05. La naufragée déménage

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Jade


— Tu peux te rhabiller, Laura. Tout est OK.

Je sors d’entre ses cuisses et me lève pour enlever mes gants. Laura a beau être la femme à la sexualité la plus ouverte et qui court toutes les gazelles de l’île, elle ne verra jamais autant de vagins que moi, c’est clair. A défaut de mettre des bébés au monde, je crois que mon statut de médecin m’offre quand même des journées peu ennuyeuses. Bon, j’ai beau trouver les vulves magnifiques, j’avoue qu’enchaîner trois consultations gynécos me donnerait presque envie de m’abstenir d’aller retrouver Jasmine pendant quelques jours. Même si j’ai raté notre soirée d’il y a deux jours.

Je profite que la jolie rousse se rhabille pour aller remplir son dossier sur mon ordinateur et jette un œil à la pendule en priant pour qu’il n’y ait pas d’urgence qui m’empêche de finir à l’heure. Samedi… Je paierais cher pour un vrai weekend. Celui de la semaine dernière a été bousculé par la chute de Josiane, l’une des centenaires de l’île, et celui d’avant par le coup de chaud d’un des bébés fraîchement arrivé. Est-il possible d’avoir un peu de repos ? Les femmes n’aiment pas beaucoup aller à l’hôpital et préfèrent faire appel à moi tant que c’est possible. C’est plutôt gratifiant, mais un peu chiant, quand même.

— Je te propose un petit traitement à base d’huile de bourrache pour traiter la sécheresse vaginale. Peut-être que tu profites un peu trop de la vie, tu sais ? souris-je quand elle s’assied de l’autre côté de mon bureau.

Elle aurait tort de s’en priver. Pourquoi chercher à se caser et se retrouver avec un mioche dans les pattes ? Elle n’a que vingt-trois ans, après tout.

— Plus sérieusement, continué-je en voyant sa tête dépitée, c’est bien d’avoir une bonne hygiène intime, mais là, c’est trop. Tu déséquilibres ta flore vaginale. Je vais aller te chercher les gélules. Dix jours de traitement et on se revoit, d’accord ?

— Mais je peux quand même continuer à fréquenter mes amies, non ?

— Oui, bien sûr. Mais vas-y mollo sur les douches.

Je ferme la porte derrière elle après lui avoir donné son traitement et soupire de contentement. Weekend… Je n’ai qu’une envie, passer mon après-midi en topless sur la plage.

— Liz ? Tu es prête à quitter la triste chambre du cabinet ?

— Je vais pouvoir sortir ? Ce serait trop bien, oui.

— Oui, le Conseil a donné son autorisation. Il n’y a pas d’appartement de prêt pour le moment, mais j’ai une chambre de libre chez moi, si tu es toujours OK pour cette option.

— Eh bien, si ça ne te dérange pas… Mais je ne veux pas m’imposer, tu sais…. Ton mari serait d’accord ? Enfin, non, je suis bête. Tu ne dois pas vivre avec un homme…

— Non, ris-je, et je ne vis pas non plus avec une femme. J’ai une maison pour moi toute seule, il y a largement la place pour deux. Et puis, tu sais, je ne suis pas non plus chez moi très souvent, alors tu auras ta tranquillité aussi.

— J’espère que je ne vais pas rester trop longtemps… Il faut que je rentre chez moi, commence-t-elle.

Sacré cas de conscience que de lui cacher la vérité depuis deux jours… Je déteste lui mentir, je n’aime pas ça en général, d’ailleurs, mais… ce que le Conseil veut, le Conseil a…

— Un peu moins de trois mois, mais ça va passer vite. Et puis, qui sait, peut-être que tu vas prendre goût à la vie ici. C’est quand même le pied : pas de mecs pour te harceler dans la rue ou t’insulter, pas de problème d’argent pour payer ta nourriture, pas de problème de logement… Accès gratuit aux soins, la mer à perte de vue, le topless autorisé sur nos plages. Et des nanas pour tous les goûts dans les parages. Y a pire, non ?

— C’est vrai qu’il y a de jolies femmes, ici, répond-elle en portant un regard plus qu’appréciateur sur moi.

— Allez, je vais te faire visiter le coin avant qu’on ne rentre chez moi. Et qui sait, peut-être qu’un après-midi plage te tenterait ?

— Oui, je crois bien… même si je ne suis pas sûre que j’oserais le topless, moi.

— Dommage, lui lancé-je avec un sourire en coin.

Je sors sans me retourner et attends qu’elle se décide à en faire de même. Il y a quelques personnes qui se promènent, et je souris en voyant Mathilde au comptoir de la bibliothèque. Elle a quitté ses bottes de fermière et porte une jolie petite robe qui me rappelle des souvenirs que je ne devrais pas avoir en tête là, tout de suite. Enfin… pourquoi pas ?

Mon regard est cependant attiré vers le comptoir d’accueil des hommes, où l’infatigable Malcolm est plongé dans un bouquin. C’est quand même fou de passer sa vie là, non ? Bon, stock de livres à volonté, mais je me demande s’il ne s’ennuie pas un peu.

— Ah, te voilà. Tu as hésité longtemps, ris-je en fermant le cabinet à clé. Je te fais peur ? Donc, ici tu as la bibliothèque. Grande et jolie. La fille de l’accueil n’est pas très aimable, mais ça pourrait être pire.

— Non, tu ne me fais pas peur, répond-elle en rougissant. On peut emprunter tous les livres qu’on veut, alors ?

— Tous les livres du rez-de-chaussée sont accessibles à tous, et tu as une partie du premier étage avec des livres spécialisés pour les femmes. Accès interdit à la mezzanine de gauche. Je sais, ça a l’air strict, comme ça, mais… on s’y fait, c’est aussi ce qui nous permet de vivre tranquillement, sans avoir peur des mâles.

— Et il y a une partie au fond de la bibliothèque pour les livres à acheter, énonce une voix masculine qui nous surprend toutes les deux.

Nous nous retournons comme une seule femme dans sa direction et je suis surprise de voir Malcolm arriver sur le chemin. Je jette un œil aux alentours et ne peux m’empêcher de rétorquer en voyant qu’aucun garde n’est dans les parages.

— C’est vrai, mais pourquoi acheter des livres quand on peut les emprunter ? A part tuer des arbres, ça ne sert pas à grand-chose.

— Il y a certains livres qu’on ne veut jamais rendre tellement ils sont bien écrits ou des ouvrages qu’on veut lire et relire sans jamais vouloir s’en séparer.

— Si tu le dis… Tu fais bien ton job, je pourrais être convaincue si j’oubliais une seconde que les arbres nous permettent de respirer. Allons-y, Liz, avant qu’on ne se fasse reprendre. Bon après-midi, Malcolm.

Oui, je fais preuve de mauvaise foi, j’avoue. J’ai moi-même quelques livres à la maison dont je ne veux pas me séparer. J’en ai également au cabinet, dans un intérêt totalement professionnel. Mais j’aimerais bien savoir ce qui lui a pris de nous aborder comme ça, au beau milieu du chemin central du village. Il est fou ou quoi ?

Je ne peux m’empêcher de lancer un regard derrière moi alors que nous nous éloignons avec Liz, et souris au bibliothécaire. Il a l’air gentil, pour un homme. C’est vrai, chaque fois que j’entre dans son sanctuaire, il me salue d’un signe de tête alors qu’on sait très bien que le Conseil n’est pas très fan des marques d’attention envers le sexe opposé. Mais là, il a un peu poussé le bouchon, quand même. C’est risqué de discuter au beau milieu du village.

— C’est ici qu’on récupère les provisions. Je t’y emmènerai la semaine prochaine, j’ai déjà récupéré ce qu’il faut pour les prochains jours. Et là, tu as le poste des gardes. Ne fais pas cette tête, ris-je. Oui, il y a une entrée pour les hommes et une pour les femmes. Moins on se voit, mieux on se porte.

Je prends le temps de lui présenter les différents bâtiments, souris en la voyant un peu paumée, mais plusieurs femmes viennent nous saluer et se présentent, s’intéressent à Liz. Je crois que nous sommes toutes plus ou moins curieuses d’en apprendre davantage sur elle, mais il faut dire qu’elle attire le regard aussi. Elle est vraiment superbe et a un sourire qui appelle les gens, en fait.

Lorsque nous arrivons dans mon quartier après avoir récupéré la voiturette, je me retiens de rire en voyant la tête de Liz. Oui, c’est sûr que cet alignement de petites maisons toutes identiques en bois, dans un style vraiment moderne, bien loin de celles que l’on a pu voir dans nos livres sur l’étude de la vie sur le continent, ça doit l’impressionner. Ou alors, on va encore avoir droit à la comparaison avec les Amish ? On en est pourtant loin, non ?

Je me gare comme je peux près de mon entrée, puisqu’aucune place n’est faite pour une voiture étant donné qu’il y en a très peu sur l‘île. Liz s’est bien moquée de ma voiturette, d’ailleurs. Moi, je l’aime bien, elle est mignonne, mais c’est sûr que comparée à leurs grosses voitures polluantes, on est sur un petit modèle qui doit lui paraître ridicule.

Je fais coucou à ma voisine d’en face, en train d’enfin ranger sa poubelle, et entre dans la maison. La fraîcheur me fait frissonner et je tapote sur l’écran de contrôle de la maison pour entrouvrir les volets et nous permettre d’y voir quelque chose. Les maisons ne sont pas très grandes mais confortables. Une seule pièce pour la cuisine, la salle et le salon, la salle de bain au rez-de-chaussée, et deux chambres à l’étage, en plus d’une petite terrasse.

Liz se balade dans la pièce et regarde un peu tout. Il n’y a pas grand-chose à voir, j’ai récupéré la maison de l’ancienne médecin, Evelyne, qui m’a formée. Elle m’a tout laissé ou presque, et je n’y ai pas vraiment mis ma touche. J’ai juste ramené mes plantes, mon bureau et mes affaires personnelles. Bon, j’ai rendu le vieux canapé à l’atelier parce qu’il était vieillot et défoncé, pour en avoir un neuf. Evelyne était une vieille rebelle, j’ai passé un temps fou à nettoyer la serre qu’elle n’utilisait pas afin de planter mes fruits et légumes. Toutes les cours voisines ont au moins deux ou trois arbres fruitiers qui fournissent, mais ici, j’ai dû planter moi-même mes arbres et je vais encore devoir attendre deux ou trois ans avant que mon poirier ne daigne me fournir des fruits. Le pommier, en revanche, devrait cette année enfin me permettre de faire des tartes et des compotes.

— La salle de bain est ici. Je vais te prêter des vêtements le temps que ton colis soit prêt. Il va falloir qu’on réfléchisse à ce que tu vas faire pour les mois à venir. En fait… disons que pour avoir droit à la nourriture, aux vêtements, aux livres, il faut être utile sûr l’île, tu vois ?

— Et si on ne peut pas être utile, il se passe quoi ? On ne mange pas ?

— Disons que tout le monde se rend utile. C’est la moindre des choses, non ? Comme chez toi, il faut bien travailler pour manger. La différence c’est qu’ici, à partir du moment où tu travailles, tu as forcément suffisamment à manger pour vivre et pas besoin de te priver, même si on ne mange pas non plus à profusion. Je te montre ta chambre ?

— C’est vrai que ça a des avantages. Je te suis. Tu es sûre que ça ne te dérange pas que je m’installe chez toi ?

— Bien sûr que non. C’est ça aussi, l’île. De l’entraide, c’est la base, lui dis-je en montant les escaliers.

J’en profite pour allumer les lampes UV sur mes plantations fragiles installées sur le palier, et ouvre la porte de la première chambre.

— Désolée, ce n’est qu’un lit une place, mais… normalement, c’est une chambre d’enfant. Elle est jolie et pas vraiment enfantine, heureusement.

J’ai demandé à échanger le lit bébé contre un lit simple, faut pas pousser. Cette pièce est un petit rappel quotidien du privilège de mon rôle sur l’île, ou du sacrifice, au choix. Certaines sont obligées d’accueillir un enfant alors qu’elles n’en voudraient pas, moi je n’ai pas ce droit, même si j’aimerais. Non, les lois de l’île ne sont pas non plus parfaites, loin de là. Beaucoup sont discutables, même.

— Ça ira très bien, tu sais. C’est déjà gentil de m’accueillir. Et si je peux t’aider pour payer mon séjour ici, je le ferai. Je ne veux pas être une charge pour toi.

— Si tu es douée en cuisine et que tu as de la conversation, je crois qu’on va s’entendre, souris-je. Il y a des draps dans le placard. Plage alors, cet après-midi ? J’ai envie de faire bronzette, j’ai une trace plutôt moche de bronzage, il faut que j’unifie le tout.

C’est sympa, le vélo et la voiturette, le jardinage dans la serre, mais j’avoue que la marque du tee-shirt, c’est moyen. Je ne suis pas fan en tout cas.

— Oui, ça me fera du bien, la plage. Et je me débrouille en cuisine même s’il faut voir ce qu’on peut faire avec les ingrédients que vous avez ici.

Il y a plein de choses ici, je ne doute pas qu’elle trouvera de quoi satisfaire mes papilles et les siennes. C’est plutôt agréable d’avoir quelqu’un à la maison, c’est le feeling que j’ai, pour le moment. Espérons que ça dure et que je ne me sente pas trop envahie. De toute façon, Liz ne devrait pas passer sa vie ici non plus. Au pire, elle restera le temps de se trouver une fille ? Je ne sais pas si le Conseil va l’installer dans un appartement. On verra, parce que pour elle, l’avenir est vraiment incertain. Je ne lui envie pas sa place. Son arrivée déséquilibre l’île et le Conseil n’aime pas ça. Elle a la chance d’être jeune, ça la sauvera sans doute. Mais à quel prix ?

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