21. Souvenirs, souvenirs
Jonas
Je suis des yeux Pénélope qui semble s’enfuir vers la cuisine. J’avoue que je suis encore sous l’effet de la surprise d’être tombé sur elle en entrant. Surtout vu sa tenue. Si elle avait voulu m’en mettre plein les yeux, elle ne se serait pas habillée autrement. De quoi alimenter mes fantasmes et mes rêveries pendant de nombreuses soirées. Quand je vois à quel point elle est bandante, pas étonnant que toutes les autres me paraissent fades et que je n’ai plus envie de sortir ou de passer des soirées avec des plans cul. Franchement, cette femme me plait toujours autant. Je ne sais pas ce que je préfère. Clairement, elle a un décolleté d’enfer. Sa poitrine, dont mes mains se souviennent encore, doit être libre sous ce vieux débardeur dont je me rappelle m’être débarrassé à quelques reprises avec plaisir. Et ce petit short qui lui moule les fesses, c’est, comme avant, un véritable appel à la débauche. Si seulement elle ne m’avait pas trahi et autant fait souffrir, je pense que je lui aurais demandé de me suivre dans sa vieille cabane où nous avons tant profité l’un de l’autre.
Je me rapproche de ma mère que j’apostrophe discrètement alors que les autres sont déjà partis dans la salle à manger.
— Ne me dis pas que tu ne savais pas qu’elle serait là ! Tu avais peur que je ne vienne pas, hein ? C’est ça, votre idée de génie pour me faire plaisir ? Je t’assure que c’est un échec. Je ne reste que par politesse envers les parents de Penny.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, mon Chéri. Je ne t’ai pas traîné ici contre ta volonté, je t’ai dit qu’on dînait ici, c’est tout, sourit-elle en me faisant un clin d'œil.
— Il va falloir que vous compreniez qu’on n’a plus quinze ans et qu’on n’est pas en couple. On ne le sera même plus jamais, c’est du passé, tout ça.
— Arrête de bougonner et profite de la soirée, tu veux ? Et il ne faut jamais dire “jamais”, tu en as conscience ?
Elle me plante là sur ces belles paroles et je me demande ce que je vais faire. Elle en a de bonnes, elle, comment je fais pour profiter alors qu’on passe déjà tout notre temps à s’engueuler au boulot ? Moi qui me faisais une joie de revenir en Normandie pour prendre de la distance avec elle, ce weekend, me voilà à nouveau à devoir la confronter. Et malgré son beau cul et ses formes du feu de dieu, tout le reste est juste une horreur. Et qui me dit qu’elle ne va pas essayer de profiter de l’occasion pour me déstabiliser encore plus et ainsi s’assurer une voie royale pour prendre ma place ?
J’emboite le pas à ma mère et la retrouve sur la terrasse où tout le monde est installé. Il ne reste qu’une place, juste à côté de Pénélope qui me sourit, aussi gênée que moi.
— Ne te fais pas d’illusions, soufflé-je discrètement. Si je souris, c’est pour faire plaisir à tes parents, rien d’autre. Je ne m’attendais pas à te voir ici et cela ne me réjouit pas du tout.
— J’avais remarqué, chuchote-t-elle, tu as le sourire d’un mec qui vient de se coincer une couille dans sa braguette et ne veut pas hurler à la mort. Rassure-toi, je suis aussi peu ravie de te voir.
Là, c’était plutôt ma queue qui risquerait de se coincer à la vue de la naissance de sa poitrine que le débardeur révèle plus qu’il ne cache. Mais hors de question que je lui avoue ça. Il faut que je me calme, c’est tout.
— Tu crois que ce sont tes parents, les fautifs, ou les miens ? Franchement, qui a eu cette idée de merde ?
— Dis-moi, Jonas, je ne mérite que d’être reluquée comme un morceau de viande ? L’humeur pourrie et les remarques désagréables ne sont pas en option ? La semaine a été longue, tu ne veux pas plutôt enterrer la hache de guerre pendant quelques heures ? soupire-t-elle finalement.
Mince, elle m’a grillé. Elle me connaît trop bien et sait l’effet que ses courbes ont sur moi. Elle a raison en tout cas, il faut que je fasse un effort pour ce soir.
— Désolé, mais tu sais bien que je t’ai toujours trouvée sexy, je n’y peux rien… Et OK, on fait une trêve ce soir. Mais je ne te promets pas d’être sympa non plus. Il ne faut pas trop demander.
— Qu’ils sont mignons, tous les deux à se faire des messes basses ! intervient ma mère. Chantal, c’était une merveilleuse idée de nous inviter !
— Merveilleuse idée, oui, sourit Pénélope. J’espère que vous êtes motivés pour creuser, d’ici la fin de soirée, il est possible que l’un de nous tue l’autre. N’est-ce pas, Johnny ?
— Je ne m’appelle pas Johnny, ralé-je alors que nos parents sourient.
— Si vous avez besoin d’un peu d'intimité, vous nous le dites, les jeunes, on vous en donnera ! En souvenir du bon vieux temps ! rigole mon père avant de trinquer avec Daniel.
— J’ai pourtant souvenir que vous nous fliquiez pas mal, à l’époque, comme si vous aviez la trouille qu’on se tire à l’autre bout de la France en pleine nuit. Ou de devenir grands-parents bien trop tôt à votre goût, à bien y réfléchir. De vrais trouillards !
— Ah, mais là, ce n’est plus trop tôt ! On n’attend que ça ! s’enthousiasme mon père. Johnny, tu as notre bénédiction !
Je sens que je vais m’énerver et je crois que Pénélope le sent aussi car elle pose une main sur la mienne afin de me calmer. Ce contact physique est électrique et a au moins le mérite de détourner mon attention de mes parents.
— Ne nous prenez pas pour des imbéciles, tous les quatre, d’accord ? soupire-t-elle. Vous vous êtes déjà fait mille scénarios et c’est très mignon de votre part, mais nous ne sommes pas dans l’un de ces téléfilms de Noël où d’anciens amoureux se retrouvent et renouent, OK ? Ici, c’est la vraie vie, et Jonas a la sienne, moi la mienne. On se voit au boulot et c’est déjà largement suffisant.
Cela a le mérite de les calmer un peu et la suite du repas se passe dans une ambiance un peu étrange mais plus calme. Je m’en veux car à plusieurs reprises, Pénélope me surprend en plein matage en règle et ses yeux m’envoient des éclairs. A chaque fois, je me dis qu’elle va finir par remonter dans sa chambre et se couvrir un peu plus, mais elle n’en fait rien. Elle reste à mes côtés, tentatrice malgré elle, et je dois faire un effort pour me concentrer sur la conversation de nos parents qui a dévié sur les prochaines élections municipales où mon père souhaite se présenter.
Lorsque Chantal ramène le dessert, son mari en profite pour sortir de vieux albums photos que je reconnais. A l’époque, quand ils faisaient ça, Pénélope et moi, on allait se réfugier dans sa chambre et on se roulait des pelles, mais là, on est coincés, il va nous falloir regarder et commenter. Ou rester silencieux comme on le fait là car ils n’ont pas l’air d’avoir besoin de nous pour alimenter la discussion.
— Oh tu te souviens de cette soirée-là ? Johnny s’était déguisé en superman et il voulait absolument sauver votre fille qui n’arrêtait pas de lui dire qu’elle était assez grande pour le faire toute seule !
— Ce qu’ils étaient mignons, glousse Chantal. Ils se sont chamaillés pendant des jours à ce sujet, jusqu’à ce que Jonas sauve Pénélope d’une araignée dans la cabane… Un monstre selon elle !
— T’avais autant la trouille que moi de cette araignée, chuchote l’intéressée. Comment ils peuvent se souvenir de tout ça, sérieusement ?
— Moi aussi, je m’en souviens bien, rétorqué-je. Comment oublier la façon dont tu m’as remercié ?
Elle rougit et je vois qu’elle aussi se rappelle maintenant de la sensation de ses lèvres sur les miennes. C’était un simple baiser mais c’était notre premier à tous les deux. Et suite à ça, elle était devenue officiellement “mon amoureuse.”
— Oh regardez ! Là, c’était en première, je crois. Qu’il était mignon mon petit loup avec ses cheveux trop longs ! C'est la dernière photo car après, il a tout rasé sans qu’on sache pourquoi !
— Oh, c’est pas compliqué, intervient Pénélope avec un rire sans joie. La nouvelle de sa classe, une blonde qui se prenait pour Miss France, lui a dit qu’il serait bien plus mignon avec les cheveux rasés. Déjà très influençable dès qu’une paire de seins lui parlait, votre petit loup.
Une de nos premières disputes. Suite à ça, Pénélope ne m’avait pas parlé pendant une semaine. Jusqu’à ce que je vienne la surprendre un matin, dans sa cabane, et que je me fasse pardonner avec un petit strip tease qui l’avait à la fois fait bien rire et excitée. Je soupire car tout ça, c’est du passé. Agréable d’y repenser, mais clairement, ce n’est plus la réalité actuelle. Pénélope est mariée à un autre et c’est lui qui a le privilège de pouvoir faire ce genre de choses avec elle. D’ailleurs, c’est étrange qu’il ne soit pas là.
— Steven est resté à Paris pour un concert ? Je viens tout juste de me rendre compte qu’il manquait quelqu’un ici.
— Ouais, c’est ça, marmonne Pénélope en se levant de table. Si vous voulez bien m’excuser, je reviens.
— Tu as le don pour mettre les pieds dans le plat, mon grand, soupire son père en la regardant s’éloigner dans le jardin.
— On aurait peut-être dû lui dire avant de venir, grimace ma mère. Désolée.
— Ce n’est pas bien grave, sourit tristement Chantal. Elle va vite s’en remettre. Cet homme ne la méritait pas.
— Elle n’est plus avec Steven ? les interrogé-je, abasourdi par la nouvelle que je commence à comprendre.
— Non, elle l’a quitté il y a quelques jours. Cet imbécile, en plus de profiter d’elle, s’est permis d’aller voir ailleurs, grimace sa mère. Un rockeur dans toute sa splendeur, j’imagine.
Plusieurs émotions me traversent en entendant ça. La première, c’est une envie de meurtre. Comment peut-on faire ça à quelqu’un comme Penny ? Surtout après les reproches qu’elle m’a faits et qui ont conduit in fine à notre séparation et à ce qu’elle se mette en couple avec lui quelque temps après. Ensuite, j’ai une folle envie d’aller la rejoindre pour la consoler. La prendre dans mes bras et lui faire un gros câlin, mais je me rappelle à temps que ce n’est plus à moi de le faire. Et enfin, beaucoup d’incompréhension vis-à-vis de nos parents. Dans ces circonstances, comment ont-ils pu penser que c’était une bonne idée de nous réunir ? Et de me l’apprendre de cette façon ?
— Je pense qu’il vaut mieux que je vous laisse alors. Ce n’est pas une bonne idée pour Penny que je sois ici si elle souffre à cause de son mari. Je ne sais pas ce qui vous est passé par la tête, mais j’espère que la folie n’est pas héréditaire. Chantal, Daniel, merci pour le repas. A bientôt.
Je me sauve avant qu’ils aient eu le temps de réagir. Je ne fonce pas vers la chambre de mon ex, au contraire, je m’enfuis le plus loin possible d’elle, pour ne pas être tenté de réparer quelque chose qui ne me concerne au final pas du tout. Je me fais violence pour ne pas aller la réconforter, pour ne pas faire d’impair. Mais clairement, je me torture moi-même en la laissant sans réconfort.
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