19. Projets contrariés

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Jonas

Philippe a retardé la réunion où on doit lui présenter nos projets et attendre dans le bureau en présence de Pénélope est juste impossible. Elle est à fleur de peau et réagit au quart de tour, à la moindre phrase que je prononce. Là, je viens juste de jeter un œil vers elle et j’ai cru qu’elle allait me sauter dessus.

— Tu sais que ça ne sert à rien de stresser comme ça ? Au pire, on doit recommencer mais que veux-tu qu’il nous fasse ? On a tout bossé ensemble et on est arrivés à un beau résultat, non ?

— Je ne stresse pas, je sais qu’on a fait du bon boulot. Mais je ne connais pas le patron comme toi, donc désolée de ne pas être totalement sereine non plus.

Le ton est sec et presque désagréable et je lève les sourcils au ciel. Je préfère sortir du bureau avant de m’emporter contre elle, ce qui ne serait pas du meilleur effet avant de faire une présentation commune. Je me demande ce qu’elle a car elle a des cernes jusqu’en bas du menton et son attitude générale semble un peu négligée. Enfin, si on regarde bien car je pense que quelqu’un qui ne connaîtrait pas Pénélope comme je la connais n’y trouverait rien à redire. Mais moi, je vois qu’elle n’a pas mis de boucles d’oreille par exemple. Quand on était jeunes, c’était rare de la voir sans, seulement quand elle était déprimée de chez déprimée. Si elle va bien, elle en porte et en plus, elle doit avoir une sacrée collection vu toutes les formes qu’elle possède. Il y a donc clairement un truc qui cloche mais j’ai du mal à croire qu’une simple présentation à notre boss la mette dans cet état.

N’ayant pas vraiment de mission à accomplir pour l’instant, je me dirige tout naturellement vers l’accueil et la machine à café.

— Les filles, je vous ramène un café ? demandé-je à Elise et Stella.

La première m’ignore royalement mais Stella minaude en m’adressant un grand sourire.

— Quel gentleman ! Je veux bien, s’il te plaît. Elise ?

— Ça va aller pour moi.

Je récupère les deux cafés et en dépose un devant Stella qui s’en saisit en papillonnant des yeux. Elle est mignonne et je m’accoude sur le comptoir devant elle. Cela aura au moins le mérite de me faire passer le temps.

— Tu as passé un bon weekend ? Jolie comme tu es, tu as réussi à choisir entre tous tes prétendants ?

— Tu sais qu’on ne passe pas notre temps à chercher un mâle ? marmonne Elise à côté de nous.

— J’ai passé un bon weekend, merci, mais pas de prétendant en vue. Et toi ?

— Je crois que j’ai passé un meilleur weekend que ta collègue ou que la mienne, souris-je. Mais malheureusement, à part un peu de tennis, je n’ai pas fait grand-chose. Je devais terminer la présentation pour aujourd’hui avec le big boss. Peut-être que l’on pourrait se faire une sortie le weekend qui arrive ?

— Tu bouffes vraiment à tous les râteliers, c’est dingue, grommelle Elise. Te fais pas avoir, Stella, y a quelques jours il cherchait à me coller dans son lit

— Stella et moi, c’est une vieille histoire, Elise, elle me résiste depuis tellement de temps que je vais finir par croire que tu l’intéresses plus que moi ! Heureusement qu’elle m’a prouvé le contraire à plusieurs reprises !

— Tu devrais peut-être nous faire une liste de celles que tu n’as pas collées dans ton lit, ça irait plus vite en fait, suggère-t-elle, provocante.

— Elise, fiche-lui la paix, tu veux ? On sait ce que valent les rumeurs dans une entreprise. Désolée, mon chou, mais je suis prise, ce weekend.

— Dommage pour toi, Elise, mais comme je suis assez sélectif dans celles avec qui je veux passer du temps, je ne vais rien te proposer, tant pis pour ta frustration. Et dommage, Stella. Une autre fois, sûrement. Tu me dis quand tu es disponible et on se fera un petit resto. Et plus si affinités !

— Mon Dieu, toi et ton ego, s’esclaffe Elise. C’est moi qui t’ai foutu un vent et tu te dis sélectif ? La bonne blague !

— Bon, je laisse Stella te raconter les miracles que je fais avec ma langue et je vais aller chercher ma chère collègue de bureau avant qu’elle ne se transforme en vache à force de ruminer. A plus tard, les filles !

Stella pouffe et rougit en même temps tandis qu’Elise se renfrogne pour mon plus grand plaisir. Je suis sûr que malgré son attitude, je l’attire encore un peu. Mais comme elle l’a dit, elle m’a foutu un vent et si elle pense que je pourrais lui redonner une chance, elle se trompe. J’ai la rancoeur tenace et Pénélope que je retrouve en train de regarder le mur en rêvassant en est la preuve. A mon arrivée, elle se secoue et se lève après avoir jeté un regard à l’horloge. Sans un mot, elle me suit jusqu’au bureau de Philippe qui nous accueille en souriant. Je lui tends ma clé USB qu’il insère dans son ordinateur et il lance la présentation qui s’y trouve.

— Comme tu nous l’as demandé, tu vois, nous avons travaillé ensemble et ce que nous te présentons là, c’est le résultat à la fois de nos analyses croisées mais aussi d’un brainstorming ayant réuni les deux équipes. Nous avons des réalités différentes, des façons de voir les choses parfois à l’opposé, mais nous avons réussi à nous mettre d’accord, non pas sur le plus petit dénominateur commun, mais sur une vision qui nous semble à même de mettre en avant SP en évitant les écueils dûs au type d’entreprise qu’ils sont, n’est-ce pas Pénélope ?

— Oui. Il était évident pour nous de devoir détourner l’attention du côté pollution et entreprise pétrolière pour le bien de la campagne, et je dirais que nous avons plutôt bien allié les forces de tout un chacun dans le but de produire le meilleur.

Malgré une légère hésitation au début, elle s’est vite reprise et nous enchaînons par une présentation à deux voix qui semble plaire à Philippe. Il ne nous interrompt pas et nous laisse terminer avant qu’un silence s’installe. Voyant le stress de ma collègue et constatant que notre boss en joue, je reprends la parole.

— Bon, avoue que l’on ne peut pas faire mieux. Tu nous laisses commencer quand ?

— Vous êtes sûrs d’avoir tout donné cette fois ?

— Tu sais ce qu’on dit, Philippe ? On a les collaborateurs qu’on mérite. Là, on a donné tout ce qu’on pouvait en une semaine, tu n’auras pas mieux ailleurs !

— Bien… Sachez que j’ai hâte de vous faire à nouveau travailler ensemble, s’esclaffe-t-il finalement. Est-ce que vous vous rendez compte de la qualité du travail ? Vos projets en solo, comparé à ça… je n’ai même pas les mots !

Je suis soulagé de voir que la tension semble disparaître des épaules de Pénélope. J’espère que ça va lui permettre de redevenir elle-même et qu’elle va arrêter de faire la tête à ce point-là.

— Merci Philippe. On sait qu’on est les meilleurs ! Dès ce soir, on se met sur le nouveau projet ! Tu vas voir, tu ne seras pas déçu !

— On reste quand même deux entités bien distinctes, hein ? intervient Pénélope. Je veux dire… On a chacun nos façons de travailler, c’est vrai qu’à deux ça marche bien, mais ça me donne l’impression qu’on ne vaut qu’une moitié de pro en solo, là…

— Deux entités ? Oui, en quelque sorte, mais il faut mélanger vos suivis et travailler dessus ensemble. Par exemple, Jonas, pourquoi tu ne laisserais pas Pénélope s’occuper du marché du parfumeur de Grasse ? Tu le suis depuis tellement longtemps, un regard nouveau, ça ferait du bien. Faites donc le tour de vos marchés et mixez-les. Chacun son travail mais en équipe et dans le partage, ce sera exceptionnel, niveau résultats !

— On ne peut pas faire ça, m’insurgé-je. Et la relation de confiance qu’on a bâtie avec nos clients, alors, tu l’oublies ?

— Je suis d’accord avec Jonas. On ne joue pas aux chaises musicales avec les clients. La confiance, c’est une chose, mais connaître les personnes en face de nous, leurs goûts, leurs préférences, c’est important. Ce sont des mois de boulot que tu veux qu’on mette au placard, là.

— Mais non, je veux sublimer votre travail ! Vous allez les rendre encore plus heureux ! Et tout ce que vous me dites, je le sais bien, c’est ça qui va vous forcer à travailler ensemble. C’est une idée merveilleuse que j’ai eue là !

Le connaissant, je sais qu’il ne changera pas d’avis et je me dis qu’il va falloir que je réfléchisse à qui, dans mon portefeuille de clients, je peux laisser à Pénélope. Elle, cependant, n’a pas l’air prête à abandonner si rapidement.

— Une merveilleuse idée ? Tu ne connais pas les clients que Med’Com t’a rapportés, Philippe. Je te signale qu’ils suivent l’équipe en acceptant d’être pris en charge par une grosse boîte alors que la plupart nous avaient choisis pour le côté familial et intimiste. Si en prime tu changes leur interlocuteur principal, je ne donne pas cher de certaines collaborations.

— Qu’est-ce que tu impliques là ? rugit-il presque. Que je n’ai pas fait mon travail ? Que je ne sais pas qui sont vos clients ? Je te signale que j’ai étudié chacun de vos dossiers et que je suis prêt à te donner les interlocuteurs que tu as, mais aussi toutes les dates de tes rencontres et les stratégies mises en place ! Je te signale qu’ici, je vous laisse totale liberté sur votre travail, mais la stratégie de l’entreprise, c’est moi qui la décide et si ça ne te plait pas, tu es libre de partir quand tu veux, d’accord ? Arrête de prendre les choses aussi personnellement. Ton implication est appréciable mais si elle dépasse le cadre professionnel, ça ne peut pas bien se passer. Donc, pour faire court, tu partages tes dossiers avec ton collègue ou ça ne sert plus à rien de venir dans mon bureau. Vous pouvez disposer.

Ouh la, elle a fâché le fauve et je sens qu’elle est prête à essayer de contre attaquer afin de se lancer dans son domptage. Pas une bonne idée, surtout que plus elle va l’exciter, comme il aime ça, plus il va réagir. Je me lève donc et l’entraîne avant qu’elle n’ait eu le temps d'aggraver son cas. Elle cherche à dégager son bras mais je ne cède pas et ne lui laisse pas le choix de me suivre.

— Eh bien, j’ai hâte de te piquer tous tes meilleurs clients, me moqué-je une fois que nous sommes revenus dans notre bureau. Quelle merveilleuse idée il a eue, n’est-ce pas ? ajouté-je en mimant notre désormais boss commun.

— Ça te fait rire ? C’est n’importe quoi ! Éventuellement, se consulter, demander un coup de main, pourquoi pas, mais tout bousculer, c’est ridicule ! Mes clients viennent déjà de vivre un changement, je trouve ça irrespectueux envers eux, s’agace-t-elle.

— Tu n’as pas tort, mais t’opposer frontalement à Philippe ne t’amènera à rien. Je le connais bien, depuis le temps. Il marche à l’affect et non à la colère. Alors, quand c’est comme ça, on fait le dos rond et on revient à l’assaut à un autre moment. Sinon, comme il l’a dit, tu n’as qu’à partir. Et ça serait dommage après de tels encouragements, n’est-ce pas ?

Clairement, elle n’est pas prête à discuter et à concéder mon point. Elle hausse les épaules et s’installe à son bureau sans plus m’accorder un regard. On ne dirait pas qu’on vient de se faire complimenter !

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