Des rencontres sans intérêts - Capucine
Une mystérieuse application se retrouvait au centre de toutes les attentions au sein de la gent féminine de l’université. Son nom ? Suitors Ball. Qui ne rêverait pas d’incarner Cendrillon à la recherche du prince charmant entre deux “shots” de téquila ? Une fervente s'écria même qu'Aphrodite elle-même avait chuchoté l’idée à l’oreille d’un de ses créateurs, rien que ça ! Les moult promesses de trouver chaussure à son petit pied, parmi les innombrables prétendants, tous aussi séduisants les uns que les autres. Sans oublier, vivre une aventure inoubliable lors de tête-à-tête nocturne. Tout ça me laissait bien songeuse !
La nuit ne tardait pas à prendre place, devant un soleil battant en retraite sans même chercher à se défendre. Son abandon si soudain provoquait en moi un certain émoi. L’idée d’être seule pendant ces longues journées d’été m'horrifiait énormément . Par la force des choses, il était devenu mon seul ami. Loin d’être avare de compliments à mon égard, réchauffant ainsi un petit bout de mon coeur en perdition. Même s’il faut avouer qu’il pouvait être lourd avec ses insolations, mais je me disais que c’était sa façon d’aimer.
Quand la solitude eut atteint son paroxysme, la tentation s'immisçait en moi, soufflant sur les braises de l’obsession. Toute résistance était vaine face à mes désirs emplis de malice, donc je me résolus à télécharger ce fameux remède miracle. J’avais gardé les rares photos où je n’étais pas trop laide, et je pris même la peine d’ajouter une description somme toute, un peu burlesque, mais décrivant bien ma situation : “Princesse retenue prisonnière par cette odieuse solitude… Cherche d’urgence un beau prince charmant pour me délivrer”. Puis je partis me coucher en regardant quelques profils insipides, incapable de retenir mon attention d’une fatigue grandissante… Peut-être que demain, la pêche serait plus fructueuse !
À mon réveil, un intendant à la chevelure grisonnante m’avait été dépêché. Il s’appelait James, et ne savait plus où donner de la tête. Le pauvre était débordé par l’afflux massif de demandes venant des villes avoisinantes… Madame, disait-il, plus de cinq-cents damoiseaux courtisent votre coeur, et ce n’est que le début ! Je reçois des dizaines de demandes chaque heure !
L’embarras du choix s’offrait à ma petite personne. Auparavant, je n’aurais jamais cru que ma description aurait pu susciter autant d'intérêt. James me conseillait vivement d’élaborer un profil type pour sélectionner uniquement les meilleurs profils. Hum… Si on disait… de grande taille pour compenser la mienne… la trentaine, pour ne pas tomber sur quelqu’un d’immature… un peu aventurier sur les bords, pour écouter d'innombrables récits de voyage au bout du monde… Un peu romantique, pour vivre dans la peau d'une Vénitienne et incarner ma chimère préférée… Pour compléter le tout, un peu exubérant, pour mon amour des personnages hauts en couleur.
Trois grandes catégories se dégageaient sur la plateforme. La première était les pervers, participant au concours de celui qui a la plus grosse, ils adoraient envoyer des photos de leur entrejambe à celles ayant eu le malheur de discuter avec eux. La seconde était les romantiques possessifs (communément appelés “chiens daleux”), ça concerne une bonne majorité, ils sont prêts à tous les sacrifices pour avoir, ne serait-ce, qu’un message de ta part. Je n'imagine même pas ce que ça doit être pour un rencard !
La dernière était celle des élus, adorait par toutes damoiselles possédant un esprit raffiné. Ils cumulaient en eux tellement de qualités, qu’il devenait fort difficile d’en tenir la comptabilité. Malheureusement, dans le lot de gendres parfaits se cachaient aussi des bourreaux des cœurs aimant duper les candides, mais aussi des psychopathes à la recherche d’une nouvelle proie à manipuler jusqu’à ce que la folie eut raison d’elle.
Deux rencontres venaient d’être rondement diligentées par James. Celui-ci n'appréciait guère me voir me morfondre dans mon lit. Le premier se déclarait être un aventurier en herbe, voguant au gré du vent et des pérégrinations. Il lui arrivait même d’écrire à ses heures perdues, narrant à qui voulait l’entendre ses exploits hors du commun.
L’autre jouait la comédie à merveille, ayant fait ses armes au cours Florent, il avait déjà décroché plusieurs seconds rôles au cinéma. On pourrait même dire qu’il avait acquis une certaine notoriété. Il avait le don des beaux mots, et savait manier la langue de Molière comme nul autre.
Un homme sapait comme un sapeur-pompier, avec sa barbe imposante taillée en dégradé, et son torse bombé, se pavanait fièrement le cigare au bec. Il s’avançait d’un pas décidé en ma direction, et s’arrêta net, seulement à quelques enjambées du bar. Nous nous échangions quelques regards, et mots de salutation, comme la convenance l’exigeait avant de rentrer. À l’entrée, les hôtesses donnaient des doudounes et des gants aux invités… étrange pour une journée d’été où le soleil culminait à 33°C !
Quand nous descendions les escaliers, la température chutait drastiquement jusqu’à atteindre son pic dans la salle à manger où un froid glacial traversait mes entrailles. On venait de se téléporter en plein milieu de la banquise. Le serveur nous indiquait la température : “-20°C”, devant le regard amusé de mon acolyte.
“Alors n’est-ce pas unique ? J’ai l’impression de revivre mon ascension de l'Everest !"
“Oui, pour être unique, ça l’ai !”, disais-je en grelotant, c’est la première fois que j’avais aussi froid.
“Si tu veux, je serais ravi de te réchauffer… J’ai très chaud en ce moment, si tu vois ce que je veux dire.”
Je ne sais pas s’il se moquait de moi où si c’était un habitué de drague lourde. En tout cas, pour un inconnu, il était très entreprenant, c’est le moins qu’on puisse dire !
“T’ai-je raconté mes grandes chevauchées du désert ? Je trouve ça fascinant de cambrer un cheval devant ses dunes aux courbes voluptueuses. Une telle volonté de puissance se dégage de nous, qu’il nous serait aisé de conquérir quelques lointaines contrées.”, ne sachant pas quoi répondre à ce monologue, je le laissais continuer...
“Certes, à enfourcher ainsi sa monture, il y a de la réticence, surtout au début, mais la vigueur d’un cavalier accompli tel que moi y met fin rapidement avec brio. C’est ce qu’on appelle l’expérience.”
Ses mains jouxtant dangereusement les miennes firent naitre en moi une peur si grande que mon corps se figea dans le marbre. Je ne savais plus ni quoi dire ni quoi faire. C’est à ce moment que James simula un appel de l'hôpital m’informant que ma mère avait eu un accident, et que je devais m’y rendre au plus vite. J’étais heureuse de pouvoir quitter ce rendez-vous qui ressemblait de plus en plus à une torture qu’à une partie de plaisir.
Mon autre rencontre était prévue le lendemain. J’espérais au fond de moi que je n’allais pas tomber sur un autre détraqué. Malheureusement, je n’allais pas être déçue …
Il avait déjà une heure de retard, et ne savait visiblement pas répondre au téléphone. Quand je me décidais à partir, un homme au look BCBG, la fleur à la main, venait de s'assoir en face de moi. C’était lui, me disais-je vociférant à l'image d'une furie ! Il me remercia de l’avoir attendu, comme si j’avais eu le choix de poireauter là ! Puis avec habileté, il esquiva toute critique à son encontre par une gentillesse calculée.
Sans m’en rendre, compte, la partie d'échecs avait déjà commencé. Mon adversaire maniait à la perfection, l’art de la manipulation, usant de flatteries envers l’égo de son ennemi pour mieux en tirer parti. Il considérait que les convenances étaient des choses futiles, tout juste bonnes à être vendues au marché des vertus. Tout ce que mon éducation m’interdisait pour ne pas paraitre grossière, et d’une famille plus que douteuse.
Il tissait une toile d’araignée autour de ma personne, chaque question correspondait à un fil de soie relié harmonieusement aux autres. Tout était scruté à la loupe, ma famille adorable, ma passion dévorante pour les livres, mon envie de voyage, ma rentrée laborieuse… Rien ne devait être laissé au hasard, il lui serait dommage de ne pas me piéger dans ses filets.
Quand je cherchais à riposter en m’intéressant à lui, tout devenait flou, une famille plus de ce monde, un métier des plus banales, une vie sentimentale au point mort, sans passion dans la vie… Il alla même jusqu’à m’avouer qu’il était un grand timide au pucelage d’un blanc immaculé. Je savais qu’il cherchait à me berner pour que sa victoire soit totale, balayant d’un revers de la main, toutes questions à son endroit.
Plus le temps s’écoulait, plus je pris peur devant le visage de façade qu’il arborait. Il ne laissait transparaitre aucune émotion sincère, tout était calculé au millimètre près. Qui se cachait derrière son visage d’ange ? Un don Juan cherchant à assouvir ses vils désirs ou un psychopathe dissimulant des cadavres ambulants dans ses placards ?
L’abandon pour seule solution à la vue d’une impasse. Loin de l’idéal Coubertin, je n’avais plus la force de me battre contre l’héritier légitime de Machiavel. L’élève dépassant même le maitre. Je m’évadais de cette prison de soie par une pirouette que je connaissais que trop bien. L’excuse d’un membre de sa famille hospitalisé était la meilleure qui puisse être. De toute façon, qui allait vérifier si cela est vrai ?
Le drapeau en berne flottait au-dessus de ma triste bouille. Mon moral risquait d’avoir un peu de mal à se remettre de cette débandade. La sélection draconienne avait échoué lamentablement ! Et si maintenant, je laissais la destinée guider mes pas ? Qui n’aimerait pas partir à l’inconnu sans apriori, laissant la chance de découvrir les autres à partir d’une page blanche. Seul critère, avoir un minimum d’instruction, ce qui n’est pas un luxe quand on aime les débats enflammés.
Malheureusement, la plupart des discussions se révélaient être d’une banalité affligeante, comme si je jouais à une démo possédant qu’une seule pièce de théâtre avec un unique rôle ! Je ne daignais même plus répondre aux sollicitations, le dédain en poche. Ce qui conduisait des courtisans éconduits à me maudire jusqu’à la fin de mes jours, furieux d’être rejetés de la sorte. Une humiliation pour tout honnête homme !
Il m’arrivait de recevoir des photos de chibres en message privé, pourtant, aussi étrange que cela paraisse, elles étaient rarement élogieuses pour l’expéditeur. Une façon pour eux de questionner le sexe opposé pour connaitre l’homologation de son engin. Passeraient-ils le contrôle technique grâce à l’approbation féminine ou seraient-ils voués à une misère sexuelle hégémonique ? Une histoire des plus sordides quand on y réfléchit bien ! Comment peut-on résumer l’amour à une vulgaire histoire de taille ? On aurait dit que le jeu de séduction et la magie de l’acte étaient devenus des reliques d’un passé lointain.
Je ne sais pas si c’est par dépit ou ennui, mais quand le courant passait bien, j’acceptais bien docilement un rendez-vous. À chaque fois, la note était réglée à l’avance, et au moment de partir, il me proposait de le raccompagner chez lui… J’acceptais au début, par naïveté, et aussi parce que je me sentais redevable, mais je compris vite l’entourloupe.
Comme la fois où quelqu’un me proposait gentiment de me montrer sa collection de livres anciens. Ce brave homme se donnait à coeur joie pour me peloter intégralement, dans l'attente tacite que je m’offre à lui, remboursant la dette contractée auprès de lui en nature . Heureusement, James était rarement avare de prétextes pour me sortir de mes mauvais pas.
Ma personnalité n'intéressait pas les badauds, préférant me transformer en un objet de fantasme, une poupée de cire que l’on voulait posséder pour la montrer à ses comparses. Juste bonne à servir d’exutoire aux névroses du quotidien.
Une lueur d’espoir subsistait chez plusieurs poètes oubliés de la société. Les seuls à se réjouir à l’avance de nos futurs échanges, et à s'intéresser au monde l’esprit. Je ne comptais pas les heures perdues en leur compagnie, ils me fascinaient par leurs immenses connaissances, tout en étant d’une grande modestie. Au moment fatidique de la première rencontre, il n’y avait pas cette flamme amoureuse capable de me faire vaciller comme une danseuse étoile au beau milieu du ballet de Saint-Pétersbourg. Seulement une amitié sincère, qui malgré sa rareté, me laissait sur ma faim. Au fond de moi, je fantasmais sur un amour si puissant que rien au monde ne pourrait l’ébranler.
Peut-être que rien ne peut remplacer l’instant présent, où l’ambiguïté entre deux êtres dans un jeu tacite de séduction peut faire naitre par magie, un amour authentique et sans frontières. Sans cela, peut-être sommes-nous condamnés à vivre des relations d’interdépendances, où on est plus obnubilé par les intérêts de sa petite personne que par une complicité sans faille avec un partenaire de vie !
Annotations
Versions