18. La réserve du rapprochement

7 minutes de lecture

Malcolm

Je profite de ma pause pour me réfugier dans mon bureau. Je me serais bien mis à mon poste d’observation habituel mais vu le livre que je suis en train de lire, il vaut mieux que je me mette à l’écart et que je ne me fasse pas trop voir. C’est en effet un des livres qui n’a pas le droit d’être à l’étage mais doit rester en réserve car il raconte une histoire entre un homme et une femme. J’adore cette romance entre un avocat et sa cliente qui risque une forte condamnation pour avoir tué son mari qui la violentait. Magnifiquement écrit et avec des scènes très réalistes qui me font encore plus fantasmer. Et en plus, c’est parsemé de poèmes. Un vrai bonheur !

En parlant de poème, j’en ai écrit un que je ne me vois pas envoyer à la Revue de l’île, même s’il est plutôt pas mal.

Intolérable frustration que celle de ces envies interdites

Relation dont les possibilités sont inédites

Comment ne pas céder à la tentation

Lorsque l’on voit tout ce qu’elle crée comme émotions

On nous demande d’être à l’écoute de la Nature

Qu’elle est à l’origine de tout, des sentiments les plus purs

Si elle est la cause de mon tourment et de mes envies

Qui pourrait me condamner et me conduire au pilori ?

Je pense que même si c’est une célébration de la Nature, ce genre de texte pourrait m’attirer plus d’ennuis qu’autre chose. Cela m’attriste un peu que personne ne pourra jamais le lire et, pris d’une soudaine envie un peu folle, je me dis que cela pourrait intéresser une personne. Je le copie sur une feuille de papier recyclé et descends dans le hall de la bibliothèque.

— Murielle, je m’absente juste cinq minutes, j’arrive tout de suite, lancé-je à ma collègue avant de sortir du bâtiment.

Je m’assure que personne ne m’observe et file sur le trottoir d’en face pour glisser mon petit poème sous la porte du cabinet de Jade. J’espère que ça lui fera plaisir et qu’elle saura de qui provient ce petit mot déraisonnable. Je retourne rapidement au travail et ne m’arrête qu’après plusieurs heures, pour une nouvelle pause où, cette fois, je m’installe à l’étage devant la baie vitrée. La vue y est tellement belle que je ne peux m’en passer.

Je n’arrête pas de me demander ce que Jade va penser de mon petit poème. Ai-je fait une folie en le lui partageant ? Est-ce que c’est plus fou que de lui parler et répondre à ses avances ? Je ne crois pas… Et puis, je vais vite être fixé car c’est elle que je vois à la fenêtre de son cabinet en train de faire des grands signes dans ma direction. Qu’est-ce qu’elle me veut ? Je hausse théâtralement les épaules pour lui signifier que je ne comprends pas ce qu’elle souhaite que je fasse et me demande comment ces quelques vers suffisent pour la mettre dans un état pareil.

Elle a l’air vraiment agacée et je la vois disparaître de mon champ de vision avant de revenir avec un petit tableau et un feutre effaçable. Je la vois écrire dessus un petit mot qu’elle tend dans ma direction. Dessus, elle a inscrit : “Rejoins-moi quand tu peux. Je t’attends.” Tout de suite, les pensées les plus folles se bousculent dans mon esprit, tout mon corps se réveille et je me dis qu’elle aussi a envie de lutter contre ces frustrations afin de satisfaire les envies interdites dont je parle dans mon poème.

Je lui fais signe que j’ai compris puis lève un doigt pour lui signifier qu’il me reste une heure de travail à faire avant d’être libre. J’espère qu’elle a saisi le sens de mes gestes et je me remets à l’accueil en regardant l’horloge égrener bien trop lentement les minutes qui me séparent du moment où je vais pouvoir aller la retrouver.

Quand enfin, je peux laisser ma collègue gérer la bibliothèque, je monte sur mon vélo et fais mine de rentrer chez moi comme d’habitude avant de faire demi-tour et de prendre des chemins latéraux pour revenir au cabinet de la Doc. Je frappe à la porte arrière en espérant que personne ne m’a vu et attends quelques instants qu’elle vienne m’ouvrir. Lorsqu’elle apparaît enfin, je suis à deux doigts de lui sauter dessus tellement elle est mignonne dans sa petite robe fleurie mais son air inquiet me stoppe dans mon élan.

— Tu voulais me voir ? Je peux entrer un peu ? Ici, le risque est trop important que quelqu’un nous surprenne.

— Oui, viens, souffle-t-elle en m’attrapant par la main pour m’entraîner dans un petit local de stockage dont elle referme la porte derrière nous.

Le lieu est exigu et la proximité réelle. Il y a une vraie tension entre nous et je me demande si elle va se déshabiller devant moi ou si elle va me demander de le faire en premier.

— Mon poème t’a tant inspirée que ça ? demandé-je pour rompre le silence qui s’était installé.

— Ton poème ? Non, je… je n’ai pas lu la gazette encore. Je… Désolée, je suis un peu perturbée. Tu sais que le Conseil se réunit aujourd’hui pour statuer sur le cas de Liz ?

La gazette ? Mince, elle n’a pas vu le petit texte que j’ai écrit. Et clairement, elle n’est pas dans le même état d’esprit que moi. C’est quoi, cette histoire de Liz ?

— Je ne suis pas au courant, non. Je… Pour le poème, c’est un papier que j’ai glissé sous ta porte, je ne l’ai pas fait paraître dans la revue. Tu ne l’as pas trouvé ?

— Malcolm ! Y a plus sérieux qu’un poème, là ! Ils ont embarqué Liz hier soir pour la mener au Conseil aujourd’hui ! Et… Jasmine a dit, mot pour mot “s’ils décident de l’éliminer”. Tu te rends compte ?

— Ils l’ont arrêtée ? Mais pourquoi ? Et Jasmine, ce n’est pas un peu ta petite amie ? Pourquoi ne t’a-t-elle pas prévenue avant ?

— Jasmine voue un culte au Conseil, jamais elle ne m’aurait avertie. Je ne suis même pas sûre qu’elle me préviendrait si le Conseil prévoyait de m’éliminer, moi. Du moins, aujourd’hui, c’est clair qu’elle ne le ferait pas, grimace Jade en s’adossant contre la porte. Le Conseil ne voulait pas qu’elle quitte l’île en douce.

— Elle a des ailes, Liz ? Ils croient qu’elle pourrait partir comment ? Tu penses que quelqu’un d’autre l’a vue sur le bateau de Marie-Anne ?

— Je ne sais pas… mais ça ne justifie pas cette arrestation. Franchement, qui n’essaierait pas de rentrer chez lui s’il se retrouvait sur une île dont il ne sait rien ?

— Mais on vit presque au paradis, ici. Surtout qu’elle préfère les femmes, non ? Elle devrait se sentir dans son élément ici ?

Pas comme moi qui ne pense qu’à ne pas respecter l’ordre établi et à me coller contre Jade qui est si attirante dans sa fragilité apparente.

— Elle a une famille, des amis sur le continent. Et une petite amie dont elle ne sait même pas si elle est en vie. L’île… elle s’en fiche, même si effectivement, vivre loin des hommes lui paraît plutôt sympa.

Je la dévisage un instant et me demande ce qu’elle ne me dit pas car visiblement, elle ne me donne pas tous les détails. Mais là n’est pas le plus important. Elle a l’air vraiment inquiète pour sa protégée.

— Tu sais, le Conseil devrait décider de ne pas la recycler. C’est tellement rare d’avoir un peu de sang neuf sur l’île…

— Oui, mais à quel prix, hein ? Et puis, si quelqu’un l’a effectivement vue sur le bateau et témoigne contre elle, tu crois qu’ils prendront le risque ? Séverine, la membre du Conseil qui vient me voir souvent au cabinet, m’a clairement dit qu’ils ne vont pas risquer de déséquilibrer le système pour une réfugiée, mais qu’ils ne la renverraient jamais sur le continent, au risque qu’elle parle de notre mode de vie. On ne peut pas cautionner ça, si ? C’est juste… cruel.

— Je suis d’accord, mais que veux-tu qu’on fasse ? Le Conseil, personne ne se plaint de ce qu’il fait, ici. On ne peut pas s’opposer à ce qu’ils vont décider.

— Je suis la seule Doc femme, je pourrais en jouer, non ? Les menacer de me barrer ? me dit-elle sérieusement avant de rire. Je raconte n’importe quoi, c’est stupide… Je… j’ai juste la trouille pour Liz. Ou pour ce qu’ils pourraient décider de faire pour leur foutu équilibre à la noix…

— Je comprends, dis-je doucement.

J’écarte les bras et, le plus naturellement du monde, elle vient s’y nicher. Elle se colle contre moi et suis surpris de sentir la pointe de ses seins se frotter contre mon torse. C’est étrange comme sensation mais je n’ai pas vraiment le temps d’analyser ce qu’il se passe. Elle se met en effet à pleurer et je referme mes bras dans son dos pour la caresser doucement. Elle se reprend rapidement et essuie ses larmes avant de s’éloigner de moi, autant que l’espace exigu le permet.

— Tu ne connais personne au Conseil qui pourrait avoir des infos sur la situation de Liz ? Je… Franchement, je n’en peux déjà plus d’attendre.

— Je vais demander à Marco. Son père est au Conseil. Lui et moi… euh… disons qu’il va peut être me faire des confidences… Dès que je sais quelque chose, je t’informe, d’accord ?

— Des confidences… sur l’oreiller, tu veux dire ? me demande-t-elle avec un petit sourire.

— Disons qu’il n’est pas insensible à certaines de mes qualités. J’aurais dû te les montrer la dernière fois, d’ailleurs… Mais bon, j’ai pas osé… Je te laisse, je vais essayer de me renseigner.

— Merci, Malcolm, murmure-t-elle en s’approchant pour déposer un baiser sur ma joue.

Je ressors du petit local complètement perturbé par ce qu’il vient de se passer. Et franchement, ça n’a rien à voir avec Liz, même si une partie de moi a envie de savoir ce qui va lui arriver. Non, c’est la première fois que je partage des moments aussi intimes avec une femme et je suis déjà complètement tourneboulé. Qu’est-ce que ce sera si Jade et moi, on va plus loin ? Est-il possible de connaître encore plus de plaisir que ça ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0