17. Un match perdu d’avance ?
Jonas
Je regarde le tableau où nous avons pris nos notes et écrit nos remarques. Il y en a dans tous les sens malgré l’organisation que nous avions essayé de mettre en place. On avait bien commencé, pourtant, avec notre système SWOT ! On était censés mettre les forces d’un côté, les faiblesses de l’autre, les transformer en opportunités et menaces, mais rapidement, on s’est mis à gribouiller et à faire carburer nos cerveaux. Aucun de nous deux ne sait rester enfermé dans un système aussi contraint que ça et nous nous sommes lâchés, sans respect pour les cases. Je me masse un peu les tempes alors qu’elle a pris une pause et essaie de faire sens dans tout ce qui est inscrit. Mon écriture à peine lisible se mélange à plein d’endroits à la sienne beaucoup plus nette et arrondie. C’est comme si un docteur avait participé à ce travail commun avec une institutrice.
Je profite de l’absence de Pénélope pour prendre mon téléphone et j’appelle Suzanne. Après une journée comme ça, il me faut un peu de détente et rien de tel qu’une partie de tennis et plus si affinités pour récupérer.
— Coucou. Ton partenaire d’entraînement a besoin de se changer les idées ce soir. Dis-moi que tu es dispo !
— Quel genre d'entraînement, au juste ? rit-elle. Je peux être disponible pour dix-huit heures, je pense.
— Eh bien, je te propose qu’on fasse partir toutes les mauvaises énergies en jouant au tennis et qu’on accumule toutes les bonnes en passant la nuit ensemble. Je te dois encore un orgasme, si je me souviens bien.
— La nuit ? Tu me prends un peu trop pour acquise, mon lapin, je crois ! Qui te dit que je suis libre ?
— Je te connais, Suze. Tu sais que je peux te faire jouir autant de fois que tu le souhaites, non ? Et c’est toi qui m’as dit que tu étais libre, j’espère que c’est le cas jusqu’à demain.
— Sur le principe, oui. Mais… on verra après le tennis. Pour l’instant, je ne suis pas dans le mood galipettes.
— A tout à l’heure, alors. Je me dépêche pour être à l’heure.
Je raccroche et, lorsque Pénélope revient, nous reprenons notre travail, studieux et concentrés. Nous avançons bien et les choses semblent se mettre en place. Je la retrouve comme quand on étudiait ensemble. Elle a les mêmes mimiques, les mêmes tics. Et comme quand on était jeunes, j’ai souvent du mal à me concentrer sur autre chose qu’elle. Ce qui est dommage, c’est que la soirée ne va pas finir comme quand on était au lycée où ça dérapait souvent vers des moments plus coquins et sensuels. Il faut dire que quand elle met le stylo ainsi dans sa bouche et le mordille ou quand elle se lève pour réfléchir et que je me perds dans la vision de ce fessier d’enfer qui passe à quelques centimètres de mon visage, c’est difficile de rester concentré sur le sujet qui nous réunit.
— Je crois qu’on a ce qu’il faut pour demain, non ? demandé-je finalement en voyant l’heure de mon rendez-vous approcher. On a bien avancé, je trouve.
— Tu veux qu’on s’arrête là ? Très bien, si ton inspiration s’est déjà émoussée, je comprends.
— Non, non, je ne suis pas émoussé mais il faut que je garde un peu de vigueur pour mon entraînement de tennis, ce soir. J’ai quelques aces à marquer avec ma partenaire !
— Bon entraînement alors, me répond-elle en restant plantée devant le tableau.
— Ne reste pas trop tard, il faut laisser reposer pour que les idées fusent à nouveau. Bonne soirée, Nono.
Je ris quand elle lève les yeux au ciel en m’entendant utiliser ce surnom.
— Elles continuent de fuser, Johnny. Tu me connais, c’est mon cerveau qui décide quand c’est fini, pas moi. Bonne soirée, repose-toi bien surtout.
J’espère au contraire ne pas trop me reposer et profiter de cette soirée pour m’amuser un peu avec Suzanne et ainsi oublier les visions qui me polluent l’esprit à force de passer du temps en tête à tête avec mon ex. Je rentre chez moi récupérer mon sac de sport et mes raquettes, je me change rapidement et retrouve la jeune blonde à la salle de sports où elle est déjà en train de taper dans la balle contre un mur. Je m’approche d’elle et j’admire ses jambes musclées alors qu’elle sautille sur place pour parfaire son échauffement.
— Eh bien, quelle énergie ! Pas sûr que je tienne le coup après la journée que m’a fait passer ton père.
— Au contraire, ça va te faire du bien. Mon père te malmène, mon pauvre ?
— Oui, il m’a fait travailler toute la journée avec la nouvelle de Med’Com. Comme si j’avais besoin de ça, moi. On s’échange quelques balles ou on se fait un entraînement contre le mur ?
— A toi de voir. De quoi as-tu besoin ? On peut aussi aller boire un verre si tu préfères rhabiller mon père pour l’hiver, ou ta collègue, sourit-elle.
— Écoute, on se fait un entraînement d’une trentaine de minutes et on va se boire un verre après, d’accord ?
Elle opine et pendant que nous nous activons sans vraiment compter les points, j’essaie d’évacuer toute autre pensée mais clairement, elle me surclasse facilement dans tout ce qu’on entreprend, mon esprit étant préoccupé par énormément de pensées parasites. Et c’est donc pleine de curiosité qu’elle entame la discussion une fois assis dans le fond de cette brasserie, près de la Gare du Nord, où nous avons choisi de passer ce début de soirée.
— C’est si terrible que ça, de bosser avec ta collègue ? Non, parce que je ne t’ai jamais vu aussi peu concentré, même quand mon père te met la pression.
— Disons que ce n’est pas facile de travailler avec une ex, surtout quand elle cherche à se venger en voulant prendre ma place. Tu vois un peu le bazar ?
— Ah… Et tu penses que mon père pourrait te faire ça ? J’en doute…
— Je ne sais pas mais il a quand même indiqué que ce que j’avais produit ce matin n’était pas à la hauteur et m’oblige à tout revoir avec elle. J’ai passé la journée enfermé dans notre bureau en sa présence, quelle galère !
— Pourquoi vous seriez forcément en concurrence ?
— On ne peut pas être deux sur le même poste. Et puis, tu t’imagines travailler avec un ex ? L’avoir tout le temps sous les yeux, c’est une vraie torture.
— Non, je n’imagine pas vraiment, rit-elle. Sauf peut-être un ou deux… Ça s'est si mal fini ? Toi qui es si professionnel, ça m’étonne que tu ne fasses pas la part des choses… A moins que tu m’aies caché des choses et que ce soit tout frais ?
— Non, ce n’est pas tout frais… mais encore bien présent, malheureusement. Et en plus, elle me provoque en s’habillant sexy, elle fait tout pour me déconcentrer.
— Ben voyons, marmonne Suzanne en croisant les bras sous sa poitrine. J’hésite entre te dire que c’est ton problème si tu es déconcentré par une tenue et… te dire qu’une ex connaît forcément tes points faibles. Mon côté féministe a envie de t’arracher les bijoux de famille à cette réflexion, tu le sais, hein ? Ecoute-toi un peu… On dirait que tu es incapable de te contrôler. Comme si c’était sa faute si tu ne sais pas garder tes yeux dans tes poches.
Je réfléchis à ce qu’elle vient de dire et c’est vrai que ce ne sont pas les tenues qui me mettent en difficulté mais plus ce que je ressens toujours pour elle. Et ça, c’est encore pire, je trouve.
— Je crois qu’elle connaît vraiment mes points faibles, en effet. Comme toi, non ? dis-je en me penchant pour poser ma main sur sa cuisse nue.
— Si tu comptes te servir de moi pour oublier ton ex, je te préviens tout de suite que c’est mort, Jonas. Je veux bien être ouverte, mais servir de pansement ou être le deuxième choix, non merci, soupire-t-elle en repoussant ma main.
— Ce n’est pas ça, tu sais bien que j’apprécie passer du temps avec toi. Et on ne s’est rien promis, tous les deux et je ne vais pas te forcer si tu n’as pas envie. C’est juste qu’on est bien compatibles tous les deux.
Je ne suis pas tout à fait honnête, c’est vrai. Mais je ne mens pas vraiment. Suzanne est plus qu’un simple plan cul, qu’un simple pansement. Avec elle, les choses sont naturelles et simples. Mais là, j’ai peut-être été trop honnête avec elle, en lui disant des vérités que je cachais auparavant.
— Compatibles, oui, quand il ne s’agit que de s’envoyer en l’air… Peut-être que si c’est si difficile de bosser avec ton ex, c’est que tu devrais te poser des questions, non ?
— Je m’en pose, en effet. Et pour être honnête avec toi, des fois, j’aimerais ne plus avoir à m’en poser. Je commençais vraiment à aller mieux et là… c’est un retour dix ans en arrière que je ne m’explique pas.
— Comme on dit, loin des yeux, loin du cœur… Pourquoi vous vous êtes séparés ?
— Elle m’a quitté alors que j’étais aux Etats-Unis. Elle n’a pas eu confiance en moi et en a profité pour me larguer. M’accuser de coucher avec une américaine, c’était une bonne excuse pour mettre fin à notre histoire. Je suis rentré et je me suis retrouvé devant le fait accompli… Pas facile à vivre.
— Je vois… Donc l’histoire n’est pas vraiment bouclée pour toi, en gros.
Je ne sais pas quoi répondre à ça. Je n’ai pas envie de lui mentir et lui dire que tout est terminé, mais en même temps, si je dis la vérité, c’est sûr que ce soir, je ne vais pas tirer mon coup.
— C’est un peu ça, finis-je par avouer, à regrets. Enfin, ne le répète à personne car sinon, c’est ma réputation de séducteur qui tombe à l’eau, hein ?
— Mieux vaut être honnête envers soi-même, non ? Ça t'évitera de te voiler la face et de faire souffrir les pauvres femmes comme moi, sourit-elle, visiblement légèrement résignée.
— Oh, je ne veux surtout pas te faire souffrir. Bien au contraire, je préfère te donner tout le plaisir que tu mérites. Mais je sens que ça ne sera pas pour ce soir, souris-je en finissant mon verre.
— Pas ce soir, non… Je n’avais déjà pas trop la tête à ça, je t’avoue que t’imaginer penser à une autre alors que tu es dans mon lit me tente moyennement, rit-elle doucement.
— Tu m’autorises à te raccompagner chez toi quand même ? En gentleman, bien sûr, juste pour m’assurer que tu n’es pas importunée sur le chemin. Mignonne comme tu es, c’est un risque que je ne veux pas te faire courir.
— Bien sûr, avec plaisir. Il faudra que tu m’expliques comment tu peux être aussi prévenant et en même temps, accuser une femme de te déconcentrer parce qu’elle a un décolleté trop plongeant à ton goût !
Peut-être parce que ce n’est pas n’importe quel décolleté qui me déconcentre. Celui de Suzanne est pas mal et me donne quelques envies, mais ce n’est rien à côté de celui de Pénélope. Comme l’a si bien noté ma partenaire de tennis, l’histoire n’est pas totalement bouclée et il va encore falloir que je me soigne pour me sortir de l’addiction que mon ex représentait et représente encore aujourd’hui. Un jour à la fois, c’est tout ce que je peux envisager en travaillant à ses côtés. Soigner le mal par le mal, ça peut marcher en plus, qui sait ?
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