Chapitre trois

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Pendant longtemps, j’ai pensé que le plus dur serait d’avoir un stage maintenant que je l’ai trouvé, je comprends que le plus dur est de trouver un sujet pour l’expo que nous devons organiser pour la fin de l’été.

J’ai beau me retourner le cerveau, je n’ai rien d’original qui me vient en tête. J’ai l’impression que tout a été fait et refait.

Assise au petit bureau installé dans ma chambre, je fixe une feuille griffonnée d’idées depuis des heures. Je tape un rythme avec mon crayon et mâchouille bruyamment un chewing-gum.

Deux coups sont portés contre ma porte, c’est Livio. Il n’y a que lui qui frappe deux fois.

— Entre !

Sa tête dépasse de l’encadrement et il lui faut une seconde pour me trouver assise à mon bureau.

— Je vais bientôt y aller, tu es prête ? me demande-t-il.

Livio s’est gentiment proposé de m’emmener au Stade du Dragon pour mon premier jour de stage, m’évitant les transports en commun. En réalité, c’est surtout parce que c’est sur son chemin pour aller voir ses potes qu’il a accepté de m’accompagner en voiture.

— Oui, oui, je suis prête. J’arrive.

Il acquiesce et disparaît dans la pièce à vivre.

Je repousse le bureau et fais glisser le fauteuil à roulettes sur le parquet. Je récupère ensuite mon sac à dos où sont rangés appareils photos et objectifs.

Sur le chemin, j’ai le cœur qui bat la chamade. J’ai chaud, j’ai froid. Je ne suis qu’une boule d’appréhension et de stress. Livio me détend en allumant la radio et je me surprends à chantonner l’air qui est diffusé.

— Tu as besoin qu’on vienne te chercher ?

Je me tourne vers le conducteur et souris.

— Non, je ne sais pas à quelle heure je vais terminer. Je me débrouillerais avec les transports mais merci, lui dis-je en déclipsant ma ceinture de sécurité.

— Ok, tu m’envoies un sms si tu changes d’avis.

J’ouvre la portière et descend. Lorsque je claque la porte, mon ami m’interpelle. Je me penche pour m’accouder à la vitre ouverte.

— Tu vas tout déchirer Sof’ !

Je ricane, gênée et recule pour le regarder s’éloigner. Une fois qu’il est hors de mon champ de vision, je me tourne vers l’énorme stade et marche vers l’entrée principale, où je dois retrouver Pedro pour mon premier jour.

Au loin, je l’aperçois qui me fait signe de la main. Je m’approche.

— Alors Sofia, comment tu te sens pour ton premier entraînement ?

— Prête, j’assure.

C’est ce qu’il voulait entendre car il m’offre un sourire radieux.

— Suis-moi, l’entraînement va bientôt commencer.

En silence, je le suis dans le hall puis dans un nombre incalculable de couloirs. Nous finissons par rejoindre la pelouse du terrain, dans le carré réservé aux photographes durant les rencontres, juste derrière les cages.

Nous ne sommes pas seuls, une dizaine d’autres photographes sont aussi présents pour shooter l'entraînement et sans que je sache pourquoi, cela me met la pression.

Les joueurs ne sont pas encore sur le terrain mais on peut apercevoir les coachs et assistants en train de discuter près des bancs de touche.

Pedro m’explique le déroulement de l’entraînement pour nous, me donne quelques conseils puis me laisse nager dans le grand bain lorsque les footballeurs se mettent à trottiner sur la pelouse.

Je porte le viseur devant mon œil et prends une grande inspiration. Je peux le faire, j’en suis capable.

L'entraînement se passe à merveille et je shoote l’ensemble de l’équipe.

Après une bonne heure et demi, Pedro s’excuse pour prendre un appel important et s’éloigne. Prenant ça pour une pause bien méritée, j’en profite pour aller boire quelques gorgées de la bouteille. Je suis accroupie près de mon sac à dos, laissé à côté de la barrière lorsque mon téléphone se met à sonner. Je le sors de ma poche arrière de pantalon et le nom de Rita illumine l’écran.

Ça doit être une urgence, je réponds sans réfléchir.

— Qu’est-ce qui se passe ? je m’empresse de demander en posant mon appareil photo à côté de mon sac.

— Tu as photographié Kai Murphy ?

Je me relève et fronce les sourcils.

— Tu m’appelles pour ça ? Je croyais que c’était une urgence, Rita, je souffle.

— Bah je dois savoir de toute urgence, s’amuse-t-elle.

Je roule des yeux en faisant les cent pas, même si elle ne peut pas le voir.

— T’es pas croyable. Oui, je l’ai photographié et alors ?

— Il est torse-nu ?

Je n’ai pas le temps de répondre. Je viens de prendre un coup violent dans la tête, à en lâcher mon téléphone et à m’écraser par terre dans un grognement peu féminin.

Avachie sur le sol, j’ai la tête qui tourne. Même les yeux fermés. Je prends appui sur mes bras pour m’asseoir alors qu’un attroupement se forme autour de moi.

— Aïe… je grogne en me frottant le côté du crâne.

Les voix se couvrent les unes et les autres. J’ouvre les paupières et je vois un homme, un des joueurs, sauter par-dessus la barrière avec souplesse et légèreté.

— Je suis vraiment désolé. Tout va bien ? me demande-t-il lorsqu’il arrive à ma hauteur, la main tendue vers moi.

Je l’attrape sans réfléchir et me laisse tirer pour me remettre debout. J’époussette ensuite mon jean et vérifie que je ne suis pas sale tandis qu’il pose ses mains sur mes épaules

— Ça devrait aller, merci, je le rassure en m’extrayant de sa poigne.

Je lève ensuite la tête vers lui, une légère grimace de douleur déformant mes traits et le reconnais de suite.

Kai Murphy, le célèbre attaquant de Porto.

Si en photo, il est déjà beau. Il est mille fois mieux en vrai, même dégoulinant de sueur à cause de l’entraînement..

Grand et élancé, avec des épaules larges, il me dépasse considérablement. Son visage est taillé comme une sculpture, avec des traits anguleux, des joues légèrement creusées et des orbes d’un marron profond, avec des cils longs et noirs. Sa chevelure sombre, épaisse et en bataille encadre son visage de manière désinvolte.

Rita en tomberait par terre à ma place.

— Merde, mon téléphone ! je me souviens soudain.

Je regarde autour de moi et le retrouve qui gît sur le sol. Je le ramasse et lorsque j’aperçois l’écran complètement fêlé, je manque de me mettre à pleurer. Il m’avait couté la peau des fesses, celui-là. A la place, je soupire en laissant retomber mes bras le long du corps.

— Je suis vraiment désolé pour ça aussi, dit-il en désignant mon téléphone cassé.

— Ce n’est pas grave, je mens parce que je n’ai rien d’autre à répondre.

C’est à cet instant que je prends conscience de son petit accent étranger qui, je dois bien l’avouer, ajoute encore du charme au personnage.

Kai passe une main dans ses cheveux en regardant autour de lui. La foule s’est dissipée mais quelques curieux restent à proximité. Je crois même que certains le prennent en photo.

— Je vais t’en racheter un, assure-t-il. Dis-moi quel modèle c’était et je te le rachète, j’insiste.

— Non, ce n’est pas la peine, vraiment.

Ma mère m’a toujours appris à refuser ce genre d’offres. Sans parler du fait que je serais atrocement gênée qu’il dépense de l’argent pour moi, peu importe l’état de son compte en banque ou du mien. Peu importe que ce soit de sa faute ou non.

Après tout, ce n’est que l’écran qui est brisé. Je devrais pouvoir le remplacer pour pas trop cher.

Je finis par sourire pour tenter de le convaincre et il regarde ma bouche une seconde de trop à mon goût.

— Je m’appelle Kai, se présente-t-il finalement en tendant sa main, les yeux plongés dans les miens.

— Je sais qui tu es, je ne peux m’empêcher de répondre.

Un rire s’échappe de sa poitrine puis il secoue doucement la tête.

— Mais moi, je ne te connais pas.

— Je m’appelle Sofia.

Une fois encore, je ne peux m’empêcher de lui répondre.

Il s’apprête à ouvrir la bouche mais son entraîneur le coupe en hurlant depuis le poteau de corner :

— Murphy, arrête de draguer et retourne à l’entraînement !

Amusée, Kai plisse les lèvres et recule, les mains en l’air en signe de reddition.

— A bientôt Sofia.

Il m’offre un clin d'œil charmeur et s’éloigne en trottinant à reculons. Je l’observe un moment puis enfouis mon téléphone au fond de ma poche.

Ma tête me lance encore un peu mais rien de grave. Par contre, je sens que l’endroit de mon crâne qui a reçu l’impact d’une balle tirée à pleine vitesse est encore sensible.

Rita en tombera à la renverse quand je lui raconterai.

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