Chapitre cinq
KAI
Plusieurs jours sont passés depuis que j’ai offert ce téléphone à Sofia. Trois pour être exact. Et si j’avais espéré recevoir un message en enregistrant mon numéro à l’intérieur, je me suis lourdement trompé.
Je vérifie une énième fois mon portable et la déception m’envahit lorsque je ne vois aucune nouvelle notification. Je le balance au fond de mon sac de sport qui repose sur le banc en bois du vestiaire puis me concentre sur le match qui va bientôt commencer.
Je me vide l’esprit. Désormais, seule la voix de mon entraîneur qui nous prodigue ses dernières consignes d’avant-match résonne dans mon crâne.
Rien n’est plus important pour moi que le football. C’est ma passion, mon gagne-pain et ma raison de vivre. C’est ce qui m’a empêché de sombrer, ce qui me permet de tenir. Malgré mes soirées de débauche, malgré mes innombrables conquêtes. La seule et unique constante dans ma vie, c’est ce foutu sport.
Comme nous jouons à domicile, la foule est en délire lorsqu’on nous foulons la pelouse du stade et je me nourris de leurs encouragements et de leurs cris.
Ce soir, nous affrontons le club de Maritimo. Je ne suis pas inquiet, nous sommes premier au classement et favori de la rencontre. Néanmoins, je ne sous-estime pas l’adversaire et donne toutes mes tripes durant la rencontre. Je cours, je dribble, je tacle. Presque à m’en faire vomir. Mais c’est comme ça que je me sens vivant.
Sans surprise, le match se termine avec le score de 2-0 pour nous. L’équipe est survoltée dans les vestiaires. Mes coéquipiers crient, chantent leur joie. Ce n’est qu’un match de ligue, il n’y a pas d’enjeu direct mais nous célébrons tout de même chaque victoire.
— On va la fêter ou pas, cette victoire ?
Marcelo, un coéquipier, plaque sa large main contre mon dos et je grimace à cause de la légère douleur. Un sourire qui doit prendre la moitié de mon visage étire ensuite mes lèvres.
— Au Pacha ?
— A ton avis ?
Je ris et prends ses doigts pour une de nos prises de main chorégraphiées.
Le Pacha, c’est le club où nous sortons régulièrement. Pour fêter nos victoires, pour rencontrer des filles, pour nous changer les idées. Nous y sommes habituées et le staff nous connaît bien. Et pas seulement pour nos prouesses sportives.
Je vais prendre une douche rapide avant de me rhabiller en tenue de ville puis, pour la première fois depuis plus de deux heures, je repense à Sofia. Son joli minois se dessine dans mon esprit et j’attrape mon téléphone qui gît au fond de mon sac de sport.
Et cette fois-ci, une notification s’affiche.
SOFIA : T’es confiant, pour donner ton numéro à une inconnue. J’aurais pu le faire tourner.
Félicitations pour la victoire, d’ailleurs.
Un sourire en coin se creuse et je m’assoie sur le banc tandis qu’autour de moi, mes coéquipiers finissent de se rhabiller et commencent à partir. Mes doigts planent un moment au-dessus de l’écran avant de se mettre à taper.
KAI : J’ai bien fait. La preuve est que tu ne l’as pas fait.
Merci.
SOFIA : Il est pas trop tard.
KAI : C’est pas ton genre de faire ça.
SOFIA : Qu’est-ce que t’en sais ? Tu ne me connais pas.
KAI : C’est pas l’envie qui manque.
Un moment passe sans que je ne reçoive de réponse puis les trois petits points apparaissent à l’écran, signifiant qu’elle est en train d’écrire.
SOFIA : Passe une bonne soirée.
— T’es prêt ? demande Marcelo.
Je sursaute et relève la tête vers lui.
— Euh, ouais, ouais.
Je termine de lacer ma paire de chaussure et me relève, mon sac de sport sur l’épaule. Je glisse mon portable dans ma poche et nous voilà prêt à partir.
Presque une heure plus tard, je claque la portière de ma voiture de sport, une Porsche Panamera, garée sur le parking de la boîte. Au loin, j’aperçois Marcelo descendre de la sienne. Il s’approche et m’intime de le suivre d’un signe de tête.
Nous ne faisons pas la queue et dépassons tout le monde sans que quiconque ne râle. J’entends quelques chuchotements et lorsque l’on m’appelle, je leur souris et leur fait un signe de main.
A l’entrée, nous saluons le vigile qui tient la porte d’une accolade.
— C’est cool de vous voir les gars ! Et félicitations pour le match ! nous dit-il.
— Merci mec, répond Marcelo en souriant. Y’a une table de libre en carré ?
— Je pense que oui, va demander à Bruna.
Tandis qu’il a les yeux rivés sur la queue qui est formée derrière nous, il désigne l’intérieur de la discothèque, d’où émane une musique électro, du menton.
Au comptoir, la fameuse Bruna nous remarque et nous fait signe de la suivre jusqu’au carré VIP, alors qu’elle porte sur son épaule un sceau avec un magnum de vodka et des bougies magiques.
Je me laisse tomber sur un des fauteuils en cuir en soupirant d’aise. Marcelo s’assoit à côté de moi.
— On prend comme d’habitude ? je demande.
Il hoche la tête tandis qu’il pianote je-ne-sais-quoi sur son téléphone. Je regarde le mien, au cas où Sofia m’aurait envoyé un autre message mais rien. Je crois que la discussion est terminée. Du moins, pour ce soir. Car je l’espère, celle-ci n’était que la première d’une longue série.
Bruna réapparaît devant nous pour prendre notre commande au moment où je range mon portable dans ma poche. Je lui lance un sourire charmeur, celui qui fait craquer toutes les filles, et demande notre bouteille de whisky –celle que nous n’avons pas terminé la dernière fois que nous sommes venus– avec du coca. Elle le note sur son petit boîtier numérique puis disparaît du carré aussi vite qu’elle est apparue.
Ce soir, mon but n’est pas de me retourner le crâne. Seulement boire quelques verres pour me détendre. J’ai beau aimé faire la fête, je reste un athlète avec des obligations.
— T’as déjà repéré quelques filles ? s’interroge Marcelo.
J’éclate de rire.
— On viens à peine d’arriver. Calme-toi un peu, non ?
Il ne se vexe pas. Au contraire, il semble amusé.
— J’ai pas de temps à perdre ou tu me les pique toutes, lance-t-il, en regardant autour de lui. Tiens, celle-là, là-bas.
Il me montre du doigt une jolie rousse aux cheveux longs qui nous observe déjà. Elle est loin d’être laide avec son nez en trompette, ses pommettes saillantes et ses yeux en amande. Calée entre son index et son majeur, elle enroule une mèche autour avec un regard aguicheur. Elle nous a reconnu. Plus que ça, elle nous a pris pour cible.
— Sa copine a l’air mignonne en plus, ajoute-t-il.
Juste à côté de la rousse, une petite brune danse. Sa copine lui tire le bras pour attirer son attention et nous montre du doigt de manière peu discrète.
Je sais déjà ce qui se passe dans sa tête. Elle nous a reconnu, elle connaît notre réputation et s’imagine déjà comment va finir la soirée avec l’un d’entre nous. Est-ce qu’elle a tort ? Pas vraiment, tout dépendra de Marcelo. Pour moi, c’est mort. Je n’aime pas les filles trop directes. Je préfère lorsque c’est moi qui fait le premier pas.
Perdu dans mes pensées, je n’ai même pas vu la rousse s’approcher de nous.
— Tu danses, beau gosse ? lance-t-elle à Marcelo en tendant vers lui une main parfaitement manucurée.
— Avec plaisir, beauté.
Il attrape sa main, se lève puis les deux s’éloignent, me laissant seul avec la bouteille. Je me sers un verre, dont je bois de longues gorgées, pour me mettre dans l’ambiance. Puis je me sers un second et vais rejoindre la jolie brune, désormais seule. Je m’assois à côté d’elle tandis qu’elle braque ses yeux sur moi.
— Ta copine t’a abandonnée ? je demande en me penchant vers son oreille pour qu’elle m’entende par-dessus la musique, mutin.
— Ton copain t’a abandonné ? répond-t-elle sur le même ton.
Ses dents se plantent dans sa lèvre inférieure en soutenant mon regard.
— Disons qu’il a trouvé meilleure compagnie apparemment.
— Au moins, on est tout seul ensemble, remarque-t-elle en souriant. On pourrait être seul, chacun dans notre coin.
— C’est vrai. D’ailleurs comment tu t’appelles ?
Elle glisse une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Caetana.
Puis elle marque une pause.
— Je ne te demande pas comment tu t’appelles, toi.
Alors elle m’a bien reconnu, je me dis dans ma tête. Mais ça ne me dérange pas, j’y suis habitué depuis le temps. D’autant qu’elle me laisse prendre les commandes.
Nous discutons un moment de nos vies, sans que je ne rentre dans le trop personnel, et apprend qu’elle et sa copine sont mannequins. Ce qui explique la silhouette parfaite et le visage à croquer.
Je m’apprête à prendre la parole lorsque Caetana se fait tirer vers l’avant par sa copine qui revient, suivi par Marcelo qui, dans le dos de ma compagne d’un soir, mime de la sauter. Je lui lance un clin d'œil complice, bien décidé à finir ma soirée de la même manière avec la brune.
— J’ai envie de shot, vous êtes chaud ? crie la rousse tandis qu’on s’approche d’elle pour l’entendre.
La musique est assourdissante, ici. Les basses electro pulse dans tout mon être et je suis certain que mes oreilles siffleront à la minute où je quitterais cet endroit.
Tout le monde acquiesce et nous rejoignons le comptoir réservé au carré VIP de la boîte. Rapidement, huit shots sont servis sous nos yeux. Et si je bois rapidement le premier, le deuxième m’est presque arraché des mains. Je lève des yeux incompréhensifs vers Caetana qui me sourit de toutes ses dents.
Une lueur provocatrice dans le regard, elle cale entre ses seins le petit verre et voyant où elle veut en venir, je plonge dans son décolleté pour le récupérer. Je le coince entre les lèvres puis balance la tête vers l’arrière, avalant le liquide qui me brûle la gorge. Des cris fusent autour de nous, puis Marcelo se met à siffler. Je n’ai presque pas le temps de reprendre ma respiration, une main se glisse dans mes cheveux et m’attire vers l’avant. Ma bouche entre en collision avec une autre et le baiser qui suit n’a rien de doux. Non, il est brutal, il est affamé.
Caetana m’embrasse comme si sa vie en dépendait et ma main vient agripper sa fesse gauche. Nos langues se rencontrent, dansent ensemble de manière endiablé. Elle gémit contre moi puis se détache et me demande à l’oreille :
— Tu me ramène chez toi ?
Je m’écarte.
J’ai pour loi de ne jamais amener qui que ce soit chez moi. Encore moins une fille que je viens à peine de rencontrer. J’aime que cela reste mon cocon, mon endroit où me ressourcer, loin de la pression des médias. Même s’ils connaissent mon adresse et qu’il n’est pas rare qu’ils campent devant le portail.
— Et si on allait chez toi, plutôt ?
Elle s’agrippe à moi comme à une bouée de sauvetage, ses ongles rentrent dans la peau de mes épaules ce qui me fait grogner.
— Si tu veux mais faut partir maintenant, si on veut être tranquille.
Elle m’offre un sourire aguicheur, empreint d’alcool et me tire vers la sortie. J’ai à peine le temps de faire signe à Marcelo que je m’en vais et de récupérer mes affaires à ma table.
Sur le chemin, j’aperçois quelques flashs et je sais d’ores et déjà que je finirais une fois de plus sur les réseaux et à la une des journaux. Comme à chaque fois que je finis la soirée avec une fille. Parce que la discrétion, je ne connais pas. Parce que je m’efforce de vivre une vie normale malgré la célébrité.
Dans la voiture, Caetana ne perd pas de temps et commence à faire glisser ses mains le long de mon corps, de mon torse, de mes cuisses. Elle remonte dangereusement vers ma queue. Cette fille n’a pas froid aux yeux et j’aime déjà la tournure que prend cette soirée.
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