investir. Et donc, après discussion avec mon épouse, j’ai accepté et vous allez par conséquent bientôt tous devenir salariés du groupe leader sur la communication à Paris. C’est une bonne nouvelle, non ?

Nous restons tous silencieux autour de la table. Même Marco l’asticot ne trouve rien à dire à cet instant. Le groupe leader de la capitale ? Ça doit sans doute en faire rêver plus d’un, mais si nous sommes ici, ce n’est pas pour rien. C’est le côté familial, le travail à petite échelle avec des gens qu’on connaît, le fait d’être considérés comme des personnes à part entière et pas seulement comme un employé lambda remplaçable en un claquement de doigts.

— C’est une blague, n’est-ce pas ? finit par l’interroger Elise.

— Non, non, c’est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Mais sachez qu’ils reprennent non seulement l’entreprise mais aussi tous les salariés. Vous allez tous garder votre emploi, ils sont ravis de vous voir les rejoindre et reconnaissent tout votre talent et votre engagement.

Un ricanement m’échappe. J’adore Hervé, vraiment, mais vendre sa boîte à taille humaine à un grand groupe n’est vraiment pas l’idée du siècle. Le seul point positif est pour lui, j’imagine qu’il va pouvoir se la couler douce à la retraite, et c’est très bien pour lui, j’en suis ravie ! Pour nous, en revanche…

Il va vite falloir que je remette la main sur mon Curriculum Vitae. Bosser pour une grosse entreprise ? Pas vraiment mon truc. Déjà, ici, se faire une place légitime en tant que femme, ça a été galère, alors chez Swan International, ça va pas être de la tarte. Aujourd’hui encore, je me bats pour que mon autorité soit respectée, quand des gars comme Marc se croient tout permis sous prétexte qu’ils ont une paire de couilles.

— Garder notre emploi et notre poste ? demandé-je alors que mon rire sarcastique a attiré l’attention de notre futur ex-patron.

— Oui, j’ai négocié pour que personne ne perde son travail. Et en plus, vous allez tous avoir une augmentation de votre salaire de dix pourcents. J’ai pas réussi à avoir plus, mais c’est déjà bien, non ?

Voilà une nouvelle qui semble réjouir pas mal de monde autour de la table… Bon, je ne vais pas cracher dans la soupe, hein ? Au prix des locations à Paris, et en sachant que Steven ne fait que donner quelques cours de guitare à droite, à gauche, je ne dis pas non à un peu plus de budget. Pour le reste, j’ai encore des doutes.

— Tu veux bien répondre réellement à ma question, Hervé ? Tu éludes, et même si je te remercie pour cette négociation, j’aimerais savoir si je vais garder mon poste de directrice créative.

— Bien sûr. Enfin, ils ont un directeur créatif chez eux aussi, mais vous allez bosser ensemble. Il faudra voir ça avec leur patron, de toute façon. C’est avec eux que les détails seront réglés, mais tout le monde garde son poste. Même toi, Elsa. Tu auras enfin une collègue au secrétariat avec qui parler entre deux appels !

Elsa sourit tout en restant sur la réserve. Ça va dépendre de comment est la fameuse collègue et je doute qu’elle ait vraiment le temps, dans un premier temps, de blablater. Nouvelle entreprise, nouveaux logiciels, nouvelles procédures… Autant dire qu’en plus de devoir apprendre à connaître nos collègues, il nous faudra aussi bûcher sur tout un tas de trucs que l’on préférerait éviter.

— Quand est-ce qu’on fête ton départ en retraite ? Tu as intérêt à nous rincer à coup de champagne hors de prix ! plaisante Marc qui, pour une fois, récolte l’approbation de tout le monde.

— On a encore un peu de temps, il faut peaufiner les derniers détails, mais ça sera avant la fin du mois d’avril. Et promis, on se fait une grosse fête avant que je ne parte en vacances au soleil.

Bien, au moins, il y aura un point positif à tout ça : soirée sympathique entre collègues et gueule de bois le lendemain, aux frais de la princesse. Ça ne compensera jamais le fait de devoir bosser pour une entreprise pour laquelle je n’ai jamais postulé… Volontairement, d’ailleurs !

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