Chapitre 9 : "Tiger".

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Le grand portique en fer forgé s’ouvrit automatiquement à leur arrivée et la limousine s’engouffra dans la longue allée fleurie. C’était une immense propriété en pierre blanche, élégante comme la femme qui l’avait acheté. Les jardins s’étalaient à perte de vues, il s’en dégageait une touche très féminine.

Le vieux chauffeur en costume vintage, style Londonien, s’occupa des valises de Sky pendant que celui-ci tapait le code sur la dernière grille avant d’accéder à la porte d’entrée. Il y avait quelque chose d’assez antique et de moderne à celle-ci. Il s’agissait d’un ancien manoir, non pas des moindres, qui avait été rénové spécialement selon les goûts de Blear Makes. Le côté pratique et les allures de bureaux à l’intérieur venait plutôt de son père. Le goût pour la technologie de ce dernier rendait la maison tout à fait inédite.


Suivi à la trace par son majordome, Sky se planta au milieu du salon principal, les mains dans les poches et leva les yeux au plafond. Ils avaient effectué des travaux pour le rabaissé, mais il s’avéra encore bien trop haut. Il n’y avait pas un bruit dans l’immense demeure à en entendre les mouches voler. Seul un “ding” provenant de l’ascenseur qui se dissimulait derrière des portes coulissantes en bois résonna. Le fils de la maison Makes regarda son servant y déposé les valises pour qu’elle s’envoie directement à l’étage. Il n’aurait plus qu’à les récupérer une fois monté.


  • Merci Charles, fit-il en se lançant dans l’immense fauteuil gris qui trônait devant une télévision de la même envergure.
  • Dois-je vous annoncer le programme, Monsieur ? demanda l’homme aux cheveux blancs qui s’était alors planté à une distance convenable.
  • Si nous sommes seuls, tu peux m’appeler Sky, depuis le temps qu’on se connaît, pouffa-t-il avec peu de sincérité tandis qu’il s’armait de la télécommande. Je t’écoute, ajouta-t-il en appuyant sur le bouton “on”.
  • Monsieur, votre père tient à vous faire parvenir qu’il prolonge son voyage aux philippines…
  • Hum, d’accord, répondit-il d’un ton blasé.
  • Et quant à votre mère, amena-t-il doucement, Madames Makes, il s’avère que son retour s’annonce légèrement mouvementé. Elle est en route pour Londres, avec Mademoiselle Lysen…
  • Pour Londres ? le reprit-il en serrant la télécommande.
  • Elles ont décidé de rendre visite à Billy, déglutit-il, vous devez être au courant qu’il a annoncé sa première tournée…
  • Ouais, je savais, mais pas qu’elles lui rendraient visites sans rien dire…
  • C’est un choix de dernière minute, et demain vous aurez la visite d’un pilier de l’équipe des Stones. Il a accepté de vous rendre visite pour faire quelques paniers ensemble, c’est la raison pour laquelle il valait mieux que vous restiez à la maison, expliqua-t-il d’un air inquiet.
  • Sans doute, lâcha-t-il d’un ton de voix las, merci Charles…
  • Où allez-vous ? s’étonna-t-il quand ce dernier se leva sans se prononcer.
  • Je vais faire une sieste, j’ai eu une semaine épuisante voyez-vous, accentua-t-il alors qu’il se dirigeait déjà vers l’escalier tournant.
  • Et que souhaitez-vous pour le souper ? s’empressa-t-il de demander.

Sky se retourna doucement et analysa le petit homme du haut des premières marches. Il réfléchit un instant et puis lui lança une moue qui reflétait parfaitement son ennui.


  • Ce que vous avez de plus cher et de plus coûteux, tant que ça me satisfait au goût, je m’enfiche.

***

Dans une maison bien plus petite, voir minuscule si on la comparait au manoir des Makes, Kimi se goinfrait de cookies devant la télévision. Elle faisait voler son pouce sur l’écran tactile de son téléphone quand les infos du jour l’interpellèrent :

“... pour financer les laboratoires qui entameront de nouvelles recherches sur le cancer. L’ambassadrice du projet, qui n’est d’autre qu’Eglantine Akitorishi, a également fait don, selon les institutions concernées, d’une immense somme d’argent à diverses fondations qui se battent contre la maladie. Elle garde le silence sur le montant versé, estimant que...”

Maintenant qu’elle avait rencontré Loyd, entendre parler de sa mère sur le petit écran lui donnait une drôle d’impression. Quel genre de travail pouvait-elle bien faire pour en arriver là ? Elle aurait pu poser la question à Dossan, mais encore une fois sa fierté l’en empêcha. Si elle demandait, alors il saurait et elle aurait perdue sa bataille. Grommelant des insultes dans sa tête, elle se releva légèrement dans le fauteuil pour jeter un œil par-dessus le dossier. La cuisine n’était qu’à quelques mètres, caché derrière un grand bar. Elle observait Dossan se dandiner sur un fond de musique, une poêle à la main, s’amusant à y faire retourner une crêpe. Il sifflotait quand il se retourna pour la déposer sur l’assiette avec les autres et il rougit en découvrant les petits yeux plissés de Kimi qui l’espionnait.


  • Ne me fais pas peur comme ça !
  • Do’do’, manque plus que le tablier et tu serais la femme parfaite au foyer !
  • JE suis déjà un homme au foyer parfait ! Et mes crêpes sont parfaites ! Oh, qu’est-ce que tu regardes ? s’étonna-t-il en voyant la visite des laboratoires dont il parlait un peu plus tôt.
  • Rien, bouda-t-elle instantanément, il parle d’Eglantine Akitorishi, de dons pour le cancer…
  • C’est une belle initiative et un plus pour son entreprise, je suppose. Elle est à la tête d'une entreprise pharmaceutique, expliqua-t-il en découvrant le regard curieux de sa fille tandis qu'il enfilait un tablier autour de sa taille. Alors ? Est-ce que je suis bien comme ça ? demanda-t-il d’une voix féminine.

Kimi éclata de rire en le voyant tournoyer sur lui-même, vêtu du napron. Il lui rendit un grand sourire tendre. La fin de la guerre avait enfin sonné, même si elle restait une tête de mule.


  • J’imagine que tu as pu voir son fils ? Tu m’as dit également que Laure Ibiss était dans ta classe, ça doit être un peu étrange, non ?
  • Hum, il est aussi dans ma classe, avec Laure et… Sky Makes, répondit-elle avec hésitation, la tête déposée sur le dossier.
  • Sky Makes ? répéta-t-il en lui tournant le dos, occupé à cuire ses crêpes. Eh bien, trois Richess dans la même classe, ça ne doit pas être de tout repos ? À quoi pouvait-il bien penser en faisant ce choix ? Je me le demande, pouffa-t-il d’un rire jaune.
  • J’ai cru comprendre qu’ils étaient dans la même classe aussi l’année passée, mais c’est vrai… qu’ils ne s’entendent pas très bien, mentit-elle.
  • Ah, ce n’est pas étonnant, j’imagine, dit-il d’un ton las, passant une mèche de cheveux derrière son oreille.

Il sembla à Kimi qu’il avait l’air un peu triste.

  • Les crêpes sont prêtes ! s’exclama-t-il en brandissant l’assiette pleine pour la déposer sur la table du petit salon.
  • Papa…

Dossan s’arrêta un instant de rire pour rien. Elle ne l’appelait que rarement de cette manière.

  • Oui ? l’invita-t-il à poursuivre comme si ça ne l’avait pas perturbé.
  • Est-ce qu’on pourrait aller voir Leroy demain ? demanda-t-elle sans le regarder dans les yeux, jouant de son doigt entre les coutures du fauteuil. Il dit quoi l’avocat pour l’instant ?
  • Les nouvelles ne suivent pas, je ne sais pas s’il serait heureux de nous voir… mais nous pouvons aller à l’orphelinat, oui, sourit-il. Allez viens manger maintenant et après tu fais tes devoirs !
  • Quoi ?? Mais je dis à Nadeije et Mike que je les rejoignais après !
  • Pas tant que tu ne les as pas fini, plus vite tu t’y seras mieux, plus vite tu seras avec eux, deal ?
  • Deal ! grogna-t-elle en plantant sa fourchette dans une crêpe.


Le soir même, Kimi se dépêcha d’enfiler un gros sweat aux couleurs de son ancienne école et une paire de vieille basket pour retrouver ses amis. Il s’était donné rendez-vous dans le parc derrière le lycée Gordon qui servait essentiellement de repaire aux petits dealers. Rien de bien sérieux, il s’agissait plutôt d’adolescents qui tirait des taffes en cachette. Les jeux pour enfants, comme les vieilles façades de l’école aurait bien mérité un rafraîchissement. Kimi envoya valser un caillou avec sa chaussure sur le chemin, déposant ses yeux sur le gros bloc grisâtre que représentait l’établissement Gordon. ELle devait bien avouer qu’à côté, Saint-Clair resplendissait. Mais elle avait appris à ne jamais juger quelqu’un ou quelque chose par la couverture de son livre. Si sa nouvelle école brillait, on ne pouvait pas autant en dire de ses étudiants. En voyant ses deux amis au loin elle pressa le pas et se mit à courir quand une jeune fille aux cheveux roses lui fit un signe. Elles se jetèrent dans les bras de l’autre, le garçon, habillé d’un look très streetwear, attendant son tour pour la serrer également.


  • Mike, lâcha-t-elle dans un soulagement, vous m’avez tellement manquer ! Nadeije, tu as encore fait des folies dans tes cheveux !
  • J’ai opté pour un rose un peu plus vif, yep, répondit-elle d’un ton relâché.
  • Plus girly tu meurs, plaisanta le garçon. Alors raconte-nous ? Comment ça se passe dans la grande et magnifique école qu’est Saint-Clair ?

Les trois amis s’installèrent sur le toit d’une maison pour enfant et partagèrent leurs anecdotes croustillantes l’un après l’autre. Mike était un gars simple qui recouvrait toujours ses cheveux bruns en bataille d’une capuche et Nadeije se démarquait grâce à sa coloration rose. Ils se connaissaient depuis longtemps, depuis le primaire et ce genre de moments étaient devenus un rituel. Contrairement à la réserve qu’elle avait montré avec Dossan, Kimi n’hésita pas à leur raconter toutes ses mésaventures avec Sky Makes et ce qui en suivit.


  • Sérieux ? Laisse tomber, un mec pareil mérite pas de connaître ta personne, lâcha Mike, rebuté. Il sait pas ce qu’il perd, ajouta-t-il en lui lançant un petit sourire charmeur.
  • Mike t’abuses, le reprit Nadeije, mais je suis d’accord ! Tant pis pour lui !

Il y avait une raison derrière ce sourire qu’il lui offrait à la rigolade, mais qui représentait bien plus que cela. Cela faisait déjà un an que leur relation avait pris fin, mais il avait toujours un petit faible pour Kimi. Il disait même toujours que tout le monde finissait par craquer pour elle, mais il avait été son seul petit-ami. Depuis, ils en riaient de bon cœur, même s’il aimait rappeler de temps à autre qu’ils étaient sortis ensemble. Kimi lui répondit par un coup de poing sur l’épaule et attrapa Nadeije par un bras. Elle se sentait revivre dans la fraicheur du soir, entouré de ses points de repaires et dans un endroit qu’elle connaissait comme sa poche. Elle n’eut pas le temps d’aborder le sujet “Kyle”, se faisant déranger par un garçon assez similaire. À croire que chaque école avait son journaliste pénible, elle chassa la caméra d’un revers de main.


  • Alors comme ça on se fait une soirée retrouvaille sans moi ?
  • Picksy, souffla Nadeije, si c’était une soirée retrouvaille, tout le groupe serait présent…
  • Je m’attendais quand même à ce que tu me rendes visite, lâcha-t-il en agressant Kimi de sa caméra.
  • Oh arrête ! J’en ai déjà assez comme ça avec…
  • Un rongeur n’est-ce pas ?

Kimi dévisagea le blond qui faisait de même par-dessous ses mèches de cheveux trop longues. Il avait un regard en coin fort perturbant, joueur et froid. Elle se rappela en le voyant pourquoi elle détestait autant Kyle. Il lui rappelait, mais Picksy s’avérait bien plus sombre. Dans ses amples vêtements noirs, qui faisait ressortir davantage sa maigreur, il donnait l’impression d’être la mort en personne. Et le faucheur ne comprenait pas les limites de l’intimité, brandissant sa caméra sur la blonde. L’attitude qu’elle lui rendait montrait bien qu’elle avait l’habitude qu’il la filme, même si son comportement l’agaçait.

  • À ce propos, il faut qu’on parle, lâcha-t-elle en sautant du toit du cabanon pour réatterrir pied joint au sol.

Elle l’invita à le suivre et l’emmena un peu plus à l’écart de ses deux autres amis. Ils étaient également habitués à ce genre de situation. Picksy s’étala sur le banc en bois d’une vieille table défraîchi, pointant toujours la caméra sur Kimi.


  • Arrête ça, fit-elle en couvrant l’objectif.
  • Tu as perdu ton sens de l’humour en côtoyant les riches, les rats, persiffla-t-il entre ses crocs.
  • C’est pas une blague, arrête de me filmer et, hésita-t-elle, il faut que tu te débarrasses des vidéos, dit-elle en commençant à faire les cents pas.
  • Comme si j’allais faire ça, répondit-il après un moment de surprise.
  • Je te le demande, si jamais ses vidéos arrivent jusque…
  • Jusque qui, hum ?
  • Ton message était clair, tu as entendu parler du journaliste de Saint-Clair, non ? Ça ne m’étonne pas, vous vous sentez entre pourriture !

Un petit ricanement s’éleva dans la nuit à en devenir criard tellement Picksy se tordait de rire. Il fit sembla d’essuyer une larme de sous ses yeux cernés avant de reprendre une expression qui lui sied davantage : hautaine et menaçante. Il se rapprochait de Kimi pour lui murmurer des mots tranchants.

  • Une pourriture qui détient ce que tu souhaites faire disparaitre...
  • Ce n’est pas seulement pour moi ! Je ne veux prendre aucun risque, alors supprime ces vidéos !
  • Tu sais que je ne le ferais pas, rit-il de derrière sa manche noire.
  • Alors cache-les ! Et fais en sorte que personne ne les trouves !

Ses gloussements lui donnèrent l'impression de disjoncté.

  • Tiger, je te demande de le faire !
  • Est-ce que c’est un ordre ? demanda-t-il d’une voix glauque.
  • Ouais, c’est un ordre, rétorqua-t-elle en lui agrippant violemment son épaule pour mieux le foudroyer du regard.

Il plongea ses yeux nuits dans les siens, profonds et vite, puis sans rien dire il se leva. Elle n'eut droit qu'à un petit gigotement de son nez malicieux. Fatiguée, Kimi s’adossa alors contre un arbre du parc pour y pousser un long soupir.

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