54. La folie du rêveur
Malcolm
Réfugié dans mon bureau, je suis pris d'une frénésie d'écriture comme rarement j'ai connue. Il faut que je retranscrive avec mes mots toutes les sensations qui débordent en moi. Il faut que j'arrive à transmettre à tous ceux qui me liront la beauté de l'amour que je ressens envers Jade. Si j'y parviens, peut-être que le Conseil évoluera et nous autorisera à vivre notre passion au grand jour ? C'est un espoir un peu fou mais j'y crois vraiment. Surtout quand je relis ce passage où j'évoque les frémissements du corps de ma partenaire lorsque ma bouche s’empare de ses tétons. Ou quand je corrige ce passage où je décris les décharges de plaisir qui nous traversent quand enfin mon sexe gonflé de désir vient écarter ses lèvres et s'enfoncer dans son intimité humide et accueillante. Pour faire justice à la magie du moment, je revois mes expressions quand je retranscris l'harmonie de notre sensuelle étreinte qui nous amène lentement mais assurément vers l'extase. Je m'excite moi-même en repensant à cette folle jouissance où je me déverse en elle alors qu'elle se cambre et connaît un orgasme dévastateur sous l'effet de notre union charnelle.
Je suis obligé de déboutonner mon pantalon et de sortir mon soldat prêt à retrouver son endroit de prédilection. Je le saisis et le serre fort en fermant les yeux, j'essaie de retrouver les sensations que je ressens quand je suis au fond d'elle. Que ce soit la mienne ou celle d'un partenaire, j'ai toujours aimé caresser une verge dure et tendue de désir. Je fais aller mes doigts de plus en plus rapidement en imaginant que Jade est en train de me chevaucher, que nos corps sont en train de s'épouser et je pousse un petit râle quand mon sexe se contracte et que je jouis. C'est fou comme même quand je ne fais que penser à elle, tout est intense. Et c'est comme ça que je conclus ma petite histoire après m'être nettoyé.
Je relis une nouvelle fois mon petit texte et le trouve très convaincant et surtout vraiment très excitant. C’est un bon manifeste pour défendre l’amour hétérosexuel. Je n’ai pas envie de remettre en cause totalement la séparation entre hommes et femmes, ça a ses avantages aussi, mais si tout le monde pouvait être libre d’aimer qui il veut, l’île irait encore mieux, non ?
Je quitte mon bureau pour regagner le hall principal de la bibliothèque et constate que Murielle est en train de discuter avec Liz et Sarah. Je les salue sans m’arrêter, étant encore en pause pour une demi-heure, et me dirige vers le sous-sol où se situe l'imprimante de la bibliothèque. Les copies sont très réglementées car on ne veut pas qu’il y ait du gaspillage de papier et je dois donc faire attention au nombre que je vais faire. Je me dis que pour commencer, je vais déjà en imprimer un exemplaire et le montrer à Jade pour voir ce qu’elle en pense. J’en suis là de mes réflexions quand j’entends une voix qui m’interpelle dans mon dos.
— Malcolm ? Je peux te voir une minute ?
— On n’est pas censés parler, Liz. C’est Murielle, la bibliothécaire de service et qui s’occupe des femmes.
— C’est Jade qui m’a demandé de venir te voir, pour ton prochain rendez-vous médical. Tu préfères que je parle de tes examens devant tout le monde ici ou tu m’invites dans ton bureau ?
— Mon prochain rendez-vous médical ? demandé-je, surpris. Mais c’est quoi, cette histoire ? commencé-je avant de réaliser qu’elle veut juste me parler en privé. Ah oui, ce rendez-vous là ! J’imprime ce document et on y va.
— Bien, je t’attends alors, soupire-t-elle.
Je récupère mon document et nous montons dans mon bureau dont je referme la porte derrière elle avant de me retourner vers elle.
— Jade a un problème ? C’est elle qui t’envoie ?
— Non, non, pas de problème, hormis le boulet qu’elle se traîne au pied et qui risque de l’amener au recyclage, me lance-t-elle avec un regard accusateur.
— Je ne vois pas ce que tu racontes, là ? De quel boulet, tu parles ?
— Bon sang, t’as le cerveau lent pour un intello, marmonne Liz en se laissant tomber sur la chaise en face de mon bureau. C’est toi, le boulet. Un boulet mignon avec un cul de dingue, mais un boulet quand même.
Un cul de dingue ? Non mais c’est quoi cette réflexion ? Depuis quand les femmes lesbiennes se mettent à me mater ?
— Tu me veux quoi, Liz ? Je ne suis le boulet de personne. Jade et moi, on s’aime, c’est tout. Et j’espère qu’un jour, les choses changeront sur l’île et qu’on pourra s’aimer sans se cacher.
— J’ai bien compris que c’était l’amour fou, oui, mais je m’inquiète pour elle. C’est ce que font les amis, non ?
— Mais on ne peut rien y faire… Tu voudrais quoi ? Qu’on arrête de se voir ? Je ne comprends pas ce que tu attends de moi.
— Je n’ai pas dit ça, Malcolm, je… je veux juste être sûr que tu es réglo avec elle. Jade a toujours été géniale avec moi, sans elle… je ne suis pas sûre que je me serais faite à la vie ici, tu vois ? Alors, je te garde à l’œil, et je te préviens. C’est tout beau, tout mignon, et je comprends que vous soyiez amoureux, mais tu ne vis pas avec elle. C’est une pile électrique à la maison, entre le boulot et votre secret, elle est constamment sur les nerfs, ces derniers temps.
— Ah bon ? Avec moi, elle est normale, je trouve.
Faut dire qu’on ne se voit pas beaucoup et, quand enfin on parvient à avoir un peu de temps, on passe notre temps à se bécoter ou à s’aimer. Aucune autre vie publique n’est possible, ce qui limite les possibilités de passer du temps ensemble.
— Non, ses amygdales sont normales quand tu fais l’inspection générale, sans doute, oui, ricane-t-elle en me lançant un regard entendu. C’est bien ce que je te dis, tu ne vis pas avec elle.
— Je suis désolé, Liz, mais là, je ne peux rien faire. Je l’aime, elle m’aime, et on fait ce qu’on peut pour l’instant. Je suis en train de réfléchir à comment on pourrait faire évoluer le Conseil sur la question.
— Eh bien, bon courage pour trouver, parce qu’ils sont clairement cinglés, là-dedans. En attendant, t’as intérêt à être réglo avec elle, parce que j’ai beau être une nana et tu as beau avoir un cul d’enfer, si tu lui fais du mal, je te coupe les roubignoles. Clair ? poursuit-elle avec un sourire innocent presque flippant.
— Tu t’inquiètes pour rien, là, pas besoin d’en venir aux menaces, je ferais tout pour Jade et tu le sais très bien. Je l’aime tellement que je suis prêt à envoyer au Conseil ce petit texte que j’ai écrit pour les faire changer d’avis, indiqué-je en montrant le document que je viens d’imprimer.
— Comme si un texte rempli de jolis mots pouvait changer quoi que ce soit… T’es pas près d’obtenir ce que tu veux, mon pauvre.
— Tu sous-estimes le pouvoir de la poésie, Liz. Elle peut changer le monde aussi sûrement qu’une armée. Il faut juste trouver la bonne formulation.
— C’est ça, comme si les poètes avaient accordé le droit de vote aux femmes, le droit à l’avortement et l’autonomie financière. Ben voyons ! Hé, redescends de ton nuage, le poète !
— Tu crois que sans les poètes, les révolutions pourraient exister ? Ce sont eux qui mettent le sens derrière la violence, qui expriment ce qui va motiver le peuple. J’y crois fermement. Sans Rousseau et Voltaire, pas de révolution française ! Tiens, lis ça avant de critiquer ou de te moquer et dis-moi franchement si ça vaut le coup ou pas de l’envoyer. Ce sera plus utile que de me dénigrer ! m’emporté-je en lui tendant les feuillets.
— Wow, un joli petit cul et du caractère, merde, je suis à deux doigts de te trouver sexy, glousse Liz en attrapant les feuilles.
— Ouais, je crois que tu es trop portée sur les dames pour me trouver sexy, grommelé-je en me renfrognant dans mon fauteuil alors qu’elle s’assoit à même le bureau pour lire le texte.
— Je sais reconnaître un joli cul quand j’en vois un, même s’il cache un beau service trois pièces. Jade a bien abandonné les jouets pour le tien, après tout, qui sait ?
Elle fait quoi, là ? Elle me drague ? Ou alors, elle joue avec moi pour me tester ? En tout cas, elle croise ses belles jambes devant moi et se met à lire avec désinvolture dans un premier temps mais je suis heureux de voir que rapidement, des signes d’excitation apparaissent. Ses tétons pointent et elle n’arrête pas de croiser et décroiser ses jambes.
— Tout va bien ? On dirait que tu as chaud ? demandé-je en voyant ses joues toutes rouges.
— Arrête de faire le malin et tais-toi, je finis de lire, bougonne-t-elle en me fusillant du regard.
Je m’amuse de la voir résister à l’envie qu’elle doit ressentir de se caresser car plusieurs fois, sa main se dirige vers ses jambes mais, sentant que je suis là, elle se retient à chaque fois. Son souffle se fait cependant plus court et je devine qu’elle apprécie vraiment ce qu’elle est en train de lire, ce qui me fait grandement plaisir.
— Tu as bientôt fini ? J’ai hâte de savoir ce que tu en penses.
— Si tu m’interromps sans cesse, comment tu veux que je termine ? s’agace-t-elle en reposant les feuilles sur mon bureau. Et donc, tu comptes faire bander les cons du Conseil et mouiller les dindes ? Tu crois que ça va changer quelque chose ?
— Si j’y arrive, n’est-ce pas la preuve qu’il faut autoriser ce type d’amour ? Que si même les gays et les lesbiennes peuvent trouver ça excitant, c’est que ça devrait être autorisé, non ?
— Il y a plein de choses excitantes qui ne sont pas forcément bonnes à faire ou à vivre, Malcolm, pourquoi tu crois que le Conseil pourrait autoriser ça ? Et je ne te dis pas ça pour te décourager, je… j’aimerais vraiment vous aider, dans l’ombre parce que je ne suis pas… légitime ? Ici. Mais… j’aime bien Jade, et toi aussi, je t’aime bien, je crois. Vous êtes mignons tous les deux, et honnêtement, j’aime trop voir mon amie sourire quand elle parle de toi pour la priver de ça.
— Tu crois que ça ne sert à rien de leur envoyer mon texte, alors ? Ils s’en foutent de savoir que cet amour peut être beau ? J’ai essayé d’aller au-delà du sexe pour mettre en lumière tous les sentiments que l’on peut ressentir quand on aime l’autre, que ce soit un homme ou une femme. Je n’y suis pas arrivé ? Je pensais… Je ne sais pas… Je suis un peu désespéré, je ne vois pas d’autre solution.
— Si, bien sûr que si, c’est un très joli texte, Malcolm, et je suis sûre que Jade va l’adorer. Tu vas lui faire lire, hein ? Mais… j’ai bien peur qu’il faille plus que ça pour que le Conseil se remette en question. Chez nous, on fait grève, on paralyse une ville, un pays, on… on se révolte, quoi.
— Oui, je vais lui faire lire, soupiré-je. Mais je ne suis pas sûr que nous soyons prêts à une révolte, ici. Tu m’as vu manifester. Une révolution tout seul, ça va être compliqué, mais merci de tes compliments.
— Je sais bien, tout le monde a le cerveau lavé, ici… Il va falloir attiser les foudres des citoyens, les pousser à réfléchir au fonctionnement de votre petite société… Rome ne s’est pas construite en un jour !
— Je vais y réfléchir. Tu retournes chez Jade, là ? Si c’est le cas, tu peux lui donner le texte ? J’espère que ça lui plaira…
— Je file au cabinet, oui, soupire-t-elle en pliant les feuilles pour les glisser dans sa poche. Jade est bizarre aujourd’hui, si tu arrives à passer la voir, ça lui fera plaisir, j’imagine.
— Je vais essayer, oui. Et promis, je vais tout faire pour ne pas lui faire de mal. Je l’aime trop pour ça. Bonne fin de journée, Liz.
— A toi aussi, joli petit cul, sourit-elle en me faisant un clin d’œil avant de sortir.
Mon enthousiasme de tout à l’heure est retombé. Je suis vraiment trop naïf parfois, ou trop rêveur. Liz, avec son franc-parler, m’a remis à ma place et je lui suis reconnaissant de m’avoir ramené sur terre même si j’aurais préféré avoir trouvé la solution pour changer les choses. Je suis content d’avoir réussi à l’émoustiller avec mon texte, ce qui montre qu’il n’est pas si mal écrit que ça, mais c’est vrai qu’il va falloir plus pour réussir à tout changer. En attendant la révolution qui n’aura sans doute jamais lieu, il va falloir que je m’organise pour aller voir Jade et savoir ce qui se trame et pourquoi Liz la trouve si bizarre. J’espère qu’elle n’est pas tombée malade !
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