05. Vaines jérémiades
Jonas
Mais qu’est-ce qu’elle fiche ici ? Ce n’est pas possible, il doit y avoir une erreur, je n’ai pas pensé à elle depuis des années et là, non seulement elle fait irruption dans ma vie, mais pas que dans ma vie, à mon boulot, le lieu où jamais je n’aurais cru la voir. Je n’ai même pas fait gaffe à quel poste elle se pointe tellement tous mes sens sont brouillés par son apparition. Elle est toujours aussi magnifique, c’est ça ma première réaction. Cette femme, c’est une déesse venue sur Terre pour me hanter. Me faire fantasmer aussi. Et c’est quoi cette tenue sexy au possible ? Quand on se fréquentait, elle se contentait de vêtements simples et déjà, elle m’excitait au plus au point. Alors là, comment je fais pour ne pas rester la bouche ouverte et ne pas baver devant elle qui s’approche d’un air fier et féroce ? Ah oui, je sais comment me soigner, je repense à la façon dont elle a mis fin à notre relation. Et ça, avec la souffrance qu’elle m’a fait subir à l’époque, j’avoue que ça me refroidit instantanément.
Je profite qu’un de ses collègues l’arrête en route pour échanger un petit mot qui la fait sourire pour me pencher sur la table où Philippe a déposé la liste avec tous les salariés de Med’Com qui se pointent aujourd’hui pour leur première journée. Je parcours rapidement les noms mais ne vois pas celui de Pénélope. Je finis par tomber sur son prénom et me dis que si elle a changé de patronyme, c’est qu’elle s’est mariée. Bien sûr, j’ai dû être vite oublié. Peut-être même que toutes ses accusations, c’était juste une façon de dénoncer ses agissements à elle et que la tromperie, c’était chez elle. Venant d’elle, plus rien ne m’étonnerait, d’ailleurs.
Alors qu’elle s’approche et que son regard me lance un air de défi que je ne comprends pas, je la revois dans une attitude à peu près similaire, à mon retour des USA. Là aussi, j’étais sur le cul. Et c’est parti en live parce qu’elle ne m’a pas laissé le temps de parler. Je m’en suis pris plein la gueule et j’ai fini par contre-attaquer. Ça a été violent, comme dispute. C’était la dernière fois que l’on s’est vus. Il y a… déjà huit ans. C’est fou.
— Jonas, je te présente Pénélope, ta nouvelle colocataire, lance Philippe en me souriant. J’ai hâte de vous voir travailler ensemble, Henry ne tarit pas d’éloges sur elle, je suis certain que cela va donner une nouvelle impulsion à notre travail.
Une nouvelle impulsion ? Il rigole ou quoi ? J’ai bien envie de bondir, mais plutôt pour me jeter du haut de la tour où nous sommes. Tout plutôt que de supporter cette tête de conne dans mon bureau. S’il voulait me torturer, il ne s’y prendrait pas autrement.
— Je trouve qu’on était déjà bien dynamiques, grommelé-je. Il ne faudrait pas tout déséquilibrer non plus. Bref, bienvenue No…
Oups, j’ai failli employer le diminutif que j’utilisais à l’époque où nous étions ensemble mais personne ne semble y faire attention. Philippe et Hervé sont en effet en train de s’auto-congratuler et seule Pénélope, ma Nono à moi, a tilté sur ce que j’ai failli sortir. J’ai du mal à lire son expression, un mélange de colère et de… résignation ? Nostalgie ? Qui sait ? Cette femme est un mystère et cela fait longtemps que j’ai abandonné l’idée de la comprendre.
Philippe met un terme à la réunion et je l’attire dans son bureau qui se trouve non loin de la salle de réunion pour plaider une nouvelle fois ma cause.
— Partager un bureau avec elle, ça ne va pas être possible ! Tu as vu… sa façon de me regarder ?
Je n’ai pas osé avouer que je la connaissais et c’est tout ce que j’ai trouvé à dire. Lamentable. Surtout que si j’avais dit tout ce qui me passait par la tête, j’aurais parlé de sa magnifique chevelure rousse flamboyante, de ses yeux couleur azur, de ses courbes que j’ai si souvent parcourues et qui me rendaient déjà complètement fou à l’époque, de… Non, il faut que j’arrête. Le passé, c’est le passé. Là, l’enjeu, c’est d’éviter la torture au quotidien.
— Sa façon de te regarder ? ricane Philippe. On ne peut pas dire que ton accueil ait été très chaleureux non plus, Jonas. Fais un effort, s’il te plaît, je t’assure que votre collaboration ne pourra qu’être positive.
— Mais tu veux que je perde toute créativité ou quoi ? Elle va me couper toute envie d’imaginer quoi que ce soit ! Et puis, tu as déjà vu une boîte comme celle-ci avec deux directeurs créatifs ? On va se marcher dessus. Sur les autres postes, la complémentarité est possible. Nous, ça ne sera que de la concurrence ! Et qui ne mènera qu’à la détruire parce que franchement, elle ne doit pas avoir mon talent.
— Ne te montre pas prétentieux, Jonas, soupire-t-il. Je ne dis pas que tu n’es pas talentueux, loin de là, mais évite de montrer les pires côtés de ta personnalité, tu veux ? Prends le temps de regarder un peu ses travaux et on en reparlera.
— Mais Philippe, me lamenté-je, pourquoi tu ne me laisses pas un bureau individuel ? Comme ça, chacun pourrait s’exprimer tranquillement. Et puis, ses travaux, je m’en fous. Je crois que si je dois me coltiner sa tête tous les jours, je vais finir par devenir aveugle et perdre toute inspiration.
Ou alors passer mon temps à fantasmer sur elle tout en l’insultant et en souhaitant la tuer. Et ça ne serait pas très productif non plus.
— Ton attitude est totalement puérile, Jonas, cingle Philippe en se laissant tomber sur son fauteuil. Est-ce que tu te rends compte que tu agis comme un enfant pourri-gâté qui fait un caprice ?
Je prends une grande inspiration pour retrouver un peu de sérénité et continue plus calmement.
— Tu n’as pas répondu à ma question. Tu vas vraiment nous laisser tous les deux faire le même métier ? Et on fait quoi si on n’arrive pas à se mettre d’accord ? Ou alors, ton plan, c’est de nous laisser nous entretuer dans le bureau et de voir qui reste vivant quand tu rouvres la porte ?
— Tu pars bien défaitiste, dis-donc ! Tu ne la connais même pas, pourquoi partir du principe que ça va mal se passer ? Si vous mettez tous les deux un peu d’eau dans votre vin, il n’y aura aucun problème. Le cas contraire, je trancherai pour vous. Et si vraiment ça ne colle pas, je devrai me séparer de l’un de vous.
Il est sérieux ? L'un de nous ? Mais c'est d'elle dont il faut se séparer s'il y a un souci ! J'étais là avant quand même ! En rage, je salue rapidement Philippe et sors de son bureau pour me retrouver face à face avec ma némésis, celle qui est en train de faire chavirer mon monde si bien ordonné jusqu'à présent
— Tu viens déjà quémander des faveurs au Big Boss ? l'attaqué-je d'entrée en évitant de plonger mon regard dans le sien pour ne pas m'y noyer.
— Moi ? Je crois que tu m’as devancée, non ? Mon pauvre, tu penses vraiment devenir aveugle en voyant ma tête tous les jours ? Tu es vraiment une sacrée Drama Queen, Jonas… Quoique le patron a raison, l’enfant capricieux te va bien également.
— Et en plus, tu écoutes aux portes ? Tu as été bien formée dans ton ancienne boîte, dis donc. Je te préviens, ici, c'est différent. Et je ne te ferai pas de cadeau. Si tu crois pouvoir prendre ma place juste parce que tu as un beau cul, tu vas vite te décourager.
— J’hallucine ! Je ne te pensais pas aussi con ! Tu crois quoi, que je suis passée sous le bureau pour en arriver là où j’en suis ? Pour qui tu te prends, sérieusement ? Tu penses vraiment que ça me fait plaisir de venir bosser ici ? Je n’ai pas davantage eu le choix que toi, parce que crois-moi, si j’avais su que je reverrais ta tête, j’aurais posé un veto ! Et si tu gueulais moins fort, je ne t’aurais pas entendu pleurnicher à ton patron combien tu as la trouille de la concurrence, ricane-t-elle.
— Eh bien, barre-toi si tu ne veux pas venir travailler ici. Le directeur créatif, c'est moi, on n'a pas besoin de tes services et de ton mécontentement. Si tu te casses tout de suite, ça m'évitera d'avoir à te faire de la place dans mon bureau.
— Oh, crois-moi, je vais me faire un malin plaisir d’être l’épine dans ton pied, Jonas. Si tu penses que je vais te faciliter la vie, tu te mets le doigt dans l'œil. Je compte bien rester et montrer à ton patron que je suis indispensable, juste au cas où il devrait se séparer de l’un de nous, me lance-t-elle en me gratifiant d’un clin d'œil.
Je ne peux manquer de constater qu'elle réajuste son chemisier avant de frapper à la porte du bureau de Philippe. Clairement, elle est canon, pulpeuse à faire bander un mort et elle va jouer de tous ses charmes pour m'évincer. Elle est là pour prendre ma place et la côtoyer au quotidien va être horrible. Comment vais-je pouvoir me concentrer et libérer mon esprit si elle est assise en face de moi et m'offre une vue imprenable sur ses jambes que j'ai eu la chance de caresser quand elles s’enroulaient autour de mon corps nu ? Comment je fais pour faire mon boulot sérieusement si comme à l'instant, son parfum vanillé me replonge dans tous ces moments où nos corps déchaînés se sont retrouvés ? Et comment je vais partager un espace avec celle que j'ai envie de tuer après ce qu'elle m'a fait ?
Si je veux survivre à son arrivée, il va falloir que je la joue fine. Et surtout que j'arrive à empêcher tout ce flux de pensées toutes plus érotiques les unes que les autres de bloquer le fonctionnement de mon cerveau !
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