Noël

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La magie de Noël s'empare des rues. Partout, les illuminations et les guirlandes ont pris place sur toutes les façades et entre les bâtiments. Tout le monde semble joyeux et excité. Tout le monde sauf moi. Cette magie ne m'atteint plus depuis deux ans. Depuis la disparition de la moitié de ma famille. La partie la plus proche de moi, mes parents et mes frères. Où sont-ils? Nul ne le sait. Tout ce que la police a trouvé, c'est des empreintes de pneus qui partent de la maison, laissant derrière eux leur voiture et toutes leurs affaires, comme s'ils allaient revenir pour continuer leurs activités quotidiennes. Je baisse la tête et accélère le pas, faisant mes achats à toute vitesse pour rentrer chez moi me terrer dans le silence et la solitude.

Trois heures sonne à l'horloge de grand-mère dans le salon. Impossible de dormir, sachant ce qu'il m'attend dès l'aube. Les regards désolés, la peine, la condescendance, ça me tape sur les nerfs. Je ne suis pas une petite chose fragile qu'il faut protéger coûte que coûte. J'hésite à me rendre chez mes grands-parents, mais si je n'y vais pas, je vais le regretter et me faire engueuler. Je grogne, bourre mon oreiller de coups de poings pour le rendre plus moelleux et me retourne, bien décidée à dormir un peu.

Je suis sans espoir. Je n'ai pas dormi de la nuit et de grands cernes noirs encerclent mes yeux gris. Comme je le pré-sentais, les regards qu'on m'adresse sont les mêmes que ceux qu'on poserait sur un animal blessé. Je garde la bouche fermée, de peur de laisser cette rancœur et cette colère sortir. Depuis mon coin, je regarde ce qu'il reste de ma famille s’enthousiasmer devant leurs cadeaux et autour du repas préparé avec amour par mes deux grands-mères. Ma propre assiette est posée sur mes genoux. Je tripote un peu dedans, sans grand enthousiasme. Pourtant, j'adore la choucroute, mais sans mes parents et mes frères, ce n'est plus la même chose.

– Allez, cousine! Bouge ton cul de ce tabouret et joints-toi à nous. On ne va pas te manger.

– Nan, Sam. Amusez-vous. Tu sais bien ce qu'il se passe à chaque fois que je me joints à vous.

– C'est parce que tu déprimes depuis deux ans. Et que plus personne ne sait comment se comporter avec toi.

– La réponse est comme avant. Mais vous n'en êtes plus capable. Je vois vos regards. N'essaye même pas de me mentir, cousin. Je suis peut-être seule, mais je ne suis pas aveugle ni insensible.

– Désolé. Ils nous manquent aussi, tu sais. Allez. S'il te plait. Viens au moins danser avec ton cousin préféré.

Je pouffe, pose mon assiette sur mon tabouret et prends la main de cet incorrigible garnement qui arrive toujours à me sortir de ma mélancolie. Il m'entraine dans une danse endiablée comme celles qu'on faisait avant tout ça, sous le regard de plus en plus noir et jaloux de sa jeune épouse. Oups, j'en oublie qu'elle est d'une possessivité grosse comme le cosmos envers mon cousin et que la moindre fille qui tente de s'en approcher finit avec les rotules cassées. Les autres membres de la famille nous observent en souriant puis se joignent à nous sur les derniers titres d'Ed Sheeran et de Coldplay. Je retrouve mon entrain et je laisse pour l'instant ma mélancolie avec mon assiette et mon tabouret. Ma famille m'entoure, ramenant un peu de la magie de Noël dans mon cœur et dans ma tête.

La fin de la danse se fait en groupe collé serré, sautant dans tous les sens en hurlant les paroles entre cousins. Les enfants ont du mal à suivre le rythme et les grands-parents les retire vite de la masse, les sauvant in-extremis d'une mort par écrabouillage. Sam me sourit et ses yeux pétillent de malice. Il a obtenu ce qu'il voulait et, pour une fois, je ne suis pas mécontente de ses agissements.

La musique s'arrête brutalement, nous stoppant dans la seconde dans un grand cri outré. Mais celui-ci reste bloqué en voyant les policiers dans l'encadrement de la porte, la mine sévère. Une boule grossit dans mon ventre et remonte rapidement vers ma gorge. Leur regard froid me fixe avant qu'ils ne se dirigent vers moi. Ma famille s'écarte comme la mer Rouge devant Moïse. Un sentiment de traitrise et la peur me montent à la tête. Mon cerveau se déconnecte et ma respiration se paralyse dans ma gorge. Que vont-ils encore m'annoncer? Qu'ils arrêtent l'enquête? Qu'ils abandonnent au bout de deux longues années durant lesquelles ils m'ont promis en permanence qu'ils iraient jusqu'au bout pour les retrouver, même si la conclusion est triste.

– Mademoiselle. Nous...

– Ne venez pas gâcher notre Noël et le sourire de ma petite-fille que je vois depuis la première en deux ans!, s'insurge ma grand-mère.

– Non, madame. Nous venions juste vous dire que nous avons trouvé une source, quelqu'un qui saurait où sont passés les quatre personnes disparues depuis deux ans. Il... Il demande à vous voir. Il ne veut rien nous dire avant de vous voir et de vous le dire.

– Moi? Juste moi?

– Euh... Oui, juste vous. Est-ce que vous pouvez venir avec nous? Genre maintenant?

– Ah! Euh... D'accord. Laissez-moi prendre mes affaires et je vous suis.

J'attrape en vitesse mes affaires, embrasse ma famille et suis les deux policiers. Ils prennent leur voiture et je prends celle de Papa. Le trajet est court jusqu'au commissariat, mais il est assez long que pour me faire paniquer. Je me gare à la va-vite mais correctement (je ne tiens pas à avoir une prune le jour de Noël, surtout pas devant un bâtiment remplis de policiers parfois un peu tatillons) et entre à leur suite jusqu'à une salle d'interrogatoire.

D'abord du côté du miroir sans-teint, me livrant la vision d'un homme dans la fin de la vingtaine trop bien habillé et apprêté que pour être un suspect. Des cheveux bien peignés, une barbe courte entretenue et des vêtements taillés sur-mesure. Je ne vois pas ses yeux, baissés sur ses mains manucurées. Les policiers me demandent si je connais cet homme, ce que je nie. Je ne l'ai jamais vu, même si ses cheveux bruns me disent quelque chose. Je ne sais pas quoi, cependant, son apparence me fait penser à l'un de mes frères. Dans un sens.

Les policiers me font entrer dans l'espace d'interrogatoires et l'homme redresse la tête. Il ressemble vraiment à mon frère, jusqu'à la pépite dorée dans ses yeux coca-cola. Pourtant, ce n'est pas lui. Pas tout à fait. Ses traits ne sont pas les mêmes, malgré la finesse et les pommettes hautes, je sais, je sens que ce n'est pas lui. Les deux hommes en uniforme quittent la pièce, nous laissant seuls pour avoir un peu plus d'intimité.

– Tu n'as pas à avoir peur de moi. Tu me connais. Ou du moins tu me connaitras.

– Qui êtes-vous et que venez-vous faire ici? Les policiers m'ont dit que vous savez où se trouve ma famille.

– Exact. N'aies crainte, ils ne peuvent pas nous entendre, ni nous voir. Ce petit gadget que j'ai entre les mains brouille leur perception de l'espace, du temps et des sensations.

– Quoi? On s'en balance de ce truc et de ce qu'il peut faire. Je veux savoir ce qu'il est arrivé à mes parents et à mes frères. Maintenant.

– Ils ont dû partir. Et tu devais venir avec nous. Mais on s'est trompé de quelques minutes et tu as raté notre départ. Il m'a fallu deux longues années pour avoir la chance de venir te récupérer.

– Bon sang, mais qui êtes-vous? C'est quoi ce charabia? Merde! Je veux des explications, pas plus d'incompréhension!

– Je suis ton neveu. Venu tout droit du futur pour sauver notre famille.

– C'est quoi votre délire? Du LSD? Une autre drogue?

– Il n'y a aucun délire, ma tante. Tu es la seule pièce manquante. En fait, la plus importante dans le plan de sauvegarde. Mes cousins, pas tes enfants qui sont loin d'être aussi bêtes, ont mal fait leur travail et je dois tout réparer. Encore une fois. On n'a pas le temps pour des explications. Je dois t'emmener maintenant. Trente ans dans le futur. Pour sauver la planète et l'espèce humaine.

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