Chapitre deux
Lorsque j’ouvre les yeux le lendemain matin, je n’ai qu’une envie : les refermer. Ce n’est pas faute d’avoir bien dormi pourtant mais, ce matin, je n’ai pas le force d’affronter le monde.
Je n’ai pas envie de passer une journée de plus sans aucun stage, alors que la date butoir se rapproche dangereusement. Je n’ai pas envie de passer une journée de plus à voir mon rêve s’éloigner doucement.
Non, arrête de penser comme ça. Inspire, expire Sofia.
Je prends une grande inspiration pour me donner le courage de me lever de mon lit. Mais avant de faire ça, j’attrappe mon téléphone posé sur la table de chevet et regarde mes notifications, puis mes mails, au cas où.
— Oh putain ! Oh putain !
Je me lève de mon lit en criant et me mets à bouger dans tous les sens, seule dans ma chambre. Quelques secondes plus tard, je suis interrompue par Rita qui ouvre la porte à la volée, le balai dans les mains, prête à en découdre. Juste derrière elle, Livio me regarde, lui aussi en pyjama et encore à moitié endormi.
— Qu’est-ce qui se passe ? Y’a encore une araignée ? demande la blonde, les sourcils froncés.
Je m’approche d’elle, un grand sourire aux lèvres, et l’attrape par les épaules pour la secouer.
— J’ai un entretien pour un stage ! On m’a répondu ! je m’extasie avant de me remettre à sauter partout.
Rita laisse tomber le balai par terre et me prend par les mains pour sauter avec moi. Livio nous observe en silence en souriant, comme souvent pendant nos moments de folie.
— On a un entretien, on a un entretien ! nous scandons en choeur.
Nous finissons par nous calmer et Rita me demande :
— C’est qui ? Il t’a dit quoi ? T’es prise d’office ?
Un petit rire s’échappe d’entre mes lèvres devant son engouement tandis que d’une main tremblante d’excitation, je récupère mon téléphone pour lire à voix haute.
— Bonjour Madame Sampaio Silva, je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à mon travail. Pouvons-nous échanger sur votre candidature cette semaine lors d’un entretien ? Cordialement, Pedro Machado.
Rita pousse un cri de joie et à ce moment, je suis tellement soulagée que je pourrais me mettre à pleurer. Après des semaines dans le flou, sans aucune réponse, je profite de cette petite victoire.
Pedro Sampaio fait partie de la dernière vague de candidature que j’ai faite, il y a de ça moins de deux semaines. Sans parler du fait que c’est une pointure dans son domaine. Ce serait une véritable opportunité que de travailler avec lui.
— Tu vois, je t’avais dit de ne pas perdre espoir, remarque Livio en ébouriffant mes cheveux.
Un sourire sincère étire mes lèvres alors que je me retiens de faire une danse de la joie. Puis je me souviens que rien n’est joué, que je dois encore faire mes preuves et je redescends de mon nuage.
— Et si mon travail ne lui plaît pas ? Ou qu’il trouve quelqu’un de plus talentueux ?
Rita s’approche de moi et pose ses deux mains sur mes épaules, puis s’assure que je la regarde dans les yeux.
— Sofia, tu es la personne la plus talentueuse que je connaisse et je suis certaine qu’il adorera ton travail. Ok ?
Lentement, je hoche la tête.
— Bien, maintenant réponds-lui et allons prendre le petit-déj !
Elle disparaît aussi vite qu’elle est arrivée dans ma chambre, son copain sur les talons.
Je m’assois sur le bord de mon lit, prends le temps de répondre au mail puis envoie un rapide message à ma mère pour la tenir au courant de mon prochain rendez-vous.
———————
Immobile devant la devanture du café où j’ai rendez-vous avec mon avenir, je m’essuie les mains contre le tissu de mon jean pour la quatrième fois en moins d’une minute. J’ai la gorge sèche et du mal à déglutir mais je dois le faire, alors je pousse la porte d’entrée. Une clochette retentit.
Le café se situe sur les bords du Douro. L’iode se fait sentir dans l’air, le vent caresse mon visage. Il est tôt, moins de onze heures, et quelques clients sirotent leur boisson chaude.
Comment reconnaître celui avec qui j’ai rendez-vous alors que je n’ai jamais vu de lui que son travail ? Je balaie la pièce du regard.
Un homme d’une trentaine d'années me fait signe et je m’approche, intimidée. Il se lève de sa chaise, me tend sa main par-dessus un ordinateur allumé et me salue.
J’espère ne pas avoir les mains trop moites.
— Tu dois être Sofia, je suis Pedro, commence-t-il. Je me permets de te tutoyer, j’espère que tu n’y vois pas d’inconvénient. J’ai du mal avec le vouvoiement. Vas-y assieds-toi.
D’un geste de main, il me désigne la chaise face à lui et nous nous asseyons.
— Enchanté Pedro, souris-je en essuyant discrètement mes mains contre mon jean. Non, il n’y a aucun problème.
Un serveur vient prendre nos commandes et je choisis un chocolat chaud. Après réflexion, j’aurais dû commander un jus frais, j’ai déjà trop chaud.
— Alors Sofia, parle-moi un peu de toi. Depuis combien de temps fais-tu de la photo ? Comment as-tu commencé ?
Je hoche la tête, prends une grande inspiration avant d’ouvrir la bouche.
— Donc je m’appelle Sofia Sampaio Silva. Je suis étudiante en dernière année à l’ESAP et je fais de la photo depuis que je suis en mesure de tenir un appareil entre mes mains. J’ai commencé par prendre ma famille en photo au quotidien, puis aux événements spéciaux.
Il m’écoute parler et prend des notes sur un calepin en même temps.
— Et depuis combien de temps fais-tu ça sérieusement ?
— Au lycée, je faisais partie d’un club photo. C’est à cette époque que j’ai compris que je voulais en faire mon métier.
C’est le seul club auquel je sois jamais inscrite. C’était mon échappatoire, ce qui me permettait de tenir quand ça n’allait pas.
Les questions continuent, j’y réponds du mieux que je peux en espérant ne pas être à côté de la plaque. Pedro est souriant et c’est ce qui me permet de m’accrocher. Entretemps, nos boissons sont arrivées.
— Pour toi, qu’est-ce une bonne photo ? demande-t-il avant de coincer le bout de son stylo entre ses lèvres.
Je prends le temps de réfléchir.
— C’est une photo bien composée, équilibrée mais qui avant tout retransmet l’énergie du moment, l’émotion transmise par le sujet, quel qu'il soit. Une bonne photo, c’est une photo qui nous fait quelque chose quand on la regarde.
Une fois de plus, l’homme en face de moi hoche la tête et me sourit, visiblement satisfait. Je prends le temps de souffler puis porte mon chocolat chaud à mes lèvres.
Pedro pose son stylo sur son carnet et boit une gorgée de son café.
— J’ai jeté un coup d'œil à ton travail, tu es très talentueuse Sofia.
Une chaleur agréable se propage dans mon être tandis que je me retiens de sourire de toutes mes dents en le remerciant.
— Tu es sans savoir que je suis photographe sportif et je n’ai vu que très peu de photos de ce registre-là, grimace-t-il.
Mon cœur rate un battement et à ce moment, j’ai peur que tout soit foutu.
J’ai photographié dans de nombreux événements : mariages, anniversaires, festival, édito. Mais le domaine sportif est un milieu que je n’ai photographié qu’un nombre de fois limité, majoritairement aux tournois de football de mon petit-frère.
— Néanmoins, du peu que j’ai vu, ton travail sur le milieu sportif me plait énormément. Tu as compris ce qu’on attendait de ce genre de photos et je serais ravi de t’en apprendre davantage.
Cette fois, je ne réprime pas le sourire qui étire mes lèvres.
— Ça veut dire que je suis acceptée en tant que stagiaire ?
— Je n’y vois aucune objection.
— Merci beaucoup ! Vous ne le regretterez pas, je m’empresse de lui dire.
Mon cœur bat la chamade dans ma cage thoracique et je suis sur le point de pleurer. De joie, de soulagement. Je suis même sur le point de le prendre dans mes bras, tellement je suis heureuse.
Il lâche un petit rire.
— J’espère bien. Mais tu peux me tutoyer.
Je passe une main dans mes cheveux tandis que sous la table, mes jambes trépignent.
Nous passons les minutes suivantes à parler formalités et organisation.
— Depuis un moment, je travaille avec le club de football de Porto, m’explique-t-il.
Le premier club dans le classement national, rien que ça.
— Je couvre principalement les rencontres à domicile, mais il m’arrive de les suivre à l’extérieur également. Il faudra s’organiser pour savoir sur quelles rencontres tu me suivras. Il y aura certains entraînements aussi. Tu es ok avec tout ça ?
Il ose me demander si je suis d’accord ? Quelle question stupide !
— C’est mieux que ce que j’espérais, j’avoue doucement.
— Alors c’est parfait.
Nous terminons nos boissons en parlant de mon emploi du temps et je quitte le café, une fois l’entretien terminé. Il est onze heures vingt-cinq. Je n’ai pas vu le temps passer.
Un sourire qui ne veut pas disparaître est plaqué sur mes lèvres et je dois sûrement passer pour une folle dans la rue. Mais à ce moment-là, je m’en fiche complètement. J’ai enfin trouvé un stage après des semaines de stress et de doutes.
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