Sauvée de la main d’un Paladin - Capucine

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Un message privé galvanisait un moral abattu par de trop nombreuses déconvenues. Il provenait de ma proche amie Jade, qui venait tout juste de revenir d’une année d’étude en Australie. Pour moi, cela faisait une éternité que je ne l’avais pas revue. Alors, quand cette dernière me proposa une soirée à Opéra, je n’ai pas su dire non !

Elle narrait chacune de ses aventures avec un entrain des plus inhabituels, ses coups de cœur, ses emmerdes, mais aussi ses moments de liesses, rien ne m’a été omis. Elle voulait lever le voile sur ses secrets pour le marquer du sceau de l’amitié.

Le temps filait à la vitesse de la lumière, si bien que je n’avais pas remarqué que minuit venait de passer. Mon imprudence allait m’être payée en pièces sonnantes et trébuchantes ! Qui ne sait pas. Ô combien. Les rues sont dangereuses la nuit, surtout pour une jouvencelle sans défense.

Paris, ma chère et tendre ville, dont les lumières ont laissé la place à l’obscurité la plus totale. Son visage ténébreux et impitoyable ne m’était guère familier. Les sifflets sifflants, au gré de mes déplacements incessants, annonçaient déjà la couleur d’un parcours du combattant.

Je pouvais déjà entendre les premiers cris de ralliements d’une horde de barbares : "Hé Mademoiselle, t’es v'là bonne, t’aurais pas un 06 par hasard ?”. Ce qui m'obligeait à user de stratagèmes des plus couards, comme faire la moue ou simuler un appel téléphonique. Quand la tromperie fut révélée au grand jour, une pluie d’insultes s’abattait sur moi sans qu'il me fût possible de l’éviter.

Il n’y avait qu’une seule issue. Une bouche ouvrant sur un monde souterrain, que je ne connaissais que trop bien. Je ressentais que le pire était encore devant moi. Les cavités de ce lieu de perdition creusées à même le sol nous éloignaient encore plus de la lumière.

À peine rentré à l’intérieur, une petite voix me chuchota à l’oreille de me fondre dans la masse à l’image d’une petite fourmi allant d’un point A à un point B sans jamais s’arrêter, au péril de se faire agresser. Rares étaient les imprudents à déroger à cette règle. Tout le monde suivait frénétiquement cette marche forcée d’un pas empressé.

Après de longues minutes à descendre l’escalier, sans commettre la moindre faute d’inattention. J’aperçus la rame de métro à l’horizon, mais le répit fut de courte de durée, quand je sentis des regards carnassiers se poser sur ma carcasse défraîchie. À cet instant, je savais que l’erreur n’était plus permise, car les prédateurs rôdaient autour de ma personne.

Je laissais échapper un léger soupir de soulagement, quand la face de ce vieil ami pointait le beau de son nez. Malgré son air morne, je savais que je pouvais toujours compter sur lui. Ni une, ni deux, je pris le premier wagon sur lequel mes yeux s’étaient posés. Il était bondé de monde, ce qui eut l’effet d’apaiser un esprit trop inquiet pour rechercher une forme de sérénité.

Dans une époque lointaine, la canaille n’aurait jamais osé faire ses petites affaires en public. La peur suscitée par les représailles d’une chevalerie intransigeante sur le respect de la loi en aurait fait paniquer plus d’un ! Maintenant, les hommes se sont mués en lâches, sans idéal, s'accommodant bien du nihilisme ambiant.

On a fait de l'individu le nouveau roi du monde. Rien ne saurait exister en dehors de lui. Il voit le collectif comme un moyen d’arriver à ses fins. Bienveillant, si celui-ci le sert. Néfaste, si celui-ci le dessert. Le machiavélisme, le narcissisme et la psychopathie sont autant d’armes qu’il abuse pour s’imposer sur autrui !

Les stations défilaient, et le nombre de passagers se réduisait comme peau de chagrin. Bientôt, seules quelques ombres inanimées resteraient encore au tableau.

Ils étaient deux, les tronches amochées, me scrutant de long en large. On aurait dit que j’étais devenu un produit de consommation. Je me demandais bien ce qu’ils tramaient. J’allais bientôt avoir ma réponse !

Des rires sardoniques résonnaient dans mes oreilles apeurées. La chasse venait de s'ouvrir et j'allais en être la cible. Une silhouette menaçante s’approchait vers moi, sans qu’il m’ait été possible de me fourrer dans un trou de souris. Ma mine déconfite ne laissait guère place au doute… Une proie prise au piège, voilà, ce que j’étais !

Mon éventuelle libération ressemblait plus à un mirage qu'à une suite logique, et ça, mon angoisse le savait bien ! Il n’y a que dans les films où un inconnu part in extremis à notre rescousse, avec un heureux dénouement.

Quelques secondes plus tard, des griffes avilissantes agrippaient mes frêles hanches. Je pouvais sentir son haleine de poisson m'empester. Désormais, je serais son nouveau jouet. Il allait m’user jusqu'à ce qu’il en ait marre de moi, tel un enfant pourri gâté.

Ne comptant pas s’interrompre en si bon chemin. Il tâtait ma poitrine, voulant apprécier la maturité de ce fruit défendu. Je protestais en vain devant ce sacrilège, voyant ma condition bafouée par ce malotru :

  • Hé ma mignonne… Ne joue pas à la sainte avec moi ! Je sais comment vous êtes ! Des dévergondés ! Bon… C'est pas très mûr tout ça … mais ça devrait le faire.

Il me dévisageait longtemps avec son comparse, réfléchissant à la meilleure manière de procéder. Mon vieil ami se stoppait net, pour que des personnes entrent, et que d’autres ressortent. Les témoins de la scène préféraient changer immédiatement de wagon. Faire profil bas, c’est ce qu’on leur a appris toute leur vie !

Mes appels à l'aide se retrouvaient lettre morte. La civilisation souhaitant mettre les problèmes sous le tapis, plus facile, pour ne pas les traiter. Considérant, au passage, que rien n’est de sa responsabilité. Qu’un autre que soit prendra le risque à sa place ! Le courage est bien trop surcoté de nos jours.

Ma nudité exposée au grand public sans faire l’objet de la moindre récrimination était bien trop rare pour ne pas être soulignée. Je savais que mon sort était déjà plié, et que tous mes biens allaient m’être réquisitionnés. Je reçus même un violent coup sur la tête, qui me fit perdre connaissance plusieurs secondes. Juste le temps de réaliser qu'il se frottait sur moi, avec les compliments de son complice.

  • Hum… Rien de mieux qu’une lolita… Ça va être le pied… mon petit pierrot !

La pudeur s’envole si vite de nos jours…

  • Hum… Tu vas brailler, hurler comme jamais auparavant… Ça va te changer de tes hommes soja… Nous, on ne fait pas dans la délicatesse ! On tape, on démonte, on souille !

Mes prières n’avaient pas l’air d’exaucer mon vœu de liberté. Le destin me conduira-t-il dans une prison sans fenêtre sur le monde, avec pour seul compagnon de cellule une souffrance amère ?

Puis, survint de nulle part, un grand gaillard, dont le corps sculpté dans la roche dénotait une certaine habileté à faire travailler ses muscles saillants. Avais-je affaire à un centurion de la légion romaine parti en campagne militaire ?

Ses yeux rouges signifiaient qu’il s’était très certainement enivré de vin ou autres alcools de bonne facture. Il m’aurait étonné qu’il soit du genre à boire du tord-boyaux. Tout en lui imposait le respect. Sa droiture, ses habits sans plis, sa carrure imposante.

Voyant, les deux loustics m’outrageaient de la sorte, une rage de lion naquit chez lui dans l’unique but de réparer cette odieuse injustice. Le mot d’ordre était : “La bagarre ou la capitulation sans condition.”.

  • Je vous donne deux secondes pour vous barrer, sinon je vous fracasse la gueule !
  • Oh ! tu as vu ça ? disait le bourreau à son complice en riant allégrement. Monsieur veut se la jouer prince charmant… Bon, écoute-moi petit, je vais t’expliquer comment ça va se passer ! On est deux… Hein… En plus, on est champion de boxe Thai… Hein… Donc, retourne dans les jupons de ta mère !

Il était là… en face de moi… ce démon, dont j’avais tant entendu parler. Pouvant être facilement reconnaissable avec ses neuf queues, et son apparence de renard. Sa ruse n’avait pas d’égal dans ce bas monde, et sa cruauté était crainte de tous.

  • Elle est morte… Et vous irez bientôt la rejoindre !

Il dégaina ses poings d'aciers tels des épées flamboyantes tournoyant dans le ciel. Il enchaîna les coups féroces sur l’acolyte du meneur, qui se recroquevilla sur lui-même pour abandonner le combat. Jusqu’au moment où il décida d’asséner son coup final : Le coup d'tête, balayette, manchette. Sa pauvre victime gisait au sol, inconsciente, dans l’attente de soins intensifs.

Le regard ahuri de mon agresseur m’a permis de lui mettre un coup en plein dans les rossignols. La boule au ventre. Je courais vers l’arrière du wagon, la peur de me faire rattraper. Dieu seul sait ce qu'il aurait été capable de me faire.

Il était devenu pâle et hésitant. La bête cherchait la moindre faille chez son ennemi, n’avait peur de personne, et son expérience avait aiguisé sa patience. Il ne lui échapperait pas avec une pirouette.

  • Je vais te mettre au trou… Tu sais ce que c’est ? Hein… D’être enfermé sans rien n’avoir à faire !

Loin de dissuader la bête dans son entreprise de destruction, ça eut l’effet de décupler ses forces. Elle prenait un malin plaisir à voir souffrir ses victimes, considérant à l’occasion que la rédemption ne peut être que le fruit d’un lourd tribut à porter. Avait-elle reçu un ordre des enfers ? Et si oui, devait-elle remettre dans le droit chemin les âmes damnées ?

Personne n’est au-dessus des lois. L'impunité fait le lit des désordres violemment corrigés par l’ordre naturel qui se fait discret. L’avenir est capricieux. On a beau se croire à l'abri. On oublie une chose essentielle. Il y a toujours plus fourbe et méchant que soi. Ce qui nous ramène inéluctablement à notre impuissance, sans complaisance envers nos sempiternels apitoiements.

La férocité de la bête lors de son repas de chef terrorisait la petite assemblée. Elle s’était repue des deux assaillants, qui ornaient désormais le wagon de la ligne 7. Un peintre aurait pu en faire un portrait accablant pour la petite société parisienne.

Puis, elle reprit forme humaine. Incapable de prononcer le moindre mot pour exprimer ma profonde gratitude. Ses yeux bleus fixés sur les miens, m'adressant un message sans équivoque. Nos chemins se recroiseront… très bientôt.

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