Chapitre 28 : Noël avant l'heure.
La Mercedes noire vaguait sur les routes, prenant le chemin le plus long pour rentrer à la demeure des Makes. Sky qui râlait depuis le début du trajet le remarqua et s’exaspéra de cette attention venant de son père. Ce dernier avait retrouvé le calme :
- Je sais que tu es de mauvaise humeur, mais j’aimerais tout de même te dire que je suis fier de toi…
- N’essaye pas de m’amadouer, rétorqua-t-il bien droit dans le fauteuil en cuir.
- Je le pense, pouffa-t-il, quand j'imagine que mon jeune fils a tenu tête à son professeur pour défendre la cause féminine, je trouve que je ne t’ai pas si mal éduqué.
- Il allait de soi que je prenne sa défense…
- Beaucoup de garçons ne l’auraient pas fait, tu as agi avec honneur, lui sourit-il.
- D’accord, roula-t-il une énième fois les yeux, alors pourquoi avoir accepté cette punition ? demanda-t-il en se tournant vers son père.
- Tout comme un homme ne devrait pas poser ses mains sur le corps d’une femme sans son consentement, et encore moins sur une jeune fille, il ne devrait pas non plus utiliser la violence comme finalité. Mais tu es jeune, dit-il avant que Sky ne puisse intervenir, et ces expériences de vie te permettront de devenir un homme bien.
Sky n’en avait que faire d’être un homme de ce genre. Selon lui, il n’avait qu’à suivre ces convictions, mais cela il n’osa pas le dire à son père. Cette discussion eut bon de l’apaiser à son tour, même s’il ne voulait pas le montrer.
- N’empêche que je suis exclu pour deux jours…
- Tu verras, ce ne sera pas si pénible et puis je serais là pour te tenir compagnie…
- Super, se moqua-t-il.
Père et fils partagèrent alors un regard complice, ils ne purent s’empêcher de rire. Sky râla d’autant plus et tenta de rester dans son rôle d’ado en colère, mais les taquineries de John l’atteignait trop facilement. Donc il serait présent de la semaine ? Il ne le dirait pas non plus, mais cette nouvelle lui faisait plaisir.
- Tu ne retournes pas aux Philippines ? demanda-t-il en feignant un trop grand intérêt.
- La firme est bien lancée, je vais pouvoir m’en occuper à distance, expliqua-t-il en tournant le volant pour entrer dans le domaine. Ça a pris un peu plus de temps que prévu, mais nous avions décidés avec Maman de finir nos projets à l’étranger plus ou moins en même temps. Donc on peut enfin se retrouver tous ensemble à la maison…
- Tous ensemble ? répéta-t-il d’un air mécontent tandis que la voiture se garait. Il y a qui à la maison pour le moment ?
- Tout le monde est là, Maman, Lysen et Billy, lui sourit-il avant de sortir du magnifique bolide.
- C’est Noël à l’avance, grommela-t-il entre ses dents.
***
Charles donna l’impression d’être quelque peu nerveux lorsqu’il les accueillit à l’entrée. Il y avait un moment maintenant que la famille Makes n’avait plus été au complet.
Rôdant autour de Sky, le vieux monsieur tenta d’établir le contact avec son jeune maître pendant qu’il prenait sa veste.
- Est-ce que vous avez passé une bonne semaine ?
- Par-fai-te, répondit-il en levant un sourcil.
Le majordome décida de se taire et ne lui en voulut pas trop. Il avait plutôt de la peine à son égard. Il se tenait derrière Sky quand il franchit le salon et que le mépris se dégagea de tout son corps. Un jeune homme trônait au milieu des grands fauteuils. Également châtain, bien que plus foncé et plus long, il ressemblait beaucoup à Sky. Les jambes croisées et vêtu d’un pantalon noir qui laissait entrevoir ses chevilles, il parcourait une revue divertissante avec la cadette de la famille Makes. Lysen arborait un sourire mielleux et avait une pointe d’admiration dans ses yeux de biches. Tout aussi à la mode, la jeune fille arborait une tenue parfaitement londonienne : une robe salopette vichy qui s’accordait au joli nœud rose au tour de son cou. L’un à côté de l’autre, ils avaient l’air d’enfants parfaits, partageant une relation fraternelle des plus douces.
En s’approchant à pas de velours, Sky constata qu’ils lisaient un article people a l’effigie de la personne qui tenait le journal : “La pop star Billy M. annonce son nouveau projet musical…”
Le frère et la sœur relevèrent tout deux la tête en découvrant sa silhouette. Si le plus âgé avait l’air fort content de le voir, il ne s’agissait pas du cas de la plus jeune.
- Hey ! Comment tu vas ? se leva-t-il pour lui faire une étreinte à laquelle il répondit à peine. Alors comme ça tu tabasses un professeur ?
- Je n’aurais pas dit ça de cette manière…
- C’est tellement irresponsable, persiffla Lysen.
La froideur qui se dégageait de son regard glaça le sang de Sky, mais celui-ci ne se laissa pas décontenancé. Il glissa simplement ses mains dans ses poches et lui rendit un regard impassible. Plus les années passaient, plus leur relation tendait à se dégrader, à l’inverse de celle entre Billy et Lysen.
- Il faut absolument que je te parle de mon nouveau projet, relança Billy en brandissant la revue.
- Excuse-moi, mais tes petites activités de chanteur peuvent attendre…
- Sky, ne sois pas aussi dur avec ton frère, leur parvint une voix.
Leur mère apparut du haut des escaliers et les descendit d’un pas léger. Elle resplendissait, sa magnifique chevelure brune et ondulée tombant sur son blazer. Femme d’affaire, elle portait toujours des tailleurs de toutes les couleurs. Ici, elle avait opté pour un gris très clair et des escarpins blancs. John-Eric entra dans la pièce pour l’accueillir d’un baiser, ni doux, ni passionnée, simplement le bonjour habituel. Sky la dévisagea tandis qu’elle déposait une main sur l’épaule de Billy, son premier-né, le fils caché. Il était maintenant devenu une super star à Londres, jeune chanteur d’un peu moins de vingt ans, adulé par les adolescentes. Son physique avantageux et sa jolie voix lui avaient permis de grandir comme quelqu’un d’autre que : “Le fils scandaleux de Blear Makes”. Elle déposa une main chaleureuse sur le haut du crâne de Lysen, puis se planta devant son fils le plus problématique. Alors qu’elle s’avançait timidement pour lui faire un bisou, Sky fit comme s’il ne l’avait pas vu et regarda l’heure sur la montre à son poignet.
- Ça faisait longtemps, dit-il de son plus faux sourire.
Il se mit à tourner dans le salon, toujours les mains en poches et observa les recoins de la maison. John-Eric regarda sa femme d’un air inquiet, mais les beaux yeux bleus de Blear ne quittait pas la silhouette de Sky.
- Il y a des choses dont nous devons parler, viens avec moi, fit-elle en se dirigeant dans une autre pièce.
Sans broncher, il la suivit d'une mine ennuyée. Blear s’engouffra dans une grande salle éclairée, verdoyante et au milieu de laquelle résidait un somptueux bureau en chêne. Elle s’assit sur le rebord, indiqua à Sky d’un geste de fermer la porte et passa délicatement une mèche de cheveux derrière son oreille. Pendant un instant, elle fixa ses chaussures, puis le regarda à nouveau. Il attendait simplement la suite des événements et elle hésita longuement à prendre la parole, comme si les mots ne voulaient pas sortir.
- Donc ? prit-il les devants.
- Premièrement, soit plus gentil avec ton frère… et avec Lysen, également…
- C’est elle qui…
- Entendez-vous ! Et ce sera très bien, souffla-t-elle, comme exténuée.
- D’accord, répondit-il les mâchoires serrées.
- Je crois que je n’ai pas besoin de répéter que ton comportement envers ce professeur était déplacé… Il aura sans doute ce qu’il mérite et toi aussi par la même occasion…
- Alors quoi ? fit-il en levant un sourcil.
- J’ai appris que tu avais laissé une fille venir chez nous..
Tout d’un coup, Sky ne sembla plus aussi confiant.
- Comment… Je me demande vraiment comment cette idée a bien pu te traverser l’esprit ? Amener quelqu’un d’étranger dans notre maison…
- Il n’y avait personne…
- Ce n’est pas une raison ! Nous sommes une famille…
- Ah bon ? lâcha-t-il d’un ton à la fois moqueur et nonchalant.
Cette question ôta les mots de la bouche de Blear. Elle releva ses yeux avec colère sur l’air détaché qu’il se donnait, ses mains tremblant légèrement autour de ses bras. Avec sa mère, il était vraiment le roi de l’insolence.
- Tu sais que tu as eu tort, et je le sais parce que tu as demandé à Charles d’éteindre les caméras de surveillance précisément ce week-end en question. Tu n’imagines pas son embarras, avais-tu pensé a ce qu’il pourrait ressentir ? Tes bêtises m’ont donné l’impression de le martyrisé, pauvre Charles. Jamais, tu n’aurais dû inviter quelqu’un à passer du temps ici en notre absence. Tu n’étais même pas présent ! Et comment pouvons-nous savoir que cette fille n’a pas fouillé nos tiroirs ? C’est irresponsable, est-ce que tu t’en rends compte ?
- Je n’ai rien à cacher, personnellement. C’est ton cas ?
- Penses-tu ?! Si tu avais un peu de bon sens, tu comprendrais qu’un paquet de personnes rêverait de trouver une faille à la famille Makes ! Charles m’a assuré que cette jeune fille n’avait rien de louche, mais tu ne crois pas que ça revient à se mettre la corde autour du cou ? Ce genre de choses ne doivent plus jamais arrivé, c’est compris ? Est-ce que c’est compris ?! s’écria-t-elle pour avoir une réaction.
- Compris. dit-il durement.
- Très bien, alors maintenant j’aimerais que tu me donnes le nom des parents de cette fille…
- Quoi ?!
- Parce que je veux connaître le visage et le nom des personnes qui ont accepté une telle sottise…
- Non, fit-il catégoriquement.
- Non ? N’est-ce pas la moindre des choses ? Je veux savoir chez qui tu es allé, je veux savoir qui est rentré chez nous, alors…
- Non…
- Mais est-ce que tu vas m’écouter ?! Je te le demande !
- J’ai dit que je ne le ferais pas, articula-t-il pleinement.
Frustrée et agacée, Blear attrapa l’arrête de son nez entre deux de ses jolis doigts dont les ongles étaient vernis.
- Écoute-moi, commença-t-elle, je n’ai pas dit que j’allais agir contre cette famille. Je veux simplement savoir qui ils sont. Si je m’aperçois de quoi que ce soit de louche, qu’il manque quelque chose…
- Il ne manque RIEN, s’énerva-t-il.
- J’aimerais, vraiment, appuya-t-elle, que tu arrêtes de me couper la parole, répondit-elle froidement.
- Et j’aimerais, vraiment, que tu arrêtes de croire que je vais t'obéir ! Je ne te donnerai ni le nom de ses parents, ni le nom de cette fille. En aucun cas, assura-t-il. Tout ce que tu dois savoir c’est qu’ils m’ont accueillis chaleureusement et que je ne compte pas les remercier en les pistant ! C’était une expérience sociale, intéressante et ça ne se reproduira plus, contente ? Mais, jamais, je ne te donnerais ce que tu veux, parce que je n’ai aucun compte à te rendre, dit-il en la regardant de haut en bas.
Encore une fois, elle se retrouva le souffle coupé. Ce n’est plus ses mains qui tremblaient, mais ses lèvres qu’elle mordait de l’intérieur. Relevant le menton bien haut, toujours les bras croisés, elle déposa son regard sur l’un de ces nombreux tableaux.
- Va-t'en, dit-elle d’un mouvement de tête.
- Merci bien, répondit-il en se hâtant vers la sortie.
Il percuta son père dans le couloir. Depuis combien de temps celui-ci attendait derrière la porte du bureau ? Sky le foudroya du regard.
Le calme revenu, John passa une tête dans la pièce et découvrit sa femme la tête baissée, mal en point. Quand elle l’aperçut à son tour, elle se redressa, sans doute pour paraître plus fière. Il s’en approcha en silence pour caresser doucement son dos. Blear se mordit les lèvres instantanément.
- Chérie, ne t’inquiètes pas, c’est l’âge qui fait ça…
- Non, souffla-t-elle, il me déteste…
En découvrant des larmes dans ses yeux, John-Eric n’eut rien d’autre à ajouter qu’un baiser sur son front pour la consoler.
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