12. Confessions et Girl Power

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Pénélope

L’odeur de nourriture fait gargouiller mon ventre sans aucune retenue tandis que je traverse la salle du restaurant pour rejoindre les filles. Elles ont déjà le nez dans le menu et cela me laisse quelques secondes supplémentaires pour me calmer. Solène m’a envoyé un message pour me dire qu’Elise tournait en boucle sur sa soirée d’hier avant même la pause café, si bien que j’ai prétexté un appel urgent pour l’éviter. Dieu merci, ma web designer préférée m’a apporté une tasse en passant, confirmant d’un simple regard que j’ai bien fait de rester à mon bureau, quitte à entendre la respiration de Jonas. Oui, on en est arrivés là. Même sa respiration me gonfle depuis hier.

Je m’installe en face des filles après avoir ôté mon gilet et plonge le nez dans le menu laissé à mon intention. J’ai espoir d’avoir droit à quelques secondes de plus de tranquillité, surtout que ce n’est que la deuxième fois que nous venons ici. Toutes nos petites habitudes ont été modifiées en changeant de lieu de travail. J’ai réfléchi à l’idée de déménager parce que je déteste perdre du temps dans le métro, mais nous avons fait pas mal de travaux depuis que nous avons emménagé, notamment en insonorisant l’une des chambres pour pouvoir jouer sans déranger les voisins.

Le serveur arrive un peu trop vite à mon goût, mais Elise et Solène ont déjà posé leurs menus et ont recommencé à papoter, alors à quoi bon faire mine de ne pas avoir fait mon choix ? Bon, je sais que c’est puéril, mais il n’y a pas que cette histoire de rencard qui m’ennuie. J’adore Elise, mais j’ai du mal à accepter qu’elle priorise ses tâches selon la tête du client, ça me contrarie fortement.

— Il est sympa, ce resto, j’aime bien la déco, lancé-je une fois le serveur parti en observant les murs clairs parsemés de plantes tombantes.

— Oui, c’est Jonas qui me l’a conseillé, répond Elise en insistant sur le prénom de mon collègue de bureau.

Évidemment, qui d’autre ? J’aurais dû m’en douter, c’est tout à fait son style. Enfin, ça l’était, mais j’imagine que c’est encore le cas puisque notre bureau regorge de petits pots de plantes vertes.

— Rassure-moi, tu ne l’as pas invité à se joindre à nous, au moins ?

— Non, non. On doit décider après le déjeuner de quand on se revoit. Il est tellement chou, si tu savais.

Je détourne le regard en tentant de faire abstraction de mon estomac qui se tord à cette nouvelle. Magnifique… Il ne faudra pas une semaine pour qu’Elise tombe folle amoureuse de lui s’il lui reste ne serait-ce que la moitié de la patience, la bienveillance et l’humour qu’il avait à l’époque. Fait chier.

— Oh arrête un peu avec ça, il n’a rien de “chou”, s’emporte un peu Solène. Depuis ce matin, je te le dis, il est sexy, mais pas “chou” ! C’est vraiment pas un mot pour cet Apollon !

— Je confirme qu’il n’est pas chou. Et être un vrai connard n’est pas sexy non plus, grimacé-je.

— Moi, je l’adore déjà. Quel gentleman… Et quel séducteur ! J’en ai fait des rêves toute la nuit tellement il m’a donné chaud hier soir !

Je ne veux pas savoir. Je ne veux pas savoir. Je ne veux pas savoir. Pitié, qu’elle se taise !

— Vous savez que je l’ai trouvé en train de fouiller dans mon bureau, hier matin ? Je suis sûre qu’il cherchait l’avancement du projet SP, cet enfoiré.

— Ah oui ? Il était vraiment en train de faire ça ? Mais pourquoi ? On avance bien de notre côté, on n’a pas besoin de savoir ce que vous faites, intervient Solène.

— Tu penses que je mens, peut-être ? demandé-je un peu brusquement, à moitié vexée qu’on remette en question mes propos.

— Non, non, c’est juste surprenant.

— Peut-être que c’est sur moi qu’il cherchait des informations ? Ou il croyait que tu avais une photo de moi et il voulait te la piquer ?

— Bon sang, Elise, tu peux arrêter de réfléchir avec tes hormones quelques minutes et connecter ton cerveau ? Lui et moi sommes en compétition, tu comprends ? Il n’y a pas de place pour deux directeurs créatifs dans une même boîte, peu importe ce que peut dire le boss, et je n’ai aucune envie d’être mutée dans une antenne à Munich ou à Londres !

— Moi, j’ai l’impression que tu es juste jalouse de moi parce qu’il me trouve à son goût et qu’il t’ignore complètement. Ce ne sont pas mes hormones qui parlent là, c’est juste que je sais ce que j’ai vécu avec lui hier soir.

— Ouais, ben profite le temps que ça dure, marmonné-je en sortant mon téléphone alors que le serveur apporte nos plats.

Je n’ai plus faim. En vérité, j’ai juste envie de me tirer, là, tout de suite, de m’éloigner des filles, de Jonas, de Steven qui m’insupporte, lui aussi. Non, en fait, je voudrais remonter le temps, le début d’année serait parfait, avant Swan International, avant mes retrouvailles houleuses avec Jonas. Ca ne changerait rien par rapport à Steven, c’est sûr, mais ce seraient déjà des contrariétés en moins. Malheureusement, je n’ai pas encore mis la main sur le retourneur de temps utilisé par Hermione Granger… Donc, il va falloir faire avec.

— Tu es sûre que ça va, Péné ? Dès qu’on parle de Jonas autrement que pour le critiquer, on dirait que tu perds tous tes moyens. Il t’a fait des menaces ou quoi ? Tu sais, tu peux nous dire, hein ? Même Elise le comprendrait.

— Non, c’est juste que c’est un vrai con avec moi depuis qu’on est arrivés. Je vous rappelle qu’il a collé mon bureau contre un mur, qu’il soupire ou m’engueule dès que je fais un peu trop de bruit à son goût, qu’il ne m’a pas envoyé de mail pour assister à la réunion qu’il a organisée dans mon dos pour SP… Et la liste est non exhaustive !

Et bien plus longue qu’elles ne pourront jamais l’imaginer… D’ailleurs, pourquoi je ne leur en parle pas ? Elles savent que j’ai été blessée par un homme il y a quelques années, mais je ne me suis pas étalée… Il faut dire que c’est plutôt humiliant d’être traitée de la sorte.

— C’est étrange qu’il ne soit comme ça qu’avec toi, s’interroge Elise. C’est comme si vous aviez été ennemis dans une autre vie, tu sais, genre un truc un peu mystique.

— Une autre vie, hein ? renchérit Solène qui plisse les yeux en m’observant. Tu es sûre que tu nous dis tout ? C’est quoi, ce “non exhaustif” dont tu nous parles ?

— Bon sang, le Saint-Pierre est délicieux ! éludé-je avant de soupirer lourdement. Possible que Jonas et moi nous connaissions d’il y a longtemps… Disons que nous avons un passif.

— Un passif genre très lourd ? Genre c’est un gros con qui t’a trompée dès qu’il a eu un peu de liberté ?

— Comment ça, un passif ? demande Elise, plus perplexe que ne semble l’être Solène.

— Jonas était mon voisin, quand j’étais gamine… On s’est installés à côté du corps de ferme de ses parents, et on a vite accroché, tous les deux. Disons qu’on a grandi ensemble, fait nos premières expérimentations ensemble, aussi… Et puis, son oncle lui a trouvé un stage aux USA, il s’est barré sans trop m’inclure dans l’équation, même si nous sommes officiellement restés ensemble. Et c’est là-bas qu’il a brisé mon petit cœur, à distance, en couchant avec une autre. Tu aurais dû parier du fric, Solène, tu as vu juste.

— Et tu te retrouves dans le même bureau que lui ? Putain, le destin t’en veut ou quoi ? Tu devrais lui casser la gueule et puis c’est tout ! Ou alors lui retourner son bureau tous les jours ! Ou non, tu as raison, il faut lui faire perdre son boulot et après, tu lui fous une baffe qui lui décrochera ses dents d’étalon mal monté !

J’éclate de rire suite à la tirade de Solène qui a au moins le mérite de me détendre un peu. Niveau inventivité, elle est plutôt douée, j’en conviens !

— Tu devrais faire un site web sur les vengeances de femmes bafouées, Sol’, je pense que ton imagination a besoin d’être convertie et exposée !

— Parce que tu crois que je ne l’ai pas déjà fait ? rit-elle à son tour tandis qu’Elise nous regarde tour à tour, un peu perdue.

— J’ai bien compris ? Jonas, c’est ton ex ? C’est le mec dont tu nous as déjà parlé et qui t’a brisé le cœur ? Mais… je ne savais pas, Pénélope… Pourquoi ne l’as-tu pas dit avant ? Quelle conne je fais, moi.

— A quoi bon vous le dire ? Ça m'aurait donné encore plus d’occasions de me plaindre de lui et je crois que je le fais déjà suffisamment comme ça. C’est du passé tout ça, c’est juste que je ne comprends pas pourquoi il est si en colère contre moi alors que c’est lui qui est allé voir ailleurs. Il est hargneux comme il ne l’a jamais été, comme si nous n’avions pas de passif ensemble alors qu’on a été comme cul et chemise pendant douze ans… Ce n’est pas super agréable.

— Mais Solène a raison ! s’agite Elise. Je vais l’aider à lui démonter la tête ! Ou à l’émasculer ! Purée, heureusement qu’hier soir, il est resté soft ! Et dire que j’étais prête à coucher le premier soir avec un salaud comme ça ! Non, mais je te jure, si je m’écoutais, je lui arracherais ses oreilles ! Et même autre chose !

— Vas-y mollo quand même, gloussé-je. Je peux compter sur vous pour que ça reste entre nous ? Je ne veux pas qu’il s’en serve contre moi…

— Promis ! Tu peux compter sur moi, je serai la discrétion incarnée ! Mais il peut toujours courir pour avoir ses rapports désormais, il risque d’attendre un moment !

— Tu sais bien que tu peux nous faire confiance, confirme Solène.

— Ce Girl Power est aussi jouissif qu’une partie de jambes en l’air, souris-je en levant mon verre d’eau gazeuse pour le cogner contre le leur.

Je ne sais pas bien si je suis vraiment soulagée d’avoir lâché l’info ou de savoir qu’Elise ne sortira pas avec Jonas, mais je m’interdis d’y penser alors que l’on nous apporte la carte des desserts. Je bave rien qu’à la lecture et, au moins, le sujet du mec sexy et pas mignon ne revient plus sur le tapis, me permettant de vraiment savourer mon ananas rôti aux épices sans oublier de piquer dans l’assiette de Solène, parce que le chocolat est juste irrésistible.

Le karma est plutôt fourbe. Après avoir savouré la fin du repas sans être parasitée par mon collègue de bureau, il est la première tête que nous voyons en arrivant à l’étage de SI. Et s’il me lance un regard noir, il se détend immédiatement et affiche son sourire séducteur en voyant Elise approcher pour s’installer à son bureau, faisant comme si la pauvre Stella n’existait plus alors qu’il papotait avec elle. Est-ce qu’il est vraiment sous le charme d’Elise ? Je ne sais plus quoi penser… Si ça se trouve, il a changé ? Ou ça pourrait simplement coller entre eux ? Est-ce que je prive mon amie d’une belle histoire ?

Je détourne le regard lorsqu’il se penche sur le comptoir pour discuter avec elle et plonge le nez dans le distributeur de cochonneries. Je crois que je vais avoir besoin de plus de chocolat, finalement… J’aurais dû attendre pour tester l’ananas, l’effet n’est pas le même.

— Ah non, je ne suis pas de ce genre-là, moi, Môssieur ! Entre nous, c’est fini et ça n’a même jamais commencé ! Et j’en suis bien contente ! Alors, tes beaux regards et tes mots doux, tu peux aller les persifler à d’autres oreilles !

Je me retiens difficilement de rire et récupère mon paquet de Maltesers dans le distributeur. En passant devant le bureau, j’évite au maximum de regarder Jonas qui semble dans l’incompréhension totale, lève mon pouce en direction d’Elise, et file m’installer dans notre bureau. J’ai bien envie de lui faire une crasse en prime, histoire de le pousser à bout, et j’observe son bureau parfaitement rangé avant d’aller ouvrir la fenêtre. Il y a un peu de vent mais pas assez pour le résultat que j’espérais, alors je donne un coup de main à la nature et éparpille la pile de papiers un peu partout sur son bureau et au sol.

Moi, immature ? Si peu…

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