26. Voyage avec un queutard

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Pénélope

J’ai l’impression d’être un zombie. Je déteste plus que tout me lever tôt, tout comme je hais les aéroports. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent dans Love Actually, à quatre heures du matin, tu ne vois pas de l’amour tout autour de toi dans ces lieux. Juste des gens crevés, qui bâillent tellement fort que tu peux apercevoir le fond de leur slip, qui ont des cernes aussi profonds que les valises qu’ils traînent derrière eux, qui regrettent d’être là et préféreraient largement se trouver au fond de leur lit, sous la couette.

Une chose est sûre, je ne cours pas comme le petit Sam, prête à aller me gaver d’amour jusqu’à en crever, alors que je parcours la salle d’embarquement en cherchant Jonas du regard. Je pourrais chercher Hugh Grant au passage mais il faut que j’arrête de développer cette comparaison avec le film, pourtant mon cerveau encore à moitié endormi se raccroche à ce qu’il peut et un aéroport me fait systématiquement penser à cette comédie romantique que j’adore.

Dans tous les cas, le beau gosse à l’ego surdimensionné que je connais n’a rien à envier à Hugh, bien au contraire. Mais il me fout en rogne d’entrée, alors qu’il n’a même pas encore remarqué ma présence. Son ordinateur portable sur les genoux, il semble déjà en train de bosser quand j’ai eu du mal à aligner deux pas durant tout le trajet. J’ai clairement la tête dans le popotin et je me donne quelques petites claques sur les joues pour me réveiller et éviter de lui montrer qu’être là aussi tôt me fout à l’envers. Même s’il me connaît suffisamment pour savoir que j’ai bien du mal à émerger.

— Tu as campé ici pour être sûr de ne pas manquer l’avion ? l’interrogé-je en m’asseyant face à lui.

— Non, non, je me suis couché tôt et ça va, j’ai même anticipé mon réveil.

Je sais que je n’aurais pas dû aller boire un verre avec Solène et Elise, hier soir, mais je n’avais pas envie de décommander. En prime, elles m’ont chacune payé un verre pour ma “répartie de Cruella bien envoyée” alors que, de mon côté, je suis partagée par mon attitude. Je ne me reconnais pas face à lui, il me met hors de moi. Son attitude puérile et déloyale est difficile à encaisser. Je le savais compétiteur, pas tricheur. D’un autre côté, ce n’est pas mon genre de me laisser marcher sur les pieds et je crois qu’il l’a mérité.

— Bon petit soldat, marmonné-je en sortant mon téléphone. Toujours aussi cadré et organisé, à ce que je vois.

— Je n’ai pas tant changé que ça, moi, au moins.

— Faut croire que l’amour m’a rendue aveugle à l’époque, alors, soupiré-je en enfilant mes écouteurs pour mettre un terme à cet échange.

C’est mieux ainsi. Je n’ai aucune envie de me disputer avec lui, surtout à cette heure. Mon cerveau n’est pas assez sur le qui-vive pour lui clouer le bec pour le moment. Je préfère me plonger dans la musique et relire le dossier SP histoire d’être bien au fait avant le programme prévu là-bas.

Malheureusement pour nous, Stella n’a pas pris des billets pour des sièges à l’opposé l’un de l’autre et nous nous retrouvons côte à côte, dans la rangée du milieu. C’est simple : si je m’endors, soit ma tête dévie sur l’épaule de Jonas, soit sur celle d’une petite vieille qui commence déjà à me casser les oreilles à me raconter qu’elle va retrouver sa fille influenceuse installée à Dubaï avec mari et enfants… J’ai envie de lui dire que vu son job, sa fille aurait au moins pu lui payer un billet en première classe, mais je me garde bien de tout commentaire et souris poliment quand elle me montre des photos des mouflets. Suis-je une femme indigne si je les trouve moches, en prime ? C’est sans doute le manque de sommeil… ou est-ce que je deviens aigrie ? Mes neveux et nièces sont mignons, eux, vraiment. D’ailleurs, pour la faire taire, je sors l’artillerie lourde en lui montrant à mon tour une photo de mes petits loups, et elle s’extasie devant leurs bouilles. Oui, je suis définitivement en train de devenir une connasse, en fait.

— Vous et votre mari devriez vous y mettre aussi, vous ferez de véritables beautés ! me lance-t-elle en me faisant un clin d'œil après avoir louché sur Jonas.

— Oh, non, ce… ce n’est pas mon mari, bafouillé-je en me renfonçant dans mon siège, mal à l’aise.

Elle hausse les épaules et je ne parviens pas trop à interpréter sa moue. A une époque, possible que la petite ado énamourée se soit imaginée mariée avec Jonas. Bon, c’est même certain, en fait. Je voyais déjà mon père me mener jusqu’à lui dans le jardin du corps de ferme de ses parents. J’ai même imaginé ma robe, fine, fluide, légère comme une seconde peau… et la couronne de fleurs, avec les violettes de Rouen que j’adore. Bref, j’étais une vraie fleur bleue totalement raide dingue du beau gosse qui est en train de faire papillonner des cils l’hôtesse en discutant de je ne sais quoi.

— Vous pensez vraiment que si c’était mon mari, je le laisserais draguer l’hôtesse comme ça ? chuchoté-je à la mamie qui lève le nez de son magazine pour observer Jonas.

— Oh vous savez, les jeunes aujourd’hui, on ne sait jamais de quoi ils sont capables. Mais si ce n’est pas votre mari, vous devriez penser à le mettre dans votre lit, à votre âge, je n’aurais pas hésité, moi !

— Une belle gueule ne fait pas tout. Et puis, c’est mon collègue de travail, je ne mélange pas travail et plaisir.

— Ne vous privez pas non plus, hein. Je suis sûre que l’hôtesse, si elle pouvait, elle s’en occuperait même si elle travaille ! Regardez ses mains baladeuses ! s’amuse-t-elle à me chuchoter.

Je tourne la tête dans leur direction et grimace en les observant. Merde, Jonas est vraiment devenu un sacré queutard, prêt à sauter sur tout ce qui a une paire de seins et un sourire aguicheur. J’essaie d’ignorer la pointe de jalousie qui me tiraille de l’intérieur et un sourire se dessine sur mon visage tandis que je me penche en direction de l’hôtesse.

— Vous devriez aller chercher de quoi vous occuper ailleurs, je crois qu’il est encore contagieux de la gonorrhée qu’il a contractée lors de son dernier plan à trois. Ou c’était à quatre ? Merde, je ne sais plus, ça change à chaque fois, ris-je.

— N’importe quoi, commence Jonas mais trop tard car la jeune femme s’est déjà éloignée. Tu fais quoi, là ? Déjà que tu ne devais pas venir, si en plus t’es chiante, je vais vraiment le regretter…

— Pauvre petit chou ! Tu ne peux pas te tenir correctement quelques jours ? Es-tu devenu addict au sexe sans saveur ? J’ai un ami psy sur Paris, si tu veux, je suis sûre qu’il pourrait te faire une place sur son planning pour t’aider à gérer ces pulsions.

— Tu sais bien qu’avec moi, le sexe n’est jamais sans saveur, se vante-t-il avant de mettre son casque sur les oreilles.

Je tire sur son casque pour lui souffler à l’oreille.

— Ce sont les sentiments qui donnent de la saveur au sexe. Je suis sûre qu’aujourd’hui, ce ne serait pas la même chose. Quoique… la haine doit donner une certaine saveur aux parties de jambes en l’air aussi. Mais j’aurais trop peur de choper la gonorrhée ou de l’herpès, vu les rumeurs qui tournent chez les cygnes.

— Si tu écoutes bien les rumeurs, tu sauras que je suis clean et que je n’ai jamais pris le moindre risque. La seule avec qui j’en ai pris semble décidée à me pourrir ce voyage comme elle a déjà pourri mon passé.

— Quelle petite chose fragile, Johnny ! gloussé-je en relâchant son casque.

Il est un peu gonflé, mais je refuse de lui montrer que le passé a encore un impact sur moi. Comment peut-il dire que j’ai pourri son passé alors que c’est lui qui m’a trahie en s’en tapant une autre ? J’ai vraiment envie de le frapper, parfois. Quand je disais que je ne me reconnaissais pas en sa présence. Finie la petite Nono toute souriante et toute gentille, il fait de moi une femme rancunière et impulsive. Bon, OK, je n’ai pas besoin de lui pour l’être, cependant j’ai l’impression que toutes mes émotions sont exacerbées par sa présence.

Le voyage est long… terriblement long. Josiane, ma voisine de droite, commente tous les articles qu’elle lit dans ses magazines féminins. Aussi, je me retrouve à découvrir les derniers régimes à la mode pour se préparer pour l’été alors que j’assume clairement mes hanches larges et mon fessier rebondi. Hors de question de me priver de nourriture et de m’affamer pour rentrer dans les standards de beauté de cette société qui met en concurrence les femmes. Au moins, Josiane a des notions féministes et nous pouvons échanger. Je crois qu’elle m’aime bien, même si elle me fait remarquer, à plusieurs reprises, que je devrais coller Jonas dans mon lit pour lui rappeler le bon vieux temps. Perspicace, la mamie.

L’arrivée à Dubaï est la bienvenue, même si sortir de l’aéroport est clairement un calvaire. Il faisait cinq degrés dehors quand j’ai quitté mon taxi à Paris, et il fait trente-et-un selon le panneau d’affichage près de la porte. Je regrette d’avoir enfilé ce legging qui me colle à la peau, mais me félicite d’avoir au moins mis un chemisier léger sous mon pull.

Jonas me fait signe de le suivre jusqu’à la file d’attente des taxis tandis qu’il chausse ses lunettes de soleil. On dirait qu’il a prévu son voyage un mois à l’avance, paré à toute éventualité, alors que mes propres solaires sont dans ma valise… Fait suer.

Si ce voyage ne me plaisait pas des masses, quand bien même j’ai insisté pour y participer, je comprends qu’il va prendre des allures de cauchemar quand l’hôtesse de l’hôtel où Stella a réservé nous annonce que nous allons partager une chambre Twin. Jonas et moi devons faire la même tête horrifiée parce qu’elle semble contrite et se débarrasse de nous au plus vite en faisant signe au garçon d’étage de nous accompagner.

Ce n’est clairement pas un hôtel de luxe comme on peut en voir dans les reportages. La décoration est vieillotte, sombre, les couloirs sont flippants. Oh, ce n’est pas non plus du bas de gamme, j’ai dormi dans des lieux bien moins luxueux que cela. Les matériaux sont nobles, les tableaux aux murs de qualité, c’est juste… sombre, en décalage total avec la luminosité extérieure qui m’a agressé les yeux.

Un soupir s’échappe de la bouche de mon collègue lorsqu’il pénètre en premier dans la chambre. Deux lits simples séparés par quinze ou vingt centimètres de vide… La pièce est classieuse, un petit balcon se dessine derrière les rideaux légèrement tirés. Un salon se trouve devant la baie vitrée, composé d’un canapé et de deux fauteuils entourant une petite table basse en bois massif. Je retrouve le sourire en voyant la grande baignoire sur pieds dans la salle de bain et j’ai hâte de le faire criser en passant un temps fou dans cette pièce.

— Je crois que je vais envoyer une photo de la chambre à nos parents, soufflé-je. Ils vont pouvoir bien se faire des films, comme ça.

— Si ça te fait plaisir, maugrée mon collègue, visiblement pas ravi par la situation. Je pensais vraiment qu’on aurait chacun notre chambre.

— Est-ce que tu vas survivre à respirer le même air que moi pendant plusieurs jours, même la nuit ? ricané-je en me laissant tomber sur le lit près de la salle de bain.

— Je vais peut-être devoir essayer de trouver une chambre plus accueillante avec un air plus respirable, si tu vois ce que je veux dire.

— Evidemment. Un vrai obsédé, soupiré-je. Si tes parents savaient ça, tiens. Je vais prendre un bain ! Tu n’as qu’à faire ta vie et te trouver une chatte en chaleur.

Je récupère ma valise et file m’enfermer dans la salle de bain en claquant la porte. Quel petit con ! Et non, je ne suis pas jalouse ! Si peu… Je n’y peux rien, bon sang, il a beau être insupportable avec moi, c’est le premier homme que j’ai aimé, et le savoir avec une autre sous mon nez me file la nausée. Mais il veut jouer, soit… Je n’ai pas dit mon dernier mot. Ma valise a été savamment faite et je compte bien le pousser à bout. Je ne suis plus la Penny d’il y a dix ans, je m’assume davantage et je suis largement capable de jouer la provocation, maintenant.

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