Du jour au lendemain, des immondices emplies de vices apparurent aux portes de notre faculté provoquant la stupeur générale. Cette crasse impossible à cacher en public, nous annonçait-il un funeste présage? L’arrivée en grande pompe d’une apocalypse au sein de notre arche de paix et de tolérance. Pouvait-on imaginer un scénario plus catastrophique ? L'enceinte, que nous avions réussi à protéger depuis tant d’années, allait-elle tomber aux mains de cette horde de barbares civilisés ?

Leurs rangs se multiplièrent à l’instar d’un nid de fourmis voulant spolier nos terres pour y bâtir une colonie. Bientôt, ils seront plus d’un millier ! Un millier ! s'exclamait Inaya, visiblement dépassée par les événements. Un relent de soufre pénétrait nos cœurs endeuillés, laissant planer une peur viscérale au-dessus de nos têtes effarées. Une guerre sans merci commençait à pointer le bout de son nez !

À la vue de cette menace imminente, la majorité se voulait silencieuse. Préférant le déni au conflit, elle s'accommodait bien des nouvelles convenances. Elle n’a jamais d’avis, certainement dû à son éducation biberonnée au conformisme. Seule la peur de tout perdre peut la contraindre à tout changer. Elle, qui ne daigne pas agir quand la situation l’exige. Tout ça pour se jeter à corps perdu dans des divertissements de plus en plus abrutissants… La fuite est par dépit son arme favorite !

Et puis, que dire des collabos ? De vraies girouettes, ayant un goût prononcé pour la trahison ! Qu’est-ce qu’ils pouvaient nous bassiner avec leur liberté d’expression ! Comme si le mépris était une idée comme les autres ! Ils ne possédaient aucune qualité propre, accumulant les défauts à l'image d’un surendetté. L’hypocrisie était une de ses pièces maîtresses pour se sortir d’un faux pas. Pour eux, rien ne pouvait aller à l’encontre de leur sainte liberté, inaliénable par nature… Quelle vaste fumisterie !

Qu’ils étaient beaux nos étudiants modèles avec leur style bon chic bon genre ! Ils avaient tout du gendre idéal. Un blazer noir cintré à la taille, une petite chemise blanche comme neige, légèrement entrouverte, ainsi qu’un chino bleu comme le ciel azuréen. De véritables premiers de cordée comme notre président les aiment ! Ils incarnaient les deux faces d’une même arnaque, une face de faux bosseurs et une autre de faux gentils.

Que voulaient-ils ? Certainement, créer un chaos sans fin, un régime où la terreur joue le premier rôle, et où la confiance mutuelle a été retrouvée morte près de la clairière aux étangs. Ne pouvant se fier à quiconque, chacun se transforme en acteur de cinéma, espérant ne pas être recalé aux auditions… sinon l’issue pourrait être fatale. Nos ennemis recherchaient le bon moment pour mettre en œuvre leur réplique de l’attaque du Reichstag.

Et leur reine, alors ? Elle, qui était devenue la nouvelle coqueluche du Nouveau Monde, se voulant proche du petit peuple. Ce qu’on surnomme les bas de plafonds. Si bas qu’ils ont peur que le ciel leur tombe sur la tête. Elle était l’objet d’une véritable vénération, louant sa générosité sans limites ou sa beauté fatale. De pauvres gredins lui vouaient même un culte matinal pour pouvoir bénéficier de ses faveurs, c'est pour dire !

À peine installé sur mon bureau, que l’oxygène commençait déjà à manquer. La majorité des membres de l’équipe n'avaient pas réussi à trouver le sommeil. Les cernes décoraient leur visage attristé. La recherche infructueuse d’une faute à imputer aux perturbateurs a eu la conséquence de leur insuffler un profond désespoir. Leurs yeux pétillants avaient laissé la place à des yeux moribonds.

En scrutant le calendrier dans le hall, je me rendais compte qu’uniquement deux petits jours nous séparaient de la tenue du conseil. Deux jours décisifs dans notre guerre contre les envahisseurs venus de l’Ouest parisien. Le droit à l’erreur n’était plus permis, en dépend, la survie de notre campus.

Quand on y réfléchit bien, une tâche ardue pour des apprentis détectives comme nous. Cependant, l’idée de faire un tandem de choc avec ma vénérable patronne réduisait grandement mon appréhension. Elle était une source d’énergie inépuisable, rien ne semblait ébranler sa détermination dans la lutte. Un remède pour mon mental en proie au doute.

Nous savions que nos adversaires maniaient à la perfection les préceptes de Machiavel, mais rien de comparable à notre génie dialectique. Contrairement à eux, seule la vérité nous importait. Et le mensonge ne tient guère longtemps face à une telle volonté de puissance. Il est comme démuni contre un adversaire bien supérieur à lui. C'est comme vouloir combattre une tornade à main nue, on a toutes les chances de se faire emporter par elle.

L’heure était grave. Un message d’alerte avait été adressé à tous nos alliés de Paname dans le but de nous aider à repousser l'envahisseur. Malgré le ton solennel, nous avions juste reçu quelques messages de soutien. Ce qui avait le don d’énerver la patronne :

• Trois heures ! Trois heures... que j’ai lancé l’alerte, mais aucun de nos camarades a frappé à notre porte pour nous rejoindre ! Quand comprendront-ils que l’on doit jouer collectif ? Bordel !

Les minutes s’écoulaient péniblement sans aucun signe de ralliement à l’horizon. Tandis que je commençais à m’assoupir, un violent claquement de porte retentit à l’autre bout du couloir, ce qui me fit sursauter. Une milice bien organisée venait de débarquer avec en main le livre du Che “Guerrilla Warfare“. Ses adeptes, à la chevelure teintée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, ne laissaient personne indifférent. Les cocos, ils avaient le style dans la peau !

Ils composaient une brigade d’élite, venant de toutes les minorités invisibles. Gay, queer, primo-arrivant, féministe intersectionnelle... et j'en passe. Le sourire aux lèvres, nous étions fiers d’avoir été à l’initiative de ce mouvement populaire contre la haine.

Une réunion de crise avait été organisée par Inaya, pour qu’on mette au point notre stratégie d’attaque. Il avait été décidé de nous séparer en deux équipes, l’une s’occupant de la communication avec la création de pancartes et l’autre de la partie juridique, avec la création d’un argumentaire imparable.

Je faisais parti de la première équipe, et je m’atteler à la création des pancartes. Je pouvais déjà entendre des cris de ferveurs, résonnaient en moi :

• No pasaran ! La haine ne passera pas !
• Facho ! Facho ! Tu hors de ma vue !
• Faisons le choix d’un campus sans intolérance !

À l’aube, chacun de nous avait déjà lacé ses rangers, et finit de préparer son matériel. On aurait loupé pour rien au monde la confrontation.

À leur arrivée, un accueil glacial leur était réservé avec une pluie de huées assourdissantes et de sifflets incessants. Rien, qui ne soit de taille à éclipser le bruit de leurs bottes avançant d’un pas cadencé vers le lieu du rassemblement. Ces êtres dénués d’une quelconque empathie ne semblaient guère être contrariés par notre hostilité placardée ostensiblement. D'ailleurs, ils ne daignaient même pas nous regarder en face, comme si nous étions des fantômes. Ce qui eut l’effet de nous rendre fous de rage.

À l’opposé, leur reine s'en ai allé à notre rencontre, le regard compatissant à notre égard. On avait beau l’insulter, lui cracher au visage, voir lui mettre des coups de pied… Sa magnanimité restait intacte, sans taches apparentes, allant même à décupler les marques d’affection envers nous !

D’un coup d’un seul, elle s’avança vers moi pour me caresser la joue gauche, tout en la baptisant d’un somptueux baiser devant la sidération de l’assemblée. Je pouvais voir Inya verte de rage, si elle avait pu, elle l’aurait trucidée sur place. Puis, elle partit tout en s’adressant à nous :

• Mes enfants, je vous ai compris !

Un homme de petite taille, tout chétif, essayait tant bien que mal de se frayer un chemin vers le bâtiment. Il ne payait pas de mine. Si bien que quand il eut dit son nom, tout le monde tombait des nues… C’était notre doyen, très loin de coller à l’image d’un homme d'État à la carrure imposante… comme quoi les stéréotypes n’ont pas toujours raison.

Nous le suivions docilement vers la salle de réunion. Il prenait un grand soin à toujours avoir la tête baissée, espérant que personne ne le remarque. Puis, au moment de rentrer, il s’assit péniblement sur une chaise, bien trop grande pour lui, et balbutia quelques mots:

• Bon… Bonjour tout le monde… Nous allons pouvoir commencer… Alors, il semblerait qu’il y ait eu un accident fâcheux lors de la réunion des syndicats.

Inya se leva pour prendre la parole :

• Bonjour Monsieur le Doyen !
  Oui, toute la faute revient aux fachos ! Je pense que leur exclusion définitive est la seule solution acceptable, même si dans des temps immémoriaux, ils auraient été châtiés d’une tout autre façon…
• Pas de précipitation, jeune fille ! Bon, je reprends…
• Pardon ?! Pas de précipitation ? Réponds Inaya, excédé par la passivité excessive du doyen. Vous vous rendez compte de l’urgence dans laquelle nous nous trouvons ? Nous avons affaire à de véritables terroristes ! Il faut une réponse ferme, sans quoi, notre université tombera dans les mains de ses pourritures !

Des applaudissements retentissaient aux quatre coins de la pièce, provenant de nos amis. Nous étions déterminés à faire pencher la balance de notre côté. La victoire ou la mort, nous vaincrons !

• Euh… J’ai bien entendu votre propos, et nous allons tirer ça au clair. Je suis sûr que le conseil prendra la décision la plus appropriée
• Il n’y a pas à tirer ça au clair ! continue Inaya animée par une furie animale. C’est eux les responsables, eux ! Sachez une chose, nous ne partirons pas tant que nous n'aurons pas eu gain de cause… Je vous promets que votre vie deviendra un enfer sur terre !
  

Il esquissa un léger sentiment de crainte. Il savait qu’il n’avait plus le droit à l’erreur, sinon il pourrait tout perdre. Que ferait-il s’il devait perdre son emploi ? À cinquante ans passés, ils auraient de fortes chances de se retrouver à la rue.

• Qu’avez-vous à répondre à ces accusations Mademoiselle de Chalon ?
• Nous sommes innocents. D’ailleurs, nous avons les moyens de le prouver avec les vidéos de surveillances, qui ne laissent que peu de doute sur l’identité de la coupable. Maintenant, dans un souci d'apaisement, j’accepte volontiers une suspension temporaire de notre syndicat à l’unique condition d’un procès équitable.
• Hum… Étrange, je ne me rappelle pas avoir demandé à installer des caméras au sein de notre faculté... Pourriez-vous m’envoyer la preuve avant la tenue du prochain conseil ? Je vous laisse deux semaines pour prouver votre innocence, sinon votre syndicat sera dissous, et votre équipe dirigeante sera exclue de l’université !

Nous étions les seuls, Inya et moi, à ne pas avoir la tête à faire la fête. Nous avions une victoire de façade, car on savait de quoi il en ressortait. S’ils étaient réellement en possession d’une telle arme, la guerre serait perdue d’avance ! Un nouveau rôle allait m’être attribué, celui d’un espion au service d’une amie dans le pétrin !