22. Araignées du soir, espoir… déçu

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Pénélope

Je grimace et époussette mes cheveux en me recroquevillant sur moi-même. Quelle idée de revenir dans cette cabane, sérieusement ! Heureusement que mes neveux et nièces y font des passages de temps à autre, sinon je suis sûre que j’y aurais retrouvé Aragog et ses petits… Déjà que je ne me sens pas vraiment seule !

Je récupère deux bougies dans le vieux carton et la boîte d’allumettes, installe le tout pour y voir un peu plus clair, puis sors le vieux plaid de son sac et l’étends sur le bois qui grince. J’ai toujours adoré cette cabane. Mon père l’a construite lorsque nous sommes arrivés, avec Baptiste et moi. Ma frangine n’était pas trop bricolage, mais moi j’adorais filer un coup de main. Bon, à mon âge, je servais de porte-clous, de distributeur d’outils et de boissons fraîches, mais au moins, je mettais la main à la pâte à ma façon.

Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque je passe la pulpe de mes doigts sur le bois gravé près de la fenêtre. Jonas et moi y avions inscrit nos prénoms dans un cœur, c’est vraiment trop mignon. Je sors mon téléphone et le prends en photo avant de m’allonger sur la couverture en cliquant sur le contact de Solène qui répond à la troisième sonnerie.

— Je te dérange ? Parce que je te jure que mon appel vaut le coup. Tu vas bien te foutre de moi… et vénérer mes parents pour leur machiavélisme.

— Tu sais bien que tu ne me déranges jamais, voyons. Et raconte, j’aime bien me moquer de toi.

Je ricane, mi-amusée, mi-vexée. Heureusement que je l’adore, parce qu’elle n’a pas tort. Parfois, j’ai juste besoin de soutien et elle se fout de ma pomme… L’avantage, avec elle, c’est qu’on dédramatise vite les choses.

— Ce soir, mes parents ont invité les voisins à venir dîner. Les voisins, tu vois de qui je parle ?

— Oui, les parents de Jonas, il me semble. Et ils ont fait quoi, ces suppôts de Machiavel ? Passé la soirée à parler de ton nouveau collègue chéri ?

— Non ! Enfin… si, mais le vrai problème, c’est la personne qui accompagnait Sylvia et Renaud. Les parents de Jonas, je veux dire… Tu devines ?

— Ne me dis pas qu’ils ont invité ta némésis ! Ma pauvre, je suis sûre qu’ils ont envie de vous marier à nouveau, tiens !

— C’est certain, m’esclaffé-je. Ils ont même sorti les vieux albums photo, Sosso ! Histoire de se rappeler du bon vieux temps ! Jonas et moi étions mal à l’aise comme pas possible… En partie… Parce que j’ai aussi eu du mal à réfréner certains sourires à l’évocation de ces souvenirs. Jonas et moi étions inséparables, il faut l’avouer, et nous faisions tout à deux. Parfois avec notre bande d’amis de l’école, évidemment, d’autres fois avec les voisins des alentours. Certains dimanches, nous prenions nos vélos et faisions le tour du village pour rapatrier tout le monde et aller pêcher dans l’étang. On ne choppait jamais rien, mais qu’est-ce qu’on s’amusait !

— Eh bien, ça va vous rapprocher, au moins, ils ne sont pas si bêtes que ça, vos parents !

— Mouais… Disons que nous avons fait une trêve le temps du dîner. J’ai fini par me barrer quand il a demandé où était Steven, parce qu’il est capable de se foutre de moi et je n’ai pas les nerfs pour le supporter.

— Tu crois qu’il se serait moqué ? Je ne le vois pas comme ça, moi.

— Parce que tu n’es pas en tête-à-tête dans le bureau avec lui, Solène, soupiré-je. J’ai parfois l’impression de ne jamais avoir connu Jonas, il a tellement changé que je ne sais pas toujours comment appréhender ses réactions.

— Il reste quand même un cran au-dessus que ton enfoiré de mari, non ?

— Peut-être… Je n’en sais rien. Avoue que depuis qu’on est chez Swan, il m’en a un peu fait voir de toutes les couleurs, quand même. Le Jonas du passé valait mille fois mieux que Steven, ça, c’est certain.

— C’est quoi les nouvelles pour lui ? Il squatte toujours chez toi ?

— Évidemment… Quitte à m’enquiquiner, autant que ce soit jusqu’au bout. Je reçois plein de textos, tous les jours, où il s’excuse, me dit qu’il a dérapé mais que ça ne se reproduira pas, bla bla bla…

— Tu devrais peut-être lui laisser une nouvelle chance, un écart, ça peut arriver…

— Tiens, tu changes de camp ? Je croyais que tu n’étais pas fan du rockeur ? ris-je.

— Je ne sais pas, il me fait peut-être un peu pitié. Tu sais, les hommes sont faibles devant une bouche ouverte ou une belle paire de nichons.

— Et alors ? On doit la boucler et se laisser faire ? Si un mec n’est pas capable d’être fidèle, eh bien qu’il ne se marie pas, qu’il copule à droite, à gauche et puis c’est tout. Steven savait que la fidélité était pour moi primordiale. C’est super humiliant d’être la nana trompée, merde ! Tu te rends compte qu’il a fait ça à quelques mètres de moi ? C’est… Je n’ai même pas les mots, en fait. De toute façon, on fonçait droit dans le mur, lui et moi.

— Bon, le chemin est libre pour Jonas, alors. Tu as déjà la bénédiction des parents, en plus. Le plus dur est fait, non ?

— Bien sûr. L’idée de troquer un infidèle contre un infidèle qui me déteste parce que je menace sa petite place tranquille dans l’entreprise me tente énormément, ricané-je.

— Vu comme ça, c’est clair que ça fait rêver ! Tu devrais tenter ta chance avec une nana, ça aurait plus de chance de tenir, tiens.

Je glousse, me demandant si elle a raison. Après tout, il ne faut pas mourir stupide.

— Je crois que c’est moi, le problème, Sosso. Tous les mecs avec qui j’ai une relation sérieuse finissent par aller voir ailleurs… Je ne suis pourtant pas coincée au lit. Je veux dire… Je ne suis pas désagréable, j’ai mes défauts, c’est clair, mais pas plus qu’une autre.

— Pas désagréable ? Je suis sûre que tu es un bon coup, moi ! Et puis, de toute façon, tant que tu les suçotes un peu, ils sont aux anges, non ?

— Faut croire que non, grimacé-je. Enfin… Jonas s’était barré à l’autre bout du monde alors, difficile de suçoter quoi que ce soit, mais c’était sa faute, pas la mienne !

— Arrête de dire des bêtises, ma Puce, tu vas voir, tu vas vite remplacer ces deux abrutis qui ne savent pas profiter de tous tes talents cachés !

Mon regard dérive sur le cœur gravé sur le mur de cette cabane qui fut témoin de nos premières fois, à Jonas et moi. Parfois, je me demande comment tout a pu basculer aussi brutalement entre lui et moi. J’ai bien conscience que c’était un amour de jeunesse, que rares sont ceux qui perdurent dans le temps, mais mon coeur fait toujours des saltos dans ma poitrine quand je surprends son regard sur moi. Impossible de tous les faire disparaître. Je pensais avoir mis un point final à notre relation, mais son retour dans ma vie m’a prouvé qu’il restera toujours une partie de moi amoureuse de lui. Dieu merci, j’ai un cerveau qui me rappelle que c’est lui qui a tout fichu en l’air entre nous et que je n’ai aucune envie de revivre ça une nouvelle fois. Jonas a changé, c’est clair, et il est aussi devenu volage. Hors de question de me risquer à revivre quelque chose avec lui. De toute façon, allez savoir pourquoi, il me déteste comme si c’était moi qui avais écarté les cuisses pour un autre homme que lui pendant son séjour aux USA.

— Ouais, bon, je ne vais pas t’embêter plus longtemps, déjà que je squatte ton canapé depuis une semaine, soupiré-je. Merci d’avoir décroché, je te laisse tranquille avec Victor. Si tu ne veux plus de lui, je pose une option, au fait, Prem’s !

— Pas touche à mon mari ! J’ai le mec parfait, je le garde ! J’étais Prem’s avant ! rit-elle. Bonne soirée, ma Biche !

— A toi aussi. Embrasse Victor pour moi quand même !

Elle pouffe en raccrochant. Heureusement, elle me connaît suffisamment pour ne pas douter une seconde que je ne toucherai pas à son mari, qu’elle soit encore avec lui ou pas. Girl power !

Je me traîne jusqu’à l’entrée de la cabane et laisse tomber ma tête dans le vide pour observer le ciel étoilé. La Grande Ourse s’étend un peu plus loin, légèrement cachée par le feuillage de l’arbre, et les stridulations des sauterelles pour seul bruit environnant ou presque. J’entends au loin des grenouilles, sans doute la mare du corps de ferme des parents de Jonas. Une chouette qui se manifeste également. La campagne… que je regrette parfois, au milieu de l’agitation parisienne.

Les lumières de la terrasse de mes parents sont éteintes, seule celle de leur chambre est tamisée par le vieux rideau et se répand sur l’herbe au loin. Tout est calme, paisible, tout le contraire de mon cerveau qui carbure encore bien trop à cette heure avancée de la soirée.

Un bruit à l’opposé de la maison me fait me redresser et je ne peux empêcher mes lèvres de s’étirer légèrement tant il me rappelle des souvenirs. C’est le son de la bûche que Jonas laisse tomber sur le bas du grillage éventré pour l’ouvrir et s’y faufiler. Qu’est-ce qu’il fiche ici ? Et pourquoi mon palpitant s’engage dans une course folle ? Reprends-toi, Penny !

J’affiche une moue neutre lorsque sa tête apparaît dans l’entrée. Son regard affiche à lui seul un drapeau blanc, appuyé par l’énorme part de tarte aux pommes qu’il pose sur le sol pour finir de se hisser dans la cabane.

— Ceci est une effraction, monsieur Marconi ! Pas dit qu’une seule part soit suffisante pour avoir un passe-droit, surtout si tu comptes la partager avec moi, noté-je en avisant les deux cuillères sur l’assiette.

— Je me suis dit que tu aurais sûrement besoin d’un petit remontant. Et la tarte aux pommes de ma mère, elle est toujours aussi bonne, tu sais ?

— Je sais, c’est une tuerie, souris-je en récupérant l’assiette sans attendre. Fais gaffe, les Maïtika sont peut-être de sortie…

— S’il y en a une, je m’en occupe, promis. Mais comment as-tu fait pour me démasquer ? Personne ne sait que je suis Spiderman sur mon temps libre !

Je lui tends une cuillère en riant et cesse de respirer un instant lorsqu’il vient s’adosser au mur, à mes côtés. A quoi est-ce que je m’attendais, au juste ? On va partager une assiette, il n’allait pas s’installer à l’autre bout de la cabane !

— J’ai vu ton costume quand j’ai fouillé dans ton bureau, marmonné-je avant d’enfourner ma première bouchée de tarte.

— Ah mince, tu as aussi vu mon slip kangourou, alors ? se marre-t-il avant de planter sa cuillère dans la tarte.

— Oui, désolée… Je dois t’avouer que je ne suis pas sûre que ça t’avantage tant que ça… Enfin, c’est un peu dépassé, le kangourou. Je me rappelle que tu avais engueulé ta mère quand elle t’en avait achetés, au lycée. Tu voulais des caleçons et tu avais peur d’avoir la honte aux vestiaires, pouffé-je.

— Ouais, j’ai eu la honte, en effet. J’aurais mieux fait de ne rien porter du tout. Et je voulais te dire que je suis désolé pour ton mari, je ne savais pas que vous n’étiez plus ensemble. J’ai été maladroit tout à l’heure.

— Il faut croire que tu étais le seul qui n’était pas au courant autour de la table. Dingue que les parents manigancent encore dix ans après, hein ?

— Il faut dire qu’ils y croyaient dur comme fer, eux. Et qu’ils n’ont pas perdu espoir, contrairement à nous. Mais bon, ils ne pouvaient pas savoir que tu me larguerais comme un malpropre.

J’étais en train de me dire que j’y croyais moi aussi dur comme fer, que pour moi, la vie avec Jonas était une évidence, et puis le pauvre petit chéri a tout gâché.

— T’es quand même gonflé, grondé-je en me redressant. Je t’ai largué comme un malpropre ? Ben voyons, et puis quoi encore ? J’aurais dû faire comme si de rien n’était et t’attendre bien sagement dans ce trou paumé pendant que tu vivais ta vie là-bas ? J’hallucine ! Merci pour la tarte, tu peux la finir tout seul et n’oublie pas d’éteindre les bougies en partant. Je me tire avant de te jeter de la cabane, comme un “malpropre”.

Je pose l’assiette sur ses cuisses brusquement et ne demande pas mon reste pour descendre l’échelle. Je l’entends marmonner là-haut et je suis bien contente de ne pas parvenir à discerner ses propos. Merde, mais à quoi je m’attendais ? A une soirée comme il y a dix, douze ans ? Une complicité retrouvée ? Des rires ? Des câlins ? Quelle conne, sérieusement !

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