06. Pensées coquines entre les livres
Malcolm
Je déambule entre les étagères de la bibliothèque en m’efforçant de me concentrer sur mon travail et pas sur les possibilités que pourrait offrir untel ou untel en termes de partenaire, mais mon esprit toujours aussi en manque ne peut s’empêcher de se faire des films. Il y a Daniel, d’abord, qui est là vêtu d’un simple short et d’un petit tee-shirt bien moulant. Il est en train d’étudier la dernière mise à jour faite par le Conseil sur les médecines douces et leurs effets bénéfiques pour prévenir les maladies. Je sais qu’en tant que médecin, il n’a pas le droit d’avoir d’enfant, ce qui fait que beaucoup refusent d’envisager quoi que ce soit avec lui. Moi, pour une petite soirée de fun, je ne dirais pas non. Et puis, il doit savoir bien ausculter tout ce qu’il y a à ausculter, non ?
Un peu plus loin, il y a les deux jeunes qui viennent de se mettre officiellement en couple alors que tout le monde le savait déjà depuis des semaines. Alexandre et Alexis… Tu m’étonnes qu’ils aient hésité, vu la proximité de leurs noms. Je me demande ce que ça ferait d’essayer à trois. Il ne faut pas mourir idiot, en plus. Et ce n’est pas interdit par le Conseil, même si ce n’est pas commun.
Bref, il faut que je me sorte toutes ces idées de la tête et que je me reconcentre sur mon travail, c’est pour ça que je retourne au bureau d’accueil pour assurer la permanence. Murielle, l’autre bibliothécaire, n’est pas là aujourd’hui et je dois assurer aussi l’enregistrement des emprunts auprès des femmes. Mais bon, comme à chaque fois que l’un de nous d’eux n’est pas là, c’est comme si le mot était passé qu’il ne faut pas venir pour le sexe concerné. Il y a juste une étudiante dont j’ai oublié le nom qui est présente et qui étudie un manuel de droit écologique. Je crois qu’elle a envie de rejoindre le Conseil mais je ne vois pas comment elle y arriverait. Il n’y a pas de sortie de membre prévue…
Le temps passe lentement et je me suis plongé dans un recueil de poésies qui vient d’arriver et dont je découvre avec intérêt les textes. Je suis donc surpris quand une voix féminine me sort de mes pensées. Je relève les yeux et je constate qu’il s’agit de Jade, la Doc, qui vient perturber ma quiétude. Elle est ravissante, dans une petite robe jaune fluide qui épouse ses formes selon ses gestes et découvre ses épaules et ses bras bronzés.
— Bonjour, Malcolm. Murielle n’est pas là ? J’ai besoin de livres pour Liz, histoire qu’elle sache un peu où elle a mis les pieds.
— Non, c’est son jour de service à la communauté. Elle est au siège du Conseil pour en assurer le nettoyage. Elle aurait préféré être ici, je te promets. Bref, tu veux des livres d’histoire ou plutôt des ouvrages sur la vie pratique ?
— Le pratico-pratique. Pour le reste, on verra plus tard, l’essentiel c’est qu’elle s’intègre. Tu peux regarder combien de livres je peux prendre ? Je ne sais plus combien j’en ai à la maison… Bref, il faudra mettre ça sur mon compte, me dit-elle en regardant en direction de son cabinet.
— Tu es pressée ? demandé-je en ouvrant son compte pour voir ce qu’elle a emprunté.
Je m’efforce de ne pas marquer mon étonnement et de rester impassible mais je constate que la doc a des lectures moins sages que son collègue masculin. Il y a deux ouvrages que le Conseil a mis sur la liste des livres interdits à un public non averti parce qu’ils sont trop graphiques dans leur contenu. Et, vu qu’ils mettent en scène juste un homme et une femme, ils ne sont pas en accès libre, il faut en faire la demande et c’est enregistré dans notre fichier. Cela n’a pas l’air de la déranger plus que ça de s’afficher devant moi avec ces livres, ou alors, elle a oublié qu’elle les avait ?
— Tu as juste deux livres, Jade. Tu as de la marge pour emprunter. Je te conseille le manuel du parfait ilien. Il reprend le code de l’environnement édité par le Conseil mais avec des explications et des graphiques pour expliciter les choses. Et puis, il y a le petit roman fait par Rémi Verjardin. C’est plus concret que plein d’autres documents, même si c’est un peu arrangé pour tenir dans le format. Tu connais ?
— Oui, c’est un incontournable, ça. Forcément, tu me conseilles un bouquin d’homme… Une suggestion moins… masculine ? Ou tu ne lis rien qui vient de nos femmes ?
Je ne vais quand même pas lui avouer que je lis toutes les romances qui sont écrites par des femmes parce que ça m’excite, quand même ! Mais alors, je lui réponds quoi ? Et pourquoi ce qu’elle pense m’importe-t-il ?
— Si, si, mais je ne lis que la poésie car, qu’elle soit masculine ou féminine, elle est toujours aussi puissante. Et le livre de Rémi décrit bien la société avec cet amour impossible entre un homme et une femme et tout ce que cela peut comporter de difficultés dans notre société. Tu peux lui prendre le récit fait par Jasmine Lalande, sinon. Un peu particulier parfois, mais ses descriptions sont magnifiques et ça peut l’aider à comprendre pourquoi on continue à vivre chacun dans notre coin. Elle doit halluciner, non ? Elle résiste bien ou craque face à tant de différences par rapport à son monde ?
— Pour l’instant, ça va. Disons qu’elle a l’habitude de fricoter avec des femmes, donc ça ne la change pas trop non plus. Le plus compliqué, c’est qu’elle ne sait pas ce qui est arrivé à sa copine, avec qui elle voyageait. Elle est installée à la maison et passe pas mal de temps dans sa chambre. Bref, va pour le livre de Jasmine aussi.
J’essaie de ne pas trop la regarder, de faire comme si c’était normal de servir une femme et je fais le tour de mon petit comptoir. Elle me suit jusqu’à l’endroit un peu à l’arrière de la bibliothèque où se trouve le livre qu’elle désire ramener à la naufragée. Dans ce recoin un peu à l’écart, nous pouvons parler plus librement et j’en profite, ne me sentant pas observé ou jugé.
— Elle est consciente que le Conseil est en train de réfléchir au sort qu’ils vont lui réserver ?
— Non, je lui épargne un peu tout ça. Pour être honnête, je ne pense pas qu’elle risque grand-chose. Elle est jeune, en bonne santé… Je dois lui faire un examen gynécologique le plus vite possible pour savoir si elle est fertile. Tu vois le truc, soupire-t-elle.
— Ah oui, je vois, ils vont la garder et virer une des vieilles biques de l’île… sinon, l’équilibre risque d’être perturbé… Tiens, voilà un des livres que tu as demandés.
— Je ne te permets pas de qualifier nos femmes âgées comme ça, grimace Jade en me prenant le livre des mains. Et… je ne sais pas ce qu’ils font des personnes qu’ils sélectionnent pour l’équilibre. Mais bref, je n’en dirai pas plus, vu comment tu estimes nos aînées, je n’ai pas envie que tu balances un truc au Conseil à mon sujet.
— Oh tu sais, je n’apprécie pas non plus toutes leurs pratiques, au Conseil. Mais ils sont plutôt efficaces dans la gestion de l’île. Et pour les anciens, ils les recyclent, non ? Enfin, c’est ce qu’ils disent, même si je ne sais pas trop ce que ça veut dire.
— Personne ne sait ce que ça veut dire, c’est bien ça, le problème. Je doute que ce soit une bonne chose, s’ils ne s’en vantent pas. Ils aiment trop se… me dit-elle avant de s’arrêter brusquement en regardant une femme en uniforme qui passe devant la fenêtre. Ils aiment trop mettre en avant ce qu’ils font de bien sur l’île.
Elle n’a pas tort et je préfère ne rien dire alors que nous nous dirigeons vers une autre partie de la bibliothèque. Lorsque je me baisse pour trouver le livre qui doit se trouver sur la rangée du bas, je me retrouve à côté des jambes nues de la jolie médecin et mes pensées se remettent à divaguer tant et si bien qu’il me faut un moment pour trouver le bouquin que je recherche.
— On sait tous bien ce que ça veut dire, non ? Tu as vu le peu de personnes âgées sur l’île ? Je crois qu’on sait bien qu’ils n’envoient pas les vieux dans des maisons de vacances… Bref, on devrait arrêter de parler de ça car on risquerait d’avoir des soucis. Mais c’est agréable de pouvoir échanger aussi avec une femme comme toi. Tu veux que je te conseille un bouquin pour toi ?
— Si tu comptes me conseiller ton recueil de poèmes, je l’ai déjà lu. Et ça veut dire quoi, une femme comme moi, au juste ? me demande-t-elle avec un petit sourire en coin.
Et mince, je n’ai pas su tenir ma langue comme d’habitude. Je ne vais quand même pas lui dire qu’une femme comme elle, c’est une femme que je n’hésiterais pas à mettre dans mon lit pour découvrir ce que ça fait de s’accoupler avec une femelle ! J’ai vu les descriptions dans des romances et ça n’a pas l’air si mal que ça, quoi que le Conseil puisse dire.
— J’espère que mes poèmes t’ont plu, indiqué-je pour noyer un peu le poisson. Je pensais plutôt à un des derniers romans qui est arrivé et qui a directement été mis sur la liste des ouvrages pour publics avertis. Vu ce que tu as déjà emprunté, ça devrait te plaire.
— Je te dirai ce que j’ai pensé de tes poèmes le jour où tu m’expliqueras ce que veut dire “une femme comme moi”, sourit-elle plus franchement, fière d’elle. En revanche, tu m’intéresses. Pour le livre dont tu parles, évidemment. Tu l’as lu ?
— Oui, je l’ai lu dès qu’il est arrivé, l’avantage d’être bibliothécaire ! Et une femme comme toi, c’est une femme qui aime bien ce genre de livres, justement. Pas une de ces prudes qui ne pensent que par le prisme du Conseil et qui considèrent que le mâle est intrinsèquement mauvais. Tu vois ce que je veux dire ?
— Parce que vous n’êtes pas mauvais ? me demande-t-elle, moqueuse. Peut-être que je les lis seulement par curiosité, qui sait ? Concernant ton recueil, je l’ai trouvé pas mal, mais qui suis-je pour juger ? Je n’écris pas de poésie. J’ai beaucoup aimé celui sur la douceur d’un coucher de soleil sur la mer.
— Il ne faut pas être poète pour apprécier la poésie. Et quel meilleur moyen de célébrer la Nature qu’en exprimant sa beauté par quelques vers ? Je te mets le livre de côté ou tu le prends tout de suite ?
— Je passerai le chercher demain, en ramenant l’autre. J’aurais trop envie de le commencer ce soir sinon, et il me reste quelques pages à lire sur le précédent. Et puis… ça me donnera l’occasion de repasser par ici.
Elle s’éloigne avant que je ne puisse répondre, me laissant tout le loisir de réfléchir à ce qu’elle vient de me dire alors que j’observe ses fesses se mouvoir avec grâce sous sa robe. Elle est en train de me provoquer, non ? Et le pire, c’est que ça ne me gêne pas du tout. Au contraire, ça m’excite énormément… Ils sont passés où tous mes rêves de tout à l’heure ? Pourquoi dès que je me retrouve en sa présence, je me mets à avoir envie de découvrir ce que c’est le sexe avec une femme ?
— Malcolm ? m’interpelle-t-elle depuis l’accueil où elle s’est accoudée. Allô ! Ma patiente est arrivée, tu peux… arrêter de rêvasser et enregistrer les livres, que j’y aille ?
Mince, je suis sûr qu’elle a capté mon érection pendant que je la matais et je jurerais presque qu’elle se mordille la lèvre en me regardant m’avancer vers le comptoir derrière lequel je suis content de me réfugier pour cacher mes émois.
— Voilà, c’est fait, dis-je d’une voix un peu rauque.
— Merci, le poète. Garde-moi le livre dont tu m’as parlé bien au chaud, d’accord ? sourit-elle en se penchant davantage sur le comptoir, non sans avoir jeté un œil aux alentours en amont. A demain.
Elle a soufflé ces derniers mots d’une voix sensuelle et me tourne le dos pour sortir de la bibliothèque sans plus se retourner, m’offrant un déhanché que je soupçonne d’être provocateur. Je crois qu’aucune femme sur l’ile ne doit être en mesure de lui résister. Et là, moi qui ai la chance d’assister à ce spectacle, je n’en mène pas large. Il va falloir que je me replonge dans le roman avant de lui donner, ce sera le seul moyen d’assouvir mes fantasmes. Et tant pis si l’héroïne prend les traits de la Doc ce soir, il me faudra au moins ça pour me soulager.
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