Un papillon éphémère dansait. Mais un jour, il s'est réveillé, et...
Un jour, comme moi, tu te lèveras. Et le Soleil, lui, dormira encore.
Il fait noir. Noir.
La nuit pourtant devrait commencer à s'estomper, à disparaitre lentement au profit de l'aube. Mais voilà que son encre s'obstine à obstruer le ciel de ses taches noirâtres. A tuer tout bruit. A étouffer le vent et à figer les êtres dans un sommeil sans rêves. Mais je ne peux dormir.
C'est comme être mort, de dormir.
Pourtant le Soleil n'est pas là.
Dans son absence le froid se propage, partout, partout où il le peut, dans les maisons et les nids, sous les habits et les poils, glissant sur ma peau et les membranes irisées de mes ailes, qui battent l'air, inlassablement, au rythme de mon coeur. Qui n'attendent que de s'envoler.
Mais où puis-je aller quand la Lune me regarde, de là-haut, prête à me déchirer ? Où puis-je me réfugier quand les Grandes Ailes voguent encore au dehors, les serres tendues, les yeux plissés ?
Alors je me mets à marcher. Tout tremblant de me tenir sur ces jambes_mes jambes_ que j'utilise si peu, je replie mes ailes pour les cacher. Frôle les murs, la tête baissée, et me tais. Le silence, le noir, l'immobilité de tous êtres, la Lune et sa face blanche endeuillée... J'aimerai fermer les yeux, me reposer. Mais je dois continuer.
C'est comme être mort, de s'arrêter.
Et le froid tend ses bras pour m'immobiliser.
Alors tu essayeras de le ramener. De revenir aux jours d'été où à nouveau les couleurs brilleront, où le vent se fera doux et bon, et où tu seras libre.
Je ris. De toutes mes forces, de tout mon coeur. Je ris, contre cette encre dans le ciel, cette face blache si affligée, tous ces êtres encore endormis alors que le jour a commencé, tous ceux qui ont accepté la venue du froid et le morne silence. Je ris contre mon père et les sermons de sa dernière lettre griffonnée. Je ris parce que le Soleil devra bien écouter. Mais il refuse d'entendre, de venir, de me parler.
C'est comme être mort, d'être muet.
Peut-être le Soleil est-il mort. Qui sait ?
Si c'est vrai, je ne peux l'accepter. Pourquoi continuer si je ne peux pas voler ? Si je ne peux pas rire et ne veux plus chanter ? La nuit ne pardonne pas aux heureux de l'été, et je sens à l'avance l'ennui des longues journées à passer dans le noir, dans le Grand Noir, le désespoir, la fin des rêves, entravé par cette Lune qui ne veut plus s'en aller.
Car c'est comme d'être mort, de ne plus rêver.
Alors, comme moi, tu t'en iras. Car après tout, un papillon ne s'arrête pas de tourner. Jamais, jamais nous ne pouvons nous poser. Et en hiver, tout se repose, et attends... Patiemment... Sans un bruit.
Soudain, comme le Soleil n'est plus là, je cours, oublie la prudence dans une ivresse désespérée. Je cours, pour montrer au monde que je suis vivant, et libre, que la joie peut prospérer sous l'encre de la nuit. Je cours si loin que je me perd, et c'est folie que de se perdre dans le noir.
Et c'est folie de vivre, aussi.
Mais autour de moi.
Les abres immobiles portent leurs branches dénudées comme un fardeau, leurs troncs se tordent et se plissent, redevenus sourds et aveugles. La terre, vidée petit à petit sous mon regard inattentif, est maintenant abandonnée, laissée sans couleurs, sans fleurs, sans vies. Ses tristes collines se ratatinent, et se parent sous la Lune des allures de tertres et de tombeaux.
De tombeaux.
L'été est passé. Aveuglé pourtant, j'ai continuer à danser, continuer à voler.
Et maintenant... Je m'arrête. Je vis dans un monde où plus rien ne vit. Où tout ce que je connais est mort. Où tous sont allés se coucher gentimment, sur le sol glacé...
Je sens le froid autour de moi. Déjà il commence à m'envelopper de givre, mes ailes glacées peinent à s'ouvrir. Bientôt je ne pourrais plus voler.
Et c'est pire que de mourir, de s'arrêter.
Tu te lèveras, fils. Et tu te coucheras. Comme moi. Comme tous. Tu fermeras les yeux, et ne reviendras pas.
Non, père.
Je refuse de me coucher comme tout le monde. D'aller gentiment mourir sur cette terre maudite.
Je refuse de vivre dans le noir. De laisser la Lune éteindre mon sourire pour m'entraver.
Je refuse de m'arrêter plus longtemps. Car c'est pire que de mourir, de s'arrêter.
Alors je secoue mes ailes, m'élance vers le ciel, ris. Plus de silence, plus d'immobilité. Je m'en vais plus haut, plus haut, plus haut encore, jette un regard aux terres glacées_cimetières et rêves oubliés. Et je ris encore car une Grande Aile m'a apperçu. Elle s'approche, ouvre ses serres, s'apprête à frapper.
Et mon rire s'envole au ciel, rebondis sur les nuages, libre comme aucun de ceux qui m'ont précédé. De ce rire se forment des mots_ma dernière lettre, mon voeu final.
Soleil, si tu pouvais revenir
Pour voir les cocons fleurirent...
Les papillons te suivront
Et jamais ne s'arrêteront.
Je me suis levé, père, et m'en vais m'envoler.
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