48. Célib Dating

10 minutes de lecture

Malcolm


En sortant de mon bureau, je m’arrête un instant devant la vue que m’offre la baie vitrée à l’étage. Comme à chaque fois, je suis émerveillé du spectacle offert par la Nature, chaque jour identique dans sa splendeur, et pourtant chaque jour différent. C’est fou comme le Conseil a à la fois tout compris dans son désir de la préserver au maximum et absolument mal interprété les choses en voulant tout figer dans le marbre. La Nature est changeante, elle évolue, et c’est ça qui en renforce encore sa beauté. L’éphémère rend encore plus sublime chaque instant où le sublime succède au coutumier. Je sens naître en moi une ébauche de poème et essaie de graver dans mon esprit les sensations qui surgissent de mon observation avant de reprendre mon chemin vers le rez-de chaussée où va se dérouler l’événement organisé par le Conseil pour la réouverture de la Bibliothèque.

Je descends les escaliers et observe toutes les décorations installées par Murielle qui semble à la fois enthousiaste de pouvoir à nouveau exercer son métier mais aussi et surtout de mettre en place cet événement auquel elle compte participer activement alors que moi, de mon côté, je le redoute au plus haut point. A peine me voit-elle arriver qu’elle m’apostrophe et je sens qu’elle va encore me demander de rajouter quelque chose aux ornements déjà installés.

— Malcolm ! Il faut déplacer la table, elle n’est pas centrée. Et puis, il reste un carton de décorations à installer !

Bingo ! Si je veux me reconvertir, je sais que la profession de devin ne devrait pas me causer trop de problème. Je souris faussement à ma collègue, bouge la table de deux centimètres dans la direction qu’elle m’indique et ouvre le carton avant de me stopper.

— Non ! Je ne peux pas mettre ça ! Tu as vu comme c’est kitsch ? C’est quoi ton idée avec ces photos de bébés ? Tu sais qu’on est dans une bibliothèque, ici ?

— Ce sont les décorations réglementaires pour ces événements, c’est comme ça. Allez, hop hop hop, au boulot !

Hop, hop, hop ? Non mais, sérieusement ? Elle me prend pour un petit lapin ou quoi ? Heureusement qu’elle déteste les hommes, sinon je suis sûr qu’elle m’aurait appelé son lapinou ! Je lève les yeux au ciel et commence à poser les affiches un peu partout. J’en arrive même à cacher les livres derrière certains de ces posters tellement il y en a.

— Tu crois vraiment que c’est une bonne idée de rendre l’objectif de la rencontre aussi clair ? On pourrait faire un peu plus dans la subtilité et mettre des images romantiques de la nature et de ses splendeurs ? Je suis sûr que les célibataires qui seront là tout à l’heure apprécieraient plus que de voir ce que le résultat de leur potentielle union pourrait produire ! Parce que franchement, qui a envie de rêver d’un bébé ?

— Tu n’as pas à te poser ces questions, ce sont les demandes du Conseil. On exécute et puis c’est tout, soupire-t-elle, agacée.

— Tu crois que je pourrais au moins mettre quelques textes de mes poèmes pour inspirer ceux qui n’auraient rien à dire à leur partenaire ?

— Tu te débrouilleras avec le Conseil si ça ne leur convient pas, je ne veux rien avoir à faire avec ça.

Bon, je ne vais pas insister. Déjà qu’elle m’en veut et qu’elle pense que la fermeture de la bibliothèque est entièrement ma responsabilité. Sans oublier qu’elle n’a pas apprécié ma mise en avant lors de l’affaire Oliver et Zoé. Alors, si je pousse la provocation jusqu’à changer ce que le Conseil a mis en place, je crois que c’est elle qui va me recycler directement. J’installe les affiches et m’arrête un instant devant la grande qui se situe à l’entrée. Le titre fait peur : “Tu es seul(e) ? Viens à la soirée des célibs ! Tu y rencontreras l’âme soeur avec qui avoir un bébé ! Un événement proposé par le Conseil et obligatoire pour te lancer dans une vie de plaisir et de bonheur écologique ! “

Je ne sais pas qui écrit ces inepties, mais franchement, un bébé, ça ne fait que pleurer, on n’a plus de vie et en plus, c’est un vrai tue-l’amour quand il se met à crier à n’importe quel moment du jour et de la nuit. Et j’aime bien le mot “proposé” sur l’affiche. Tous les célibataires qui ne viendraient pas vont être taxés et recevront une amende équivalente à presque un an de salaire. Et si on ressort de la rencontre toujours célibataire, on a le droit à une formation spéciale sur : “Comment bien séduire. Connais-toi toi-même et tu sauras ce qui plaît à ton autre toi.” Rien que le titre, ça donne envie de prendre une fusée et de se barrer loin d’ici. Tant pis pour l’écologie !

A l’heure dite, Murielle, toute excitée, sautille de joie sur place alors que je vais ouvrir la porte. J’aurais tellement préféré que le Conseil ne mélange pas tout, qu’ils nous laissent un peu profiter de notre mission première d’accès à la culture mais non, il faut qu’on accueille tous les non casés de l’île. Ils vont voir ce que ça fait de rassembler dans un seul endroit tous ceux à qui il manque une case !

Ce n’est pas la ruée lorsque je déverrouille la porte, mais je constate quand même qu’il ne manque pas beaucoup de célibataires dans les participants. Seule Jade et deux jeunes hommes proches du Conseil ne sont pas venus. Et tout le monde s’installe dans la grande salle, de son côté. Murielle a installé des paravents tout le long et les seules personnes du sexe opposé qui seront visibles de tout le monde, ce sera Muriellle et moi, sur la petite estrade devant tout le monde.

— Bienvenue à tous pour ce qui sera la soirée dont vous vous souviendrez pour le reste de votre vie, commence Murielle qui compte bien sur cet événement pour trouver chaussure à son pied. Le principe, ce soir, est tout simple : Vous êtes seul ou seule, vous cherchez un ou une partenaire et vous allez repartir ensemble ! La nuit va être chaude, les coquinous !

Je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel en écoutant ce discours, provoquant quelques rires dans la salle. Au moins, ça veut dire que je ne suis pas le seul à trouver cette mascarade affligeante.

— Enfin bon, avant de baiser, comme le dit si poétiquement ma collègue, il faut séduire. Des tables sont installées un peu partout dans votre espace. Vous vous y asseyez et vous avez dix minutes pour taper dans l'œil de la personne en face. Si ça matche, vous pouvez partir ensemble. Sinon, vous tournez. Des questions ?

Je regarde l’assemblée et je me dis que si beaucoup des présents sont clairement excités par la perspective de ne pas finir la nuit seuls, l’autre moitié est visiblement mal à l’aise. Je suis amusé de voir que Liz et Mathilde ont dû venir et qu’elles sont déjà en train de s’installer à une table en rigolant. En voilà deux qui sont juste venues pour officialiser leur relation. Quand Murielle donne le top départ, je me dirige vers la table la plus proche de la scène et m’installe en face de Jérôme, mon ex, qui m’attend avec le sourire.

— Alors, toujours pas casé ? l’attaqué-je gentiment.

— Il semblerait que non. Toi non plus, à ce que je vois, me lance-t-il avec un sourire en coin.

— Officiellement, non. Mais bon, j’ai quelqu’un dans ma vie, maintenant, tu sais ? Alors, si tu ne veux pas perdre ton temps, tu ferais mieux d’aller draguer quelqu’un d’autre.

— Vraiment ? Et qui est le petit veinard ?

— Secret d’Etat ! Motus et bouche cousue ! Enfin, tu vois le genre, on préfère ne rien dire. Tu crois que tu vas t’en sortir sans être maqué ce soir ? Toi qui ne penses qu’au plaisir, tu penses que tu vas réussir à éviter le bébé ?

— J’espère bien, soupire-t-il. Tu connais mon désamour pour les mioches, aucune envie qu’on m’en colle un dans les pattes… donc… on verra bien, mais rentrer avec quelqu’un ne mènera qu’à une nuit de plaisir, c’est sûr.

Je souris et nous nous faisons la bise avant de continuer notre petit parcours alors que certains couples sont déjà en train de partir ensemble. Je m’assois en face de Clément, un jeune qui me regarde avec de grands yeux quand je m’installe en face de lui.

— Quoi, j’ai un bouton sur le nez ? demandé-je, amusé.

— Non, non, je… bafouille-t-il en se redressant sur sa chaise avant de sourire. Je suis OK pour discuter, si tu ne comptes pas brandir une pancarte anti-Conseil dans la minute.

— Ah non, je ne garde ça que pour les grandes occasions. Tu n’approuves pas mes désirs d’avoir un peu plus de liberté ?

— Je crois que ce n’est pas le genre de choses dont on devrait discuter lors d’un événement organisé par ledit Conseil pour nous caser presque contre notre volonté… Enfin, pour ce que j’en dis, j’aimerais avoir ton courage.

— On est censés se draguer, je dirais que confier que tu m’admires, c’est la bonne stratégie ! Et tu augmentes tes chances en critiquant le Conseil. Je te laisse voir à quel point tu veux t’occuper d’un bébé avec un rebelle comme moi.

Je m’amuse de le voir rougir et me dis que je ne suis pas sage, mais au moins, je ne passe pas la soirée à me morfondre.

— Je suis trop jeune pour m’occuper d’un enfant… J’ai l’impression d’en être encore un !

— Je confirme ! Tu vas être bon pour un petit cours de séduction, ris-je. Mais ne t’inquiète pas, c’est juste un mauvais moment à passer et je t’y retrouverai avec plaisir ! Et, rassure-moi, tu n’iras pas raconter mes bêtises au Conseil ?

— Au pire, on rentre ensemble ? Enfin, je… je ne te propose pas forcément de… tu vois, quoi, mais on fait comme si ? On pourra peut-être éviter de se coltiner le cours de séduction, comme ça…

Je réfléchis un instant en le regardant pour étudier sa proposition. Je suis tenté de dire oui, surtout qu’il est mignon, mais je me dis que si je fais ça, je cautionne le système, ce que je n’ai pas du tout envie de faire.

— Non, désolé, il faudra que tu trouves un autre mec à qui faire ta proposition. Ou aller à ce cours auquel je ne suis pas sûr de participer.

Je vois bien qu’il est déçu mais il y a toujours autant d’admiration dans ses yeux et ça me fait un peu plaisir. Nous nous quittons bons amis et je vais voir la personne suivante. Hugo m’attend et j’ai l’impression que je vais passer un moment beaucoup moins agréable avec cet ami de Marco aux ordres du Conseil.

— Tu sembles faire ton difficile, ce soir, Malcolm.

— Ah oui, que veux-tu ? Je ne me contente que du meilleur, un peu comme toi, on dirait, non ? le provoqué-je en faisant exprès de regarder ce qu’il se passe sur les autres tables plutôt que vers Hugo.

— Je suis bien plus jeune que toi, j’ai largement le temps. En revanche, en ce qui te concerne, je crois que tu devrais te mettre dans le rang, tu fais un peu trop parler de toi, en ce moment.

— Je suis content de voir que mes poèmes commencent enfin à être reconnus. C’est difficile d’avoir de l’inspiration avec la pression qui est mise sur moi, en ce moment.

Je fais mine de ne pas comprendre ses allusions et constate avec plaisir que cela l’énerve au plus haut point.

— Est-ce que tu te rends compte à quel point tu prends des risques ? Tu crois quoi, au juste, que tout le monde va te suivre ? Ne joue pas avec le feu, Malcolm, sinon, la sanction pourrait être autre que quelques heures de TIG et tu le sais.

— Je n’ai rien fait qui nuise à la Nature, il me semble. Au contraire, j’essaie de continuer à en respecter les principes au maximum. Depuis quand le Conseil intervient à ce niveau dans nos vies privées ? Depuis quand parler et s’exprimer est un crime ? l’attaqué-je en le regardant fièrement.

— Je te pensais plus intelligent que ça, soupire-t-il. Parler pour contredire les décisions du Conseil n’est pas très futé, d’un autre côté, à quoi pouvais-je m’attendre ?

— Sinon, tu veux avoir un bébé avec moi ? On est là pour ça, non ? Même pas besoin de coucher, il suffit de rentrer ensemble. Intéressé, mon Chou ?

Je suis fou de le provoquer comme ça, mais il n’a pas l’air de prendre cela trop mal. Je joue avec le feu, mais un peu d’adrénaline, ça fait du bien.

— Sans façon. Tu n’es pas désagréable à regarder, mais j’aimerais autant ne pas m’attirer des ennuis, et quelque chose me dit que tu ne mérites pas ma confiance à ce propos.

— Oh, tu me brises le cœur, là. J’aurais bien continué cette discussion, mais c’est clair qu’on n’est pas fait pour s’entendre. Mes amitiés à Marco !

— N’oublie pas ce que je t’ai dit, Malcolm. Dans ton intérêt, il vaut mieux faire profil bas.

Je le salue et me dirige vers la scène comme si j’avais quelque chose d’important à y faire, même si en réalité, c’est juste que j’en ai assez de faire semblant. Je constate que Murielle est en train de partir avec Sarah, une femme très discrète mais que j’ai souvent vue au sein de la bibliothèque. Vu la galoche qu’elle échange Murielle, je crois qu’on va la voir beaucoup plus à l’avenir. La soirée est en train de s’achever et il ne reste plus beaucoup de célibataires dans la salle. Un véritable succès pour le Conseil. Me concernant, je me dis que j’ai acquis une certaine notoriété et que je suis désormais au centre de beaucoup de discussions, que ce soit pour admirer ce que j’ai fait ou pour le critiquer. Je n’avais pas réalisé cela avant d’échanger avec Hugo ou Clément. Est-ce une bonne chose ? Seul l’avenir le dira.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0