Chapitre 30 : La bande du Lycée Gordon.
Capuchon sur la tête, Leroy enfouis ses mains gelées dans la poche centrale de son sweat oversize. Vêtu tout de noir, il longeait les murs tel un chat de gouttière cherchant refuge. Le temps devenant de plus en plus froid, Dossan avait insisté pour qu’il mette une couche supplémentaire. Il aurait dû.
Passant devant le parc à côté de son école, il fut bientôt réchauffé par la présence de deux silhouettes s’ajoutant à sa marche : un petit blond plein de bouclettes et une jeune fille aux longs cheveux rouges, typé asiatique.
- Yo ! lui dit le garçon en se blottissant à son bras.
- Fais trop froid, dit l’autre en faisant de même.
Benjamin et Chen s’avéraient être ses tout premiers amis, après Kimi. A priori, ils avaient beaucoup en commun, notamment le manque de vêtements sur leur dos. Groupés, ils pénétrèrent dans l’enceinte grise du lycée Gordon.
Leroy arrivait à peine à poser un pied devant l’autre avec ces deux zigotos accrochés de part et d’autre de ses bras. Comme tous les matins, il tirait la tête. Leur plus grande différence résidait dans le fait que ses deux meilleurs amis gardait toujours le sourire, même avec le froid fouettant leur joues.
Bientôt, ils rejoignirent Mike et Nadeije, les deux personnes qui formaient autrefois un trio avec Kimi. Poignées de mains, bisous, échange des commodités habituelles, ils avaient peu à dire. De la buée sortant de leur bouche, le plus âgé d’entre eux alluma une cigarette. Il y avait si peu de surveillance au sein de cette école qu’il ne prenait aucun risque d’être puni. Et puis faire tête aux professeurs, ils connaissaient tous. Voilà une des raisons principale qui avait valu à cet établissement un tel surnom : “I don’t Care” ou l’école des enfants malfamés. Il faisait tomber ces cendres au sol, le regard pointé sur le dernier étage du bâtiment.
- C’est bien triste depuis qu’elle n’est plus là, dit Mike.
- Grave on s’ennuie ! s’exclama le garçon aux boucles d’or.
- Tch, lâcha Leroy entre ses dents.
Il sembla qu’un air de nostalgie traversa les cinq personnes, bien que la colère se lisait sur le visage de celui qui était officiellement maintenant son frère.
La fille aux cheveux roses, Nadeije, pris une taffe sur la cigarette de son compatriote.
- Ça fait combien de temps qu’elle est chez les riches, maintenant ? se demanda-t-elle à elle-même en commençant à compter sur le bout de ses doigts. On est en décembre…
- Quatre mois, grogna Leroy.
- Fais pas ta tête de cochon, les chats sont mignons normalement ! s’exclama Chen en venant le décoiffer.
- Elle nous manque tous, tu sais. Tu devrais profiter du fait que tu peux l’avoir à la maison, hein petit-frère ? le taquina Mike.
- La ferme, rougit-il.
- Mais c’est vrai, n’oublie pas de la chérir, comme elle l’a fait avec toi… Vous êtes encore en froid ?
- Ça te regarde pas ! Et t’avais qu’à la chérir plus quand tu sortais avec elle…
- Petit fils d… T’en rates pas une ! l’attrapa-t-il par le cou.
Leroy laissa échappa des plaintes au poing de Mike qui se frottait contre son crâne. Râlant, il pestiférait des insultes.
- N’empêche, il ne serait pas temps qu’on fasse quelque chose ? demanda Nadeije plus comme une affirmation.
- Et passer le règne à Picsky ? Plutôt crever ! se rebuta Leroy.
Ces deux meilleurs amis acquiesçait fortement.
- Soit raisonnable, Kimi n’est plus là, Ulys non plus, tu veux que ce soit qui ? Sans ces deux-là, I don’t Care va sombrer…
- Je ne suis pas certaine que Tiger puisse faire quelque chose à ça, il est plutôt un mauvais incitant…
- La violence a toujours été présente, comme la drogue et les magouilles. Pour le moment, c’est le calme, mais si personne ne le laisse faire ce qu’il veut… Tout va partir en couilles, et c’est pas beau à voir…
- C’est plutôt bien dit ça, mon toutou !
Mike se retourna, surpris par la main qui tapotait sa tête. Tous les cinq regardèrent sévèrement le blond qui se cachait à moitié sous une capuche et soufflait sur ses doigts dépassant de ses mitaines.
- Picksy, tu viens d’où comme ça ? feula Leroy.
- J’ai ré ouvert le quatrième étage, vous voyez j’ai pensé que je pourrais peut-être enfin prendre la place qui me revient, dit-il en couvrant ses lèvres bleutées par le froid.
- Si tu crois que…
- Leroy, arrête, l’interrompt Mike.
- Bon chien ! Soyons logiques, je suis plus malin que vous tous réunis, mais je ne suis pas très fort, dit-il en montrant ses maigres bras. Je crois que c’est une raison suffisante pour me cacher sur le trône, non ?
- Il faut qu’on en parle avec les autres…
- Ah oui ! Je voulais vous dire quelque chose, fit-il en brandissant son doigt. Par pitié mes amis, agissez comme des adolescents normaux, on nous surveille, annonça-t-il en montrant l’entrée de ses yeux plus jaune que bleu.
De manière peu discrète les amis de Kimi se retournèrent férocement dans la direction qu’il indiquait. Ça ne surprit en aucun cas Picksy qui souriait vicieusement sous ses mitaines. Un appareil photo accrocher au cou, des cheveux blonds en pagaille sous un béret, ils parcoururent de haut en bas ce qui leur sembla être un journaliste ou un clown dans un pantalon à carreau rouge.
- C’est qui ce mec ? Pourquoi il prend des photos ? demanda Chen d’un air plus insouciant que ceux de ses amis.
- La taupe de Saint-Clair, un petit merdeux qui croit pouvoir obtenir des informations sur notre merveilleuse école et son intimité…
- Il sait ? stressa Nadeije.
- S’il savait quelque chose, il ne serait pas là à languir devant notre portail invisible à la place de traîner dans sa petite école de riches, pouffa-t-il.
D’un air grave, le groupe décida de suivre celui qu’il surnommait “Tiger” jusqu’à ce fameux quatrième étage.
***
Avec le froid de l’hiver s’engouffrant à chaque ouverture dans les couloirs de Saint-Clair, la période des examens de Noël s’annonçait. Dans de gros pulls ou enroulés dans des écharpes, les élèves qui avaient pris siège à la bibliothèque étudiaient comme si leur vie en dépendait. Une partie des Richess avait privatisé une des salles d’études pour enseigner aux deux plus trouble-fête de leur groupe. Pris entre deux feux, Loyd d’un côté, Laure de l’autre, Kimi avait le nez penché sur ses exercices de math. Elle envoyait parfois des signaux d’appel à l’aide, à Selim et Nice qui roucoulaient plus qu’ils ne révisaient.
Distraite, la jeune Ibiss la rappela à l’ordre d’un coup de feuilles roulées en un tube sur le crâne :
- Mais c’est trop dur, se plaint-elle.
- Ce n’est pas que c’est difficile, c’est simplement que tu n’as pas les bases ! s’écria-t-elle en voyant à nouveau une erreur de débutant sur sa faute.
- Ici, tu dois faire attention aux changements de signes…
Bien plus doux que la deuxième Richess, Loyd, troisième dans la hiérarchie lui répétait autant de fois qu’il fallait les règles mathématiques.
- Heureusement que tu as reçu une bourse, et que l’école est moins sévère, parce qu’autrement tu n’aurais jamais pu rentrer à Saint-Clair, fit-elle en la taquinant toujours de son rouleau.
- J’ai cru comprendre que c’est parce que Dossan connaît le directeur que j’ai été acceptée…
- Oh donc toi aussi tu es une favorisée, releva Sky d’un air moqueur.
Il n’avait rien dit depuis le début de leur séance d’études, son nez parfait plongé dans les bouquins. Lui qui pouvait être si frivole faisait craquer davantage les filles lorsqu’il gardait un visage sérieux. Maintenant qu’il avait mémorisé toute la matière de ses cours, ses expressions se déformaient face à la bêtise de Kimi. Si la blonde avait réussi à le nier, elle continuait d’inscrire des fautes dans ses calculs.
- Crétine, lâcha-t-il en se retenant de rire.
- Qu’est-ce que t’as dit, pauvre tâche ? répliqua-t-elle instantanément.
- Ne t’occupe pas de cet idiot, rit doucement Loyd en voyant la mine trahie de Sky.
- Je vois, tu as choisi ton camp, bouda-t-il.
- Ne recommencez pas et concentration ! s’énerva Laure en tapant sa main au milieu de la table.
Il y avait de quoi être sur les nerfs quand on devait supporter les petites disputes de Sky et Kimi à longueur de journée. Depuis l’échange, ils étaient passés “d’inconnu à qui je ne prends pas la peine d’adresser la parole” à une relation chien et chat. L’incident à la piscine avait montré à la blonde que le roi de Saint-Clair n’était pas aussi méchant qu’elle le pensait. Têtu et fier, mais finalement il était plutôt sympa. Il restait le garçon le plus piquant qu’elle n’avait jamais connu, même si Loyd avait de quoi faire concurrence. Derrière son visage angélique et ces grands yeux bleus rêveurs, le jeune Akitorishi possédait un humour tranchant. Kimi avait remarqué qu’il laissait apparaître ce côté de sa personnalité essentiellement en compagnie de Sky, comme si sa présence l’autorisait à se montrer davantage. Face à Laure, il restait à l’écoute et sérieux. Ils partageaient plus souvent des moments à discuter des réunions délégués qu’autre chose. Kimi n’osait jamais les déranger quand ils planifiaient les séances. La présidente tenait tellement bien son rôle qu’elle en devenait presque intimidante et Loyd l’accompagnait parfaitement dans sa mission. À eux deux, ils régnaient sur le conseil, sans pour autant faire de l’ombre au roi. Délégué ou non, quoi qu’il puisse dire, tout ce que Sky évoquerait serait pris en compte. Son grade de premier “Richess” dans la hiérarchie des sept familles suffisait pour qu’il soit sans cesse pousser au devant de la scène. Et même s’il n’en avait que faire de s’impliquer, Sky appréciait le fait d’être un symbole, alors même qu’il travaillait moins que ses congénères. Être puissant sans fournir le moindre effort et en être conscient, lui offrait la meilleure position dans cette école. Il était tel le lion somnolant dans sa grotte, attendant que ses sbires lui rapporte à manger. Non pas autoritaire, mais d’une présence tel qu’inconsciemment il dominait les autres animaux de la jungle. Laure s’avérait presque comme un égal, sa version féminine, bien que plus raide et intransigeante. Ça faisait longtemps qu’elle ne courrait plus pour le dépasser, tandis que Loyd n’avait jamais essayé.
Avec un peu de recul, Kimi observa le trio débattre d’un théorème. Ces derniers jours, dans le cadre des révisions, elle avait pris conscience de la position de ses amis. Elle se rendait compte des personnes réfléchis qu’ils étaient, de la supériorité qu’ils dégageaient et pourtant, elle aussi faisait partie de ce groupe tant adulé : “Les Richess”. L’image de ses potes du lycée Gordon, les souvenirs partagés avec ces derniers lui revinrent en tête. Finalement, elle avait quitté une bien drôle d’école et une bande d’amis bizarre pour rejoindre Saint-Clair et un groupe d’autant plus étrange.
Elle sortit de ses pensées quand Laure l’interpella, rangeant déjà petit à petit ses affaires :
- Comment se passaient les examens au lycée Gordon ?
- Les examens dans mon ancienne école ? pouffa-t-elle. Je peux te dire que c’était pas comme ici ! Et il n’y avait pas tant de pression pour réussir. Les profs étaient cools et aussi con que nous, donc ils nous donnaient souvent les questions à l’avance. Il est même arrivé qu’on prépare nos exams avec eux…
- Eh bien, drôle de manière de fonctionner, répondit Laure en levant les sourcils.
Elle qui adorait les études et les défis, ce système lui paraissait totalement étranger et bien trop simple.
- Ça explique tout, rit Sky.
- Mais ça suffit ! rétorqua Kimi en l’attaquant d’un bouquin.
- Voyons Sky, ce n’est pas sa faute, ajouta Loyd en se moquant gentiment.
- Et tu t’y mets aussi ! Très bien, je vous boude !
D’un pas rapide, Kimi faisait exprès de prendre de la distance pour sortir de la bibliothèque. De nombreux élèves s’offusquaient du bruit qu’émettaient les railles entre Sky et la blonde. Elle agrémenta une grimace, d’un doigt d’honneur, son geste préféré à l’égard de ce “mec trop imbu de lui-même”. Loyd gloussa en voyant son meilleur pote prendre la mouche, débutant une course effrénée derrière Kimi qui courrait un poil plus vite que lui. Pendant que les deux gamins jouaient bruyamment au loup dans les couloirs, Laure et Loyd attendirent le couple qui riait également de bon cœur.
En sortant du local, Nice et Selim prirent un chemin plus long pour rentrer à l’internat afin de se promener un peu plus longtemps main dans la main. Inséparables, ils profitaient de l’obscurité hivernale pour se couvrir de bisous en cachette. Nice semblait pourtant plus pressée que lui de retourner dans sa chambre. Impatiente, elle prit d’elle-même l’initiative d’arrêter les caresses. Ne sachant pas lire entre les lignes, Selim insistait pour passer un peu plus de temps ensemble.
- Tu ne veux pas qu’on saute le repas de ce soir et à la place on va se manger un popcorn au cinéma ? dit-il en se mordant légèrement les lèvres.
Il en voulait toujours plus, friand de passer chaque instant en sa compagnie. Nice lui rendit une mine contrariée.
- Tu n’as pas envie ? s’étonna-t-il avant de lui afficher une mine abattue.
- Ce n’est pas ça… mais je pensais étudier, alors…
- Étudier ? Mais on a fait que ça de l’après-midi !
Cette fois c’est un air coupable et pressé qu’elle afficha. Lâchant sa main, elle se replia sur elle-même.
- Je n’ai pas eu le temps de parcourir tout ce que je voulais, dit-elle difficilement.
- Mais non, tu as super bien travaillé aujourd’hui...
- Pas du tout ! Habituellement, je fais au moins le double de ce qu’on a fourni à deux !
Nice était comme ça. Toujours très calme, pour explosée quand quelque chose la fâchait. Elle ravisa sa colère en découvrant le visage triste de son bien-aimé. Selim venait de se rendre compte qu’il avait été un poids dans ses révisions, parce qu’il avait des difficultés. Lui aussi contrarié, il n’osa s’énerver.
- Je t’ai ralenti, je suis désolé…
- Mais non, je… Ça me fait plaisir de t’aider pour les examens ! J’aimerais juste étudier un peu plus, parce que…
Elle réfléchissait précautionneusement à quels mots employés.
- Pour moi, ce n’est pas suffisant... J’ai besoin de travailler plus…
- Tu bosses tous les jours, toute l’année, s’agaça-t-il enfin. Je le sais, parce que je t’ai toujours observé, tu as bien le droit de prendre une petite pause…
- Je ne peux pas !
- Bien sûr que si, s’offusqua-t-il. Moi aussi, je dois bosser plus que les autres élèves, mais…
- Pourtant, tu ne fais pas grand-chose…
Finalement, les mots lui échappèrent. Selim n’en revenait pas. Il serra les poings et se retint de lui répondre, car s’il disait quelque chose, il serait méchant.
- Je veux dire que…
- Je ne savais pas que tu pensais ça de moi, dit-il tout de même. C’est vrai que je ne suis pas très assidu et que je suis loin d’être aussi intelligent que toi…
Il n’eut le temps de finir sa phrase que des larmes se dessinaient dans les yeux de sa petite-amie. Elle serra sa sacoche et explosa à nouveau :
- Je ne suis pas intelligente ! s’écria-t-elle en tapant du pied.
- Tu rigoles, là ? s’interloqua-t-il.
- Tu ne comprends rien ! Mais… mais tu as raison, toi tu n’es qu’un imbécile !
Les traits serrés, laissant échapper une larme sur sa joue, Nice s’enfuit si rapidement que Selim n’eut le temps de réaliser qu’elle venait de le laisser en plan. Penaud, il s’accroupit pour extérioriser un long râle tout en relevant ses cheveux noirs en arrière. Alors que le couple le plus mignon de Saint-Clair venait d’avoir leur première dispute, Selim rougit en repensant à sa bouille énervée. Il devait être masochiste pour la trouver encore plus adorable. Inquiet malgré tout, il décida de se réfugier auprès de la personne la moins bien placée pour donner son avis sur une brouille entre amoureux.
Alex lui ouvrit la porte sur son trente-et-un, vêtu d’une des chemises que sa mère lui avait offert : la noire avec les imprimés zébrés de la même couleur. Élégant et sexy, ses cheveux dorés légèrement coiffés en arrière, il ne ressemblait en rien à un ado de quinze ans. Selim le dévisagea, d’abord surpris, puis sourit fièrement.
- Tu sors ce soir ?
- Ça se voit non ? répondit-il en s’appuyant au chambrant de la porte, comme pour cacher une légère gêne.
- En plein milieu des révisions ? rit-il en repensant à sa dispute avec Nice. Ça cache quelque chose, tu as un plan ?
- Ouais… plus ou moins… Tu m’accompagnes ? demanda-t-il en voyant que Selim ne décampait pas.
- Si on se fait une bouffe, yes ! J’ai deux trois trucs à te raconter...
S’invitant dans la chambre de son pote, il eut vite fait de se mettre torse-nu pour piquer une chemise sympa dans la garde-robe d'Alex, pendant que celui-ci enfilait son cuir. Il n’y avait aucun doute qu’il en ferait tomber plus d’unes.
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