Prologue
Le vent s’engouffre dans la voiture lancée à toute vitesse sur l’autoroute vide. Ses cheveux plaqués en arrière s’accrochent aux branches de ses lunettes de soleil – une monture écaillée aux verres rayés – mais elle n’y prête pas attention. Le soleil illumine les arbustes rachitiques, ils retrouvent un éclat doré pendant quelques heures. Des montagnes lointaines bordent le désert, des cactus et plantes rabougries poussent çà et là. Le même paysage défile devant ses yeux depuis si longtemps qu’elle n’y prête plus attention. Les forêts luxuriantes du nord ont laissé place à ce tableau ocre.
Cinq ans qu’elle n’a pas emprunté cette route. A l'aller elle était déterminée et triste, et elle se surprend à ressentir les mêmes émotions. Pourtant, rien ne lui fait plus plaisir que cette désolation, qui lui rappelle son foyer, quitté depuis trop longtemps.
Rebecca a l’impression de conduire depuis des semaines. Elle fait peu de pauses. Lles longues heures de route lui pèsent sur les épaules. Elle n’a qu’une envie : enfin rentrer chez elle. Ses doigts pianotent sur le volant, en rythme avec la musique.
On a dark desert highway
Cool wind in my hair
La chaleur est étouffante dans l’habitacle, malgré les fenêtres ouvertes. Les rayons ardents lui brûlent presque la joue. La sueur coule le long de son dos, son top colle au cuir abîmé du siège auto. Elle devrait s’arrêter pour se désaltérer et manger un morceau, mais son esprit est focalisé sur son objectif.
La radio passe une douce chanson crachotant parfois au rythme des coupures de la station. Elle augmente le volume.
And I was thinking to myself
"This could be Heaven or this could be Hell"
Un panneau apparait sur le côté de la route, indiquant le nombre de kilomètres avant la prochaine ville. La peur se mêle à l’impatience et lui noue le ventre. Bientôt, elle sera de retour à la civilisation, dans une métropole où le flux incessant et la foule vont accentuer son anxiété. Après avoir passé cinq années dans un petit village isolé, et traversé tout le pays, elle retrouvera enfin sa famille. Par moment, elle se demande si elle a eu raison de partir aussi soudainement, sans un aurevoir.
Les visages de ses amis lui reviennent en mémoire et une pique s’enfonce dans son cœur. Eux aussi, elle les a quittés sans explication. Mickael, Silas et les autres comprendront pourquoi elle est partie. S’ils lui ont bien appris une chose, c’est qu’elle a une mission auprès de sa famille - qui doit la penser morte depuis le temps.
Ses proches lui poseront des questions, mais pour rien au monde elle ne leur racontera. Malgré tout le bien que lui a apporté son séjour dans le nord, elle ne peut y penser sans que les larmes lui montent aux yeux. La femme souhaite un nouveau départ, qui commence par accorder son pardon à Rodney et aux autres. Elle n’a pas passé un jour sans penser à eux. Comment va son père ? Et surtout, que dira-t-il en la voyant revenir d’entre les morts ?
Elle ne se souvient que trop bien de ses réactions et de la violence dont il a su faire preuve. Cependant, il ne peut pas la forcer à rester. Son frère comprendra lui, ils ont toujours été proches. Des souvenirs lui reviennent, et esquissent un sourire sur son visage fin et hâlé. Pourtant, ces flashs de bonheur sont gâchés par du sang et des larmes. Elle prie pour que tout soit différent, enfin. Peut-être que son départ leur a fait comprendre.
And still those voices are calling from far away
Wake you up in the middle of the night
Elle est partie à cause de toutes ses combines, de la défiance constante qui régnait. Seul l’argent motivait leurs gestes, ses « amies » ne s’intéressaient qu’à sa place au sein de l’organisation. Sans compter les nombreux petits copains, interchangeables et inintéressants, qui souhaitaient avoir les bonnes grâces de Rodney. Même si elle essaye de se convaincre, elle craint que son père ne soit resté le même. Certaines choses ne changent jamais.
Pourtant, elle n’est pas obligée de retomber là-dedans. Rebecca peut encore s’en sortir. Son séjour dans le nord le lui a prouvé. Elle n’a plus envie de tremper dans des affaires douteuses.
Elle refuse que davantage de gens souffrent. Mais son père peut-il le comprendre ? Tous ceux sous ses ordres n’oseront jamais lever la voix ou remettre l’organisation en cause. Ils craignent trop le sort qui les attend… Si elle revient maintenant, la laissera-t-on partir à nouveau ? Sa gorge se serre et elle regrette soudain d’avoir quitté Mickael.
Last thing I remember
I was running for the door
I had to find the passage back to the place I was before
“Relax” said the nightman
“We are programmed to receive
You can check out any time you like
But you can never leave”
Avec un soupir, Rebecca appuie son coude sur le rebord de la fenêtre. Elle est épuisée par cette route interminable. La journée a été chaude et la traversée du désert n’a pas arrangé son humeur. Ses vêtements lui collent encore à la peau, malgré l’air un peu plus frais qui s’engouffre à présent par la fenêtre. Encore quelques heures avant d’arriver, et son cœur balance entre deux possibilités.
Faire demi-tour et tirer un trait sur sa famille.
Ou leur laisser une chance.
Peut-être devrait-elle se reposer dans un motel avant de retrouver son père ? Le sommeil lui portera conseil.
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