Chapitre 29 : Dorée VS. Violet.
Dossan avait pour habitude d'ouvrir son courrier le matin : un peu de musique en fond, Kimi jouant à "Just Dance" sur l'écran modeste du salon, il prenait quelques gorgées de son cappuccino avant de s'attaquer à la tâche. Quelques factures, des pubs abracadabrantes, il y avait de tout. Une lettre en question l'attira davantage, l'ouvrant en hâte. Il reprenait un peu de sa boisson chaude en la parcourant, quand le liquide menaça de sortir en jet de sa bouche. La quinte de toux attira l'attention de Kimi qui arrêtait son jeu :
- Do', ça va ? s'inquiéta-t-elle alors qu’il essuyait sa bouche d’un revers de main.
Celui-ci sauta du haut de son tabouret pour venir coller la feuille pratiquement contre son visage.
- Regarde-moi ça ! dit-il tout excité.
- Mais arrête ! Je vois rien ! C’est quoi ? demanda-t-elle en se saisissant du papier noir d’encre.
- Ça, c’est le certificat qui m’autorise à adopter Leroy ! s’exclama-t-il en lui ouvrant ses bras en grand et en lui adressant une petite danse de la joie.
Le visage de Kimi ne t’attarda pas à s’illuminer, sautillant alors sur place, puis à son cou. Ils se serrèrent fort et longuement pour fêter la nouvelle. La situation de Leroy était si compliquée, notamment à cause de son tracé familial, qu’il avait dû s'y prendre à plusieurs fois pour que la procédure d'adoption soit acceptée. Après près d’une année à tenter de l’ajouter à leur famille, les efforts payaient enfin. Dossan attrapa le visage de sa fille pour déposer un gros baiser sur son front, heureux.
- Je propose qu’on aille tout de suite lui annoncer la nouvelle, d’accord ? Kimi ?
Elle l’était tout autant que lui, mais l'idée que Leroy lui en voulait toujours la rattrapa.
- Est-ce que je viens avec toi ? Je ne sais pas s’il aura envie de me voir…
- Ne dis pas n’importe quoi ! Même si c’est tendu entre vous, il peut enfin intégrer notre famille, bien sûr qu’il sera content de te voir !
Ces mots apaisèrent ses craintes et ses peurs. Elle courut alors chercher sa veste, tandis que Dossan sautillait de joie en attrapant les clés de sa voiture. En quelques minutes, ils furent prés à décamper de la maison pour arracher Leroy à ce vieil orphelinat. Avant de partir, Kimi se rua sur la télécommande pour éteindre la télévision qui annonçait un flash info.
Tous deux bien installés dans la voiture, la radio s’alluma en même temps que Dossan mis le contact :
“Grande nouvelle pour l’industrie de la mode, à en faire trembler les plus grandes marques, nous avons enfin la confirmation que le projet de Marry Stein, tenu secret jusqu’ici, s’annonce haut en couleurs ! Une ligne de vêtement et l’implantation de boutiques dans tous le pays, rien que ça… “.
- Je ne savais pas que la maman d’Alex travaillait dans la mode, s’étonna Kimi tandis qu’elle se passait la ceinture.
- “La maman d’Alex” ? répéta-t-il en se retournant d’un coup vers sa fille, illuminé.
- Ah, hum… Alex Stein… Oui, bégaya-t-elle en se rendant compte de sa bourde.
Grisé, Dossan déposa sa tête contre le volant que ses doigts caressèrent avec joie. Derrière ses mèches noires, Kimi ne pouvait pas voir son sourire exalté. Il riait doucement, puis un peu plus fort en offrant un doux regard à sa fille. Celle-ci le détailla d’une paire d’yeux ronds. Finalement, après toutes ces années, une case avait sauté ? pensa-t-elle en son for intérieur.
- Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-elle alors qu’il s’apprêtait à démarrer.
- Rien, rien, je suis juste heureux, pouffa-t-il.
- T’es vraiment bizarre parfois, grommela-t-elle en prenant du recul dans son siège.
***
La nouvelle se répandit à une vitesse folle, via les médias, les réseaux et de bouches à oreilles : Marry Stein sortirait prochainement sa propre marque de vêtements. Autrement dit, elle se lançait dans un business différent que celui de l’immobilier. Surprise générale pour l’ensemble du pays, sachant que les dorés avaient toujours tenté de reprendre le pas sur les mauves. Est-ce qu’il s’agissait d’un abandon de leur part ? Quittaient-ils la course pour mieux revenir sur le marché ? Était-ce une stratégie pour enfin reprendre le dessus sur les Ibiss ? Derrière de belles paroles, les deux familles n’avaient jamais cessés de s’affronter dans une guerre d’acquisition de biens. Maintenant que Chuck Ibiss possédait une partie de Saint-Clair, Marry Stein annonçait ses débuts dans la mode ? Coïncidence ou tactique ? Les radios s’enflammaient sur le sujet, mais finalement, ne s’agissait-il pas simplement encore d’une folie de la part de la plus excentrique des Richess qu’ils avaient connus depuis des générations ?
- Excentrique, vraiment ? riait une blonde qui conduisait en talons haut un énorme bolide blanc.
La villa dans laquelle s’engouffra le véhicule était toute aussi immense, démesurément grande. Si une partie de la maison ressemblait à un hôtel, destination luxueuse de rêve, c’est parce qu’une partie de celle-ci était de temps à autre louée par les plus grandes stars qui se faisait de cette époque. Marry Stein était une hôte en or qui avait réussi à faire de sa demeure un business, tout en séparant vie professionnelle et privée.
À son passage, les roues de sa grosse bagnole patinèrent dans le gravier, si bien qu’elle bascula en avant lorsqu’elle freina d’urgence. Un beau jeune homme aux allures de réceptionniste se précipita à l’extérieur pour s’assurer que sa patronne n’avait rien. Elle sortit du Chevrolet, une paire de lunettes léopard sur le nez, légèrement décoiffée. En passant ses longs ongles dans sa magnifique chevelure dorée, elle déposa sa main sur la carrosserie pour la tapoter à la manière dont on caresserait la tête d’un gentil toutou.
- Vous allez bien ?! s’inquiéta le garçon.
- Oh très bien ! Je ne suis simplement pas encore habituée à gérer ce niveau bijou, dit-elle en éclatant de rire par-derrière.
- J’aime beaucoup votre nouveau véhicule ! Splendide ! s’exclama-t-il alors en admirant la voiture. Je ne pensais pas que vous auriez goût pour un tel modèle, ajouta-t-il d’un air conquis.
- Eh bien, j’ai toujours aimé les gros engins, répondit-elle en abaissant ses verres noirs et en lui adressant un sourire narquois. Je plaisante, chéri ! Ne sois pas choqué, fit-elle en lui tapotant la joue.
- Je… Madame vous m’avez fait peur, rit-il nerveusement.
Riant de bon cœur, Marry dégagea son visage en glissant ses lunettes sur le haut de sa tête et s’enquit d’ouvrir le coffre duquel une masse de sacs menaçaient d’atterrir sur le sol. Le jeune homme, encore une fois, l’aida rapidement à rattraper le tout.
- Laissez-moi les prendre…
- Hop, hop, hop ! Pas touche à ça, mon petit ! Une femme doit être capable de porter ses propres affaires et d’autant plus, ces petites folies.
Pour le beau brun, “petites” semblait dérisoire par apport à la quantité de vêtements qu’elle gardait maintenant à bout de bras.
- Par contre, tu peux me la garer, fit-elle en lui donnant comme elle put les clés de sa voiture.
- Je peux ?! s’illumina-t-il en tenant précieusement le trousseau dans ses mains.
- C’est quoi ton petit nom, dis-moi ?
- Jordan, répondit-il timidement.
L’inspectant sous toutes ses coutures, Marry reculait déjà dans l’allée. Elle pensa que ce petit jeune était plutôt bien foutu.
- Ce sera beau petit cul, rit-elle en se dirigeant vers la porte d’entrée. Je suis rentrée !! cria-t-elle en entrant dans le hall moderne. Hey oh ! Alex ! Maman est à la maison !
Depuis sa chambre, et surtout depuis son grand lit, Alex se releva d’un coup sec. Très rapidement, il remballa ce qu’il y avait à ranger de toute urgence dans son jean et rabattu l’écran de son ordinateur portable. Il se réarrangea devant le miroir de sa salle de bain personnelle et se lava les mains par pudeur. Propre, il les passa sur son visage et soupira un grand coup avant d’aller à la rencontre de sa mère. Il la chercha un moment en passant devant toutes les pièces de leur palais et la trouva dans son dressing, sortant déjà les vêtements de ces nombreux sacs. En le voyant, Marry ramena ses deux mains ensemble et s’attendrit.
- Oh, mon chéri ! couina-t-elle, tu es tellement beau !
Surexcitée, elle attrapa ses joues entre ses paumes et le couvrit de bisous, laissant une trace de rouge sur son front.
- Tu m’as tellement manqué ! Oh, je suis si contente de te revoir ! fit-elle en s’agrippant à son cou.
- Maman… ça ne fait que deux semaines, dit-il calmement en essuyant le rouge à lèvres.
- Que deux semaines ?! s’écria-t-elle en portant une main sur sa poitrine, tu n’as aucun cœur, fils ! Et dire que j’étais si impatiente de te serrer dans mes bras…
La moue exagérée de sa mère le força à avoir quelques remords.
- Oui, maman, moi aussi…
- Je préfère ça ! fit-elle en déposant un doigt sur le bout de son nez. Alors, je t’ai rapporté quelques petites surprises de mon voyage à Paris ! Tu m’en diras des nouvelles, mais regarde-moi cette chemise ! Bon sang, où est-elle ?
La tête dans les sacs, Alex regardait sa mère frétiller d’excitation. Pourquoi fallait-il qu’elle soit toujours aussi énergique ? Aussi… elle ? Il souffla en attendant patiemment qu’elle se calme, mais vu ses petits dandinements, il en avait pour un moment. Enfin, elle sortit non pas une seule chemise, mais plusieurs vêtements pour garçon.
- Bon, je me suis peut-être emportée ? fit-elle d’une mine à moitié désolée.
Il lâcha un petit rire désespéré, à peine un sourire, face à ce visage qui passait au-dessus de toutes ses barrières. Marry rayonna davantage et déposa gentiment une main dans son cou.
- Tu es magnifique quand tu souris, dit-elle d’une voix douce. Et tu le seras encore plus, avec ceci ! revint-elle à la normale, en brandissant une chemise noire dont les imprimés de la même couleur ressemblait étrangement à du zèbre selon Alex. Je sais, c’est un peu extravagant pour toi, mais c’est aussi très claaaasse, étira-t-elle. Une petite sortie ? Tu ne sais pas quoi mettre ? Tu dégaines cette pièce et tu seras tout simplement à tomber part terre ! Tu n’aimes pas ? demanda-t-elle en voyant un sourcil se lever doucement sur le visage de son fils.
- Maman… tu redeviens insupportable…
- Insupp… Tu es si méchant ! Toi et ton père, je vous jure, souffla-t-elle en regardant tristement le vêtement.
- Mais j’aime plutôt bien, fit-il en s’en saisissant.
Marry souriait de nouveau à pleines dents, les yeux pétillants.
- Cela dit, ce sera sûrement pour une occasion en famille, je ne sors pas vraiment beaucoup à l’école…
- Alors ça, je n’y crois pas une seconde ! s’exclama-t-elle à l’en faire sursauter. Ne viens pas me dire que tu ne profites pas des joies de l’internat et de tes premières sorties à ton âge ?
- Hum, je…
- Tu n’es jamais sorti ? demanda-t-elle d’un air qu’Alex n’arrivait pas à comprendre s’il s’agissait d’une question piège.
- Eh bien, si, mais…
- Et avec ce physique de rêve, fit-elle en le montrant d’un geste, ne me dis pas que les filles ne sont pas à tes pieds ? Détrompe-toi, si tu penses que je ne sais pas comment ça fonctionne, mon gamin ! Tu es peut-être jeune, mais tu es en âge d’avoir du sex…
- Maman ! la coupa-t-il.
- Tiens, tiens, toi qui est toujours si calme, n’est-ce pas une expression intéressante que tu m’offres là ? le nargua-t-elle en venant le choper par le menton. Aurais-tu des confidences à me faire ? Tu sais à ton âge, moi aussi j’ai commencé à m’amuser…
Toute âme quitta le corps d’Alex à l’instant où elle prononça ces mots. S’affalant dans un des fauteuils, il se força à ne pas écouter le reste, mais en vain.
- … je ne t’encourage pas à avoir des rapports sexuels, mais plutôt à profiter de ta vie. Si le sexe en fait partie, j’insiste sur le fait qu’il faut se protéger ! Bon, c’est vrai que quinze ans c’est jeune, mais en tant que Richess, ce n’est pas si choquant. Entre les responsabilités, le mariage jeune, c’est tout à fait compréhensible…
Ces derniers mots l’interpellèrent.
- Moi-même à ton âge j’ai eu quelques aventures, continua-t-elle fièrement. Je crois que ça m’a permis de me trouver au fond, donc j’ai connu quelques gars, jusqu’à…
- Jusqu’à Papa ? conclut-il alors que Marry s’était soudainement arrêté au milieu de son monologue.
Elle se tenait devant le miroir, ajustant une robe devant sa silhouette. Dans le retour, elle croisa le regard de son fils dans lequel elle devina une minuscule pointe d’intérêt. Elle ne pouvait pas lui dire, mais il était si rare de le voir aussi expressif. Alex se posait bel et bien des questions :
- Maman, dis-moi, hésita-t-il, la tête baissée sur ses mains croisées.
- Je t’écoute ?
- Papa, c’était un mariage arrangé, selon les lois, n’est-ce pas ? Avant ça, tu dis que tu as eu des conquêtes, mais du coup… tu n’es jamais tombé amoureuse de quelqu’un avant lui ? Et, du coup, est-ce que tu aimes papa ?
- Mon dieu, souffla-t-elle, alors nous en sommes là, fit-elle en s’asseyant sur le petit siège devant lui. Mon fils me pose enfin des questions sur l’amour ! Je n’aurais jamais cru que ce jour viendrait ! D’accord, d’accord, j’arrête, fit-elle en voyant son air soudainement de nouveau impassible. Tu dois savoir que j’aime ton père, même s’il s’agissait d’un mariage arrangé, en effet. J’ai tout de même pu le choisir, comme un jour tu auras le choix de ta future femme…
- Parmi la liste, appuya-t-il directement.
Marry attrapa sa main pour la serrer et lui offrir un regard des plus désolés.
- C’est quelque chose que nous savons depuis tout petit, et personnellement, j’ai grandi avec un garçon qui aurait pu devenir mon partenaire, mais il est mort. Et puis de toute façon, il aimait quelqu’un d’autre. C’est à partir de là que j’ai commencé à avoir des relations avec d’autres garçons, je m’en fichais de tout. Il ne me restait plus beaucoup d’années à profiter avant de t’avoir, alors je m’amusais. J’étais très populaire, fit-elle en balançant fièrement ses boucles blondes derrière son épaule.
- Est-ce étonnant ? s’en désespéra Alex.
- Est-ce que j’ai connu quelqu’un avant ton père ? Plusieurs, mais il y a bien eu quelqu’un d’un peu plus spécial. Parfois c’est avec les personnes qu’on s’y attend le moins que nous avons le plus en commun. Avec lui, tout était différent. Il y avait quelque chose de… transcendant, dit-elle en s’enfuyant dans ses pensées.
- Papa le savait ?
- Je l’ai quitté pour accomplir mon devoir et j’ai rencontré ton père par la suite.
- Alors vous étiez ensemble ? Tu l’aimais ? osa-t-il demander après un temps.
Elle observa son fils un instant, ses yeux semblaient brûler de curiosité, malgré la face stoïque qu’il gardait toujours. Pour ça, il avait tout hérité de William. Elle lui sourit en guise de réponse et passa une main dans la chevelure blonde qu’elle lui avait donnée.
- J’espère que tu tomberas amoureux directement d’une personne correspondant à nos attentes. Sois prudent avant de donner ton cœur, fit-elle en déposant un baiser sur sa joue.
Alex ne sut quoi répondre, il y avait matière à réfléchir. Il décida de remonter dans sa chambre après un essayage intensif, passant par les cuisines pour se prendre un fruit. Jordan, le réceptionniste écoutait la radio :
“ Pour le moment, aucune réaction de la part de la famille Ibiss…”
En repassant dans le couloir, sa mère, des plans sous le bras, l’arrêta quand ils se recroisèrent :
- C’est vrai, mon chéri ! Je ne t’ai pas dit, mais à propos du projet…
- Je ne t’ai pas encore félicité, d’ailleurs, se souvint-il. Je suis content que tu lances enfin cette collection…
- Merci, ça me touche, Alex, lui sourit-elle. Et donc, j’en profite pour te dire que la boutique principale s’établira dans le centre de Saint-Clair. Maman ne sera donc pas loin si tu as besoin, lui fit-elle en clin d’œil. Mais file, moi je vais travailler sur le projet !
Poussée par sa main, Alex remonta jusque dans sa chambre. La porte fermée derrière lui, il n’avait plus goût à reprendre ses activités précédentes. Sa mère à Saint-Clair, dans quelques mois, pour lui ça ne présageait rien de bon et il n'était pas le seul.
La nouvelle s’était rependue rapidement à travers les médias, les réseaux et de bouches à oreilles, jusqu’à celles de la famille Ibiss.
Appuyé à la rambarde d’un magnifique balcon qui donnait sur des jardins immenses, Chuck Ibiss goûtait un nouveau whisky sous le soleil couchant. La petite brise s’engouffrait dans sa chemise ouverte, tandis qu’il embrassait son verre de ses lèvres. Il s’était isolé, pour cacher le sourire qui y grimpait :
- Marry, ricana-t-il, toujours à empiéter sur mon territoire.
Doucement, il adressa son verre aux derniers rayons du soleil, trinquant, avant de le finir d’une traite.
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