24. Steven, c’est fini

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Pénélope

Ce sont deux petites têtes rousses qui m’accueillent, l’une un peu plus à l’aise sur ses petites jambes que l’autre. Morgane manque de se casser la figure et se rattrape à ma jambe en répétant avec enthousiasme des “tatata” qui font valdinguer mon petit coeur dans tous les sens dans ma poitrine, tandis que son grand frère, Gaspard, à peine plus âgé, me tend les bras pour réclamer un câlin.

Je m’accroupis pour les hisser chacun sur l’une de mes hanches après avoir déposé mon sac sur la console de l’entrée et longe le couloir pour rejoindre la pièce de vie de l’appartement de Baptiste et Virginie. L’aîné de ma fratrie est occupé à faire tournoyer sa femme dans leur salon, vêtu de son tablier, tandis qu’elle rit aux éclats, recouvrant de sa voix cristalline le dernier son d’Harry Styles.

L’appartement embaume l’odeur agréable du tajine dont ma belle-sœur raffole, il respire la vie et le bonheur. Traduction : c’est le bordel. Il y a des jouets qui traînent partout et je ne sais pas comment ils font pour ne pas marcher sur l’un d’eux tandis qu’ils se déhanchent tous les deux.

Baptiste est le grand frère parfait. Nous n’avons que trois ans d’écart et il s’est toujours montré attentif à ses deux petites sœurs sans pour autant nous étouffer. Je sais que je pourrais l’appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit qu’il débarquerait chez moi sans aucune hésitation. Il l’a d’ailleurs déjà fait, me ramenant de boîte tandis que mon rencard avait bu plus qu’il ne l’aurait dû, par exemple.

— C’est quoi cette danse de l’amour ? Vous comptez me laisser les petits et vous enfermer dans la chambre avant même le dîner ? ris-je en faisant sautiller les enfants dans mes bras au rythme de la musique.

— C'est tentant mais le tajine risque de brûler, nous aimons prendre notre temps ! explique Baptiste en venant me faire une bise.

Mon frère est-il la définition de l’homme parfait ? Oui. Est-ce que je suis objective ? Sans doute pas. Mais il y a des signes qui ne trompent pas. Il est fou de Virginie depuis plus de dix ans, il vénère littéralement le sol qu’elle foule et se montre toujours très prévenant et attentionné. Chaque fois que je pose mes yeux sur lui et qu’il observe sa femme, c’est d’un regard tendre et amoureux. De quoi rendre jalouse toute femme célibataire ou enfermée dans un mariage malheureux. Bon, il peut avoir un sacré caractère de cochon, soyons clairs, hein ! Mais… elle a quand même de la chance d’être tombée sur lui.

— Je meurs de faim ! Dites-moi qu’on passe bientôt à table, pitié, soufflé-je en saluant Virginie, me délestant au passage de Morgane qui réclame sa mère.

— Tu t'es lavé les mains ? Tu as pris ton bavoir ? se moque mon frère.

Je lève les yeux au ciel et lui tire la langue avant d’embarquer Gaspard dans la salle de bain. Nous nous lavons les mains consciencieusement tous les deux, faisons pleuvoir nos mains comme à notre habitude en riant. Il s’essuie le visage de sa manche avec cette expression sur le visage, volontairement blasé au point de lever les yeux au ciel comme un adulte, sans pour autant pouvoir s’empêcher d’être joyeux. C’est un jeu entre lui et moi, l’une de nos nombreuses habitudes dont je ne pourrais pas me passer.

Je finis installée à table, mon neveu à ma gauche, ma nièce à ma droite. Ou comment les parents se débarrassent-ils de leurs gosses le temps d’un repas. “Qui veut manger à côté de Tata Penny ?” Bingo pour eux. Evidemment, eux ont droit à des pâtes et du poulet, de la sauce tomate qui finit sur mon chemisier grâce à une Morgane en forme. Gaspard se contente de renverser son verre d’eau sur la table et Baptiste se fout de moi tandis que Virginie se confond en excuses. Le pire ? J’adore ces moments. J’ai beau ne pas vouloir de gosse, je pourrais passer toutes mes soirées avec mes neveux et nièces.

— Arrête de te moquer, réprimandé-je mon frère en essuyant la bouche de sa fille, sinon la prochaine fois que tu me demandes de faire du babysitting pour sortir avec ta femme, tu pourras aller te brosser.

— Je ne me moque pas, voyons ! Enfin, juste un peu, mais c’est de bonne guerre. Et puis, ça fait plaisir de te voir sourire malgré les circonstances.

— Je ne vais pas dépérir à cause d’un crétin incapable de se tenir, soupiré-je. C’est un peu difficile à encaisser, mais bon, il a enfin quitté l’appartement, je vais pouvoir dormir chez moi, ce soir, ça va me faire du bien.

— Oh, il est parti ? Il abandonne, alors ? C’est dommage, tu sais ? Vous formez un beau couple. Tu ne trouves pas que tu es un peu dure pour une petite incartade ?

— Ben voyons, c’est lui qui va voir ailleurs et c’est moi la méchante ? Tu veux quoi, que je lui dise que c’est porte ouverte et qu’il utilise notre lit, tant qu’on y est ? marmonné-je.

— Ben non, mais il t’aime, tu sais ? Tu crois qu’il ne regrette pas ce qu’il a fait ? Qu’il n’a pas compris qu’il a déconné ? Et puis… pour le groupe, comment on va faire désormais ? Tu vas continuer à chanter avec nous ?

Je soupire et aide Gaspard à couper un morceau de poulet trop gros pour me donner quelques secondes de répit. Est-ce que j’ai pris ma décision trop rapidement ? Sans doute. Mais pourquoi fut-elle aussi facile à prendre ?

— Tu veux que je reste avec lui pour le groupe, peut-être ? Ne t’inquiète pas, au pire, il a trouvé rapidement comment me remplacer la dernière fois, et il a même eu des avantages en nature pour ça, je ne pense pas que cela pose problème si je dois quitter le groupe.

— Ouais, si tu pars, le groupe disparaît, c’est tout. Je ne me vois pas rester avec lui… Et ensemble, ça va être difficile de faire sans lui. Quel con, quand même. Mais dans ce qu’il m’a dit, je le crois, il est sincère quand il dit qu’il regrette.

— Pauvre petit chaton… Tu crois qu’il me regrette moi ou qu’il regrette sa petite vie tranquille sans contrainte ?

Je suis sans doute un peu mauvaise, mais ça me tue qu’il tente de le défendre. Oui, ils sont amis, mais son pote a quand même trompé sa sœur, bon sang ! Il lui faut quoi pour être de mon côté ?

— Je ne sais pas, tu as pu discuter avec lui au moins ? Cela fait quand même quelques années que vous êtes mariés, c’est dommage de tout arrêter si brusquement.

— Il s’est pointé à mon boulot, hier, en mode conquérant, m’obligeant à l’écouter. Et, tu sais quoi ? Je n’ai aucune envie de discuter avec lui. Mais s’il t’importe tant que ça, invite-le à bouffer et demande aux parents de l’adopter, grincé-je en me levant. Tu me gonfles ce soir, Baptiste. Steven m’a trompée alors qu’effectivement, ça fait quelques années que nous sommes mariés. Et si c’était la seule crasse qu’il m’avait faite, passe encore, mais je te signale qu’il ne bosse pas et que c’est moi qui l’entretiens depuis des années. Tu n’es pas dans notre couple, alors occupe-toi de tes oignons, et si tu n’es pas capable de me soutenir, eh bien boucle-la et ne me parle pas de lui.

Je sors Morgane de sa chaise avant d’aider mon neveu à descendre également et les observe s’éloigner pour aller jouer tous les deux. Ils sont tellement mignons qu’il vaut mieux que je me concentre sur eux plutôt que de me focaliser sur ce que mon frère me dit, sauf que mon baromètre d’agacement est encore trop élevé pour apaiser les choses.

— Dis-moi, grand frère, est-ce que ta femme est déjà allée voir ailleurs ? continué-je en me tournant de nouveau vers lui.

— Oh non, je ne vois pas ce que je pourrais trouver de mieux ailleurs, intervient Virginie. Tu as vu comme il est beau même s’il est bête ?

— Eh bien, il faut croire que mon mari pouvait, lui, trouver mieux ailleurs, grimacé-je, un poil vexée par la remarque de ma belle-sœur. En attendant, tu n’es pas à ma place, alors garde tes remarques pour toi, s’il te plaît, Baptiste. Faut croire que ce mariage n’avait pas tant d’importance que ça puisqu’il s’est permis ce qu’il s’est permis. Quant à moi, je ne regrette pas et je vis plutôt bien cette séparation. Donc…

— Donc, j’ai compris, on n’en parle plus, mais je me devais d’essayer, soeurette. Et je te soutiens totalement, tu sais ? Mais je ne voudrais pas que tu aies de regrets à l’avenir. Là, je suis rassuré, je pense que tu n’en auras pas.

— Je te le confirme, aucun regret.

C’est un peu dur, mais c’est la vérité. Bien sûr que je suis attachée à Steven… mais ma mère avait sans doute raison, c’était rapide, et la passion s’est elle aussi rapidement émoussée. Je ne dis pas qu’il est le seul fautif, mais il n’a jamais compris que sa passion pour la musique passait avant tout le reste et que c’était trop pour moi, surtout qu’il me reprochait de trop travailler de mon côté.

— Je vous remercie pour le repas, mais je vais aller retrouver mon chez-moi et j’ai du boulot par-dessus la tête depuis qu’on a changé de patron… et un ex à qui foutre la trouille au quotidien, souris-je.

— Tu reviens quand tu veux, hein ? Et pour le babysitting, j’espère que tu es toujours partante. J’ai pas envie d’avoir une ex parce que je fais mon Steven et la délaisse trop. Je compte sur toi, ma Penny.

— Pas de problème, tu sais bien que j’adore m’occuper de ces petits anges. Faudra qu’on rafistole la cabane chez les parents, cet été, par contre… Je compte leur faire découvrir les joies de l’escalade, mais elle fait un peu la tronche, soupiré-je en me lovant contre son grand corps. Vous me dites dès que possible votre semaine chez les parents, que je voie avec mon patron pour prendre la même.

Baptiste me serre contre lui avec force avant que j’étreigne Virginie. Je prends quelques minutes pour couvrir les petits monstres de baisers et de câlins, les excite bien avant l’heure du coucher en faisant une petite session de chatouilles, puis m’en vais alors que leurs parents me houspillent parce qu’ils savent qu’ils auront du mal à les coucher. Je suis une tata merveilleuse, hein ? J’adore faire ça, je plaide coupable.

C’est avec un sourire peint sur les lèvres que je prends le métro pour regagner mes pénates. Mon chez-moi m’a manqué, j’en ai marre de dormir sur un clic-clac et j’ai surtout besoin de me confronter à la solitude. Je ne sais pas si je réalise encore réellement que j’ai fichu Steven à la porte. J’ai déjà entamé quelques démarches, notamment en arrêtant de fournir notre compte commun pour qu’il ne bouffe pas tout mon argent en s’achetant encore une guitare ou je ne sais quoi, et j’ai commencé à chercher un avocat, même si j’espère que tout se passera sans heurt.

Un soupir de bien-être s’échappe de mes lèvres lorsque j’ôte mes escarpins et allume la lumière de la pièce de vie. Bon, je vois que Steven a embarqué quelques trucs à lui, mais j’ai comme l’impression qu’il a pris un malin plaisir à laisser traîner son bazar… Ses vinyles sont entassés sur la table de la salle à manger alors que son tourne-disques a disparu de la circulation, la bibliothèque compte quelques trous, mais les bouquins sont empilés à-même le sol. Autant dire qu’il n’a pas vraiment déménagé.

Je file dans la salle de musique qui, elle, est totalement vide. Vu la tune qu’il a utilisée pour le matériel, j’enrage un peu qu’il ait tout embarqué parce que j’ai participé à l’achat de beaucoup de choses… Il ne reste que la batterie de Baptiste, en vérité… Et c’est finalement la seule pièce où il ne reste rien de lui, puisqu’il n’a pas emmené toutes ses fringues, qu’il reste quelques-uns de ses produits dans la salle de bain… sans parler de la cuisine. Cet enfoiré m’a laissé la vaisselle à faire, il n’a même pas sorti le sac poubelle qui déborde et des cartons de pizza sont entassés sur le bar. Y a pas à dire, Steven a beau avoir dix ans de plus que moi, c’était lui, l’adolescent dans notre couple.

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