11. Le curieux queutard
Jonas
Quel temps ! Même en courant à la sortie du RER, je suis trempé en arrivant au bureau. J’aurais mieux fait d’attendre que l’averse passe mais je ne me suis pas levé tôt pour rien. Et tant pis s’il me faut un peu de temps pour sécher, je voulais absolument arriver au travail avant Pénélope et j’y suis parvenu. Je salue rapidement Elise et Stella déjà présentes à l’accueil et m’amuse de les voir rougir toutes les deux lorsque je fais mine de leur envoyer un baiser volant avant d’entrer dans mon bureau. Je referme derrière moi et m’arrête un instant. J’avais oublié le coup de Trafalgar que m’a fait ma collègue en mon absence. Je n’en reviens pas qu’elle ait osé tout bouger dans le bureau. Bon, c’est vrai que ça fait plus bureau partagé désormais mais quand même ! Elle a touché à mes affaires en mon absence et ça, je ne l’accepte pas. Quoique… vu les idées que ça m’a données, je devrais peut-être la remercier.
Je ne perds pas de temps et me dirige immédiatement vers l’espace qu’a pris ma collègue. Je ne sais pas par quoi commencer mais les remarques faites par Solène m’ont convaincu d’essayer de savoir ce que son amie trame pour SP avec son groupe. Personne ne parle et c’est difficile d’avoir des informations concrètes sur leurs avancées. Et si elle s’est permis de bouger mon bureau, je peux me permettre de regarder le sien… et ce qu’il y a dedans. Ce n’est pas un si gros crime que ça, je trouve.
Je m’assois sur son fauteuil et commence par farfouiller dans les papiers qui traînent mais il n’y a rien d’intéressant. J’ai de la chance car la clé est sur le petit meuble qui est à la droite de l’ordinateur mais là aussi, rien d’intéressant. A part quelques partitions dans un tiroir. Cela m’étonnerait que ça ait un rapport avec SP, mais si elle sait transformer des documents en lignes de partitions, sinon c’est qu’elle est très forte en encodage secret. Et puis, c’est vrai que ma mère a dit qu’elle chantait désormais. Avec son mari. Pourquoi ça me met en rogne qu’elle se soit mariée ? Parce que moi, je suis toujours célibataire ? Parce que je suis toujours jaloux qu’un autre puisse profiter d’elle alors que je n’en ai plus le droit ? L’envie, elle pourrait vite revenir par contre, je n’arrive pas à être insensible à l’intensité qu’elle met dans tout ce qu’elle fait, à ses charmes qui sont toujours bien présents. J’ai l’impression d’être sous le coup d’un sortilège que j’avais réussi à atténuer mais qui revient chaque jour un peu plus, à son contact.
Alors que j’allume son ordinateur, j’entends la porte s’ouvrir et je sursaute tandis qu’elle entre, lève un sourcil quand elle voit où je suis assis et s’adresse à moi, m’attaquant directement comme je le mérite, vu ce que je suis en train d’essayer de faire.
— Je peux savoir ce que tu fous installé à mon bureau ? Tu joues les espions ? Tu veux les codes, peut-être ?
— Les espions ? Mais non, ce n’est pas ce que tu crois, commencé-je de manière pathétique. Je… je cherchais une information que je ne retrouve pas sur SP. Je me suis dit que tu devais l’avoir.
Je me lève précipitamment et retourne m’asseoir à mon propre bureau en essayant d’éviter de croiser son regard.
— Ben voyons, s’esclaffe-t-elle. Tu sais que tu as toujours le même tic quand tu mens ? Tu es ridicule, sérieusement. Je t’écoute, de quelle info as-tu besoin ?
— Non, laisse, vu comment tu me parles, je sais que tu ne me feras aucun cadeau.
Je ne lui laisse pas le temps de s’indigner face à mon manque de bonne foi et prends mon téléphone pour appeler Elise à qui je demande de venir car j’ai besoin d’elle. J’ai à peine le temps de raccrocher qu’elle frappe à la porte et je lui adresse mon plus grand sourire.
— Ah Elise, quelle rapidité ! C’est gentil de ne pas me faire attendre.
— Qu’est-ce que je peux faire pour toi, Jonas ? me demande-t-elle en s’asseyant dans le fauteuil de l’autre côté de mon bureau, son bloc notes à la main.
— Est-ce que tu pourrais me sortir la liste de toutes les villes où est implantée SP ? Je l’avais commencée mais je n’arrive pas à mettre la main dessus. Tu ferais ça pour moi ?
Je lui souris et note l’agacement de Pénélope même si je n’en comprends pas la raison.
— Bien sûr, je m’en occupe tout de suite. Autre chose ?
— Le dossier Martinez que j’attends depuis deux jours, peut-être ? intervient Pénélope avec un détachement feint, le nez sur son clavier.
— Je suis sûr qu’elle s’en occupera dès que possible, c’est moins urgent que ce que Philippe attend de nous pour la semaine prochaine.
Constatant qu’Elise est un peu perturbée par le ton employé par ma collègue de bureau, je me dis qu’il faut que je la mette un peu plus dans ma poche encore. Cela ne pourra qu’énerver davantage la rousse qui risque d’attendre encore un peu son dossier Martinez.
— Elise, il y a autre chose, oui. Je me disais que ça pourrait être sympa qu’on aille boire un verre ensemble prochainement. Tu en penses quoi ?
Clairement, c’était la bonne stratégie car non seulement Elise n’a plus l’air de s’en vouloir pour le dossier en retard, mais la grimace que tire Pénélope est un plaisir pour moi. Une petite victoire considérant tout le reste mais tout est bon à prendre.
— Ce sera avec plaisir. Quand tu veux, minaude la secrétaire en se levant. Je t’apporte la liste, je reviens.
Je la regarde sortir, un sourire niais sur le visage. Cela fait longtemps que je n’ai pas rajouté une conquête à ma liste de plans cul et il me semble que j’ai trouvé dans cette brunette mon prochain terrain de jeu. Mais mon sourire se fige quand je croise le regard de Pénélope qui me fusille.
— Quoi ? Tu es jalouse ? Ce n’est pas de ma faute si je suis plus convaincant que toi pour motiver nos collègues.
Pourquoi faut-il que je la provoque à chaque instant ? Et pourquoi faut-il que je fasse toujours autant preuve d'hypocrisie. Est-ce vraiment de l’exaspérer comme je le fais à l’instant qui me fait plaisir ?
— Jalouse ? La bonne blague. Je pense juste à mon amie. Tu sais, les bruits de couloir ne sont pas très flatteurs pour toi, Jonas. Elise est une femme très sensible qui s’attache vite, et je te déconseille de la faire souffrir, c’est tout. Pour le reste, utiliser ton charme pour avoir ce que tu veux… Fais comme tu le sens, mais ne viens pas te plaindre le jour où tu auras une plainte au cul pour harcèlement.
— Tout de suite les grands mots. Je ne la force à rien, que je sache. Et il ne faut pas se fier à tous les bruits de couloir. Je suis sûr qu’il y en a certains que j’ai lancés moi-même, juste pour me faire une réputation. Souvent, c’est tout ce qui compte dans nos métiers. Le paraître plutôt que l’être. C’est important, le dossier Martinez ? Tu veux que je lui demande de s’en occuper quand elle va revenir ?
Oui, malgré toutes les piques qu’on peut se lancer, je reste un minimum professionnel et je me dis que si je peux l’aider à avancer, c’est ce qu’il faut faire. Pas pour elle personnellement, non, mais pour l’entreprise.
— Je vais me débrouiller, je n’ai aucune envie de t’être redevable. Quant à la réputation, je doute qu’avoir celle de queutard te serve dans ton métier, mais bon, vous êtes parfois incompréhensibles, vous, les hommes.
— Un queutard ? pouffé-je. J’aurais dit “séducteur”, moi. On dirait que ça te rend jalouse. Ce n’est pas parce que tu n’as plus accès à ma queue qu’aucune autre femme ne pourrait en profiter, tu sais ?
— Oh, crois-moi, je l’ai bien compris il y a dix ans, marmonne-t-elle. Je peux bosser ou tu comptes me raconter ta vie toute la matinée ?
Je reste silencieux jusqu’au retour d’Elise qui revient avec les informations demandées. J’hésite un instant sur la conduite à tenir après ce que m’a dit Pénélope mais c’est clair que la jolie secrétaire n’attend qu’une chose, que je confirme mon invitation. Elle a clairement envie de moi et qu’y puis-je si je suis un homme faible ?
— Merci Elise, c’est parfait. Tu vas pouvoir t’occuper du dossier Martinez, maintenant. Et pour le verre, ce soir, ça te dit ? On pourrait faire mieux connaissance, comme ça.
— Ce soir, c’est parfait, sourit-elle. Où tu veux qu’on se retrouve et à quelle heure ?
— Dites, on n’est pas à un date Meetic, là, j’aimerais bosser. Vous avez la pause café pour prévoir vos plans, lance froidement Pénélope. Et j’ai besoin du dossier Martinez dans la journée, Elise. Merci.
J’ignore totalement ma collègue et fixe la brunette qui semble accrochée à mes lèvres.
— Dix-huit heures trente, je peux passer te prendre chez toi. Envoie-moi ton adresse par mail, comme ça on n’embêtera plus personne. A tout à l’heure.
Elise, sentant l’exaspération monter du côté de Pénélope, ne demande pas son reste et file hors du bureau. Quant à moi, je jubile mais tente de ne pas trop le montrer. J’ai réussi à me sortir d’une situation vraiment pas confortable, où je fouillais dans les affaires d’une collègue, pour me retrouver avec un date Meetic comme le dit si bien Pénélope, et son attention complètement détournée de mes agissements. Et puis, sait-on jamais ? Peut-être que ce petit rendez-vous donnera lieu à plein d’autres et qu’il sera le début d’une belle histoire ? C’est ce que je me dis à chaque fois depuis que Pénélope m’a largué et ça n’est jamais arrivé, encore. Avec Elise, ce sera peut-être différent ?
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