Chapitre 37 : Bagarre de châtons.
En cette période de fêtes, Dossan se sentait comme l’homme le plus heureux de la terre, ou presque. Les examens de Kimi avait été une réussite. Malgré ses lacunes accumulées au lycée Gordon, elle avait évité, parfois de justesse, de récolter ne serait-ce qu’un échec. Lorsqu’il creusa pour savoir si elle avait reçu de l’aide, Kimi ne voulut pas cracher le morceau. Elle était définitivement trop discrète à propos de ses relations, mais il savait au moins que Sky faisait partie de ses connaissances et que Laure Ibiss lui désignait des petits coucous à l’occasion en tant que “pure camarade de classe”. Sans oublier le fait qu’elle avait parlé d’Alex Stein et de sa maman d’une manière très familière.
Un peu de rouge, juste à peine, avait décoré le bulletin de Leroy. Mais Dossan passa au-dessus, pensant qu’ils trouveraient une solution ensemble en tant voulu. Tout ce qui l’importait était d’avoir ces deux enfants à la maison pour Noël et la nouvelle année. L’une de ses plus grandes craintes avait été de ne pas pouvoir avoir Leroy à ses côtés durant les fêtes. La procédure d’adoption lui avait semblé infinie, mais il avait enfin pris le pas dessus. Restait que les tensions entre Kimi et Leroy persistaient. Si la première fournissait des efforts, le deuxième se cachait sans cesse dans sa nouvelle chambre.
Dès lors que les vacances d’hiver commencèrent, Dossan avait tout tenté pour les rapprocher. Il en vint à la conclusion qu’il valait mieux les laissés se rabibocher d’eux-mêmes. À la manière dont Laure pensa que décorer leur salle de classe pouvait réunir le groupe, il s’amusa de les voir confectionner le sapin dans une ambiance passive-agressive. Les guirlandes, les boules de Noël, le chocolat chaud préparé avec amour et les cadeaux sous le grand arbre, qu’ils durent caser tant bien que mal dans le salon, améliora l’atmosphère.
Son travail d'écrivain lui permettait de flâner à la maison et de profiter d’être en famille. Il fut bien surpris un jour en rentrant des courses de les voir entamer timidement une partie de jeu dans le salon. Non pas seulement avec Kimi, son dernier chaton commençait à prendre ses aises après presque deux mois de cohabitation. Ce n’est pas qu’il faisait preuve de politesse ou d’une réserve extraordinaire, mais plutôt d’un manque de confiance totale. Tel un chat sauvage, il lui fallut du temps pour s’adapter à son nouvel environnement et davantage depuis qu’il avait entamé un conflit avec sa sœur adoptive.
Alors que les tensions s’apaisaient, la machine se mit à nouveau en route lorsque Kimi demanda l’autorisation d’organiser une fête. Dossan s’étonna beaucoup de cette proposition, mais fut heureux qu’elle ait des amis assez proches pour qu’elle ait envie de les inviter à la maison. Il était curieux aussi, sentant qu’elle n’était pas claire dans ces explications :
- J’avais pensé le vingt-huit, c’est pile-poil entre Noël et le nouvel an…
- Pourquoi vous ne fêtez pas le nouvel an tous ensemble, ce serait plus simple, non ?
- Ah, ça n’arrange pas tout le monde, en fait, répondit-elle rapidement. Et puis on le fête ensemble, non ? joua-t-elle alors sur la corde sensible. Même si je pense qu’on se regroupera plus tard au soir avec le groupe d’I don’t Care. Tu serais d’accord ?
- Tu sais bien qu’il n’y a pas de souci pour moi, répondit-il d’une voix chaleureuse en venant l’entourer de son bras.
Kimi ne refusa qu’à moitié son étreinte. Il pensa qu’elle aussi s’était améliorée. À une époque, tout comme Leroy, elle l’aurait repoussée avec violence. En termes d’affection, il s’étonnait même de l’amour qu’il pouvait lui donner en cachette. ces souvent quand ils se retrouvaient uniquement tous les deux qu’il était le plus démonstratif. Il en allait de même avec Kimi. En fait, il n’aimait tout simplement pas la sensation d’être observé.
Dans un premier temps, il ne dit rien à cette nouvelle, jusqu’à ce que Dossan fasse le point. Dans la précipitation, il avait dit oui, sans prendre en compte les sentiments de Leroy. Peut-être avait-il peur de se retrouver face à tant de nouvelles personnes ? Il se sentirait même peut-être vulnérable ou délaisser.
- Vous serez huit, c’est ça ? relança-t-il durant un souper.
- Euh, oui, c’est ça, répondit Kimi.
- C’est pour la nourriture que je demande…
- Oh, tout le monde apporte quelque chose…
- Vraiment ? C’est gentil, s’étonna-t-il que des ados de quinze ans pense à être si courtois, ou peut-être s’agissait-il de leurs parents. Tu mangeras ici, Leroy ? Je peux éventuellement vous laisser la maison, qu’est-ce que tu en penses ?
- C’est comme tu veux, fit-elle, gênée à l’idée de le chasser de sa propre maison.
- Et toi, tu veux rester alors ? insista-t-il auprès de Leroy.
- J’en sais rien. Est-ce que j’ai vraiment le choix de toute façon ? demanda-t-il d’un ton coupé. J’ai pas vraiment l’impression qu’elle ait envie de me montrer à ses amis…
- Quoi ? Pas du tout ! Je n’ai jamais dit ça !
- Ah ouais ? Et pourquoi tu ne leur avais jamais parlé de moi ?
Mais de quoi est-ce qu’il parlait ? Comment pouvait-il penser ça ? C’est vrai qu’elle ne leur en avait pas parlé, jusqu’à… Kyle. Elle ne voulut pas y croire.
- Tu as rencontré Kyle ?
- Possible…
- Quand ça ? Leroy ! Dis-moi ? Comment ça se fait que tu le connaisses ?
- Il y a plein de manières de contacter les gens de nos jours, persifla-t-il.
- Qui est ce Kyle ? intervint Dossan dont les yeux se mouvaient de l’un à l’autre.
- Personne, répondirent-ils en même temps.
- Je n’ai pas l’impression que ce soit…
- J’ai dit que c’était personne !
Dossan préféra les laisser se disputer et débarrassa la table par simple précaution. Il préférait éviter une volée d’assiettes ou de couverts.
- Tu ne dois pas parler à ce gars, il est toxique !
- Et il avait tort peut-être ? Tu leur a dit pour moi ?
- Non, mais…
- Tu vois que tu as honte de moi !
- C’est faux ! Je voulais simplement te protéger !
- Me protéger, vraiment ?! Qu’est-ce qui est dangereux de le faire de dire à tes soi-disant amis que tu as un frère adoptif ? C’est si difficile que ça ?! La vérité c’est que tu as trop honte du milieu dont où vient !
- Jamais de la vie ! Je n’ai rien dit parce que ce mec est une fouine ! Il fouille dans la vie de toutes les personnes qu’ils croisent…
- Bien sur, et en quoi il serait intéressé par ta petite vie ?!
- Parce que je suis la bizarre de l’école ! Je viens d’une école qu’ils considèrent pourrie, qui pour eux à une réputation de merde ! Alors il s’intéresse à moi, à ma vie, il voit que ça ne me plait pas, alors il va vers toi et bientôt…
- C’est bien ce que je dis ! Ce n’est pas pour me protéger que tu n’as rien dit, c’est juste pour ton propre intérêt ! Tu ne penses qu’à toi et tu te caches dans un rôle auprès de personnes qui ne peuvent même pas comprendre un quart de ce que tu as vécu, alors que nous on a toujours été là !
- Ce sont mes amis, et pas seulement des personnes que j’utilise, d’accord ? Et non, j’ai toujours été là, pas vous, rétorqua-t-elle d’un ton très sec.
- La seule chose qui t’inquiète c’est qu’on découvre ton passé…
- Retire-ça !
- Sinon quoi ?
Le long silence qui pesait alors ne plut pas à Dossan. Il se retourna directement. Kimi et Leroy se faisaient face prêt à se sauter dessus. Tout n’était qu’une question de temps. Quand ils se poussèrent l’un l’autre, il éleva immédiatement la voix, ce qui eut pour effet de les paralyser sur place. Dossan ne s’énervait jamais. Il préférait que les conflits éclatent pour ne pas rester sur des non-dits, mais ne tolérait aucunement la violence.
- Pas de ça dans cette maison, gronda-t-il d'une telle présence que ces deux enfants baissèrent tout de suite le regard.
Il s’apaisa légèrement en voyant Kimi hocher de la tête dont la colère redescendait. Ce n’était pas le cas de Leroy qui la bouscula dans sa fuite jusqu’à sa chambre. Dossan s’appuya contre le bar et baissa les yeux. Il détestait hausser le ton.
- Je suis désolée, lança Kimi timidement.
- J’aimerais que vous calmiez vos ardeurs, dit-il après un temps. Je sais qu’avec deux ados à la maison je risquais d’avoir des conflits, mais il est temps que vous vous réconciliez pour de bon.
- Mais il ne m’écoute pas…
- Discute avec lui une bonne fois pour toutes... Soie honnête et… C’est toi qui l’a rencontré en première, tu devrais savoir comment t’y prendre, non ? Tu le cernes mieux que moi, alors fonce, et pas de bagarre, je t’en prie, la supplia-t-il d’un regard qui lui fendit le cœur.
Elle hésita quand même à le rejoindre tout de suite. Elle avait peur qu’il la rejette, mais elle le connaissait bien. C’est dans la colère qu’il laisserait sa tristesse prendre le dessus, pour enfin être plus honnête avec lui-même. Le fait que sa porte ne soit pas fermée la convainquit qu’il lui laissait la voie libre. Elle le découvrit en boule, recouvert de sa couverture. Lorsqu’elle la souleva légèrement, il lui lança une mimique égale à celle d’un chat feulant. Il lui agrippa le bras quan elle lui tendit et y enfonça ses ongles.
- Laisse-moi entrer, cat…
Des larmes vinrent se loger dans ses yeux exorbités, tandis qu’elle prenait le risque de rentrer dans son antre. Sous la chaleur étouffante, Kimi tenta de l’étreindre. Il ne lui fallut qu’un contact pour qu’il s’accroche fermement à elle. Enfin des pleurs firent surface, redevenant l’ado qu’il était.
- Je suis là… Je serais toujours là, lui chuchota-t-elle. Je m’en fiche de savoir pourquoi tu parlais avec Kyle et je m’en fiche que tu penses que j’ai honte de toi. Tu es mon frère, mon chat, je ne t’abandonnerai pas, jamais. Même si j’ai d’autres amis, même par la suite quand on sera adultes...Je suis là, répéta-t-elle de nombreuses fois.
Il la serrait plus fort. Kimi savait qu’il s’agissait de sa manière de s’excuser. Il n’en dirait pas plus, comme toujours et il fallait faire avec ou sans. Mais elle tiendrait sa promesse de leur première rencontre : lui tenir la main.
Annotations
Versions